La pandémie de SRAS-CoV-2 pose des défis particuliers aux médecins et aux patients, en particulier lorsque ces derniers ont des antécédents médicaux et sont sous traitement immunosuppresseur. Dans plusieurs études récentes, des chercheurs se sont penchés sur l’impact que peut avoir une infection sur les patients atteints de maladies rhumatismales inflammatoires.
Comment la (ré)activation d’une maladie rhumatismale inflammatoire influence-t-elle le risque d’infection et l’évolution d’une infection ? Et quel est l’impact de l’effet immunosuppresseur/immunomodulateur d’un traitement cliniquement efficace sur le risque d’infection et l’évolution d’une infection ? Le professeur Hendrik Schulze-Koops, directeur de l’unité de rhumatologie de la clinique médicale et polyclinique IV de l’hôpital de l’université de Munich et président de la Société allemande de rhumatologie (DGRh), est actuellement confronté quotidiennement à ce genre de considérations.
Selon le rhumatologue, le fait qu’il n’y ait pas de données empiriques fiables sur lesquelles se baser en Chine a été un problème majeur, surtout au début de la pandémie. Au cours des derniers mois, la DGRh a donc élaboré des recommandations d’action concernant le SRAS-CoV-2, basées sur l’avis d’experts de 17 rhumatologues et incluant des analogies avec d’autres maladies virales ainsi que des considérations théoriques. Les versions allemande et anglaise des recommandations sont disponibles sur le site web de la DGRh [1].
Étude de cas
Une patiente de 55 ans atteinte de polyarthrite rhumatoïde érosive RF/ACPA-positive sous traitement continu par un inhibiteur du TNF en association avec 10 mg/semaine de MTX s.c. est en rémission. Elle est parfaitement réglée, elle pourrait ainsi rester dans la vie professionnelle pendant au moins 10 à 12 ans. Depuis le début de la pandémie de COVID-19, elle a scrupuleusement respecté toutes les consignes d’hygiène et de distance du RKI et ne présente aucun symptôme qui pourrait indiquer une maladie de type COVID-19. “C’est un comportement tout à fait typique”, a expliqué le professeur Schulze-Koops : “Nous savons que de très nombreux patients atteints de rhumatisme agissent de manière très prudente et intelligente compte tenu de leur état de santé”.
Un jour, la patiente appelle pour demander un conseil : son mari a été contacté par une brasserie où il s’est rendu le week-end précédent. Un autre client qui se trouvait dans l’établissement au même moment aurait maintenant été testé positif au virus du SRAS-CoV-2.
Schulze-Koops a également posé cette question à son panel en ligne et l’a fait voter en direct. Il a proposé des réponses possibles :
- a) effectuer un test PCR du SRAS-CoV-2
- b) effectuer un test d’anticorps au SRAS-CoV-2
- c) arrêter l’inhibiteur du TNF
- d) poursuivre le traitement sans le modifier et n’effectuer un test viral PCR qu’en cas d’apparition de symptômes et se manifester à nouveau pour planifier la suite du traitement
Les médecins participants ont voté à 83% en faveur de la réponse d, ce qui correspond à la recommandation du professeur Schulze-Koops. Sa justification : Le RKI définit les patients en catégorie I et II. Une patiente qui n’a été en contact qu’avec un individu qui a lui-même été en contact avec une personne infectée ne représente pas une situation à risque de catégorie I. Ainsi, tant que la patiente ne présente pas de symptômes, on poursuivrait le traitement tel quel dans cette situation, par crainte d’une réactivation.
Recommandations d’action
Le professeur Schulze-Koops a conseillé quelques mesures générales et spécifiques concernant les patients immunosupprimés et le SRAS-CoV-2. Ses recommandations générales sont d’éviter les contacts inutiles en public ou au travail et, le cas échéant, de fournir au patient un certificat confirmant le traitement immunosuppresseur à présenter à l’employeur. Il convient également de mettre en balance les risques de l’infection et l’absence de contrôle de la maladie : “Il y a 8 ou 10 semaines, nous disions que nous aussi, en tant que médecins, nous devions si possible éviter tout contact. Mais entre-temps, le risque n’est plus aussi élevé, et à un moment donné, le patient doit être contrôlé”. En outre, l’expert conseille de suivre les recommandations du RKI et bien sûr d’être prêt à coopérer avec les collègues qui traitent l’infection en premier lieu.
En ce qui concerne les recommandations spécifiques, le professeur Schulze-Koops avait surtout un message à faire passer : NE PAS arrêter/faire une pause/réduire la dose d’un traitement immunosuppresseur en cours uniquement par crainte du SRAS-CoV-2 (tableau 1) ! En effet, il existe désormais un certain nombre de données qui indiquent que les patients sous traitement rhumatologique ne sont pas particulièrement à risque.
Des chercheurs italiens ont par exemple publié un article [2] dans lequel ils décrivent l’évolution clinique de COVID-19 chez une série de patients atteints d’arthrite chronique. Ils ont interrogé par téléphone 320 patients souffrant d’arthrite chronique et suivant un traitement biologique (bDMARD) ou un traitement inhibiteur de JAK (tsDMARD) entre février et mars. Parmi ces patients, seuls 4 au total présentaient des symptômes de COVID-19 et une infection par le SRAS-CoV-2 avérée. 4 patients présentaient des symptômes cliniques de la maladie COVID-19, mais aucune preuve d’infection par le SRAS-CoV-2, et 5 patients avaient été en contact avec des personnes infectées par le SRAS-CoV-2, mais ne présentaient pas eux-mêmes de symptômes. “Donc, au maximum 8 sur 320, soit moins de 3% des patients vivant dans le nord de l’Italie et ayant un traitement immunosuppresseur connu, et ce au moment du pic de la pandémie italienne – un chiffre extrêmement bas, très rassurant pour nos patients”, a constaté le rhumatologue. Les symptômes des patients touchés en Italie étaient typiques : ils avaient de la fièvre, de la toux, de la rhinorrhée et se sentaient fatigués à cause de l’infection virale, mais un seul patient a dû être hospitalisé.
Une étude new-yorkaise [3] a examiné 86 patients atteints de maladies rhumatismales inflammatoires (MRI) avec COVID-19 (n=59) ou suspicion de COVID-19 (n=27), dont 62 avaient des bDMARD ou des tsDMARD. Bien que le nombre de patients soit relativement faible, l’évaluation montre que l’incidence de l’hospitalisation parmi les patients atteints d’IRD est aussi élevée que celle des autres patients atteints de COVID-19 dans une grande cohorte new-yorkaise d’environ 135 000 personnes infectées, dont plus de 35 000 avaient déjà été hospitalisées. Selon cette étude, le fait que les patients aient déjà pris des médicaments biologiques au début de la maladie n’est pas associé à une probabilité accrue de pandémie grave de COVID-19.
La plus grande étude à ce sujet provient du centre et du sud de l’Italie [4] : Dans ce pays, 859 patients atteints d’IRD sous bDMARD ou tsDMARD ont également été interrogés par téléphone. Seuls 2 patients ont été trouvés positifs, l’un d’entre eux a dû être hospitalisé pendant 3 jours, l’autre était complètement asymptomatique. Là encore, les auteurs concluent que les patients sous ce type de traitement ne sont pas plus susceptibles de développer le COVID-19. En effet, les patients atteints de maladies inflammatoires sont plus conscients des risques accrus auxquels ils s’exposent et ont donc suivi et mis en œuvre toutes les mesures de protection, contrairement peut-être à certains citoyens moyens.
Le professeur Schulze-Koops a également souligné ce point et a également fait état de deux décès dans ce contexte : Les deux patients atteints de PR étaient sous rituximab. Pour le premier, la maladie COVID-19 a été soudainement détectée juste après sa deuxième perfusion, et pour l’autre, six mois après la perfusion. Tous deux sont décédés dans les 10 à 17 jours d’une défaillance multiorganique. Il semble donc que la prudence soit de mise et que l’alerte ne soit pas levée.
Littérature :
- https://dgrh.de/Start/Wissenschaft/Forschung/COVID-19/Empfehlungen-für-Patienten.html
- Monti S, et al : Ann Rheum Diss 2020 ; 79 : 667-668 ; epub 02 avr 2020.
- Haberman R, et al : N Engl J Med ; doi : 10.1056/NEJMc2009567 ; epub 29 avr 2020.
- Conticini E, et al : Ann Rheum Dis ; doi : 10.1136/annrheumdis-2020-217681 ; epub 15 May 2020.
InFo DOULEUR & GERIATRIE