L’utilisation d’une reconstruction percutanée de la valve mitrale à l’aide d’un dispositif MitraClip pour traiter une insuffisance mitrale fonctionnelle (moyennement) sévère est controversée. Les études précédentes ont été interrompues en raison d’un recrutement insuffisant ou se sont révélées négatives. Avec l’étude COAPT, on dispose pour la première fois d’un résultat positif en ce qui concerne la fréquence des hospitalisations et les critères d’évaluation secondaires (y compris la mortalité totale). Une discussion des résultats des études précédentes.
La cardiologie a connu des changements spectaculaires au cours des dernières décennies grâce à des avancées majeures dans la compréhension et le traitement des maladies cardiaques. Il est donc difficile pour les médecins généralistes de prendre en charge eux-mêmes les patients atteints de maladies cardiaques. L’insuffisance cardiaque, tout à fait comparable aux tumeurs malignes en termes de mortalité et de morbidité [1], nécessite un diagnostic et un traitement spécialisés [2].
Place et épidémiologie de l’insuffisance cardiaque
L’insuffisance cardiaque est un ensemble de symptômes, c’est-à-dire un syndrome et une séquelle de diverses maladies cardiaques. Malgré toutes les affirmations, elle est malheureusement trop souvent insuffisamment examinée et traitée, même en Suisse. L’implication d’un spécialiste, à savoir le cardiologue, est une nécessité absolue.
La Société européenne de cardiologie (ESC) a tenu compte de cette évolution en élaborant des lignes directrices complètes qui définissent une approche fondée sur des preuves non seulement pour la cardiologie interventionnelle, la rythmologie et l’insuffisance cardiaque, mais aussi pour de nombreux autres domaines de la cardiologie.
L’insuffisance cardiaque est importante d’un point de vue épidémiologique. Il y a maintenant en Suisse environ 200 000 patients souffrant d’insuffisance cardiaque, avec environ 10 000 nouveaux cas par an [2,3]. L’insuffisance cardiaque est le motif d’hospitalisation le plus fréquent chez les personnes âgées de >65 ans. Le vieillissement de la population et l’amélioration des traitements des maladies cardiaques aiguës sont les principales causes de l’augmentation de la prévalence et de l’incidence de l’insuffisance cardiaque.
Algorithmes de traitement
Un autre fait est le traitement médicamenteux insuffisant et axé sur la dose cible avec des inhibiteurs de l’ECA (resp. bloqueurs des récepteurs de l’angiotensine [ARB]), les bêtabloquants et les inhibiteurs de l’aldostérone (antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes, ARM) [4]. La figure 1 donne un aperçu de l’algorithme thérapeutique pour les patients atteints d’HFrEF symptomatique . Si les patients sont toujours symptomatiques malgré un traitement de niveau 1, les mesures de niveau 2 doivent être envisagées ou appliquées. L’utilisation de valsartan/sacubitril (Entresto®) est pour l’instant un médicament de “niveau 2” selon l’étude PARADIGM [5]. Il en va de même pour l’utilisation de l’ivabradine (Procoralan®) et de la resynchronisation cardiaque.
Insuffisance cardiaque et reconstruction percutanée de la valve mitrale
La place d’un nouveau concept de traitement n’est pas claire : la reconstruction percutanée de la valve mitrale à l’aide de dispositifs MitraClip. Il doit être utilisé chez les patients insuffisants cardiaques souffrant d’une insuffisance mitrale fonctionnelle modérée à sévère (au moins de classe 3 [6]). Jusqu’à il y a quelques jours, le MitraClip n’était pas approuvé aux États-Unis (en attendant l’étude COAPT, voir ci-dessous et [7]) et avait une indication IIb (niveau de preuve C) en Europe chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque avec insuffisance mitrale fonctionnelle : L’étude RESHAPE a été interrompue car le taux de recrutement était inférieur aux prévisions initiales. En mai 2015, l’étude RESHAPE-HF1-FU avait encore pour objectif d’aller jusqu’au bout de l’étude RESHAPE. Cependant, sur le site officiel, la dernière mise à jour a eu lieu en août 2016 ; le statut du recrutement est inconnu [8].
L’étude MITRA-FR présentée au congrès de l’ESC en août 2018 s’est révélée négative chez 304 patients [9]. 452 patients ont été recrutés et 145 ont été exclus pendant le processus de dépistage. 109 patients ont finalement fait partie du groupe d’intervention et 137 du groupe de contrôle. Trente-sept centres d’étude en France ont participé, ce qui signifie qu’en moyenne 6,6 patients ont participé dans chaque centre. Ont été inclus des patients insuffisants cardiaques symptomatiques (NYHA II à IV) présentant une insuffisance mitrale secondaire (définie comme une “aire d’orifice régurgitant effective (ERO)” de >20 mm2 ou un volume de régurgitation de >30 ml par battement) et une FEVG de 15-40%. La phase de recrutement s’est déroulée entre décembre 2013 et mars 2017. Les centres devaient avoir une expérience des interventions percutanées et au moins cinq MitraClips d’étude de la société Abbott Vascular implantés précédemment. Le critère d’évaluation primaire combiné (à 12 mois) était la mortalité de toute cause ou l’hospitalisation non planifiée pour insuffisance cardiaque. Les critères d’évaluation secondaires étaient la FE ventriculaire gauche, la LVESD et la LVEDD, le volume du VG, la sévérité de l’insuffisance mitrale après l’intervention, la classe NYHA, le test de marche de 6 minutes (6-MWT), le BNP et l’EQ-5D (“European Quality of Life 5-Dimension Scale”).
“Même un parachute ne fonctionne pas si vous l’ouvrez trop tard”. Francesco Maisano (Zurich), Congrès CRT 2018 |
Les caractéristiques démographiques et cliniques étaient similaires dans le groupe d’intervention et le groupe de contrôle, à l’exception d’une fréquence plus élevée d’infarctus du myocarde antérieur dans le groupe d’intervention. L’âge moyen était de soixante-dix ans. La classe II de la NYHA a été attribuée à 36,8% du groupe d’intervention contre 28,9% du groupe témoin, et la classe III de la NYHA à 53,9% contre 63,2%. La FEVG était de 33,3% dans le groupe d’intervention contre 32,9%. Dans les deux groupes, l’ERO était de 31 mm2 et le volume de régurgitation de 45 ml chacun. Le BNP était de 765 ng/l vs 835 ng/l. Le taux de complications périprocédurales était relativement élevé (14,6%). Les critères d’évaluation primaire et secondaire n’étaient pas statistiquement différents (critère d’évaluation primaire : p=0,53).
En résumé, il s’agit d’une étude prospective contrôlée randomisée (CRT) de taille relativement modeste, avec – on peut le supposer – des centres relativement petits et relativement inexpérimentés.
Intervention sur la valve mitrale : à nouveau dans la course en cas d’insuffisance mitrale fonctionnelle
L’étude COAPT, également sponsorisée par l’industrie impliquée (Abbott Vascular), a été présentée il y a quelques jours seulement au TCT 2018. Elle montre pour la première fois chez les patients insuffisants cardiaques souffrant d’une insuffisance mitrale fonctionnelle un effet statistiquement significatif et favorable sur la fréquence des hospitalisations répétées pour insuffisance cardiaque et un faible taux de complications dues au MitraClip [7]. Le MitraClip a également permis de réduire la mortalité globale, ce qui était en fait un critère d’évaluation secondaire.
614 patients ont été recrutés dans l’étude COAPT. Le groupe d’intervention était composé de 302 patients, le groupe de contrôle de 312. Au total, 78 centres d’étude aux États-Unis et au Canada ont participé. Ont été inclus des patients insuffisants cardiaques symptomatiques (NYHA II à IV) présentant une insuffisance mitrale secondaire (définie comme modérée [Grad 3+] à sévère [Grad 4+]) et une FEVG de 20-50%. La phase de recrutement s’est déroulée entre décembre 2012 et juin 2017. Le critère d’évaluation principal (à 24 mois) était une hospitalisation non planifiée pour insuffisance cardiaque et l’absence de complication liée au MitraClip à 12 mois. Les critères d’évaluation secondaires étaient le degré d’insuffisance mitrale et les décès de toute cause à 12 mois. Les critères d’évaluation combinés concernaient le décès ou l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque à 24 mois, la qualité de vie (KCCQ), le 6-MWT, la fréquence des hospitalisations toutes causes confondues, la classe NYHA ou le décès toutes causes confondues à 24 mois.
Les caractéristiques démographiques et cliniques étaient similaires dans le groupe d’intervention et le groupe de contrôle. L’âge moyen était de 71,7 ans dans le groupe d’intervention et de 72,8 ans dans le groupe de contrôle. 42,7% du groupe d’intervention correspondaient à la classe II de la NYHA, contre 35,4% dans le groupe témoin. Une insuffisance cardiaque de classe NYHA III a été observée dans 51% des cas (groupe d’intervention) contre 54% (groupe témoin). La FEVG était de 31,3% vs. 31,3%, l’ERO de 41 mm2 vs. 40 mm2, le volume de régurgitation de 59 ml vs. 57 ml et le BNP de 1014 ng/l vs. 1017 ng/l. Le taux de complications à 12 mois était faible (5,2%). Le résultat concernant le critère principal d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque a atteint une signification statistique en faveur du groupe d’intervention (p<0,001). Tous les critères d’évaluation secondaires ont également été statistiquement améliorés en faveur du groupe d’intervention.
En résumé, il s’agit d’une première CRT avec une population de patients plus importante par rapport à l’étude MITRA-FR. Bien que des experts renommés aient récemment exprimé leur crainte que les patients de l’étude COAPT soient éventuellement équipés “trop tard” d’un MitraClip (“even a parachute doesn’t work if you open it too late”), il semble que les patients de l’étude COAPT présentent une insuffisance mitrale plus prononcée que ceux de l’étude MITRA-FR (voir par ex. BNP, ERO area, volume de régurgitation). Cependant, sur le plan clinique, les patients COAPT semblaient plutôt mieux lotis que les patients de l’étude MITRA-FR en termes d’insuffisance cardiaque (voir par exemple le volume diastolique final du VG 101 ml/m2 vs 135 ml/m2). De plus, les centres COAPT impliqués aux États-Unis et au Canada sont des centres réputés (voir taux de complications bas).
Il faut attendre de voir comment l’étude COAPT doit être classée. L’expérience clinique des cardiologues spécialistes de l’insuffisance cardiaque n’a pas encore pu confirmer ces résultats très positifs, mais il faut rester ouvert à de nouveaux développements, tout en sachant que la pression de l’industrie n’est pas à négliger par moments. Il semble toutefois que l’étude COAPT ait été préparée et réalisée avec sérieux. Nous sommes impatients de connaître les détails de l’étude, les discussions au sein des sociétés savantes concernées, mais surtout l’étude RESHAPE-HF1-FU.
Messages Take-Home
- L’insuffisance cardiaque est une maladie fréquente et maligne qui, comme une tumeur en oncologie, doit être évaluée par le cardiologue. Le traitement de l’insuffisance cardiaque basé sur des preuves comprend un algorithme de mesures avec des doses cibles correspondantes.
- L’utilisation d’une reconstruction percutanée de la valve mitrale à l’aide d’un dispositif MitraClip pour traiter une insuffisance mitrale fonctionnelle (moyennement) sévère est controversée.
- Études prospectives, contrôlées et randomisées à ce jour concernant le dispositif MitraClip pour le traitement de l’arthrose fonctionnelle (modérée) sévère.
- insuffisance mitrale ont été soit interrompues en raison d’un recrutement insuffisant, soit se sont révélées négatives. Avec l’étude COAPT, on dispose pour la première fois d’un résultat positif en ce qui concerne la fréquence des hospitalisations et les critères d’évaluation secondaires (y compris la mortalité totale). Il convient toutefois d’attendre pour savoir où se situe cette étude. L’étude COAPT semble avoir été menée avec sérieux.
Littérature :
- Stewart S, et al. : Plus ‘maligne’ que le cancer ? Five-year survival following first admission for heart failure. Europ J Heart Fail 2001 ; 3 : 315-322.
- Mohacsi P, et al. : Prise de position “Insuffisance cardiaque – Indications pour les patients”.
- Curriculum” du groupe de travail sur l’insuffisance cardiaque de la SSC. Médecine cardiovasculaire 2018 ; 21 : 26-32.
- Moschovitis G, et al : The Swiss Heart Failure Registry : a longitudinal follow-up survey. Cardivascular Medicine 2002 ; 5 : 15.
- Ponikowski P, et al : 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Europ Heart J 2016 ; 37 : 2129-2200.
- McMurray JJV, et al : Angiotensin-neprilysin inhibition versus enalapril in heart failure. N Engl J Med 2014 ; 371 : 993-1004.
- www.csecho.ca/wp-content/themes/twentyeleven-csecho/cardiomath/?eqnHD=echo&eqnDisp=pisamr. Accès le 26.9.2018.
- Stone GW, et al : Réparation valvulaire mitrale par transcathéter chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque. N Engl J Med 2018 ; DOI : 10.1056/NEJMoa1806640.
- L’étude RESHAPE-HF1-FU : https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT02444286. Consulté le 26.9.2018.
- Obadia JF, et al : Réparation percutanée ou traitement médical de la régurgitation mitrale secondaire. N Engl J Med 2018 ; DOI : 10.1056/NEJMoa1805374.
CARDIOVASC 2018 ; 17(5) : 10-13