Lors du symposium AbbVie organisé dans le cadre du congrès 2024 de la SSDP, le professeur Curdin Conrad (CHUV Lausanne) et le professeur Kilian Eyerich (Université de Fribourg, Allemagne) ont notamment échangé sur le concept “Happy Patient, Happy Doctor ?”. L’accent a été mis sur la dermatite atopique (DA) et le psoriasis (PsO), deux maladies inflammatoires chroniques de la peau qui sont éprouvantes à la fois physiquement et psychologiquement [1, 2].
Le concept “Happy Patient, Happy Doctor ?” soulève la question de savoir si l’objectif de patients heureux peut réellement être atteint et quels sont les principaux aspects à prendre en compte pour y parvenir. Au cours de la discussion, les experts ont évalué la meilleure façon d’appréhender le fardeau des patients et les éléments à prendre en compte lors du choix de la méthode de traitement.

Comment évaluer de manière pertinente le stress chez les personnes atteintes de la MA ?
Discussion entre le professeur Eyerich et le professeur Conrad :
Le bien-être des patients doit être considéré de manière plus globale. Dans le cas de la MA, cela concerne, outre les symptômes cutanés, entre autres les démangeaisons, l’insomnie ou encore la stigmatisation – tous ces éléments influencent énormément la vie et la satisfaction des personnes concernées [3]. L’image classique est ici la “pointe de l’iceberg” : souvent, on ne voit que les symptômes cutanés, alors que de nombreux autres fardeaux sont cachés en dessous (fig. 1). Le concept de “patient heureux” ne se limite donc pas aux scores EASI*. Selon l’initiative HOME*, il existe différents domaines tels que les “signes cliniques de la maladie”, les “symptômes rapportés par les patients”, le “contrôle de la maladie à long terme” et la “qualité de vie” pour évaluer le fardeau de la maladie AD [4].

Fig. 1: La MA peut affecter de nombreux aspects de la vie des patients, mais tous les effets ne sont pas visibles [3, 5-7]. QoL = qualité de vie.
Quels sont les différents scores couverts dans les différents domaines de l’initiative HOME ?
Discussion entre le professeur Eyerich et le professeur Conrad :
Les scores classiques tels que l’EASI mesurent les signes cliniques visibles de la maladie tels que les rougeurs ou l’épaisseur de la peau [4]. Pour les symptômes rapportés par les patients, l’initiative HOME recommande soit le POEM* soit l’Itch NRS* [4]. Le Itch NRS est très utile car il est simple et rapide à utiliser. On peut ainsi demander à chaque personne concernée : “Quelle a été l’intensité de vos démangeaisons au cours des dernières 24 heures sur une échelle de 0 à 10 ?” C’est facile à comprendre et cela donne une image claire. En ce qui concerne la qualité de vie, les choses se compliquent. Certes, le DLQI* est souvent utilisé pour évaluer la qualité de vie des personnes concernées [4]. Mais il présente aussi des faiblesses, en particulier chez les patients âgés ou isolés socialement, et souvent le score n’est pas utilisé en dehors des grands centres. Malgré ces limites, le DLQI permet des comparaisons à long terme de la qualité de vie sur plusieurs années. Enfin, il y a le suivi à long terme de la maladie, pour lequel des outils comme RECAP* et ADCT* sont disponibles, mais rarement utilisés régulièrement dans la pratique [4].
Enfin, quels sont les critères qui indiquent que l’objectif thérapeutique est atteint ?
Discussion entre le professeur Eyerich et le professeur Conrad :
Il existe différentes approches dans ce domaine, comme l’activité minimale de la maladie (MDA) ou le traitement vers la cible (T2T) [8, 9]. MDA considère à la fois la gravité objective de la maladie et le bien-être subjectif des patients. Dans cette approche, les patients sont évalués après trois mois pour un objectif à court terme et après six mois pour un objectif à long terme [9]. Cela permet d’évaluer si le traitement est efficace ou si des ajustements sont nécessaires. L’approche MDA dans une maladie comme la MA est utile, car la plupart des personnes atteintes ne parviennent pas à une rémission complète. Néanmoins, il s’agit d’une approche complexe qui doit être continuellement développée et réévaluée. Une autre question se pose : que se passe-t-il si l’objectif du MDA n’est pas atteint ?
Pourquoi faut-il améliorer plusieurs domaines pour réduire l’exposition des patients à la MA ?
Discussion entre le professeur Eyerich et le professeur Conrad :
Des études montrent que la réduction des démangeaisons joue un rôle important dans l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de la MA [10]. Même si les symptômes cutanés sont largement contrôlés (EASI 90-100), la qualité de vie des patients peut être affectée si les démangeaisons persistent (WP-NRS 2-10) [10]. C’est pourquoi tant les symptômes cutanés que les démangeaisons doivent être régulièrement évalués. Les données montrent qu’un EASI 90 et un WP-NRS 0/1 peuvent être significativement améliorés et maintenus pendant 140 semaines avec l’upadacitinib (RINVOQ®) par rapport au placebo [11]. Cependant, le profil bénéfice/risque doit toujours être pris en compte dans les JAKi. Une analyse récente portant sur une période de traitement allant jusqu’à 5 ans démontre le profil bénéfice/risque favorable de l’upadacitinib dans le traitement de la MA et n’a pas révélé de nouveaux risques pour la sécurité [12]. Il est important de surveiller les risques et de bien informer les patients à ce sujet. La décision d’utiliser JAKi doit toujours être basée sur des faits tangibles tels que les facteurs cliniques, l’âge et les comorbidités.
Outre les points mentionnés ci-dessus, quels sont les autres éléments à prendre en compte lors du choix d’un traitement AD ?
Discussion entre le professeur Eyerich et le professeur Conrad :
La MA est une maladie très hétérogène pour laquelle une approche thérapeutique personnalisée est utile. Alors qu’une approche standard est souvent suffisante pour la PsO, il faut tenir compte du fait que différentes voies de signalisation moléculaires sont impliquées dans la MA. La diversité des cytokines impliquées – comme l’interleukine (IL)-4, l’IL-13, l’IL-31, le TSLP, l’IFNγ et l’IL-22 – rend le traitement plus complexe [13]. Alors que les agents biologiques se lient à des cytokines ou des récepteurs uniques et inhibent ainsi presque complètement cette cible sur une longue période, la signalisation JAK est en aval de plusieurs cytokines et une efficacité peut être observée à des doses qui modulent partiellement et de manière réversible plusieurs voies de signalisation [14, 15]. Les méta-analyses en réseau montrent que tous les nouveaux médicaments donnent des résultats comparables, au moins à court terme, en termes d’amélioration des symptômes cutanés et du prurit [16]. La question reste donc de savoir quel est le meilleur traitement pour tel ou tel patient.
Le traitement de la PsO progresse régulièrement. Pourquoi est-il important d’intervenir précocement dans le cas de la PsO ?
Discussion entre le professeur Eyerich et le professeur Conrad :
Les données relatives aux inhibiteurs de l’IL-23 montrent qu’une intervention précoce est cruciale : l’amélioration des symptômes cutanés est nettement meilleure lorsque le traitement débute dans les deux premières années suivant le début de la maladie [17]. D’autres données sur les inhibiteurs de l’IL-17 montrent également des différences entre les patients dont la durée de la maladie est de <1, 1-5 oder>5 ans, les patients dont la durée de la maladie est plus longue étant plus susceptibles de rechuter avant le traitement. Cela souligne l’importance potentielle d’une intervention précoce [18].
Quels sont les autres avantages d’un traitement précoce ?
Discussion entre le professeur Eyerich et le professeur Conrad :
Outre l’amélioration des symptômes cutanés, un traitement précoce pourrait également réduire le risque de comorbidités telles que les maladies cardiovasculaires et l’arthrite psoriasique [19, 20]. Les traitements modernes tels que les inhibiteurs de l’IL-17 et de l’IL-23 offrent un meilleur profil bénéfice/risque à long terme pour le traitement du psoriasis modéré à sévère [21]. Cependant, la question centrale reste la suivante : quelles sont les personnes atteintes qui devraient être ciblées tôt ? Est-il rentable de le faire pour tous ? Les spécialistes traitants veillent à faire ce qu’il y a de mieux pour les patients, sans être trop accablés par les aspects économiques.
Conclusion
La discussion a mis en évidence le fait que le traitement de la MA et de la PsO continue de poser des défis complexes et que le bien-être subjectif des patients devrait être pris en compte dans la planification et l’évaluation du traitement. Alors que la MA exige de penser au-delà des scores objectifs et de prendre davantage en compte la qualité de vie et les démangeaisons, l’intervention précoce dans la PsO est essentielle pour permettre une rémission complète et la prévention des comorbidités.
* Abréviations : ADCT = Atopic Dermatitis Control Test; DLQI = Dermatology Life Quality Index; EASI = Eczema Area and Severity Index; HOME = Harmonising Outcome Measures for Eczema; Itch NRS = Itch Numerical Rating Scale ; POEM = Patient Oriented Eczema Measure; RECAP =Recap of Atopic Eczema.
Information technique succincte RINVOQ® et SKYRIZI
Cet article a été rédigé avec le soutien financier de AbbVie AG, Alte Steinhauserstrasse 14, 6330 Cham.
CH-ABBV-240123 01/2025
Cet article a été validé en allemand.
Références
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2. Griffiths, C.E.M., et al., Psoriasis. Lancet, 2021. 397(10281) : p. 1301-1315.
3 Drucker, A.M., et al, The Burden of Atopic Dermatitis : Summary of a Report for the National Eczema Association. J Invest Dermatol, 2017. 137(1) : p. 26-30.
4. Mesures harmonisées des résultats pour l’eczéma (HOME). Page d’accueil. http://www.homeforeczema.org/ [Last accessed September 2024]. .
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9 Silverberg, J.I., et al, Combining treat-to-target principles and shared decision-making : International expert consensus-based recommendations with a novel concept for minimal disease activity criteria in atopic dermatitis. J Eur Acad Dermatol Venereol, 2024.
10 Reich, K., et al., Des niveaux de réponse plus élevés aux mesures de sévérité de la dermatite atopique clinique sont associés à des améliorations significatives des symptômes rapportés par les patients et des mesures de qualité de vie : Analyse intégrée de trois essais de phase 3 d’upadacitinib. J Eur Acad Dermatol Venereol, 2023.
11. Silverberg JI, et al. Efficacité et sécurité de l’upadacitinib pendant 140 semaines chez les adolescents et les adultes atteints de dermatite atopique modérée à sévère : résultats de l’essai clinique randomisé de phase 3. Présentation orale, présentée à l’Académie européenne de dermatologie et de vénéréologie (EADV). Octobre 2023. Abstract 4392.
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17 Schakel, K., et al, L ‘intervention précoce de la maladie avec le guselkumab dans le psoriasis conduit à un taux plus élevé de guérison complète stable (‘super réponse clinique’) : Week 28 results from the ongoing phase IIIb randomized, double-blind, parallel-group, GUIDE study. J Eur Acad Dermatol Venereol, 2023. 37(10) : p. 2016-2027.
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