L’approbation de plusieurs nouveaux médicaments a permis d’élargir l’éventail des traitements de deuxième ligne du myélome plasmocytaire. Parallèlement, les concepts de traitement établis, principalement en première ligne, ont été remis en question. Quelle est donc la situation actuelle ?
Au cours des quatre dernières années, l’approbation de plusieurs nouveaux médicaments a permis d’élargir l’éventail des traitements de deuxième ligne pour les patients atteints de myélome plasmocytaire. Parallèlement, des études cliniques ont également remis en question les concepts de traitement établis, principalement dans le cadre du traitement de première ligne. Les résultats parfois contradictoires qui en découlent ouvrent une grande marge d’interprétation. Le présent aperçu a pour but de faire le point sur les préférences actuelles en matière de traitement du myélome en Suisse.
En vue du SSMO Swiss Consensus Meeting au Swiss Oncology and Hematology Congress 2018, dix experts suisses du myélome ont été interrogés par écrit en amont sur des sujets controversés concernant le diagnostic et le traitement du myélome. Pendant la réunion, les mêmes questions ont été posées aux médecins présents. Environ 40 participants ont répondu aux questions (vote électronique).
SLIM-CRAB
Une mise à jour des critères IMWG pour le diagnostic du myélome multiple a été publiée fin 2014 [1]. La définition du myélome nécessitant un traitement a été élargie pour inclure les critères SLIM-CRAB (aperçu 1). L’objectif est d’identifier et de traiter les patients présentant une probabilité très élevée d’évolution rapide d’un “smoldering myeloma” vers un myélome multiple nécessitant un traitement selon les critères classiques, avant même l’apparition de lésions des organes terminaux. Ce concept s’est aujourd’hui imposé en Suisse.
Deux tiers des experts interrogés et 85% des médecins de l’auditoire ont indiqué qu’ils prenaient toujours en compte les critères SLIM-CRAB lors du diagnostic du myélome. Un tiers des experts et 15% des médecins du public relèvent les paramètres SLIM, mais évaluent la nécessité d’un traitement sur une base individuelle pour les patients présentant un critère SLIM-CRAB positif.
Stratification du risque génétique
Les modifications génétiques dans les cellules du myélome comptent parmi les principaux prédicteurs du pronostic du patient. Un jeu de chromosomes hyperdiploïde est à l’origine d’environ 50% des cas de myélome et est associé à un pronostic “favorable” (risque standard). Les translocations dans le locus IgH (par exemple, t[4;14], t[11;14]) sont corrélées à des niveaux d’agressivité différents du myélome, en fonction du partenaire de fusion. Les altérations génétiques secondaires supplémentaires sont généralement défavorables au pronostic (del17p, gain1q, délétion 1p, etc.) [2]. Les trois altérations cytogénétiques les mieux établies avec un profil de risque défavorable (del[17p], t[4;14] et t[14:16]) permettent, avec l’albumine et la β2-microglobuline dans le système de scoring international révisé (R-ISS) (tableau 1) et avec la valeur de la LDH au diagnostic, une différenciation pronostique en termes de survie sans progression et de survie globale. L’ESMO et le NCCN recommandent de réaliser une cytogénétique et une FISH au moment du diagnostic.
Ces recommandations sont également suivies en Suisse : La moitié des médecins ayant répondu effectuent des tests génétiques chez tous les patients au moment du diagnostic, tandis que l’autre moitié renonce à effectuer des tests génétiques chez les patients âgés ou souffrant de comorbidités.
Thérapie à haute dose avec autogreffe de cellules souches
La place de la chimiothérapie à haute dose avec autogreffe de cellules souches (HDT-ASCT) dans le traitement de première ligne a été évaluée dans plusieurs études randomisées au cours des dernières années [3,4]. Une survie sans progression significativement meilleure a été observée pour la HDT-ASCT par rapport à un traitement de première ligne “conventionnel” (VRD, VMP), mais sans prolongation de l’OS. Les résultats de l’étude américaine StaMINA ont été présentés à l’ASH 2016 : Cette étude n’a pas montré d’avantage en termes de PFS pour les patients ayant reçu une HDT-ASCT en première ligne de traitement [5]. En raison de différents points de discussion dans la conception de l’étude StaMINA, ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence. L’avantage d’un traitement primaire à haute dose par rapport à un traitement conventionnel du myélome en termes de survie globale a été démontré avant l’introduction des inhibiteurs de protéase dans le traitement conventionnel. D’un point de vue formel, à l’ère des inhibiteurs de protéase, aucun des essais randomisés n’a pu jusqu’à présent démontrer un bénéfice en termes d’OS pour la HDT-ASCT en première ligne par rapport à un traitement conventionnel, car la durée de suivi des études correspondantes est actuellement encore trop courte. Par conséquent, le recours à la thérapie à haute dose ne serait formellement justifié qu’en cas de rechute.
Cependant, la chimiothérapie à haute dose a toujours sa place dans le traitement de première ligne des patients atteints de myélome. 100% des médecins ayant répondu considèrent l’HDT-ASCT comme la norme dans cette situation.
Transplantation en tandem
Les doubles thérapies à haute dose avec ASCT sont pratiquées depuis les années 90. La transplantation en tandem entraîne une rémission plus profonde que la transplantation simple et a été associée à un allongement de la PFS dans de nombreuses études. Une prolongation de l’OS n’a pas encore été démontrée pour la transplantation en tandem à l’ère du traitement d’induction avec des inhibiteurs de protéase ou des IMID. L’étude EMN02/HOVON95 a intégré une comparaison entre les greffes en tandem et les greffes uniques dans la conception de l’étude. Dans cette étude, une transplantation en tandem a entraîné une PFS et une OS significativement meilleures pour l’ensemble de la population étudiée. La différence était particulièrement marquée pour les patients présentant une cytogénétique à haut risque (t[4;14], t[14;16], del[17p]) ou R-ISS II + III [6].
Selon notre enquête, 98% des médecins sont favorables à une ASCT en tandem adaptée au risque en première ligne.
Traitement d’induction avant ASCT
Les trithérapies à base de bortézomib (jusqu’à présent le plus souvent en association avec le cyclophosphamide ou le thalidomide) pour l’induction sont depuis plusieurs années la norme internationale. L’association du bortézomib avec un alkylant (VCd) est inférieure à l’association avec un IMID (VTd) en termes de réponse et de qualité de la rémission avant la thérapie à haute dose [7]. L’association du bortézomib avec le lénalidomide et la dexaméthasone a montré un taux de réponse élevé dans plusieurs études et est moins neurotoxique que le VTD. Aucune étude comparative randomisée n’a été réalisée. Depuis 2017, le lénalidomide est autorisé en Suisse pour le traitement de première ligne des patients qui ne sont pas éligibles pour une ASCT. Cela a conduit à une “disponibilité plus facile” du lénalidomide, même dans le cadre de l’induction avant ASCT.
Le lénalidomide est actuellement le partenaire d’association favori du bortézomib et de la dexaméthasone (VRD) dans l’induction avant HDT-ASCT. Pour 85% des médecins ayant répondu, le VRD est le premier choix, 12% favorisent une autre combinaison triplette à base de bortézomib, 2% misent sur une induction non basée sur le bortézomib.
Consolidation par ASCT
La consolidation (deux à quatre cycles d’une combinaison analogue à l’induction) après HDT-ASCT permet d’obtenir une réduction supplémentaire de la tumeur, ce qui s’est accompagné d’une prolongation de la PFS dans de nombreuses études. Cela a été confirmé à nouveau dans l’étude EMN02 avec une deuxième randomisation après ASCT (deux cycles de VRD vs. pas de consolidation), mais un avantage en termes d’OS n’a pas pu être démontré. En revanche, l’étude StaMINA (pas de consolidation vs deuxième ASCT vs 4× VRD) n’a pas montré d’avantage pour les patients ayant reçu une consolidation. La place de la consolidation après HDT-ASCT reste incertaine.
Les résultats de l’enquête le montrent également. Pour 66% des médecins, la consolidation après HDT-ASCT est la norme. 19% ne consolident que les patients présentant des caractéristiques à haut risque. 15% ne font généralement pas de consolidation.
Thérapie d’entretien
Des études randomisées ont montré un avantage en termes de PFS pour les patients recevant un traitement d’entretien par lénalidomide (IFM CALGB). Dans une méta-analyse portant sur les données de plus de 1 200 patients, le maintien du lénalidomide a été associé à un bénéfice de plus de deux ans en termes d’OS [8]. Les données relatives au maintien du bortézomib sont moins robustes. Mais ce sont surtout les patients présentant une cytogénétique à haut risque qui semblent bénéficier d’un maintien du bortézomib [9].
La durée optimale du maintien de la lénalidomide n’est pas définie. Dans la plupart des études, le maintien jusqu’à la progression était prévu. La durée moyenne du maintien sous lénalidomide a été de 30 mois (arrêt précoce du maintien dans l’étude IFM 2005-02 en raison de l’augmentation de l’incidence des tumeurs malignes secondaires).
Pour 80% des experts suisses interrogés, le maintien de la lénalidomide est la norme pour tous les patients après HDT-ASCT. 20% font dépendre le recours à un traitement d’entretien de la réponse au traitement d’induction et ne prescrivent un traitement d’entretien qu’aux patients qui n’ont pas atteint la RC ou la VGPR.
Le maintien sous lénalidomide est indiqué pour 70% des experts pour tous les patients. 30% des experts interrogés font une distinction en fonction du profil de risque génétique et favorisent le bortézomib en maintenance pour les patients présentant une cytogénétique à haut risque.
Durée du traitement d’entretien : 50% des médecins misent sur un maintien jusqu’à une nouvelle progression, 50% favorisent un traitement d’entretien par lénalidomide limité à (un ou) deux ans.
Traitement de première ligne des patients qui ne sont pas éligibles à l’HDT-ASCT
Les trithérapies à base de bortézomib (VMP, VCD), généralement administrées en six à neuf cycles, ont été le traitement de choix pour les patients âgés ou présentant des comorbidités jusqu’à l’autorisation de première ligne de Revlimid®/dexaméthasone. Dans l’étude randomisée à trois bras FIRST, Rd a été comparé à Rd jusqu’à progression avec MPT pendant 18 mois. Le Rd continu entraîne une PFS significativement plus longue que le Rd pendant 18 mois, mais sans bénéfice sur l’OS [10]. Les patients présentant une cytogénétique à haut risque semblent bénéficier d’un traitement à base de bortézomib [11].
A la question de savoir si le choix du protocole thérapeutique est influencé par une stratification du risque cytogénétique, 60% ont répondu par l’affirmative : un protocole à base de bortézomib est utilisé chez les patients présentant une cytogénétique à haut risque. 10% des médecins choisissent Rd indépendamment de la cytogénétique et 20% choisissent une combinaison à base de bortézomib pour le traitement de première ligne.
Pour les protocoles à base de bortézomib, le VMP est légèrement préféré (55%) au VCD (45%). La combinaison VMP plus daratumumab n’est pas encore utilisée.
Si la Rd est utilisée, l’administration continue (55%) est plus souvent citée par rapport à la durée fixe du traitement (45%).
Traitement de deuxième intention
Le carfilzomib, le daratumumab, l’elotuzumab et l’ixazomib en association avec le lénalidomide ou le bortézomib sont approuvés pour le traitement de deuxième ligne. Il n’existe pas d’études comparant directement ces nouvelles substances.
Lorsqu’on leur a demandé quelle était leur préférence pour le traitement de deuxième ligne, ils ont pu choisir entre trois options : KRd a été le plus souvent cité (70%), DRd ou DVd a obtenu 20% d’approbation et 10% donneraient la préférence à un autre traitement.
Messages Take-Home
- L’utilisation des critères SLIM-CRAB s’est établie.
- La caractérisation génétique du myélome au moment du diagnostic fait partie du work-up initial en Suisse.
- Une stratification du risque génétique lors du traitement des patients est pratiquée par une grande partie des médecins.
- Le traitement des jeunes patients atteints de myélome en Suisse est uniforme : la chimiothérapie à haute dose et la transplantation de cellules souches autologues font toujours incontestablement partie du traitement de première ligne. Une consolidation pour réduire davantage la charge tumorale est pratiquée par la majorité. Le traitement d’entretien est la norme.
- Chez les patients plus âgés, le traitement à base de bortézomib reste privilégié, Revlimid®-dexaméthasone ne s’est pas (encore) imposé.
- Dans le traitement de deuxième ligne, des combinaisons triples à base de carfilzomib et de daratumumab se sont établies.
Littérature :
- Rajkumar V, et al : International Myeloma Working Group updated criteria for the diagnosis of multiple myeloma. Lancet Oncol 2014 ; 15 : e538-548S.
- Morgan GJ, Walker BA, Davies FE : L’architecture génétique du myélome multiple. Nat Rev Cancer 2012 ; 12(5) : 335-348.
- Cavo M, et al : Autologous stem cell transplantation versus bortezomib-melphalan-prednisone for newly diagnosed multiple myeloma : second interim analysis of the phase 3 EMN02/HO95 study. Blood 2017 ; 130(Suppl 1) : 397.
- Attal M, et al : Lénalidomide, bortézomib, et dexaméthasone avec transplantation pour le myélome. N Engl J Med 2017 ; 376 : 1311-1320.
- Mur de la ville EA, et al.: Comparaison de l’autogreffe de cellules hématopoïétiques (autoHCT), du bortézomib, du lénalidomide (len) et de la dexaméthasone (RVD) avec l’entretien du len (ACM), de l’autohct tandem avec entretien du len (TAM) et de l’autohct avec entretien du len (AM) pour le traitement de première ligne des patients atteints de myélome multiple (MM) : primary results from the randomized phase III trial of the Blood and Marrow Transplant Clinical Trials Network (BMT CTN 0702 – StaMINA Trial). Blood 2016 ; 128(Suppl 1) : LBA-1.
- Cavo M, et al : Double autologous stem cell transplantation significantly prolongs progression-free survival and overall survival in comparison with single autotransplantation in newly diagnosed multiple myeloma : an analysis of phase 3 EMN02/HO95 study. Blood 2017 ; 130(Suppl 1) : 401.
- Moreau P, et al : VTD is superior to VCD prior to intensive therapy in multiple myeloma : results of the prospective IFM2013-04 trial. Blood 2016 ; 127(21) : 2569-2574.
- McCarthy PL, et al : Lenalidomide Maintenance After Autologous Stem-Cell Transplantation in Newly Diagnosmed Multiple Myeloma : A Meta-Analysis. J Clin Oncol 2017 ; 35 : 3279-3289.
- Sonneveld P, et al : Induction du bortézomib et traitement d’entretien chez les patients atteints de myélome multiple nouvellement diagnostiqué : résultats de l’essai randomisé de phase III HOVON-65/GMMG-HD4. J Clin Oncol 2012 ; 30 : 2946-2955.
- Facon T, et al : Analyse finale des résultats de survie dans l’essai de phase 3 FIRST de traitement de première ligne du myélome multiple. Blood 2018 ; 131(3) : 301-310.
- Larocca A, et al : Impact du traitement d’induction à base de bortézomib ou de lénalidomide sur les patients à haut risque cytogénétiquement éligibles à la transplantation et atteints de myélome multiple nouvellement diagnostiqué, inscrits aux essais Gimema-MM-03-05 et EMN01. Blood 2017 ; 130(Suppl 1) : 744.
InFo ONKOLOGIE & HÉMATOLOGIE 2018 ; 6(6) : 18-20