Les évidences épidémiologiques de cohortes basées sur plusieurs milliers d’individus ont démontré l’importance de l’hypertension artérielle dans la genèse et la progression des maladies cardiovasculaires. Plus récemment, l’importance du traitement de l’hypertension artérielle chez les patients atteints de cardiopathie ischémique a été attestée. Parallèlement, les recommandations des sociétés savantes cardiovasculaires internationales évoluent.
L’hypertension artérielle est considérée comme un des facteurs de risque cardiovasculaire majeurs traitables. Une tension artérielle non contrôlée est associée à une augmentation d’événements cardiovasculaires comme les syndromes coronariens aigus, l’insuffisance cardiaque, les accidents vasculaires cérébraux et au développement précoce de pathologies artérielles centrales (perte d’élasticité, anévrysme et dissection aortique) ou périphériques (anévrysme, tortuosité, obstruction). A ce titre, l’hypertension artérielle est responsable de 18% du risque attribuable populationnel d’un premier infarctus du myocarde [1] et est retrouvée chez 47–57% des patients souffrant d’une maladie coronarienne [2,3]. Le développement d’une maladie coronarienne est l’atteinte vasculaire la plus précoce chez l’homme hypertendu. Au contraire, chez la femme hypertendue, c’est l’accident vasculaire cérébral qui est souvent la première manifestation d’évènement cardio-vasculaire.
Le Seventh Report of the Joint National Committee on Prevention, Detection, Evaluation, and Treatment of High Blood Pressure (JNC 7) définit l’hypertension artérielle est une TAS >140 mmHg et/ou une TAD >90 mmHg ou l’utilisation d’un traitement antihypertenseur [4]. Cette définition est partagée par les sociétés européenne et suisse [5]. La méthode classique pour poser le diagnostic de l’hypertension artérielle reste la mesure au cabinet avec un tensiomètre selon les règles de l’art. Toutefois, il est de plus en plus recommandé de poser le diagnostic par des mesures effectuées en dehors du cabinet, préférentiellement par une mesure ambulatoire sur 24 heures, éventuellement par des auto-mesures. Ceci même en l’absence de suspicion d’effet «blouse blanche» ou de variations importantes des valeurs tensionnelles.
Physiopathologie
Les mécanismes physiopathologiques qui contribuent au développement d’une maladie coronarienne chez les patients hypertendus sont multiples mais affectent en premier lieu, le système nerveux sympathique-monoxyde d’azote (NO) et le système rénine-angiotensine-aldostérone avec une augmentation de leurs activités. Au niveau artériel, la dysfonction endothéliale est classique et est caractérisée par un déséquilibre entre les facteurs vasodilatateurs (NO, Prostaglandine E) et vasoconstricteurs [6]. Ce déséquilibre, associé aux contraintes de cisaillement exercées sur la paroi des artères coronaires («shear stress»), induit un état inflammatoire chronique avec expression de facteurs de croissance et de cytokines participant au développement et à l’instabilité des plaques d’athérosclérose. Un bon exemple de l’effet délétère d’un pic hypertensif sur l’instabilité de plaque est illustré par la vignette clinique #1. De plus, l’angiotensine II (en plus de son effet vasoconstricteur important) et l’aldostérone ont des effets vasotoxiques directs sur les artères coronaires et participent au remodelage de la musculature lisse vasculaire coronaire. Au niveau cardiaque, la suractivité sympathique engendre un cercle vicieux engendrant notamment une tachycardie et une stimulation du système rénine-angiotensine-aldostérone ainsi qu’une demande accrue en oxygène du myocarde. Tout comme au niveau vasculaire, l’angiotensine II et l’aldostérone ont des effets toxiques sur les cellules myocardiques.
Ces mécanismes liés directement à l’hypertension interagissent avec des facteurs innés, ou acquis comme la résistance à l’insuline, le diabète ou l’hypercholestérolémie.
Traitement – quand et comment?
L’objectif du traitement de l’hypertension est de diminuer les événements cardiovasculaires et les lésions des organes cibles. Les valeurs cut-off pour débuter un traitement chez les patients coronariens et les cibles tensionnelles à atteindre ont constamment évolué ces dernières années. Les recommandations actuelles conjointes de l’European Society of Cardiology (ESC) et de l’European Society of Hypertension (ESH) sont résumées par le tableau 1.
Un traitement anti-hypertenseur médicamenteux doit être initié dès ≥140/90 mmHg chez tous les patients ayant une maladie cardiovasculaire ou à haut risque d’en développer une (insuffisance rénale chronique, diabète). Chez ces malades les mesures d’hygiène de vie seules ne suffisent pas et l’introduction précoce (immédiate) d’un traitement médicamenteux est recommandée.
Quelle cible?
Historiquement, l’approche était de baisser au maximum la tension artérielle selon l’adage «the lower, the better» afin de diminuer l’atteinte des organes cibles (vaisseaux, cœur, reins, yeux). D’un point de vue physiopathologique, une tension artérielle systolique basse diminue les contraintes de cisaillements artériels, la post-charge cardiaque et la demande en oxygène du myocarde. La baisse de la pression artérielle diastolique est également bénéfique mais jusqu’à un certain point seulement, particulièrement chez les patients coronariens avec éventuelles sténoses. Il faut se rappeler que la perfusion des coronaires se fait pendant la diastole et que la pression de perfusion coronarienne est dépendante de la pression diastolique aortique moyenne et de la pression ventriculaire gauche en fin de diastole. De plus, l’autorégulation coronarienne est perturbée chez le patient hypertendu; elle l’est encore plus chez le patient hypertendu et coronarien. Dès lors, la tension artérielle diastolique ne doit pas chuter en dessous d’une certaine limite afin de ne pas compromettre la perfusion coronarienne.
Ces considérations physiopathologiques sont reflétées par la courbe en J des études de cohortes comme FRAMINGHAM ou INVEST (International Verapamil-Trandolapril Study) [7], ou la méta-analyse de Boutitie et collègues [8] (fig. 1). Ces études montrent qu’en dessous de environ 75–80 mmHg de pression diastolique, le risque d’événement ischémique cardiaque augmente, particulièrement chez les coronariens non- ou incomplètement revascularisés.
Deux études se sont intéressées à déterminer la cible tensionnelle idéale chez les patients à haut risque cardiovasculaire (diabétiques ± coronariens connus). L’étude ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes) [9] a randomisé 4733 patients hypertendus et diabétiques en deux groupes: un groupe intensif ayant pour cible tensionnelle systolique <120 mmHg et un groupe avec cible classique (<140 mmHg). Le critère de jugement primaire était composé des infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux et les décès d’origine cardiovasculaire. Après un suivi de 4,7 ans, le groupe traité de manière intensive (moyenne 119 mmHg) n’était pas mieux protégé contre les évènements cardiovasculaires que le groupe traité de manière classique (moyenne 134 mmHg). A noter que des effets secondaires du traitement anti-hypertenseur étaient significativement plus élevés dans le groupe avec les cibles tensionelles plus basses. Une analyse secondaire d’INVEST sur les patients diabétiques ayant une maladie coronarienne connue a également montré l’absence d’effet protecteur sur la survenue d’évènements cardiovasculaires entre une cible thérapeutique <130 mmHg et <140 mmHg.
Ces deux études ont mis en question les cibles tensionnelles de <130/80 mmHg des recommandations européennes de 2007 et ont été adaptées. Le consensus actuel est de viser une tension artérielle cible de <140/90 mmHg chez les patients ayant une maladie coronarienne établie [5,10]. Une cible de <135–130 mmHg est à envisager si elle est atteinte facilement, sans effets secondaires et sans baisse concomitante trop importante de la pression diastolique (éviter une diastolique de <65–70 mmHg).
Prise en charge initiale
La prise en charge de l’hypertension artérielle chez les patients coronariens consiste en une stratégie globale prenant en compte l’ensemble des risques cardiovasculaires, les habitudes de vie et les co-morbidités. Le traitement agressif des facteurs de risque classiques, à savoir la dyslipidémie, le tabagisme et le diabète est indispensable afin de diminuer le risque d’évènements cardiovasculaires. Les mesures hygiéno-diététiques plus spécifiques au traitement de l’hypertension sont également une priorité: limitation des apports sodés, encouragement aux activités physiques régulières et limitation de la consommation d’alcool. Comme une stimulation sympathique élevée est rencontrée en cas d’apnées du sommeil, une anamnèse dirigée (ronflements/apnées nocturnes, fatigue diurne, échelle de somnolence d’Epworth) est nécessaire chez chaque patient. Un exemple de l’effet de l’apnée obstructive du sommeil non-appareillée sur la progression de la maladie coronarienne est illustré par la vignette clinique #2. Pour ce qui est du traitement médicamenteux, le choix initial dépendra des symptômes (angor), de la fonction cardiaque résiduelle, respectivement de la présence d’une insuffisance cardiaque et d’éventuels troubles du rythme. En l’absence d’angor/ischémie résiduelle et si la fonction cardiaque est normale, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou les antagonistes du récepteur à l’angiotensine II représentent le premier choix. Dans le cas où il persiste des symptômes angineux ou une ischémie résiduelle, un β-bloqueur (ou un anticalcique) est généralement indiqué. En cas d’infarctus du myocarde, une association d’un β-bloqueur et d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (ou antagoniste du récepteur à l’angiotensine II) est à préférer. En présence de signes d’insuffisance cardiaque, une association d’un β-bloqueur, d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (ou antagoniste du récepteur à l’angiotensine II) et d’un diurétique sera considérée, éventuellement en association avec un antagoniste de l’aldostérone si la fonction systolique du ventricule gauche est <35%. Le tableau 2 résume ces recommandations.
Hypertension artérielle réfractaire
10–30% des patients traités n’atteignent pas la cible thérapeutique [11,12]. Les raisons les plus fréquentes sont des excès alimentaires (sel, alcool) et une inadéquation médicamenteuse (mauvaise compliance, traitement antihypertenseur inadéquat et/ou insuffisant, interactions médicamenteuses). Plus, rarement, une stimulation sympathique centrale liée à de l’ischémie myocardique ou un syndrome d’apnées du sommeil est en cause. Dans de rares cas, une cause d’hypertension artérielle secondaire (rénovasculaire, rénale parenchymateuse, endocrinienne) est trouvée. Dès lors, une anamnèse approfondie et des examens complémentaires appropriés sont nécessaires. Une fois les causes secondaires exclues ou traitées, on arrive, en général (mais parfois avec beaucoup de patience), à atteindre les valeurs cibles recommandées. Néanmoins, il existe de rares cas d’hypertension artérielle réfractaire «vraie». Dans cette situation ou dans certains cas d’intolérances médicamenteuses multiples on peut envisager une dénervation rénale ou une stimulation des barorécépteurs carotiens [13]. Ces traitements invasifs devraient se faire dans des centres universitaires et dans le cadre de protocoles d’études.
Vignettes cliniques
Pour illustrer les liens physiopathologiques entre la maladie coronarienne et l’hypertension, deux courtes vignettes cliniques sont présentées.
Vignette #1, Monsieur Pic: Il s’agit d’un patient de 81 ans, connu pour une HTA, un diabète de type 2 et une dyslipidémie, qui présente une douleur thoracique typique accompagnée de céphalées. L’examen d’entrée met en évidence un patient hypertendu à 194/100 mmHg sans sus-décalage du segment ST à l’électrocardiogramme. La persistance des douleurs et une augmentation des enzymes cardiaques posent l’indication à une coronarographie en urgence. Celle-ci montre une occlusion de l’artère circonflexe qui est traité avec succès avec implantation d’un stent (fig. 2). L’artère interventriculaire antérieure et l’artère coronaire droite ne présentent pas de lésions. Sur la coronarographie, on reconnaît des artères coronaires allongées et tortueuses typiques des patients hypertendus. Cet exemple illustre comment un pic hypertensif peut soudainement, via les forces de cisaillement, entraîner un infarctus sur un plaque instable.
Vignette #2, Madame A. Pné: Madame A. Pné est une patiente de 63 ans, connue pour un syndrome métabolique avec obésité grade III (BMI de 41 kg/m²), hypertension artérielle réfractaire sous trithérapie, dyslipidémie et syndrome des apnées du sommeil non-appareillé, qui présente un syndrome coronarien aigu en 2007 avec mise en évidence d’une maladie tritronculaire (fig. 3). Les lésions sont traitées sans complications en deux temps avec mise en place de stents dans l’artère interventriculaire antérieure et l’artère coronaire droite. Après cet épisode, Madame A. Pné accepte la mise en place d’une CPAP nocturne. Ce traitement associé à une optimisation du traitement hypertenseur a permis d’atteindre les cibles tensionelles, <140/90 mmHg. Le traitement efficace de l’HTA et du diabète, l’instauration du CPAP ainsi que les mesures hygiéno-diététiques entreprises ont permis de stabiliser la maladie coronarienne sans récidive d’événement ischémique.
Conclusion et recommandations pratiques
La prise en charge de nos patients coronariens hypertendus se doit d’être globale avec une identification et un traitement concomitant des autres facteurs de risque cardiovasculaire. Parmi les co-morbidités influençant négativement la maladie coronarienne et l’hypertension il faut tout particulièrement penser à rechercher le syndrome des apnées du sommeil, fréquemment oublié.
Le traitement consiste à d’emblée associer les mesures hygiéno-diététiques à une thérapie médicamenteuse. Le choix des anti-hypertenseurs est guidé par la présence d’un angor ou d’une ischémie résiduelle, d’une insuffisance cardiaque et/ou d’une dysfonction du ventricule gauche, d’une arythmie et d’éventuelles autres pathologies associées (tab. 2).
Les cibles sont toujours à adapter en fonction de la tolérance clinique, des co-morbidités et de l’âge de nos patients. D’une manière générale, la valeur cible <140/90 mmHg est raisonnable et recommandée. Pour les patients diabétiques les cibles sont <140/85 mmHg et pour nos patients plus âgés (>80 ans) une cible de TA <150/90 mmHg est acceptée [5].
De façon générale, mais plus particulièrement dans cette tranche de population plus âgée, il faut lors d’introduction d’un traitement anti-hypertenseur, quelque soient les valeurs de pression initiales, être attentif à des signes d’hypoperfusion d’organes et les rechercher activement: insuffisance rénale, lipothymie, syncope, angor etc.
Références:
- Yusuf S, et al.: Effect of potentially modifiable risk factors associated with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study): case-control study. Lancet 2004; 364(9438): 937–952.
- Lawes CM, Vander Hoorn S, Rodgers A, International Society of H: Global burden of blood-pressure-related disease, 2001. Lancet 2008; 371(9623): 1513–1518.
- Arroyo D, et al.: Comparison of everolimus-eluting and biolimus-eluting coronary stents with everolimus-eluting bioresorbable scaffold: study protocol of the randomized controlled EVERBIO II trial. Trials 2014; 15: 9.
- Chobanian AV, et al.: The Seventh Report of the Joint National Committee on Prevention, Detection, Evaluation, and Treatment of High Blood Pressure: the JNC 7 report. JAMA 2003; 289(19): 2560–2572.
- Mancia G, et al.: 2013 ESH/ESC Guidelines for the management of arterial hypertension: the Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). J Hypertens 2013; 31(7): 1281–1356.
- Cook S: Coronary artery disease, nitric oxide and oxidative stress: the «Yin-Yang» effect – a Chinese concept for a worldwide pandemic. Swiss Med Wkly 2006; 136 (7–8): 103–113.
- Messerli FH, et al.: Dogma disputed: can aggressively lowering blood pressure in hypertensive patients with coronary artery disease be dangerous? Ann Intern Med 2006; 144(12): 884–893.
- Boutitie F, et al.: J-shaped relationship between blood pressure and mortality in hypertensive patients: new insights from a meta-analysis of individual-patient data. Ann Intern Med 2002; 136(6): 438–448.
- Cushman WC, et al.: Effects of intensive blood-pressure control in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2010; 362(17): 1575–1585.
- Rosendorff C, et al.: Treatment of hypertension in patients with coronary artery disease: a scientific statement from the American Heart Association, American College of Cardiology, and American Society of Hypertension. Circulation 2015; 131(19): e435–470.
- Egan BM, et al.: Prevalence of optimal treatment regimens in patients with apparent treatment-resistant hypertension based on office blood pressure in a community-based practice network. Hypertension 2013; 62(4): 691–697.
- Persell SD: Prevalence of resistant hypertension in the United States, 2003-2008. Hypertension 2011; 57(6): 1076–1080.
- Wuerzner G, et al.: Transcatheter renal denervation for the treatment of resistant arterial hypertension: the Swiss expert consensus. Swiss Med Wkly 2014; 144: w13913.
- Nissen SE, et al.: Effect of antihypertensive agents on cardiovascular events in patients with coronary disease and normal blood pressure: the CAMELOT study: a randomized controlled trial. JAMA 2004; 292(18): 2217–2225.
- Yusuf S, et al.: Effects of an angiotensin-converting-enzyme inhibitor, ramipril, on cardiovascular events in high-risk patients. The Heart Outcomes Prevention Evaluation Study Investigators. N Engl J Med 2000; 342(3): 145–153.
CARDIOVASC 2015; 14(5): 12–17