La terbinafine est considérée comme l’étalon-or dans le traitement des dermatophytoses, mais les dermatophytes pathogènes résistants à la terbinafine constituent une nouvelle menace. Une équipe de recherche suisse impliquant le service de dermatologie du Centre hospitalier universitaire de Lausanne (CHUV) a mené une étude visant à déterminer la proportion de champignons cutanés résistants, à analyser les mécanismes moléculaires de la résistance à la terbinafine et à valider une méthode d’identification fiable et rapide.
Les infections fongiques de la peau font partie des dermatoses les plus fréquentes [1]. Les dermatophytoses associées à Trichophyton rubrum (T. rubrum) et/ou Trichophyton interdigitale (T. interdigitale) sont le motif le plus fréquent de consultation en dermatologie [2]. La terbinafine est considérée comme le traitement de choix des infections à dermatophytes [3]. Une résistance documentée à la terbinafine chez T. rubrum a été rapportée pour la première fois en 2003 [4]. Il a été établi que la résistance dans une souche de T. rubrum est causée par une mutation en un point de Missense dans le gène de la squalène époxydase (SQLE), qui conduit à une substitution d’acide aminé, L393F, [5,6]. Depuis, les cas de souches de trichophyton résistantes à la terbinafine se sont multipliés et plusieurs rapports ont été publiés, notamment en Suisse et en Allemagne [1].
Méthodologie
Entre 2013 et 2021, des échantillons ont été prélevés sur des patients suspectés d’être atteints d’infections à dermatophytes et analysés sur le plan mycologique [1]. Pour cette étude, toutes les souches isolées de Trichophyton rubrum et du complexe T. mentagrophytes/T. interdigitale est prise en compte. Les dermatophytes ont été identifiés comme champignons pathogènes dans 15,6% du total des 41 513 échantillons dermatologiques. Au total, les chercheurs ont examiné 5634 souches de trichophyton isolées (4229 T. rubrum, 1405 T. mentagrophytes/T. interdigitale) sur leur résistance antifongique. Cette dernière a été déterminée par croissance des hyphes sur milieu gélosé Sabouraud-Dextros avec 0,2 μg/ml de terbinafine. Tous les isolats de trichophytes dont la capacité de croissance a été maintenue en présence de terbinafine ont été soumis à un séquençage SQLE. Les concentrations minimales inhibitrices (CMI) ont été déterminées par microdilution.
Résultats de l’analyse en bref
Sur une période de 8 ans, la proportion d’infections fongiques de la peau résistantes à la terbinafine est passée de 0,63% en 2013 à 1,3% en 2021 [1]. Une analyse phénotypique de routine par screening in vitro a identifié 0,83% (n=47/5634) de souches de trichophytes résistantes à la terbinafine in vitro. Le screening moléculaire a révélé une mutation dans la SQLE dans tous les cas. Les mutations L393F, L393S, F397L, F397I, F397V, Q408K, F415I, F415S, F415V, H440Y ou la délétion A398A399G400 ont été détectées chez T. rubrum . Les mutations L393F et F397L étaient les plus fréquentes.
En revanche, pour les souches étudiées du complexe T. mentagrophytes/ T. interdigitale, toutes les mutations correspondaient à F397L, sauf pour une souche avec L393S. Les 47 souches présentaient des concentrations minimales inhibitrices (CMI) significativement plus élevées que les témoins sensibles à la terbinafine. La plage de CMI liée à la mutation se situait entre 0,004 et 16,0 μg/ml, une CMI de seulement 0,015 μg/ml entraînant déjà une résistance clinique au dosage standard de la terbinafine.
Conclusion
Sur la base des données disponibles, les auteurs proposent une CMI de 0,015 μg/ml comme seuil minimum pour prédire un échec cliniquement significatif du traitement par terbinafine après une dose orale standard lors d’une infection par dermatophytes [1]. En outre, ils recommandent la croissance sur milieu gélosé Sabouraud-Dextrose avec 0,2 μg/ml de terbinafine et le séquençage SQLE comme méthodes indépendantes des spores fongiques [1].
Littérature :
- Blanchard G, et al : Identification fiable et rapide de la résistance à la terbinafine dans les infections dermatophytiques des ongles et de la peau. J Eur Acad Dermatol Venereol 2023 ; 37(10) : 2080-2089.
- Hay RJ, et al : The global burden of skin disease in 2010 : an analysis of the prevalence and impact of skin conditions. J Invest Dermatol 2014 ; 134(6) : 1527-1534.
- Gupta AK, et al : Terbinafine in the treatment of dermatophyte toenail onychomycosis : a meta-analysis of efficacy for continuous and intermittent regimes. J Eur Acad Dermatol Venereol 2013 ; 27(3) : 267-272.
- Mukherjee PK, et al. : La souche clinique de Trichophyton rubrum présente une résistance primaire à la terbinafine. Antimicrob Agents Chemother 2003 ; 47(1) : 82-86.
- Osborne CS, et al : Amino acid substitution in Trichophyton rubrum squalene epoxidase associated with resistance to terbinafine. Antimicrob Agents Chemother 2005 ; 49(7) : 2840-2844.
- Osborne CS, et al. : Caractérisation biologique, biochimique et moléculaire d’un nouvel isolat clinique de Trichophyton rubrum résistant à la terbinafine. Antimicrob Agents Chemother 2006 ; 50(6) : 2234-2236.
- Castellanos J, et al : Unusual Inflammatory Tinea Infections : Majocchi’s Granuloma and Deep/Systemic Dermatophytosis. J Fungi 2021, 7, 929.
www.mdpi.com/2309-608X/7/11/929, (dernière consultation 04.12.2023).
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2023 ; 33(6) : 20