En psychiatrie, l’objectif est de rendre les personnes “malheureuses” à nouveau “heureuses” par le biais d’une thérapie. Mais qu’est-ce que le bonheur ? Et quels sont les facteurs qui contribuent à rendre les gens satisfaits ou insatisfaits ? Lors du congrès suisse de psychiatrie qui s’est tenu le 13 juin à Zurich, la sensation de bonheur et les influences sur le bonheur ont été abordées sous différents angles. Nous rendons compte des conférences qui ont abordé le bonheur sous l’angle de la neurobiologie et de l’économie.
Le professeur Gregor Hasler, médecin-chef de la clinique universitaire de psychiatrie de Berne, a souligné dans son exposé introductif que les symptômes psychiques et les éventuelles maladies déterminent de manière déterminante le sentiment de bonheur. Une personne en bonne santé mentale peut, même en cas de crise “normale” (p. ex. soucis financiers, maladie physique, chagrin d’amour), continuer à focaliser ses pensées sur des choses agréables et positives et parvenir ainsi à un certain bien-être. Toutefois, en cas de troubles psychiques, l’attention est pour ainsi dire captée et la distraction est quasiment impossible, ce qui réduit considérablement le sentiment de bonheur. La dépression est un “tueur de bonheur” : les personnes déprimées sont en moyenne encore plus malheureuses que les patients atteints de sclérose en plaques ou de cancer en phase terminale.
L’attente du bonheur est le plus grand bonheur
En principe, le cerveau s’occupe beaucoup plus de l’anticipation du bonheur que de l’expérience réelle du bonheur, conformément au proverbe “l’anticipation est la plus grande joie”. Les personnes heureuses sont souvent orientées vers le court terme – c’est pourquoi, dans le traitement de la dépression, on essaie d’attirer l’attention des patients sur les moments de bonheur à court terme. En revanche, les personnes souffrant de dépression mélancolique sont généralement hypersensibles aux événements futurs, potentiellement négatifs. La tendance à craindre que quelque chose de négatif se produise est fortement déterminée génétiquement.
Les contacts sociaux et les relations sont extrêmement importants pour le sentiment de bonheur et la longévité. Les personnes qui vivent dans un environnement heureux ont de très bonnes chances d’être également heureuses. Mais la génétique joue également un rôle dans le bonheur : 30 à 40% de la sensation de bonheur est héritée, non seulement par l’ADN, mais aussi par des processus épigénétiques. Les facteurs génétiques et épigénétiques qui jouent un rôle dans le développement des maladies psychiatriques sont également d’importants “gènes du bonheur”. On sait, grâce à de nouvelles études sur les jumeaux, que des facteurs tels qu’une enfance difficile ou le style d’éducation des parents sont probablement plutôt surestimés. Or, ces études montrent que les expériences négatives vécues à l’adolescence (accidents, déménagements, échecs amoureux, manque de soutien des parents, etc.) ont une grande influence sur l’expérience ultérieure du bonheur. En revanche, les relations, les expériences positives et les moments de création sont essentiels au bonheur – les personnes touchées par la pauvreté ne sont souvent pas malheureuses en premier lieu à cause du manque d’argent, mais parce qu’elles sont socialement exclues.
L’économie du bonheur
Quelques faits concernant la recherche empirique sur le bonheur ont été présentés par le professeur Dr. rer. pol. Bruno S. Frey, directeur au CREMA (Center for Research in Economics, Management and the Arts), Zurich. La recherche économique sur le bien-être et le bonheur des personnes prend de plus en plus d’importance. Mais pourquoi ? Les économistes ne devraient-ils pas plutôt se concentrer sur la production de biens et de services ? Non, estime Bruno Frey. L’économie est étroitement liée au bonheur, car la production et la consommation n’ont pas de fin en soi, mais sont des moyens d’accroître le bien-être et donc la prospérité de tous les individus. En outre, les personnes heureuses sont également précieuses pour l’économie : elles sourient davantage, aident d’autres personnes, génèrent moins d’absences et de conflits au travail, sont globalement en meilleure santé et ont une meilleure tolérance à la frustration.
On distingue en principe trois types de bonheur :
- Le bonheur à court terme, par exemple lorsque vous vous réjouissez du soleil ou d’une barre de chocolat à la pause.
- Le bonheur de vivre, c’est-à-dire le bilan que l’on fait de la “teneur en bonheur” de sa vie dans son ensemble.
- Satisfaction de la vie, c’est-à-dire la satisfaction des conditions de vie telles qu’elles sont actuellement. Dans les enquêtes, la répartition de la satisfaction de vie au sein d’une population est toujours très similaire : la plupart des gens se considèrent comme heureux, que l’on interroge des personnes vivant dans des pays industrialisés ou dans des pays en développement.
La satisfaction n’augmente pas parallèlement au revenu
La recherche économique sur le bonheur montre que les personnes à revenu élevé sont en moyenne plus satisfaites de leur vie que les personnes à faible revenu. Cependant, le produit social seul ne sert pas de “facteur de satisfaction” approprié, car un revenu plus élevé augmente de moins en moins le bonheur subjectif perçu à mesure que le revenu augmente. Si le revenu augmente avec le temps, la satisfaction n’augmente pas en parallèle, car on s’habitue rapidement à un niveau de vie plus élevé et on se compare aux autres personnes. Dans des pays comme les États-Unis ou la Chine, le revenu réel disponible a certes augmenté de manière significative au cours des dernières décennies, mais les gens ne sont pas plus heureux en moyenne.
Les paramètres du bonheur : âge, mariage, religion
Les conditions politiques : Dans les pays où la démocratie fonctionne bien et est axée sur le social, les gens sont en moyenne plus heureux que dans les pays où la population n’a guère son mot à dire. Ce n’est pas un hasard si les Danois ressortent régulièrement des sondages comme la nation la plus heureuse, les Suisses arrivant généralement en deuxième position.
Âge : les enfants sont généralement très heureux, mais après la puberté, la satisfaction dans la vie commence à baisser et atteint son niveau le plus bas vers 40 ans. Le bonheur dans la vie augmente ensuite à nouveau – les personnes âgées sont nettement plus heureuses que les jeunes.
Mariage : les personnes mariées sont généralement plus heureuses que les personnes non mariées, mais il existe des différences notables entre les mariages d’amour et les mariages arrangés. Au moment du mariage, les personnes qui se marient par amour sont nettement plus satisfaites que les partenaires qui font un mariage arrangé. Mais ensuite, les choses changent : au fil des années, le sentiment de bonheur augmente chez les conjoints de mariages arrangés, alors qu’il diminue de plus en plus au fil du temps chez les “amants”.
Indépendance : les travailleurs indépendants travaillent plus que les salariés, gagnent en moyenne moins et doivent vivre avec un risque plus élevé – mais ils sont plus heureux ! La responsabilité en incombe à la grande autonomie dont font l’expérience les travailleurs indépendants.
Religion et idéalisme : les personnes religieuses sont généralement plus heureuses que les non-croyants. La religion offre une structure sûre, permet des contacts sociaux et, en cas de malchance et d’échecs dans la vie, transmet qu’il existe encore quelque chose de “supérieur”.
La télévision et le chômage rendent malheureux
Un facteur important d’insatisfaction personnelle est le chômage, qui rend de nombreuses personnes extrêmement malheureuses. Ce sont surtout les hommes au chômage qui restent longtemps dans ce malheur, car en perdant leur travail, ils perdent aussi leurs contacts sociaux et leur estime de soi. En revanche, après un certain temps de malheur, les femmes au chômage redeviennent plus satisfaites parce qu’elles ont des contacts sociaux et des activités épanouissantes en dehors de leur travail rémunéré.
Et un conseil pour les loisirs : plus une personne regarde la télévision, plus elle est insatisfaite !
Source : 1er colloque suisse de psychiatrie, 13 juin 2015, Zurich Oerlikon
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2015 ; 13(5) : 32-33