Les démangeaisons sont le symptôme de l’organe cutané dont on se plaint le plus souvent et sont souvent ressenties pire que la douleur. Il n’est pas rare que les lésions cutanées particulièrement eczémateuses soient en outre grattées jusqu’au sang. En cas de prurit généralisé, en l’absence de lésions inflammatoires primaires de la peau ou de dermatose inflammatoire, il faut penser à des maladies internes ou à des tumeurs malignes comme cause. Lors de l’ISA à Munich, des mises à jour ont été faites sur le prurit chronique, la dermatite atopique et l’eczéma chronique des mains.
Le prurit est une perception sensorielle désagréable à laquelle on répond en se grattant [1, 2]. Souvent si abondantes que les démangeaisons aiguës et chroniques deviennent le principal sujet de préoccupation des pédiatres et des dermatologues. Le prurit peut par exemple être le symptôme le plus important et le plus gênant chez les personnes atopiques, les traces de grattage dominant le tableau, comme l’a expliqué le professeur Thomas Luger de Münster à l’ISA.
Prurit chronique
Le prurit généralisé ou localisé qui persiste plus de six semaines est défini comme un prurit chronique et peut avoir des causes dermatologiques, internes, neurologiques et psychiatriques. Les dermatoses qui provoquent de fortes démangeaisons sont par exemple l’urticaire, la scabiose, la dermatite atopique et le psoriasis. Elles représentent environ 57% des causes de démangeaisons chroniques, comme l’a expliqué le Dr. med. Stephan Braun de Düsseldorf. Cependant, le prurit chronique peut également être un symptôme d’une maladie systémique interne sous-jacente. Le prurit chronique touche le plus souvent les patients atteints de maladies hépatiques cholestatiques, d’insuffisance rénale chronique et de maladies hémato-oncologiques. Dans 8% des cas, une cause précise ne peut pas être clairement identifiée.
En raison de la diversité des causes pouvant entraîner un prurit chronique, il s’est avéré utile d’établir des diagnostics de travail pour planifier les diagnostics nécessaires. Les directives de l’European Dermatological Forum (EDF) et de l’European Academy of Dermatology and Venereology (EADV) proposent une classification en trois diagnostics de travail :
- Prurit sur une peau enflammée
- prurit avec lésions de grattage secondaires et
- Prurit sans lésions cutanées inflammatoires [1].
Si des lésions inflammatoires primaires de la peau sont présentes, une dermatose inflammatoire sous-jacente est probable. S’il n’y a que du prurit sans lésions inflammatoires de la peau, le diagnostic doit s’orienter vers des causes systémiques. Des listes de causes systémiques possibles et des propositions de diagnostic sont disponibles dans les lignes directrices européennes et allemandes sur le prurit chronique [1, 2].
Lésions de grattage secondaires
Les patients présentant des lésions de grattage secondaires constituent un défi. Les lésions de grattage chroniques résultent d’une manipulation intensive de la peau du patient désespéré et sont difficiles à distinguer des dermatoses inflammatoires classiques, en particulier pour les non-dermatologues. Ce que l’on appelle le “signe du papillon” peut aider à identifier les patients présentant des lésions de grattage secondaires qui n’ont pas de maladie inflammatoire de la peau au départ. On entend par là l’éviction des lésions cutanées inflammatoires dans une zone du dos du patient qu’il ne peut pas atteindre avec ses doigts qui se grattent [2]. Dans la partie thérapeutique des Guidelines [1, 2], à laquelle l’expert a ensuite fait référence, on trouve, outre les mesures thérapeutiques générales (éviter les facteurs déclencheurs, regraisser intensivement la peau pour stabiliser la barrière cutanée, mesures anti-inflammatoires et antiseptiques en cas de lésions cutanées inflammatoires/surinfectées), de nombreux tableaux présentant d’autres options thérapeutiques en cas de prurit chronique d’origines diverses. Il s’agit notamment de méthodes éprouvées comme la luminothérapie, la capsaïcine et l’administration d’immunosuppresseurs comme la ciclosporine, comme l’a expliqué le Dr Braun. Cependant, ces dernières années, les progrès de la recherche sur le prurit ont permis d’identifier de nouveaux médicaments antiprurigineux [3]. Par exemple, dans une série de cas, l’aprépitat, un antagoniste des récepteurs de la neurokinine1, a montré un effet antiprurigineux significatif et rapide chez des patients souffrant de prurit chronique réfractaire [4].
Les anticorps anti-interleukine 31, les antagonistes de l’histamine R4 et les inhibiteurs des récepteurs de l’autotaxine et des lysophospholipides constituent d’autres options thérapeutiques possibles pour l’avenir, sur lesquelles le Dr Braun a conclu son exposé.
Dermatite atopique
Les caractéristiques de la dermatite atopique (DA) comprennent la chronicité, l’eczéma et le prurit. 84% des patients atteints de dermatite atopique ont des troubles du sommeil, l’intensité moyenne du prurit sur l’échelle visuelle analogique (EVA) est de 8 à 9, avec des pics la nuit et le matin. Si un enfant souffre d’une MA, c’est la qualité de vie de toute la famille qui en pâtit. Le professeur Thomas Luger, de Münster, a apporté de nouvelles connaissances sur la prévalence et la pathogenèse de la MA lors de l’ISA. Il a ainsi indiqué que la prévalence avait augmenté au cours des 30 dernières années, atteignant jusqu’à 25% chez les enfants et 3% chez les adultes, ce qui correspond à un doublement. Dans environ 20% des cas pédiatriques, il s’agit en outre d’évolutions graves. Les principaux critères de diagnostic sont le prurit, l’eczéma chronique récurrent, la morphologie et la distribution typiques des lésions cutanées et les antécédents familiaux. La liste des critères secondaires est longue.
Le professeur Luger a expliqué que la répartition et les caractéristiques des lésions par groupe d’âge étaient utiles pour établir le diagnostic. Chez les enfants de moins de deux ans, on observe des papules érythémateuses et des vésicules sur le front, le scalp, les avant-bras ; à partir d’env. Chez les adultes, les papules et les plaques érythémateuses sèches et squameuses prédominent généralement en quelques endroits de la tête, dans le pli du coude et/ou le creux du genou, sur la paume des mains avec un prurit intense. De nombreuses formes particulières de DA sont connues, elles apparaissent sur des sites typiques (scalp, paupière, mamelon, vulve, etc.) ou avec des caractéristiques particulières (par ex. type nummulaire, type prurigo).
La recherche sur la pathogenèse de la MA a permis d’identifier des facteurs génétiques (protéases, filaggrine) et de mettre en évidence l’importance du microbiome (chaque personne héberge jusqu’à deux kilos de microbes !). “Les facteurs endogènes centraux semblent être l’effondrement de la barrière cutanée et un changement dans la colonisation de la peau dans la DA”, a expliqué le professeur Luger. Des anomalies génétiques affectant la barrière cutanée et certaines modifications du microbiome ont déjà été associées à des sous-types de la DA [5, 6].
Comme le prurit prononcé est l’un des symptômes caractéristiques de la MA et qu’il réagit mal aux antihistaminiques, l’étude des interactions neuro-immunes promet de nouvelles approches thérapeutiques instructives. Luger a souligné qu’il était particulièrement important de ne pas laisser le cercle vicieux s’enclencher à nouveau, une fois qu’il a été rompu, grâce à un traitement proactif. Les inhibiteurs de calcineurine topiques deux fois par semaine sont un remède efficace dans ce cas. Dans les cas graves, l’utilisation de la ciclosporine A est également une option. Les guidelines d’EDF le prévoient déjà [7].
Eczéma chronique des mains
L’eczéma chronique des mains (CHE) est une affection cutanée chronique et frustrante des mains qui se manifeste sur plusieurs mois et qui s’accompagne de rougeurs, de desquamation, d’épaississement de la peau, de vésicules, d’œdème, de démangeaisons et de douleurs. Le sexe féminin, le travail avec des liquides, les allergies de contact et la MA sont des facteurs de risque importants.
Le CHE est un problème très répandu, le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous dans la consultation spécialisée du Dr Sonja Molin au LMU à Munich est de huit semaines. La prévalence à un an est élevée (10%). Environ 7% des personnes touchées développent des formes graves et chroniques qui peuvent avoir des conséquences importantes. Dans une enquête récente, 66,2% de la population normale ont déclaré préférer ne pas prendre la main d’une personne malade, 45% se sentant repoussés [8]. Mais la charge de la maladie n’est pas supportée uniquement par les patients, l’absentéisme touche également les collègues. Le CHE peut nécessiter un changement de profession. Les calculs de coûts montrent que les cas graves nécessitant une hospitalisation peuvent coûter jusqu’à 8400 euros par an en frais médicaux [9].
Avec l’alitrétinoïne (Toctino®), on dispose depuis quelques années d’un agoniste des récepteurs de la vitamine A à action anti-inflammatoire et immunomodulatrice pour le CHE sévère, qui peut donner des résultats étonnants en cas d’eczéma chronique sévère des mains. Trois approches d’action sont postulées : La production de chimiokines, l’activation des leucocytes et la présentation des allergènes diminuent de manière mesurable [10]. Le Dr Molin a recommandé de prendre le médicament (attention à la contraception chez les femmes !) de préférence avec le repas du soir, car les patients ne se rendront pas compte de l’effet secondaire le plus fréquent, à savoir les maux de tête initiaux. En fonction de la tolérance, une réduction de la dose peut parfois soulager d’autres effets secondaires. En cas d’absence de réponse à l’alitrétinoïne, il vaut également la peine de remettre en question le diagnostic dans un premier temps.
Source : 3e Munich International Summer Academy of Practical Dermatology (ISA), 21-26 juillet 2013.
Littérature :
- Weisshaar E, et al : Guide européen sur le prurit chronique. Acta Derm Venereol 2012 ; 92(5) : 563-581 à l’adresse www.euroderm.org.
- Ligne directrice de la Société allemande de dermatologie “Prurit chronique” à l’adresse www.awmf.org.
- Yosipovitch G, Bernhard JD : Pratique clinique. Prurit chronique. N Engl J Med 2013 ; 368(17) : 1625-1634.
- Ständer S : Targeting the neurokinin receptor 1 with aprepitant : a novel antipruritic strategy. PLoS One 2010 ; 5(6) : e10968.
- Cork MJ : Dysfonctionnement de la barrière épidermique dans la dermatite atopique. J Invest Dermatol 2009 ; 129(8) : 1892-1908.
- Kong HH, et al : Changements temporels dans le microbiome cutané associés aux flambées de la maladie et au traitement chez les enfants atteints de dermatite atopique. Genome Res 2012 ; 22(5) : 850-859.
- Ring J, et al. : Guidelines of AD 1+2. J Eur Acad Dermatol Venereol 2012 ; 26(9) : 1176-1193.
- Letulé V, et al : 2013 submitted
- Diepgen TL, et al. : Cost-of-illness Analysis of Patients with Chronic Hand Eczema in Routine Care in Germany : Focus on the Impact of Occupational Disease. Acta Derm Venereol 2013 Mar 25.
- Homey B : Toctino (alitrétinoïne)- explication de l’effet anti-inflammatoire. JEADV 2010 ; 24 : 1-20.