La substitution en cas de dépendance à une substance est le remplacement, sur prescription médicale, d’une substance génératrice de dépendance par un médicament moins nocif ayant un mécanisme d’action identique ou similaire. La combinaison d’une substitution avec un soutien médical, psychologique et social est appelée traitement de substitution assisté (TSA). Les objectifs du traitement de l’ESS sont la réduction de la mortalité et du risque de nouvelles infections, l’amélioration de la santé physique et mentale, de l’intégration sociale et de la qualité de vie. Les agonistes opioïdes autorisés pour la substitution sont la méthadone, la buprénorphine (Subutex®) et, plus récemment, la morphine à libération prolongée (Sevre-long®). Les avantages et les inconvénients de chaque substance sont expliqués d’un point de vue clinique.
En Suisse, selon les estimations de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), 22 000 à 27 000 personnes sont dépendantes des opioïdes. En 2011, environ 18 000 personnes suivaient un traitement de substitution à la méthadone ou à d’autres opioïdes [1], et près de 1400 avaient recours à un traitement à l’héroïne [2].
En raison des taux élevés de comorbidités somatiques (infections par le VIH, le VHC) et psychologiques (telles que les troubles post-traumatiques et affectifs ou les troubles schizophréniques) qui peuvent contribuer à la chronicité de la dépendance aux substances, il est recommandé de proposer aux patients un soutien médical, psychologique et social en plus de la substitution comme traitement de base.
La combinaison de ces offres est appelée traitement basé sur la substitution (TBS). Elle est recommandée dans différentes directives internationales (Organisation mondiale de la santé OMS [3], National Institute for Health and Clinical Excellence NICE) pour le traitement de la dépendance aux opioïdes en raison de son efficacité bien établie par rapport aux objectifs thérapeutiques mentionnés ci-dessous. Les objectifs d’un tel traitement sont la réduction de la mortalité et du risque de nouvelles maladies infectieuses supplémentaires, l’amélioration de la santé physique et mentale, de l’intégration sociale et de la qualité de vie. Une ESS doit permettre de transformer une dépendance instable et décompensée en une dépendance stable et compensée. Il s’agit d’une mesure rentable du point de vue de l’économie de la santé, qui fait partie des prestations de l’assurance obligatoire des soins. L’admission à un traitement de substitution devrait se faire à bas seuil afin de permettre une couverture aussi large que possible des soins de base pour les personnes dépendantes aux opioïdes.
Aspects cliniques pertinents de la pharmacothérapie
En 2012, la Société Suisse de Médecine de l’Addiction (SSAM) a publié, sur mandat de l’OFSP, une version détaillée actualisée des “Recommandations médicales pour les traitements de substitution (TBS) en cas de dépendance aux opioïdes” [4], complétée par une version courte publiée par l’OFSP [5]. A partir de ces textes, nous allons donner un bref aperçu des aspects cliniques pertinents de la pharmacothérapie dans les traitements de substitution.
Le critère d’indication d’une substitution par des agonistes opioïdes est la présence d’une dépendance aux opioïdes selon la CIM-10 ou le DSM IV. L’adolescence n’est pas une contre-indication. Il est fortement recommandé aux femmes enceintes dépendantes aux opioïdes de suivre un traitement de substitution, car en cas de consommation illégale, les différentes concentrations de substances, les additifs toxiques (diluants) à la substance active et la situation sociale souvent désastreuse entraînent des taux élevés de complications chez les futures mères et les enfants.
Avant de commencer un traitement de substitution, il convient de recueillir une anamnèse aussi détaillée que possible ainsi qu’un état somatique et psychique. Un échantillon d’urine indique une consommation récente. Une prise de sang avec détermination des paramètres hématologiques, hépatiques et virologiques est également recommandée. Un ECG est indiqué en cas de facteurs de risque existants. Si ces examens ne sont pas possibles immédiatement, ils doivent être effectués au fur et à mesure. Des examens complémentaires (test de grossesse, sérologies de maladies sexuellement transmissibles, tuberculose) doivent être proposés en fonction de l’anamnèse et de l’état clinique du patient.
Substances disponibles
En Suisse, on dispose de la méthadone, de la buprénorphine (Subutex®) et de la morphine orale à libération lente (“slow release oral morphine” [SROM]; Sevre-Long®), nouvellement autorisée depuis l’année dernière pour l’indication “traitement de substitution”, différentes substances qui ne se distinguent probablement pas en termes de rétention en traitement [6,7], mais principalement en termes de profil d’effets secondaires. Il existe en outre la possibilité d’une substitution par diacétylmorphine (Diaphin®), qui peut être envisagée après deux échecs de traitement de substitution ou d’abstinence. Grâce à cette palette élargie de différents opioïdes pour la substitution, il existe en Suisse de bonnes conditions du point de vue thérapeutique pour pouvoir choisir la meilleure substance possible pour le traitement dans chaque cas particulier. Nous allons maintenant nous intéresser aux différentes substances et à leur utilisation dans la pratique clinique :
Méthadone : la méthadone est un agoniste opioïde complet, dont l’effet souhaité pour la substitution provient de l’isomère dextrogyre du racémate normalement utilisé en Suisse. Par voie orale, le pic d’efficacité est attendu au bout de trois à quatre heures. La demi-vie plasmatique est d’environ 25 heures, c’est pourquoi la prise peut se faire une fois par jour. La méthadone s’accumule dans l’organisme en cas de prise régulière et un état d’équilibre est atteint après environ une semaine. Il faut en tenir compte au début du traitement, car des décès peuvent survenir en cas de dose initiale trop élevée, d’une part par intoxication aiguë en l’absence de tolérance, d’autre part également après quelques jours seulement en raison d’un surdosage cumulatif. Le risque d’intoxication est renforcé par la consommation simultanée de substances sédatives telles que l’alcool et les benzodiazépines. Comme la dose létale varie d’un individu à l’autre et dépend parfois de facteurs génétiques, l’induction du traitement se fait avec des doses aussi faibles que possible, qui ne sont pas létales, même chez les intolérants aux opioïdes. En pratique, les traitements de substitution sont initiés avec un maximum de 30 mg de méthadone, même en cas de tolérance. Si, trois à quatre heures après l’ingestion, il n’y a objectivement et subjectivement aucun signe de sédation, mais que les symptômes de sevrage sont encore prononcés, la dose peut être augmentée avec précaution. La détermination individuelle de la dose se fait en fonction des symptômes de sevrage et de l’existence de consommations annexes.
La méthadone est principalement dégradée par le système du cytochrome P450 dans le foie et excrétée par les reins et la bile. Le métabolisme est soumis à une grande variabilité génétique. Chez les patients ayant un métabolisme très rapide (“fast metabolizer”), la méthadone est dégradée en quelques heures, de sorte que des symptômes de sevrage peuvent apparaître malgré des doses relativement élevées. Dans ces cas, il est préférable de répartir les prises sur la journée avant d’augmenter encore la dose de méthadone. En cas de prescription concomitante de médicaments agissant sur le système du cytochrome P450 (p. ex. carbamazépine, rifampicine, éfavirenz, etc.), il faut tenir compte de leur potentiel d’interaction et adapter la dose de méthadone si nécessaire.
Les principaux effets secondaires de la méthadone sont la dépression respiratoire, la constipation et les nausées dues au ralentissement du transit intestinal, la transpiration excessive (le cas échéant) et l’hypertension artérielle. traitables par le chlorure d’aluminium hexahydraté en solution ou le bipéridène [Akineton®]) ainsi que l’allongement dose-dépendant de l’intervalle QTc, qui peut rarement entraîner des arythmies cardiaques potentiellement mortelles. Par conséquent, en cas de doses élevées de méthadone, de présence de facteurs de risque cardiaque et de prise d’autres médicaments ayant également le potentiel d’allonger l’intervalle QTc, il convient d’effectuer un ECG et de passer au SROM si nécessaire.
la buprénorphine (Subutex®) : La buprénorphine est un agoniste/antagoniste opioïde partiel qui, lorsqu’il est pris par voie orale, n’a qu’un effet très limité en raison de l’importance de l’effet de premier passage hépatique et est donc administré par voie sublinguale. En raison de sa forte affinité avec le récepteur des opioïdes, il déplace les opioïdes pris peu de temps auparavant de leur liaison au récepteur, ce qui peut déclencher des symptômes de sevrage. Grâce à la grande marge thérapeutique de la buprénorphine, qui a peu d’effets secondaires prononcés et peu d’effets dépresseurs sur la respiration, même à des doses élevées, une augmentation rapide de la dose en quelques jours est possible et cliniquement pertinente.
Des symptômes de sevrage doivent être présents avant la prise de buprénorphine. Après une dose initiale de 2 mg, jusqu’à 34 mg peuvent être administrés le premier jour de traitement, la dose du deuxième jour ne dépassant généralement pas 16 mg. Comme la buprénorphine est dégradée par différents systèmes enzymatiques, son risque d’interaction avec d’autres médicaments est relativement faible. Cependant, en combinaison avec des substances sédatives telles que l’alcool ou les benzodiazépines, il existe un risque de dépression respiratoire. Comme la buprénorphine a peu d’effet sur la conduction électrique du cœur, elle peut être utilisée comme alternative à la méthadone en cas d’allongement de l’intervalle QTc.
Morphine orale à libération prolongée (SROM) : SROM Sevre-Long®, un analgésique qui a été utilisé dans le passé pour la substitution hors indication, a reçu l’autorisation de mise sur le marché en Suisse en 2013 pour la substitution en cas de dépendance aux opioïdes. La morphine est un agoniste opioïde complet. Malgré la courte demi-vie plasmatique de ses métabolites, la galénique à libération prolongée permet d’obtenir des taux plasmatiques stables, ce qui autorise théoriquement une prise unique quotidienne. Le pic d’efficacité est attendu après environ six heures. Comme pour la méthadone, le risque d’intoxication est accru par la consommation simultanée de substances sédatives. Comme la dégradation de la morphine se fait par glucoronidation, les interactions médicamenteuses sont rares. De plus, la morphine n’a pas d’effet sur la conduction électrique du cœur, ce qui fait qu’elle est préférable à la méthadone à forte dose en cas d’allongement de l’intervalle QTc.
Une étude récente a démontré que la morphine n’était pas inférieure à la méthadone en termes de réduction de la consommation d’héroïne [6]. Certains patients ont également signalé une amélioration de la symptomatologie dépressive et anxieuse ainsi que du bien-être physique sous morphine [8]. Il semble également que la substitution par la morphine présente chez certains patients des avantages en termes de réduction du craving à l’héroïne et des symptômes de sevrage, de réduction du poids corporel, d’amélioration du niveau de fonctionnement social et de la qualité du sommeil [9]. De plus, il est prouvé que chez certains patients, les effets secondaires typiques de la méthadone tels que la transpiration excessive, la constipation, la perte de libido, la nausée, l’augmentation de la sensation de soif, la sécheresse de la bouche et les maux de tête peuvent être réduits sous substitution de morphine [10].
Le Compendium suisse des médicaments recommande d’administrer une première dose de 200 mg aux patients dépendants aux opioïdes dont la tolérance n’est pas assurée dans le cadre d’un traitement de substitution préexistant. Une fois la concentration maximale atteinte, il est possible d’augmenter prudemment la dose. Les doses d’entretien sont de 500-800 mg, avec des variations importantes vers le bas et vers le haut en fonction de la clinique.
Conversions
En Suisse, dans la pratique actuelle, les traitements de substitution sont rarement commencés directement avec de la morphine à libération prolongée, la plupart du temps il y a un passage de la méthadone au SROM. En ce qui concerne les doses équivalentes de méthadone et de SROM, les données de la littérature varient de 1:4 [10] à 1:8 [11]. Pour les faibles doses de méthadone, le facteur de conversion devrait plutôt être de 1:4, tandis que pour les doses plus élevées, le facteur de conversion devrait plutôt être de 1:6 ou 1:8. La dose adéquate est déterminée en fonction de la clinique et en collaboration avec le patient. Pour les “presque métaboliques” de méthadone en particulier, la dose d’entretien de SROM est généralement beaucoup plus faible que celle attendue par conversion, en raison de la différence de voie de dégradation.
Le passage de la méthadone au SROM et inversement peut se faire d’un jour à l’autre en utilisant les facteurs de conversion indiqués. Une alternative consiste à procéder par étapes, en remplaçant d’abord la moitié de la dose, puis en procédant à un changement complet au bout de quelques jours, sur la base de l’impression clinique et des informations fournies par le patient.
Si, pour des raisons cliniques ou à la demande du patient, il est indiqué de passer d’un agoniste pur à un agoniste/antagoniste partiel (et inversement), il convient de tenir compte de certains points :
Si la buprénorphine est remplacée, la méthadone ou le SROM ne doivent être pris qu’en présence de symptômes de sevrage évidents.
Il est plus difficile de passer de la méthadone ou du SROM à la buprénorphine. Il est recommandé de réduire initialement la dose à 30 mg d’équivalent méthadone ou moins. Après une période d’attente suffisamment longue, supérieure à 24 heures, la buprénorphine peut être prise sans provoquer de symptômes de sevrage.
Après un passage de la buprénorphine à la méthadone/SROM (et inversement), il convient de déterminer cliniquement le dosage adéquat, il n’est pas possible d’indiquer un facteur de conversion.
Les différentes options thérapeutiques pharmacologiques présentées ici dans le cadre d’une ESS, qui ont été actuellement élargies par l’autorisation de préparations de morphine à libération prolongée, devraient permettre à l’avenir de répondre de mieux en mieux au besoin d’un traitement individualisé des patients souffrant d’une dépendance aux opioïdes.
Médecin praticien Nicole Deyhle
Littérature :
- Office fédéral de la santé publique : La statistique nationale sur la méthadone 2011. www.bag.admin.ch/themen/drogen/00042/00632/06217/index.html?lang=de4.
- Addiction Suisse : Traitement avec prescription d’héroïne. www.suchtschweiz.ch/infos-und-fakten/heroin/behandlung/heroingestuetzte-behandlung.
- OMS : Lignes directrices pour le traitement pharmacologique psychosocial assisté de la dépendance aux opioïdes. www.who.int/substance_abuse/publications/Opioid_dependence_guidelines.pdf?ua=1.
- SSAM : Recommandations médicales pour les traitements avec substitution (TBS) de la dépendance aux opioïdes 2012.%20SGB_2012_FINAL_05%
- OFSP : Traitement de substitution. www.bag.admin.ch/themen/drogen/00042/00629/00798/index.html?lang=de.
- Beck T, et al : Maintenance treatment for opioid dependence with slow release oral morphine : a randomized cross over, non-inferiority study versus methadone. Addiction 2014 ; 109 : 617-626.
- Ferri M, et al : Slow-release oral morphine as maintenance therapy for opioid dependence. Cochrane Database Syst Rev 2013.
- Eder H, et al : Étude comparative de l’efficacité de la morphine à libération lente et de la méthadone pour le traitement de maintenance aux opioïdes. Addiction 2005 ; 100 : 1101-1109.
- Mitchell TB, et al : Slow-release oral morphine versus methadone : a crossover comparison of patient outcomes and acceptability as maintenance pharmacotherapies for opioid dependence. Addiction 2004 ; 99 : 940-945.
- Sherman JP : Managing heroin addiction with a long-acting morphine product (Kapanol). The Medical Journal of Australia 1996 Aug 19 ; 165(4) : 239.
- Kastelic A, Dubajic G, Strbad E : Morphine orale à libération lente pour le traitement d’entretien des toxicomanes opioïdes intolérants à la méthadone ou présentant une suppression insuffisante du retrait. Addiction 2008 ; 103 : 1837-1846.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2014 ; 12(4) : 18-20