La dyspnée est un symptôme fréquent avec un large diagnostic différentiel. Les examens complémentaires doivent être planifiés en fonction de l’anamnèse et de la clinique. La connaissance du mécanisme exact est la base d’un traitement adéquat.
La dyspnée est un symptôme très fréquent dans la pratique clinique quotidienne, avec un large éventail de diagnostics différentiels. Le présent article a pour but de présenter les principes généraux de l’évaluation de la dyspnée dans le cadre ambulatoire. En raison de sa taille limitée, nous devons renoncer à une discussion détaillée de certains tableaux cliniques. L’évaluation de la dyspnée aiguë aux urgences n’est pas non plus abordée.
Causes de la dyspnée
La dyspnée est la sensation d’une respiration difficile/inconfortable. Les mécanismes exacts qui transmettent cette sensation ne sont toujours pas connus dans tous leurs détails. Il est toutefois important de réaliser que la dyspnée est subjective et que les limitations et pathologies qui lui sont associées peuvent être très différentes. Le tableau 1 présente quelques causes courantes de dyspnée. La question clé lors de l’évaluation est toujours “cœur ou poumons ? Les modalités diagnostiques de base sont discutées ci-dessous, et les modèles typiques sont résumés dans le tableau 1.
Anamnèse
Une anamnèse minutieuse est la condition sine qua non pour sélectionner et hiérarchiser ensuite les examens instrumentaux. Il faut toutefois préciser que l’anamnèse et l’examen clinique ne sont généralement pas suffisants pour établir un diagnostic différencié permettant de déterminer le traitement. L’anamnèse doit d’une part identifier les facteurs prédisposant à certaines pathologies potentiellement associées à la dyspnée (par ex. alcool : cardiomyopathie ; nicotine : maladie coronarienne, BPCO ; agriculture : poumon de fermier ; traitement par anthracycline : cardiomyopathie ; tuberculose : Pneumopathie, mais aussi constriction péricardique, etc.) ou détecter la présence d’une maladie auparavant asymptomatique ou symptomatique sous une autre forme (p. ex. maladie coronarienne, épisodes antérieurs de fibrillation auriculaire, BPCO connue mais jusqu’ici bien contrôlée, etc. D’autre part, il faut mettre en évidence les aspects caractéristiques de la symptomatologie (durée d’existence, au repos/à l’effort, à quel effort, symptômes/circonstances associés, déclencheurs, influence favorable, etc. La dyspnée à l’effort et l’intolérance à l’effort sont les principaux symptômes d’une dyspnée d’origine cardiaque (insuffisance cardiaque au sens large), mais ils ne sont pas spécifiques. Une dyspnée d’origine pulmonaire (par exemple dans le cadre d’une pneumopathie interstitielle ou même d’une maladie pulmonaire obstructive) ou une anémie sévère peuvent se présenter de manière très similaire. Des épisodes antérieurs d’insuffisance cardiaque et une dyspnée paroxystique nocturne rendent l’insuffisance cardiaque relativement probable. Les œdèmes, en revanche, ne sont pas spécifiques et peuvent être l’expression d’une insuffisance cardiaque, mais aussi d’une insuffisance veineuse chronique ou la conséquence d’un traitement médicamenteux (par ex. amlodipine). Les expectorations, la respiration sifflante et la cyanose et/ou l’utilisation des muscles respiratoires auxiliaires observées par les proches sont plutôt en faveur d’une maladie pulmonaire. Des symptômes supplémentaires remarquables (diarrhée, perte de poids, transpiration, selles noires, sang dans les selles, etc.) doivent faire penser à des causes plus rares de dyspnée (par ex. hyperthyroïdie, anémie). Une dyspnée épisodique, surtout au repos, associée à une bonne résistance à l’effort, est suspecte de trouble anxieux/hyperventilation. Il est toutefois dangereux de tirer des conclusions hâtives sans une anamnèse élargie et certains examens instrumentaux, car il n’est pas rare, par exemple, que les tachycardies supraventriculaires paroxystiques se présentent sous la forme d’une dyspnée et d’un malaise (avec ou sans palpitations) au repos.
Examen clinique
L’examen clinique peut donner des indices, mais il peut aussi rester infructueux, ce qui n’exclut pas une cause somatique pertinente de la dyspnée. Un troisième souffle cardiaque (expression d’une augmentation de la pression diastolique terminale du ventricule gauche) et des veines du cou congestionnées (augmentation de la pression auriculaire droite) ont une spécificité relativement élevée pour l’insuffisance cardiaque, mais sont souvent absents ou ne peuvent pas être identifiés. L’œdème seul est un résultat très peu spécifique et doit être évalué en même temps que les veines du cou. Dans le cadre d’un traitement ambulatoire, les patients présentent rarement une décompensation évidente et les résultats cliniques sont souvent discrets. L’auscultation du cœur et des poumons peut donner des indications sur un vitis valvulaire et diverses pathologies pulmonaires (tableau 1). Une arythmie absolue indique généralement une fibrillation auriculaire, qui est généralement l’expression d’une cardiopathie sous-jacente et ne survient pas de manière isolée. Une mesure des paramètres vitaux (pression artérielle bilatérale, fréquence cardiaque, saturation en oxygène) fait toujours partie du bilan. La tachypnée, la tachycardie, la cyanose, la réduction de la saturation en oxygène (attention aux erreurs de mesure du vernis à ongles) sont toujours des signes d’un problème pulmonaire ou cardiaque important et doivent être examinés rapidement. Une hypertension artérielle n’explique pas à elle seule une dyspnée, mais peut orienter les investigations ultérieures (ECG, échocardiographie).
ECG
Un ECG doit être réalisé chez tout patient pour lequel un problème cardiaque est envisagé. Un ECG parfaitement normal rend une insuffisance cardiaque relativement improbable, mais ne l’exclut pas définitivement. Un ECG pathologique (pointes Q, troubles de la repolarisation, bloc de branche gauche, signes d’hypertrophie, fibrillation auriculaire) chez un patient symptomatique suggère une cause cardiaque et doit être clarifié par échocardiographie. Les patients atteints de maladies pulmonaires avancées et/ou d’hypertension pulmonaire ont souvent aussi un ECG pathologique en raison de la charge cardiaque droite. Chez les jeunes patients, il faut être conscient des variations de la norme dans ce groupe d’âge (par exemple, augmentation du nombre de ST dans les dérivations de la paroi thoracique chez les hommes <40 ans).
Radiographie du thorax
Une radiographie thoracique debout en deux plans fait également partie du bilan de tout patient souffrant de dyspnée. Des signes d’hypertension veineuse pulmonaire et/ou une cardiomégalie étayent fortement le diagnostic d’insuffisance cardiaque. L’absence de cardiomégalie réduit la probabilité d’insuffisance cardiaque à environ un tiers, mais ne l’exclut pas. La radiographie du thorax peut donner des indications sur l’étiologie de l’insuffisance cardiaque (calcifications de la valve aortique ou du péricarde). En cas de maladie pulmonaire avancée, la radiographie du thorax est toujours anormale et sera souvent complétée par un scanner. Un épanchement pleural peut être facilement visualisé et la radiographie donnera souvent, mais pas toujours, des indications sur l’étiologie (insuffisance cardiaque, maladie tumorale).
Examens de laboratoire
Un ensemble de tests de laboratoire standard doit être prélevé chez tous les patients présentant une dyspnée inexpliquée. Des valeurs normales d’hémoglobine, de créatinine et d’hormone thyréostimulante (TSH) permettent d’exclure d’importants diagnostics différentiels. En outre, la connaissance des électrolytes, de la fonction rénale et hépatique ainsi que de la coagulation sanguine/du nombre de plaquettes est une condition préalable à l’établissement de différentes mesures médicamenteuses et à la réalisation de diagnostics invasifs.
La mesure du “B-type natriuretic peptide” (BNP) ou du N-terminal-proBNP (NT-proBNP) est bien établie dans l’évaluation de la dyspnée aiguë aux urgences. Il existe moins de données pour les patients ambulatoires moins symptomatiques, mais la mesure est également recommandée par analogie. La grande force des peptides natriurétiques est d’exclure une insuffisance cardiaque à des valeurs très basses (BNP <35 ng/l, NT-proBNP <125 ng/l ; il faut noter que les valeurs limites sont plus basses que les cut-offs pour la dyspnée aiguë aux urgences) (Fig. 1) [1]. Si le BNP ou le NT-proBNP sont nettement élevés (BNP >300 ng/l, NT-proBNP >1000 ng/l), une forme d’insuffisance cardiaque est très probable. Néanmoins, il est alors impératif de réaliser une échocardiographie afin d’appréhender le mécanisme de l’insuffisance cardiaque, car cela est déterminant pour la prise en charge. Il convient de noter que le BNP est un marqueur semi-quantitatif non spécifique du “stress cardiaque” et que le BNP peut également être élevé, par exemple, en cas de maladie pulmonaire avec stress cardiaque droit et hypertension pulmonaire. De plus, plusieurs facteurs non cardiaques influencent le BNP circulant, dont la connaissance est importante pour l’interprétation (tableau 2).
Fonction pulmonaire et analyse des gaz du sang
Une spirométrie peut être effectuée dans de nombreux cabinets de soins primaires. Il s’agit de mesurer ce que l’on appelle les volumes pulmonaires dynamiques, principalement la capacité pulmonaire à la première seconde (VEMS) et la capacité vitale forcée (CVF). Le quotient du VEMS et de la CVF, appelé ratio VEMS/CVF, est également d’une importance capitale. Ce dernier doit généralement être supérieur à 70%. Des valeurs plus basses signifient, en cas de baisse simultanée du VEMS en dessous de 80% de la norme, la preuve d’une obstruction bronchique. Un trouble ventilatoire restrictif peut être suspecté, mais pas diagnostiqué avec certitude, sur la base d’une CVF limitée. Pour poser un diagnostic définitif de restriction, il est nécessaire de mesurer la capacité pulmonaire totale (CPT), qui peut être déterminée par une body-pléthysmographie. Outre les maladies du squelette pulmonaire, les pneumopathies interstitielles, un épanchement pleural volumineux peut également se traduire par un trouble de la ventilation restrictive. Une autre modalité consiste à vérifier les échanges gazeux en mesurant la capacité de diffusion du CO. Une faible capacité de diffusion du CO, associée à une spirométrie et une pléthysmographie corporelles normales, est typiquement observée chez les patients souffrant d’hypertension artérielle pulmonaire. L’analyse des gaz du sang artériel indique la gravité d’un trouble de la ventilation et/ou de la diffusion chez les patients atteints d’une maladie pulmonaire et peut, dans les cas peu clairs, fournir des indications sur une hyperventilation chronique.
Ces examens permettent de tirer des conclusions fondamentales sur la pathologie sous-jacente de la dyspnée. En combinaison avec le diagnostic de performance (spiroergométrie), l’imagerie ciblée (principalement la tomodensitométrie) ou, le cas échéant, des méthodes de diagnostic invasives (bronchoscopie), le diagnostic peut ainsi être posé. Cependant, des anomalies de la fonction pulmonaire peuvent également être observées chez les patients souffrant de dyspnée d’origine cardiaque. Les patients souffrant d’insuffisance cardiaque présentent souvent une obstruction de la fonction pulmonaire en raison d’un œdème interstitiel. En revanche, chez les patients présentant un épanchement pleural, on peut s’attendre à des capacités vitales et de première seconde réduites.
Échocardiographie
L’échocardiographie est l’examen clé pour les patients présentant une dyspnée et une possible maladie cardiaque. Selon les recommandations actuelles, une échocardiographie doit être réalisée lorsque l’anamnèse, l’examen clinique ou l’ECG révèlent des indices d’une possible insuffisance cardiaque (au moins légèrement anormaux/suggestifs ; fig. 1). Selon les directives actuelles, il est possible de renoncer à une échocardiographie si le BNP<35 ng/l ou le NT-proBNP <125 ng/l. Comme expliqué précédemment, le rôle du BNP/NT-proBNP est moins bien établi pour le cadre ambulatoire que pour la dyspnée aiguë aux urgences et, en conséquence, une échocardiographie peut également être réalisée directement. Il est important de réaliser que le diagnostic d’insuffisance cardiaque ne peut pas être posé de manière purement clinique. Selon la définition actuelle, la preuve par l’appareil d’un dysfonctionnement cardiaque est déterminante [1]. La dyspnée en cas d’insuffisance cardiaque résulte probablement d’une augmentation de la pression de l’oreillette gauche avec une augmentation de la “pression de l’arc artériel pulmonaire” (PAWP) et de l’œdème interstitiel. La figure 2 montre schématiquement que des perturbations/”obstacles” à différents niveaux de la circulation peuvent entraîner une augmentation de la pression auriculaire gauche/PAWP. Dans le cas d’un volvulus valvulaire sévère et/ou d’une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) sévèrement diminuée ou d’un tableau classique d’hypertension pulmonaire, le mécanisme de la dyspnée ou le diagnostic d’insuffisance cardiaque est relativement évident. Il reste très difficile de diagnostiquer une insuffisance cardiaque avec FEVG préservée, car dans cette constellation, il faut prouver que la pression auriculaire gauche est élevée au repos et/ou à l’effort malgré une FEVG normale, ce qui explique les symptômes [2]. L’échocardiographie ouvre la voie aux examens complémentaires (angiographie coronarienne, cathétérisme cardiaque droit, IRM cardiaque) et à la mise en place du traitement.
Spiroergométrie
Les études de la fonction cardiaque et pulmonaire au repos discutées ci-dessus ne permettent pas toujours de tirer une conclusion claire quant au mécanisme de la dyspnée à l’effort. Souvent, des résultats anormaux sont obtenus (par ex. fonction diastolique du VG, VEMS modérément limité), dont la signification fonctionnelle n’est pas claire, et/ou plusieurs pathologies sont présentes et le problème principal n’est pas clair. Dans cette situation, la spiroergométrie est un examen très utile. Outre les aspects de l'”ergométrie normale” (ischémie, compétence chronotrope, comportement de la pression artérielle), la spiroergométrie peut, en gros, différencier une limitation ventilatoire/d’échange gazeux (maladies pulmonaires) d’une limitation cardiocirculatoire (maladies cardiaques, mais aussi manque d’entraînement) (représentée schématiquement dans la figure 3) et ainsi mettre en évidence le mécanisme pertinent pour la limitation de la performance.
Pour une discussion plus détaillée, nous vous renvoyons à un autre article [3]. Le principe de l’examen doit cependant être brièvement rappelé, car il est utile pour les considérations physiopathologiques : pendant une ergométrie, l’absorption d’oxygène (“oxygen uptake”, VO2) est mesurée en continu, parallèlement à la ventilation, à laproduction de CO2, à la fréquence cardiaque et à la fréquence respiratoire. La capacité de performance, exprimée en VO2 maximale (“peak VO2“), est intéressante car, en cas de valeur réduite, il est possible de documenter, avec un effort adéquat, qu’il existe effectivement une restriction de performance objectivable. “Peak VO2” est le produit du débit cardiaque et de la différence de teneur en oxygène entre le sang artériel et le sang veineux, c’est-à-dire la quantité d’oxygène qui peut être extraite du sang par la “périphérie” (muscles, organes). Comme le montre la figure 3, le transport et l’utilisation de l’oxygène peuvent être entravés à différents niveaux. Un épuisement de la réserve respiratoire estimée sur la base du VEMS est un signe de limitation ventilatoire, une désaturation est un signe de perturbation des échanges gazeux, une pulsation d’oxygène basse (“peak VO2” divisé par la fréquence cardiaque maximale) est un signe de faible volume de battements (donc de dysfonctionnement cardiaque) et/ou de difficulté d’absorption de l’O2 par les muscles (généralement par manque d’entraînement).
Messages Take-Home
- La dyspnée est un symptôme fréquent avec un large diagnostic différentiel.
- Une anamnèse et un examen clinique minutieux constituent la base de la sélection et de la hiérarchisation des autres examens instrumentaux.
- L’ECG, la radiographie du thorax, la spirométrie et les examens de laboratoire ouvrent la voie à des examens plus approfondis (échocardiographie, pléthysmographie corporelle, tomodensitométrie, etc.)
- Le diagnostic purement clinique d’une insuffisance cardiaque ou d’une pneumopathie n’est pas correct. La connaissance du mécanisme exact est la base d’un traitement adéquat.
Littérature :
- Ponikowski P, et al. : 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure : The Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC). Développé avec la contribution spéciale de l’Association pour l’insuffisance cardiaque (HFA) de l’ESC. Eur Heart J 2016 ; 37(27) : 2129-2200.
- Maeder MT, et al : Insuffisance cardiaque avec fonction de pompe ventriculaire gauche préservée (HFpEF) – Mise à jour diagnostique et thérapeutique. Info@cœur+vaisseaux 2017 ; 7(4) : 4-7.
- Maeder MT : Place de la spiroergométrie dans le diagnostic de la dyspnée d’effort. Therapeutische Umschau 2009 ; 66(9) : 665-669.
CARDIOVASC 2017 ; 16(4) : 13-20