La mort subite inattendue en épilepsie (SUDEP) est un risque redouté chez les patients épileptiques. La nouvelle ligne directrice a fait l’objet d’une évaluation critique lors du congrès de l’AAN.
La mort subite inattendue (“sudden unexpected death in epilepsy”, SUDEP) est un risque redouté, mais encore insuffisamment étudié, chez les patients épileptiques. Le SUDEP, comme son nom l’indique, survient sans cause apparente au vu des circonstances et à partir d’un état de santé par ailleurs largement normal. Les accidents associés aux crises, tels que les chutes et l’état de mal épileptique, sont par définition exclus, mais pas le lien physiopathologique avec les crises.
Aussi rare soit-il dans l’ensemble, le SUDEP réclame de toute urgence des informations et des lignes directrices fondées sur des données probantes qui abordent le sujet de manière structurée.
Les Américains, et plus précisément les deux sociétés American Academy of Neurology (AAN) et American Epilepsy Society (AES), ont maintenant fait un effort commun pour rédiger un guide de pratique qui devrait permettre aux médecins d’avoir une discussion honnête et équilibrée avec les patients épileptiques sur le SUDEP. La publication a été présentée sous forme abrégée dans la revue Neurology [1] et a fait l’objet d’un débat lors du congrès de l’AAN de cette année à Boston. Deux questions principales sont abordées dans la ligne directrice :
- Quelle est l’incidence du SUDEP dans différentes populations d’épileptiques ?
- Existe-t-il des facteurs de risque spécifiques pour le SUDEP ?
En outre, le travail visait à mettre en évidence les domaines dans lesquels la recherche reste lacunaire – il s’est avéré que le besoin de rattrapage est effectivement important.
La mort subite est-elle fréquente ?
Les principales conclusions de la revue systématique sur laquelle se fonde la ligne directrice proviennent de douze études de classe I. Les résultats de ces études sont présentés dans le tableau ci-dessous. Ils ont tous fourni des taux d’incidence, mais en raison d’imprécisions dans les résultats des études, les auteurs n’ont constaté qu’une évidence modérée dans le groupe des enfants et des adolescents atteints d’épilepsie et même une évidence faible chez les patients adultes. Même si l’on considérait la population dans son ensemble, les preuves n’étaient que partiellement convaincantes. Les principaux résultats sont
- Les enfants et adolescents épileptiques de 0 à 17 ans ont un SUDEP dans 0,22/1000 patients-années (IC 95% 0,16-0,31).
- En revanche, les épileptiques adultes sont plus souvent touchés, à savoir 1,2/1000 patients-années (IC à 95% : 0,64-2,32).
- Au total, le risque de SUDEP était de 0,58/1000 patients-années.
Le risque de SUDEP augmente donc avec l’âge adulte.
Recommandations : Sur la base de leurs résultats, les sociétés émettent deux recommandations, chacune de niveau B, à l’attention du médecin traitant. D’une part, il faut parler d’un risque “rare” de SUDEP pour les enfants épileptiques, leurs parents et les personnes qui s’en occupent. L’information doit également porter sur le fait qu’en une année, un enfant sur 4500 atteints d’épilepsie subit une telle mort subite. En d’autres termes, chaque année, 4499 enfants épileptiques sur 4500 sont épargnés par le SUDEP.
D’autre part, le médecin doit informer les épileptiques adultes qu’il existe un risque “faible” de SUDEP (en anglais “small risk”). En un an, la mort subite touche un adulte sur 1000 souffrant d’épilepsie. En d’autres termes, 999 épileptiques sur 1000 sont épargnés chaque année.
La raison pour laquelle les patients sont informés est que, selon la culture, la plupart des patients épileptiques préfèrent être informés de leur risque de subir un événement fatal, même si la probabilité est faible, selon les auteurs. Toutefois, comme il n’est pas encore possible d’évaluer le risque individuel du patient, une information proactive comporte le risque que le patient surestime son risque. Il ne fait aucun doute que cela peut alimenter de manière excessive la peur de tels événements. Selon la ligne directrice, il est utile de présenter le risque comme la probabilité que l’événement se produise et ne se produise pas, d’utiliser des chiffres en plus des mots et de parler de fréquences et non de pourcentages. Cela permet d’éviter, au moins en partie, une surestimation.
Mais quels sont les facteurs de risque d’une telle mort subite ? Et y en a-t-il vraiment ou résistent-ils à une analyse propre ?
Facteurs de risque – peu peuvent convaincre
La profonde hétérogénéité des études d’incidence ne peut pas être expliquée de manière définitive et suggère déjà que des facteurs de risque non encore détectés et non étudiés pourraient jouer un rôle dans le SUDEP. Que sait-on aujourd’hui ?
Six articles de classe I et 16 articles de classe II ont fourni des informations fondées sur des données probantes à ce sujet. Les résultats sont résumés dans le tableau 1. Il apparaît que la présence et surtout la fréquence des crises tonico-cloniques généralisées sont des facteurs de risque déterminants. Les patients qui ont plus de trois crises de ce type par an voient leur risque de SUDEP multiplié par 15. Une personne qui subit fréquemment de telles crises a un risque absolu de 18 décès pour 1000 patients-années.
Il semble évident que les crises tonico-cloniques généralisées ne sont pas seulement associées au SUDEP, mais qu’elles jouent un rôle dans l’évolution causale. On peut donc en déduire qu’un meilleur contrôle de ces crises – en plus des nombreux autres avantages évidents, par exemple en termes de permis de conduire et de travail – peut également réduire le risque de SUDEP. Bien entendu, les inconvénients et les contraintes de ce traitement ne doivent pas être oubliés, soulignent les auteurs, mais le patient doit comprendre que l’absence de crises peut être une question de vie ou de mort dans certains cas et qu’elle est donc d’une importance fondamentale.
Dans l’ensemble, l’idée selon laquelle le SUDEP est un événement associé à une crise et accompagné de symptômes végétatifs est de plus en plus répandue. Dans le cadre d’une crise d’épilepsie, des effets pathologiques respiratoires ou cardiaques pourraient jouer un rôle. Différents mécanismes sont discutés dans ce contexte – œdème pulmonaire neurogène, lésions myocardiques associées aux crises, troubles du rythme cardiaque et de la régulation respiratoire en font partie. Les résultats de l’autopsie ont révélé un œdème pulmonaire et un cœur dilaté.
Recommandations : Avec un niveau de recommandation B, les médecins devraient, chez les patients épileptiques qui subissent des crises tonico-cloniques généralisées répétées, continuer à s’occuper activement de ces dernières et s’efforcer de réduire leur survenue (et donc indirectement le risque de SUDEP). Ceci en tenant compte des préférences du patient et du rapport bénéfice/risque individuel.
Étant donné que les crises nocturnes et la dépression respiratoire/hypoventilation post-temporelle peuvent également être des facteurs d’influence et que la “surveillance” nocturne ou la présence d’une autre personne (au moins 10 ans) dans la chambre à coucher peut réduire le risque de SUDEP, il semble judicieux, dans des cas sélectionnés, de conseiller aux patients souffrant de crises tonico-cloniques généralisées répétées, y compris nocturnes, et à leurs proches, si cela est psychologiquement et physiquement supportable, de bénéficier d’une assistance personnelle pendant la nuit ou d’autres mesures telles qu’une radio à distance ou une sorte de “baby-phone” (grade C). Cependant, les auteurs indiquent clairement qu’ils n’interviennent pas directement dans le mécanisme pathologique du SUDEP, mais qu’ils réduisent simplement le risque. En outre, il n’y a bien sûr aucune garantie qu’un SUDEP naissant sera effectivement remarqué.
Enfin, la ligne directrice de niveau B recommande d’informer le patient que l’absence de crises (en particulier de crises tonico-cloniques généralisées) est clairement associée à une réduction du risque de SUDEP (“strongly associated”). L’épilepsie non contrôlée constitue l’un des facteurs de risque les plus cohérents de la recherche. L’absence de crises est plus probable en cas de bonne adhérence au médicament. L’information du patient a donc des conséquences concrètes : Il est plus facile de déconseiller au patient, sur la base de la directive, de rester plus longtemps que nécessaire dans un traitement qui n’a manifestement plus l’effet escompté et de renoncer à une poursuite thérapeutique. Les crises tonico-cloniques généralisées peuvent être évitées par une bonne observance, même si (ou justement parce que) un patient n’a pas encore connu de tels types de crises graves (mais par exemple des crises focales ou myocloniques).
Potentiel d’amélioration
La ligne directrice elle-même note que l’incidence du SUDEP dans différentes populations d’épileptiques devrait faire l’objet de recherches plus systématiques. En outre, la prise de conscience doit encore être améliorée, y compris parmi les professionnels. Mais pour cela, il est important de mieux comprendre les relations entre le type, la gravité et la durée de l’épilepsie et le SUDEP, ainsi que les associations avec le traitement médicamenteux. Le registre nord-américain SUDEP (North American SUDEP Registry) est une approche qui devrait aider à atteindre cet objectif. Il permettra d’enrichir la recherche de données précieuses dans les années à venir.
Le fait que la ligne directrice ait trouvé des preuves insuffisantes pour de nombreux autres facteurs de risque, dont certains sont également mentionnés dans la littérature actuelle, ne signifie pas qu’ils n’entrent pas effectivement en ligne de compte comme facteurs de risque. Les auteurs soulignent la difficulté de collecter suffisamment de données sur le sujet, car les SUDEP sont d’une part rares, d’autre part soudaines et donc généralement hors de la surveillance médicale.
Il peut être surprenant que seule la fréquence des crises tonico-cloniques généralisées ait pu être confirmée comme facteur de risque avec un niveau de preuve élevé et que d’autres facteurs connus et souvent discutés, tels que les crises nocturnes, la durée de l’épilepsie, l’âge au début de l’épilepsie, la suppression EEG post-tale, les antiépileptiques spécifiques ou le nombre de ces derniers, la variabilité de la fréquence cardiaque, le handicap mental ou le sexe masculin, aient eu une influence très faible en termes de preuve (voire aucune) et n’aient donc pas généré de recommandations.
Dangers d’une réponse active
Les guidelines supposent que la discussion avec le patient sur le SUDEP est souhaitable et utile. Mais est-ce vraiment le cas ? Ne s’agit-il pas plutôt d’attiser la peur et d’imposer une charge mentale ? Lors du congrès, une collaboratrice de la ligne directrice a fait remarquer que ses patients venaient de toute façon déjà la voir avec de telles pensées en tête. Les personnes qui ont assisté à une crise d’épilepsie aussi violente chez leur enfant, par exemple, font généralement état d’une peur de la mort. Pour cette raison et en raison de l’amélioration de l’observance et du contrôle des crises qui s’ensuit, il lui semble judicieux d’adopter une approche proactive. Les études vont également dans ce sens.
Des nouvelles ont été données à ce sujet lors du congrès de l’AAN lui-même. Du matériel d’information SUDEP a été distribué à un échantillon de 42 patients épileptiques, avec la possibilité de poser des questions. Les personnes ont ensuite rempli un questionnaire. Cette petite étude américaine faisait partie d’une présentation de l’AAN. Le résultat a été étonnamment clair :
- 100% des patients ont estimé qu’il était de leur droit de connaître le SUDEP.
- 92% ont estimé qu’il était du devoir du médecin responsable d’informer son patient en conséquence.
- 81% ont déclaré que cette information les incitait à améliorer leur adhésion au traitement.
- Cependant, 30% ont également confirmé que cela avait augmenté l’anxiété (tendance à la hausse dans le groupe des crises tonico-cloniques généralisées).
Les auteurs de l’étude concluent que le besoin d’information l’emporte sur la peur du patient et que l’on attend du médecin une discussion ouverte correspondante. On peut supposer que les effets positifs d’une telle information sont plus importants que les effets négatifs. Pourtant, des études montrent qu’on en parle encore trop rarement avec le patient. Pour faciliter l’approche du médecin, un matériel d’information écrit, standardisé et compréhensible pour le patient, comme celui utilisé dans cette étude, pourrait aider. Il convient toutefois de noter que tous les participants vivaient depuis longtemps avec leur diagnostic et qu’ils avaient une relation médecin-patient bien établie.
Source : American Academy of Neurology 2017 Annual Meeting (AAN), 22-28 avril 2017, Boston
Littérature :
- Harden C, et al : Practice guideline summary : Sudden unexpected death in epilepsy incidence rates and risk factors. Rapport du sous-comité de développement, de diffusion et de mise en œuvre des directives de l’Académie américaine de neurologie et de la Société américaine d’épilepsie. Neurology 2017 ; 88(17) : 1674-1680.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2017 ; 15(4) : 43-45