Les symptômes d’alerte qui doivent absolument être recherchés sont la baisse de l’acuité visuelle, la douleur bulbaire aiguë et la photophobie aiguë. En cas de traumatisme, de suspicion d’atteinte cornéenne, de baisse aiguë de l’acuité visuelle/photophobie et de douleurs bulbaires aiguës, une co-évaluation ophtalmologique d’urgence est immédiatement nécessaire. Lors de l’utilisation de médicaments ophtalmologiques, il convient de peser soigneusement les avantages et les risques d’effets secondaires.
Environ 2 à 3 % des consultations de médecine générale et des urgences générales concernent les yeux ou les structures périoculaires [1]. Une proportion élevée d’entre eux peuvent être pris en charge médicalement par un(e) interniste ou un(e) médecin généraliste. Une certaine proportion nécessite toutefois une co-évaluation ophtalmologique. L’objectif de cet article est, d’une part, de présenter les principaux diagnostics différentiels de l’œil rouge et, d’autre part, de sensibiliser aux urgences ophtalmologiques.
Anamnèse
L’anamnèse fournit déjà des indications importantes sur l’étiologie de l’œil rouge. Si les troubles sont apparus de manière aiguë mais sans traumatisme, il faut en premier lieu envisager des causes inflammatoires (infectieuses ou non). Le diagnostic différentiel doit toujours être posé avec la fistule carotido-sino-caverneuse et la crise de glaucome aiguë.
L’anamnèse de la douleur peut fournir des indications supplémentaires. Ainsi, une douleur à la pression, éventuellement accompagnée de maux de tête (généralement unilatéraux), est signalée en relation avec un œil rouge, surtout en cas de déraillement de la pression (glaucome aigu). Mais une douleur à la pression peut également être signalée en cas de fistule carotido-sino-caverneuse ou d’états inflammatoires exerçant une pression sur le bulbe oculaire, par exemple un phlegmon de la paupière ou une orbitopathie endocrinienne exacerbée.
En revanche, les conjonctivites provoquent plutôt des brûlures et des démangeaisons ainsi qu’une augmentation du larmoiement (épiphora). Des douleurs aiguës et une photophobie sont souvent décrites en cas d’atteinte cornéenne. En cas d’œil rouge non douloureux, il faut penser à une composante neurotrophique, par exemple les inflammations herpético-virales ou la scléromalacie perforante, rare mais grave (une forme de sclérite). En cas de sécheresse oculaire (kératoconjonctivite sèche), les symptômes typiques sont une sensation de brûlure oculaire prolongée et croissante au cours de la journée, parfois accompagnée de démangeaisons et d ‘une sensation de lourdeur des yeux, de fatigue oculaire ou de sensation de corps étranger. Une baisse de l’acuité visuelle doit toujours être interprétée comme un signe d’alerte.
L’évolution dans le temps est également déterminante. Si le problème persiste depuis plus d’une semaine, on peut considérer qu’il s’agit d’un problème chronique. Il s’agit par exemple des malformations des paupières (entropion et ectropion, trichiasis, lagophtalmie) qui peuvent irriter l’œil. Ces derniers doivent également faire l’objet d’une évaluation ophtalmologique au cours de leur évolution afin d’éviter toute lésion de la cornée. La sécheresse oculaire et l’orbitopathie endocrinienne non aiguë font également partie des yeux rouges chroniques.
Enquête
La nature même de la rougeur peut être très révélatrice, bien que l’observation macroscopique ne soit souvent pas suffisante. Il est important d’ectropioniser les paupières ou au moins de soulever les paupières supérieures afin de mieux évaluer la rougeur et de pouvoir faire la différence entre une rougeur des paupières ou des annexes palpébrales avec éventuellement une réaction concomitante de la conjonctive d’une part et une affection primaire du bulbe oculaire d’autre part.
Il est possible de différencier l’hyperémie en ciliaire, conjonctive et mixte. En cas d’injection ciliaire, une rougeur immédiatement adjacente au bord de la cornée, il faut envisager une implication de la cornée ou de structures plus profondes (par exemple en cas d’uvéite). L’injection conjonctivale indique une hyperémie des vaisseaux superficiels, mais il peut être difficile de la distinguer des vaisseaux épiscléraux plus profonds. L’anamnèse de la douleur pour une éventuelle implication des vaisseaux épiscléraux en cas d’épi-/sclérite doit être incluse dans l’évaluation.
Une rougeur sectorielle peut être observée en cas d’épisclérite et de sclérite, d’hyposphagma ou de kératoconjonctivite limbique supérieure, plus rare. Une rougeur diffuse est présente dans la conjonctivite (d’origine bactérienne, virale ou allergique), dans de nombreuses formes d’uvéite, dans l’œil sec, dans les atteintes cornéennes ou dans les traumatismes.
Un gonflement concomitant de la conjonctive (chémosis) dû à une perméabilité capillaire accrue est provoqué par des toxines locales ou des inflammations, des troubles de l’écoulement de la lymphe ou du sang veineux, des fluctuations hormonales ou des tumeurs et est donc assez peu spécifique. Elle est toutefois plus fréquente en cas de réaction allergique.
Outre l’hyperémie générale, un examen plus attentif permet de classer plus précisément la forme de la rougeur. Par exemple, le “sludging” est un phénomène que l’on retrouve dans les maladies systémiques sous-jacentes, comme les macroglobulinémies ou la drépanocytose. Une rougeur de la conjonctive avec des télangiectasies de la paupière environnante peut indiquer une blépharite dans le cas de la rosacée.
L’évaluation des sécrétions oculaires apporte également une aide étiologique.
En cas de conjonctivite d’origine bactérienne, les sécrétions sont jaunes ou verdâtres. On peut même éventuellement observer ou provoquer une sortie de pus des points lacrymaux en cas d’implication des voies lacrymales (canaliculite). L’émission spontanée ou l’expressivité de pus à partir des points lacrymaux conduisent au diagnostic. Dans les conjonctivites virales, on observe des sécrétions aqueuses à muqueuses-jaunes.
Un signe non spécifique d’irritation de la surface oculaire est l’augmentation du larmoiement (épiphora). En cas de modification inflammatoire de la glande lacrymale, par exemple en cas de syndrome de Sjögren, ce flux peut être réduit ou totalement absent.
Unilatéral ou bilatéral
L’orbitopathie endocrinienne, la sécheresse oculaire, la conjonctivite (si elle n’est pas allergique, elle peut apparaître à droite et à gauche) et la photokératopathie (décoloration) sont typiquement bilatérales, mais ne sont pas toujours présentes du même côté. En particulier, le diagnostic différentiel en cas d’unilatéralité stricte doit inclure les maladies de la cornée, la fistule carotido-sino-caverneuse, l’accident glaucomateux, les traumatismes/brûlures chimiques et l’inflammation des structures périoculaires.
Palpation
Il est indispensable d’estimer la pression intraoculaire avec les index sur le couvercle de la paupière lorsque le/la patient(e) regarde vers le bas en cas de suspicion de crise de glaucome, toujours en comparant les côtés. En cas d’augmentation de la pression oculaire, le diagnostic différentiel doit également porter sur la fistule carotide-sinus-caverneux.
En règle générale, les patients présentant une blessure par corps étranger, une baisse aiguë de l’acuité visuelle, une suspicion d’atteinte cornéenne ou des problèmes de pression oculaire doivent être examinés en urgence par un ophtalmologue.
Pathologies extra-oculaires
La dacryoadénite est une inflammation circonscrite et douloureuse de la glande lacrymale située sous la paupière supérieure externe. Elle se caractérise par une rougeur de la région palpébrale concernée et par le signe dit du paragraphe, car la paupière ressemble à un “§” incliné à 90°. Les agents pathogènes typiques sont les staphylocoques et les streptocoques, ainsi que les bactéries à Gram négatif [2]. Le diagnostic différentiel doit être posé en pensant à un phlegmon de la paupière. L’administration d’antibiotiques par voie systémique est indiquée.
La dacryocystite désigne une infection du sac lacrymal qui provoque un gonflement rouge et dolent à la pression au niveau inféronasal de l’angle interne de la paupière. Les agents pathogènes à Gram positif sont le plus souvent détectés, mais les bactéries à Gram négatif sont plus fréquentes en cas d’immunosuppression ou de diabète sucré. Dans les cas avancés, une intervention chirurgicale peut être nécessaire, mais un traitement antibiotique systémique est généralement suffisant.
L’hordeolum (orgelet) est une inflammation, généralement bactérienne, des glandes sébacées ou sudoripares situées sur le bord de la paupière et qui provoque un gonflement rouge localisé dans la zone de la paupière concernée. Après un traitement approprié avec application de chaleur, par exemple par lumière infrarouge, et une antibiothérapie locale sous forme de pommade ophtalmique, les lésions guérissent généralement bien [3], parfois un grêlon (chalazion) peut subsister comme conséquence. En cas de persistance, une consultation ophtalmologique et, si nécessaire, une histologie doivent être effectuées [3]. D’autre part, si les résultats sont plutôt diffus, il convient d’exclure un phlegmon de la paupière, qui doit également être présenté en urgence à un ophtalmologue et faire l’objet d’un traitement antibiotique systémique (Fig. 1).
Le chalazion (grêle) est une inflammation granulomateuse localisée, non infectieuse et non douloureuse, contrairement à l’hordeolum. Il peut persister comme conséquence après la guérison de l’hordeolum ou apparaître de manière primaire en cas de glandes bouchées. Typiquement, les patients sont principalement gênés sur le plan esthétique. Mais ce n’est pas tout, la distinction histologique avec l’adénocarcinome peut indiquer une petite intervention chirurgicale avec examen pathohistologique en cas de persistance et d’augmentation de la taille.
L’un des risques liés à la malposition des paupières est l’assèchement de la surface, qui endommage la cornée et entraîne une baisse de l’acuité visuelle. Cela concerne surtout le lagophtalme, c’est-à-dire un défaut de fermeture de la paupière, comme cela peut se produire par exemple après une paralysie faciale, et l’entropion, car dans ce cas, le bord de la paupière tourné vers l’intérieur entraîne un frottement des cils contre la cornée, ce qui peut dans le pire des cas entraîner un ulcère de la cornée. (Fig. 2). Un contrôle ophtalmologique est donc toujours indiqué. La situation est moins dramatique en cas d’ectropion, un retournement des paupières vers l’extérieur. Les patients se plaignent généralement d’un épiphora (augmentation du larmoiement). Cependant, même dans les cas les plus avancés, une humidification insuffisante de la surface oculaire et, dans les cas extrêmes, un lagophtalme avec mise en danger de la cornée peuvent se produire.
La formation d’une fistule entre le sinus caverneux et l’artère carotide interne (fistule carotide-sinus caverneux) est généralement précédée d’un traumatisme, mais elle peut également se produire spontanément. Les plaintes peuvent inclure une sensation de pression, une détérioration de l’acuité visuelle, une vision double et des maux de tête. On peut objectiver des vaisseaux épiscléraux nettement dilatés et de configuration tortueuse, une exophtalmie pulsatile plus ou moins prononcée, une restriction de la motilité et des bruits auscultables au-dessus de la paupière fermée. Une imagerie supplémentaire et une prise en charge par un centre interdisciplinaire sont impératives, car une intervention neuroradiologique peut s’avérer indispensable selon la sous-forme de la fistule [4].
La blépharite est une inflammation aiguë ou plus souvent chronique de la jonction dermo-conjonctive avec atteinte des glandes annexes (glandes de Meibom, de Zeiss et de Moll). Elle peut être isolée, plus fréquente dans la population âgée ou chez certains groupes de patients (par exemple ceux atteints de diabète ou de rosacée). Il existe des associations avec la colonisation par les acariens Demodex et la sécheresse oculaire. Les possibilités de traitement consistent en une hygiène du bord des paupières, en cas de suspicion d’infestation par des démodex, avec l’utilisation supplémentaire de produits de soin contenant par exemple de l’huile d’arbre à thé, dans les cas graves, des antibiotiques locaux ou même des tétracyclines systémiques. Les approches thérapeutiques combinées à long terme sont courantes et une collaboration interdisciplinaire avec la dermatologie peut être utile [5].
Maladies de la conjonctive
Les conjonctivites sont en grande partie traitées par les médecins généralistes et non directement par les ophtalmologistes [6]. Parmi les causes non infectieuses, la conjonctivite allergique joue le rôle le plus important, tandis que parmi les causes infectieuses, les conjonctivites d’origine virale sont en tête. En règle générale, il convient de séparer physiquement ces patients potentiellement très contagieux des autres patients, par exemple dans des salles d’attente séparées, et de bien désinfecter les surfaces potentiellement contaminées.
Dans la plupart des cas, les conjonctivites sont bénignes et s’auto-limitent, mais certaines formes peuvent entraîner une atteinte de la cornée et un risque pour la vision. Les porteurs de lentilles de contact constituent un groupe à risque particulier.
La symptomatologie est évocatrice du diagnostic. Tous ont en commun une injection conjonctivale avec un gonflement plus ou moins prononcé des paupières qui l’accompagne. Les conjonctivites virales entraînent principalement des sécrétions aqueuses et des démangeaisons, mais l’intensité des symptômes peut varier considérablement, et dans certaines formes, une sensibilité à l’éblouissement (photophobie) peut également être présente.
Les conjonctivites bactériennes entraînent des paupières collées en cas de sécrétions purulentes ou mucopurulentes, un chémosis et présentent moins souvent des démangeaisons. Dans les conjonctivites allergiques, le prurit, le chémosis et l’épiphora sont au premier plan.
Sous nos latitudes, les conjonctivites bactériennes sont principalement causées par des staphylocoques et des streptocoques, tandis que chez l’enfant, elles sont surtout dues à Haemophilus influenzae, à des pneumocoques ou à des espèces de Moraxella [5]. Un frottis conjonctival peut souvent être faussement négatif et n’est donc indiqué que dans les cas compliqués et récurrents ou chez les immunocompétents et les nouveau-nés [7]. Une grande partie d’entre elles ont une évolution auto-limitative. Les antibiotiques entraînent toutefois une réduction de la durée de la maladie. On utilise des antibiotiques à large spectre applicables localement, par exemple la gentamycine, la tobramycine ou l’ofloxacine en collyre. L’utilisation de la pommade ophtalmique est contre-indiquée chez les enfants en raison du risque d’amblyopie. Les conjonctivites induites par des agents pathogènes sexuellement transmissibles occupent une place particulière dans le traitement. Celles-ci nécessitent la thérapie systémique et la thérapie en binôme. De même, l’anamnèse concernant le port de lentilles de contact est importante, car l’indication d’une antibiothérapie et d’une co-évaluation ophtalmologique est plus généreuse dans ce cas [7]. Il est obligatoire d’éviter immédiatement les lentilles de contact.
La majorité des conjonctivites sont d’origine virale et une grande partie d’entre elles sont dues à des adénovirus très contagieux et épidémiques. On distingue ici la fièvre pharyngoconjonctivale, qui se caractérise par une hypertrophie des ganglions lymphatiques préauriculaires, une pharyngite, de la fièvre et une conjonctivite, de la kératoconjonctivite épidémique, qui peut également s’accompagner d’un gonflement des ganglions lymphatiques. Le risque de complications ophtalmologiques réside principalement dans l’atteinte de la cornée avec des nummuli (infiltrations sous-épithéliales de la cornée induites par des facteurs immunologiques) ou des pseudomembranes (dépôts fibrineux blanchâtres dans le fornix). Un contrôle ophtalmologique est indiqué en cas de persistance de la symptomatologie au-delà de 5 jours [3].
De même, si l’on soupçonne une atteinte oculaire en cas d’herpès, il est toujours indiqué d’adresser le patient à un ophtalmologue, car une uvéite peut se compliquer en plus des complications cornéennes (figure 3).
Les infections d’origine herpétique doivent être traitées par des antiviraux systémiques et/ou locaux, tandis que les autres conjonctivites virales ne sont traitées que de manière symptomatique et non causale. Il est surtout important d’informer sur les mesures d’hygiène (strictes). Les certificats d’incapacité de travail doivent être délivrés pour limiter l’épidémie et, si les patients sont envoyés au cabinet d’ophtalmologie pour confirmer le diagnostic de kératoconjonctivite épidémique, ils doivent être annoncés au cabinet d’ophtalmologie afin que des mesures appropriées puissent être prises pour protéger les autres patients et le personnel.
Les infections fongiques ou protozoaires sont des déclencheurs très rares de kératoconjonctivites, mais constituent un diagnostic différentiel important dans le contexte d’un traumatisme par des matières organiques étrangères (surtout les champignons) et chez les porteurs de lentilles de contact (surtout les acanthamoeba). Il faut penser à l’infection de l’acanthumène, en particulier dans le cadre du port de lentilles de contact pendant le bain. Les infections fongiques et protozoaires doivent faire l’objet d’un examen ophtalmologique en raison du risque aigu pour la vision [3].
Parmi les conjonctivites non infectieuses, la (rhino)conjonctivite allergique est la plus importante. Dans ce cas, les réactions de type I représentent la plus grande part, alors que les allergies de type IV de type retardé (à médiation cellulaire) constituent des évolutions chroniques plus graves [8].
Les agents déclencheurs des allergies de type I sont généralement des allergènes saisonniers. Les résultats sont un gonflement des paupières, un chémosis, une hyperémie conjonctivale, un épiphora, des démangeaisons et des brûlures. Parmi les allergies de type IV, il convient de mentionner la conjonctivite atopique et la kératoconjonctivite vernale qui, outre les symptômes allergiques typiques, peuvent se manifester par la formation de mucus, la photophobie et une vision floue. La conjonctivite atopique est associée à une atopie systémique et touche principalement les jeunes adultes. La kératoconjonctivite vernale touche les enfants (plus souvent les garçons) ayant des antécédents (familiaux) positifs d’atopie. Ces pathologies doivent faire l’objet d’une prise en charge ophtalmologique conjointe, car elles peuvent avoir une évolution menaçant la vision [8].
Sur le plan thérapeutique, on utilise, outre l’éviction des allergènes, l’application de compresses froides, des antihistaminiques locaux et systémiques, des substituts lacrymaux, un traitement de la blépharite (soins du bord des paupières), l’hyposensibilisation et des stabilisateurs de mastocytes (par exemple l’acide chromoglycinique) et, à court terme, éventuellement des stéroïdes locaux (pas sans suivi ophtalmologique) [8].
Une hémorragie en nappe sous la conjonctive bulbaire entraîne la constatation d’un hyposphagma, souvent dramatique pour le patient, mais objectivement inoffensif . Dans ce cas, il s’agit avant tout d’informer le patient, de le rassurer et d’exclure un dérapage hypertensif et, le cas échéant, de vérifier l’anticoagulation.
La sécheresse oculaire (kératoconjonctivite sèche) est probablement l’une des causes les plus fréquentes de rougeur oculaire bilatérale. Les symptômes sont des brûlures, une sensation de corps étranger pouvant aller jusqu’à une sensation de pression et des variations de l’acuité visuelle dues à la mauvaise humidification de la surface de l’œil, y compris la cornée. Le traitement consiste à utiliser des substituts lacrymaux et, si nécessaire, un traitement de la blépharite (voir ci-dessus). En cas de sensation prononcée de corps étranger, de réduction du flux lacrymal et d’antécédents de diminution de la production de salive, le diagnostic différentiel doit porter sur le syndrome de Sjögren.
Les patients peuvent être gênés par la rougeur de la conjonctive, comme dans le cas de la conjonctivite, et souhaiter des substances “blanchissantes”. Dans ce cas, on utilise des gouttes ophtalmiques vasoconstrictrices, par exemple la napahazoline ou la tétryzoline, qui peuvent toutefois entraîner une tachyphylaxie et, à leur tour, une aggravation de la kératocoinjonctivite siccative, rarement une augmentation de la pression en cas de disposition à angle étroit, et ne peuvent donc pas être recommandées sans réserve [3]. La thérapie de substitution lacrymale systématique, si possible sans conservateurs, l’optimisation des influences environnementales modifiables (par ex. utilisation de la climatisation) et le traitement des éventuelles maladies sous-jacentes (par ex. rosacée) sont au premier plan.
Maladies orbitales
Dans la maladie de Basedow avec manifestation oculaire (orbitopathie endocrinienne) , l’altération inflammatoire des muscles oculaires et du tissu adipeux orbitaire entraîne un gonflement et une rougeur douloureux des paupières, une exophtalmie, une rétraction des paupières et une limitation de la mobilité, principalement lors de la vision vers le haut, car le muscle droit inférieur de l’œil est généralement affecté en premier (Fig. 4) [9].
Le diagnostic se fait cliniquement et en laboratoire par la détermination des anticorps antirécepteurs de la TSH. Les facteurs de risque sont un état métabolique dysthyroïdien et l’abus de nicotine [9]. On distingue différents stades qui déterminent la procédure à suivre. Une collaboration interdisciplinaire est indispensable à cet effet. Alors qu’une thérapie d’humidification de la surface peut être suffisante pour la forme légère, une thérapie stéroïdienne systémique et/ou une intervention ophtalmochirurgicale doivent être envisagées en cas d’évolution menaçant la vision (voir le schéma du European Group On Graves Orbitopathy : www.eugogo.eu). Le diagnostic différentiel doit être posé avec l’ orbitopathie inflammatoire idiopathique, plus rare, qui est plus souvent unilatérale, mais surtout de nature aiguë.
Maladies de la cornée
La cornée est l’organe le plus sensible du corps. Des lésions superficielles de la cornée, qui n’affectent que l’épithélium, provoquent une érosion cornéenne très douloureuse . Les autres symptômes sont l’épiphora, une rougeur marquée et éventuellement un chémosis de la conjonctive. La fluorescéine et la lumière exempte de rouge permettent d’évaluer l’étendue des lésions. Les mécanismes d’accident les plus fréquents sont les blessures causées par un corps étranger, dont il peut éventuellement rester un résidu sur la surface de l’œil. Cependant, en cas de kératopathie neurotrophique, de diabète sucré ou d’âge avancé du patient, la douleur peut être absente et, en l’absence de traumatisme adéquat, une érosion, voire une ulcération (ulcus corneae), peut se produire si les couches profondes sont touchées. Les patients intubés présentent également un risque accru. Le risque de formation d’une kératite existe d’une part dès que l’épithélium cornéen est lésé, d’autre part un ulcère peut se former sur la base d’une kératite. En cas d’antécédents positifs de corps étrangers, le contrôle ophtalmologique doit être effectué rapidement afin d’exclure les corps étrangers existants et une lésion pénétrante nécessitant une intervention chirurgicale. La thérapie de substitution lacrymale ainsi que les anitbiotiques locaux, notamment les pommades, et un traitement adéquat de la douleur sont utilisés à des fins thérapeutiques.
L’infection de la cornée (kératite) survient généralement après une lésion épithéliale préalable. Outre la blessure par corps étranger, l’anamnèse concernant les lentilles de contact est ici particulièrement pertinente. En Suisse, environ 46% des kératites sont associées aux lentilles de contact [10].
Il existe cependant quelques rares agents pathogènes capables de pénétrer dans un épithélium intact, par exemple l’hémophilus influenzae ou les corynébactéries. En raison du risque aigu pour l’acuité visuelle, une évaluation ophtalmologique est indiquée en urgence, le cas échéant, selon l’étendue de l’infiltration cornéenne, elle nécessite un prélèvement et une hospitalisation pour un traitement intensif par gouttes. Si possible, les lentilles de contact éventuellement contaminées doivent être conservées pour un examen microbiologique. Dans les cas bénins, une thérapie antibiotique ambulatoire sous forme de gouttes peut être mise en place. Les évolutions particulièrement graves doivent toutefois être traitées en milieu hospitalier, car une opération d’urgence avec greffe de cornée (PKP à chaud) peut être nécessaire en cas de fusion de la cornée.
L’exposition sans protection aux rayons ultraviolets (p. ex. soleil en altitude, soudage) provoque un éblouissement (kératopathia photoelectrica), une kératite ponctuée superficielle, qui entraîne une rougeur conjonctivale, des douleurs, une photophobie, une sensation de corps étranger et un épiphora, typiquement après une période de latence de quelques heures [9]. La guérison relativement rapide peut être facilitée (chez les adultes) par un pansement oculaire et des analgésiques, des pommades antibiotiques oculaires sont utilisées en raison du risque accru d’infection. Cela ne s’applique pas aux enfants, chez qui les pommades et les pansements oculaires doivent être évités dans la mesure du possible en raison du risque d’amblyopie.
Affections aiguës, notamment de la sclère, de l’uvée et du nerf optique
La sclérite (inflammation du derme) et l’épisclérite peuvent sembler macroscopiquement similaires : injection mixte diffuse ou sectorielle. Cependant, la sclérite est typiquement beaucoup plus douloureuse, les patients ressentent une pression sourde et sont extrêmement sensibles même à une palpation prudente. L’épisclérite peut également être légèrement douloureuse, mais les mouvements oculaires et la palpation sont nettement mieux tolérés. La rougeur régresse sous application locale de phényléphrine (vasoconstriction des vaisseaux superficiels par les agonistes des récepteurs alpha1). L’examen doit être ophtalmologique et permet de décider, selon la forme, des traitements systémiques et locaux (AINS, éventuellement préparations stéroïdiennes) et, le cas échéant, de mettre en route un diagnostic infectieux ou/et rhumatologique supplémentaire. Parfois, une sclérite peut être le premier signe clinique d’une vascularite systémique potentiellement mortelle (Fig. 5).
Outre la sclérite et l’épisclérite, il existe d’autres formes d’inflammation intraoculaire, infectieuses ou non, qui peuvent affecter n’importe quel segment de l’œil, de la cornée à la rétine, et qui ne sont donc souvent pas évidentes pour le médecin généraliste. Si les parties antérieures de l’œil sont touchées, une rougeur de l’œil peut effectivement être le symptôme principal, mais son absence n’exclut pas une uvéite. Les symptômes peuvent varier d’extrêmement douloureux avec une baisse de l’acuité visuelle et une photophobie à subjectivement pas très gênant. Une uvéite du segment antérieur et moyen de l’œil doit toujours être envisagée comme diagnostic différentiel en cas de photophobie, de douleur bulbaire, de nouvelles mouches volantes ou de baisse de l’acuité visuelle, en particulier si l’anamnèse ne permet pas de tirer d’autres conclusions et/ou s’il existe déjà des maladies de la sphère rhumatologique. Les uvéites postérieures peuvent être indolores mais entraîner une baisse massive de l’acuité visuelle.
La crise de glaucome est due à un trouble de l’écoulement de l’humeur aqueuse (blocage aigu de l’angle ou de la pupille) avec une forte augmentation de la pression intraoculaire, ce qui peut entraîner des lésions irréversibles du nerf optique avec une réduction du champ visuel. Cela entraîne des douleurs bulbaires et des céphalées unilatérales, éventuellement irradiantes, une injection mixte de la conjonctive, un œdème épithélial et stromal plus ou moins prononcé de la cornée, une pupille large et opaque et une vision arc-en-ciel (les sources lumineuses apparaissent avec des anneaux colorés qui les entourent). Une symptomatologie végétative concomitante avec des vomissements et des nausées peut rendre le diagnostic plus difficile [9].
Le diagnostic est établi par la mesure de la pression. Elle peut également être effectuée par un personnel médical non ophtalmologue en cas d’augmentation marquée de la pression, par palpation sur le bulbe à travers la paupière en regardant vers le bas. L’œil affecté se palpe avec une dureté de pierre. En cas de doute, l’œil opposé peut être palpé pour comparaison, une différence renforce le diagnostic de suspicion.
En cas de suspicion clinique et en l’absence de contre-indication interne, le médecin généraliste ou l’interniste peut déjà commencer à administrer des inhibiteurs de l’anhydrase carbonique par voie systémique, au mieux par voie intraveineuse, éventuellement par voie perorale, ce qui permet de réduire la pression en réduisant la production d’humeur aqueuse. En l’absence de contre-indication et en cas de réduction insuffisante de la pression par l’acétazolamide, l’administration de mannitol peut être envisagée. Des gouttes oculaires réduisant la pression peuvent également être utilisées, mais elles sont moins efficaces que le traitement systémique.
Toutes les lésions oculaires traumatiques doivent faire l’objet d’une évaluation ophtalmologique. En cas de blessure superficielle par un corps étranger, il est possible de tenter de l’enlever en rinçant et éventuellement en passant un coton-tige. Toutefois, si le mécanisme de l’accident indique une possible pénétration ou perforation, il convient de s’abstenir de toute manipulation, d’orienter en urgence vers une clinique ophtalmologique disposant d’une offre chirurgicale appropriée et d’appliquer un pansement oculaire lâche pour le transport, au mieux avec une capsule de protection. En cas de brûlures chimiques, le rinçage des yeux doit être commencé avant le transport. Il convient de noter que les bases peuvent causer des dommages plus profonds que les acides.
Messages Take-Home
- Les diagnostics ophtalmologiques d’urgence pouvant être évités sont les suivants : Crise de glaucome, kératite (attention aux lentilles de contact), sclérite, fistule carotido-sino-caverneuse, orbitopathie endocrinienne, lésions oculaires traumatiques et conjonctivites à évolution potentiellement compliquée comme la kératoconjonctivite épidémique.
- Les symptômes d’alerte qui doivent impérativement être recherchés sont les suivants : Baisse de l’acuité visuelle, douleur bulbaire aiguë, photophobie aiguë.
- Médicaments ophtalmologiques nécessitant des précautions d’emploi particulières : les traitements locaux contenant des stéroïdes ne doivent pas être utilisés plus de 2 semaines sans contrôle ophtalmologique (principaux risques : augmentation de la pression intraoculaire, développement de cataractes) ; les pommades ophtalmiques ou les pansements ne doivent pas être utilisés chez les enfants ou seulement dans certaines conditions (risque d’amblyopie) ; l’oxybuprocaïne ou d’autres collyres anesthésiques locaux ne doivent jamais être distribués aux patients en raison d’effets indésirables graves.
- Une évaluation ophtalmologique immédiate et d’urgence est nécessaire en cas de : Traumatismes (en cas de brûlures chimiques, le transport n’est toutefois possible qu’après un premier lavage oculaire approfondi), suspicion d’atteinte cornéenne, baisse aiguë de l’acuité visuelle/photophobie et douleurs bulbaires aiguës.
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