En tant que psychiatre, vous êtes confronté à des maladies rares de deux manières : D’une part, certaines de ces maladies comportent des symptômes neuropsychiatriques. Les deux études de cas suivantes illustrent ce point. D’autre part – et c’est le cas le plus fréquent – les affections rares ont un impact indirect sur le psychisme des personnes concernées et de leurs proches, notamment en raison des longs délais d’attente et des parcours laborieux pour obtenir le bon diagnostic et le bon traitement.
M. F. était un homme de 42 ans, marié et père de deux enfants, qui avait développé une symptomatologie dépressive ne répondant pas correctement aux antidépresseurs ni à la psychothérapie. Il semblait figé dans sa dépression. Il parlait peu, répondait généralement par des phrases courtes et, surtout, montrait peu d’activité spontanée. L’épouse a indiqué qu’il passait ses journées assis sur une chaise, à regarder fixement devant lui. L’anamnèse a révélé que sa mère était décédée tôt dans une clinique, l’examen clinique a montré des mouvements oculaires saccadiques et la pression de ses doigts était pulsatile. Derrière la dépression, il y avait la chorée de Huntington, qui commence souvent par un état apathique.
Mme S. s’est présentée aux urgences en disant qu’elle avait peur de perdre la raison. Depuis avant-hier, tout est si étrange, les arbres ont soudain des visages effrayants qui lui parlent. Elle n’a pas eu de stress, mais seulement une forte gastro-entérite pour la troisième fois. Les troubles schizophréniques débutent de manière insidieuse ou après un stress aigu, de plus les personnes concernées n’ont pas la perception que quelque chose ne va pas chez elles. En revanche, Mme S. était consciente que sa perception était erronée et le début de la maladie a été brutal. Interrogée, elle a expliqué que toute “gastro” était associée à de telles illusions. Elle souffrait d’une porphyrie aiguë intermittente.
En tant que psychiatre, nous sommes presque toujours confrontés à un autre aspect des maladies rares : Les personnes atteintes, et surtout leurs proches, subissent un stress psychique et psychosocial important. Il faut généralement beaucoup de temps pour établir le bon diagnostic. Il y a toujours des contacts avec le système médical, où les personnes concernées “se heurtent”. Les deux premiers épisodes de porphyrie de la patiente mentionnée n’ont pas été correctement classés – on a expliqué à la patiente qu’elle était déshydratée dans le cadre de la gastro-entérite et qu’elle souffrait probablement un peu de “stress”. C’est pourquoi, lors du troisième épisode, elle a d’abord hésité à demander de l’aide, pensant qu’on la considérait à nouveau comme “trop sensible”.
Parcours laborieux, manque de compétences
Mais il est souvent difficile de trouver en Suisse des interlocuteurs compétents pour ces maladies rares. La force du système de santé suisse réside dans sa profonde régionalisation. C’est idéal pour les maladies courantes, mais plutôt problématique pour les maladies rares. En lisant les forums du mouvement des personnes concernées, on se rend compte à quel point il est difficile de trouver un traitement adéquat – et de le financer. Les frais médicaux ne sont souvent pas couverts et les assurances sociales s’orientent également vers les maladies fréquentes et non vers les maladies rares. Les familles concernées doivent toujours payer elles-mêmes une part importante des soins ou sont impliquées dans de longs litiges avec les assurances et les services sociaux. Cette charge mentale et sociale élevée fait que les personnes concernées, mais aussi leurs proches, présentent un risque fortement accru de troubles de l’adaptation, de dépression d’épuisement ou encore de troubles du sommeil.
Offrir des soins plus complets aux patients
A cet égard, les personnes concernées et leurs proches souhaitent une prise en charge globale qui couvre également les aspects de la charge psychosociale. Cette prise en charge est assurée d’une part par les centres spécialisés, mais aussi et surtout par les associations de personnes concernées et d’entraide. Mais c’est surtout vous, leur médecin traitant, qui souhaitez que les personnes concernées et leur famille bénéficient d’un tel suivi.
Dr. med. Thomas Ihde
Auteur des guides d’observation “Ganz normal anders – alles über psychische Erkrankungen” (2013) et “Wenn die Psyche streikt – psychische Gesundheit am Arbeitsplatz” (à paraître 8/2015)