L’insatisfaction vis-à-vis de son apparence et les comportements diététiques, associés à des troubles de l’estime de soi, de la régulation des émotions et des problèmes relationnels, peuvent favoriser l’apparition de troubles alimentaires à des moments critiques de la vie. Des études récentes indiquent une augmentation de la fréquence des troubles de l’alimentation d’origine psychologique. La CIM-10 distingue l’anorexie (AN) et la boulimie nerveuse (BN), le trouble de l’hyperphagie boulimique et les troubles alimentaires non spécifiés. Un diagnostic précoce est nécessaire compte tenu des risques. Un traitement suffisant comprend une psychoéducation, des éléments axés sur les troubles et le traitement des conflits de fond, tout en respectant la motivation thérapeutique. Dans ce contexte, une collaboration inclusive de toutes les parties prenantes est indispensable.
Les troubles alimentaires touchent plus de femmes que d’hommes et sont plus fréquents dans les pays industrialisés développés que dans les pays en développement. Une étude commandée par l’Office fédéral de la santé publique suisse a montré que les prévalences à vie de l’anorexie mentale (AN) et de la boulimie mentale (BN) étaient comparables à celles des études internationales, soit 1,2% et 2,4% chez les femmes et 0,2% et 0,9% chez les hommes [1]. Les groupes à risque comprennent les sportifs pratiquant des sports à dominante esthétique ou d’endurance et les patients atteints de diabète sucré de type I en rapport avec le BN. Les troubles alimentaires commencent généralement à l’adolescence, avec un pic d’apparition vers 16 ans pour les AN et vers 18-19 ans pour les BN. La mortalité à 10 ans, d’environ 5% (suicides, infections, complications cardiovasculaires), est plus de dix fois supérieure à celle de la population générale. L’évolution à long terme est globalement plus favorable dans le cas du BN que dans celui de l’AN, avec souvent la persistance d’attitudes typiques des troubles alimentaires et d’un comportement alimentaire anormal.
Tableaux des troubles
L’anorexie et la boulimie ont en commun une peur manifeste d’être trop gros et une aspiration marquée à la “minceur”.
Dans l’anorexie mentale, le poids corporel est inférieur de 15% au poids attendu pour le sexe, la taille et l’âge (adulte IMC <17,5 kg/m2). La perte de poids est auto-induite et maintenue en limitant la quantité de nourriture, en évitant les aliments hautement caloriques et en prenant d’autres mesures comme une activité sportive excessive. La malnutrition et les carences alimentaires entraînent une perturbation endocrinienne, notamment de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique. On distingue la forme restrictive et la forme boulimique de l’AN, qui se caractérise par des crises de boulimie suivies de mesures de contre-régulation.
La boulimie nerveuse se caractérise par une préoccupation constante pour la nourriture et une envie irrésistible de manger, qui se traduit par des crises de boulimie vécues comme incontrôlables. Il s’agit de consommer des quantités excessives d’aliments en un laps de temps très court. En raison de la crainte de prendre du poids, les patients s’y opposent par des vomissements auto-induits, un comportement alimentaire restrictif, un abus de médicaments et une pratique sportive excessive. L’estime de soi dépend dans une large mesure de l’image corporelle.
Détection précoce et diagnostic psychiatrique
La détection précoce d’un trouble alimentaire est essentielle pour la réussite du traitement ultérieur. Outre la détermination de la taille et du poids, des questions de dépistage telles que
- Êtes-vous satisfait de vos habitudes alimentaires ?
- Vous vous inquiétez pour votre poids ou votre alimentation ?
- Votre poids affecte-t-il votre estime de soi ?
- Votre silhouette vous préoccupe-t-elle ?
- Vous mangez en cachette ?
- Vomissez-vous lorsque vous vous sentez désagréablement plein ?
- Vous vous inquiétez parce que parfois vous ne pouvez pas vous arrêter de manger ?
Le diagnostic d’un trouble alimentaire nécessitant un traitement doit être posé conformément aux critères de la CIM-10 (tableaux 1 et 2), ou du DSM-IV.
Pour une saisie plus approfondie de la psychopathologie spécifique, il est recommandé d’utiliser des guides d’entretien structurés, par exemple l’Eating-Disorder-Examination [2] ou l’Eating-Disorder-Inventory [3].
Diagnostic différentiel et comorbidité
Les symptômes des troubles alimentaires, tels que la perte de poids et les habitudes alimentaires anormales, peuvent également apparaître dans le cadre d’autres maladies psychiatriques, comme les troubles affectifs, la schizophrénie ou les troubles obsessionnels compulsifs. Dans de tels cas, la perte de poids est involontaire. De même, la perturbation du schéma corporel et l’importance de la silhouette et du poids pour l’estime de soi sont absentes.
Les comorbidités de l’AN et du BN comprennent souvent des troubles affectifs, des troubles anxieux et obsessionnels, l’abus de substances ainsi que des troubles de la personnalité de type borderline, anxieux-évitant et obsessionnel-compulsif, qui influencent l’apparition et l’évolution de ces troubles.
Complications médicales et diagnostic
La malnutrition et les carences alimentaires persistantes, les crises de boulimie et les vomissements entraînent de nombreuses séquelles physiques (tableau 3). Afin d’identifier à temps le risque vital et les éventuelles complications et d’exclure les causes physiques, un diagnostic médical complet doit être effectué au début (tableau 4).
Un poids avec un IMC inférieur à 13 kg/m2, ou une perte de poids rapide de plus de 30% du poids initial en trois mois, est considéré comme un indicateur de risque majeur.
Facteurs de risque et modèles de troubles
L’apparition et le maintien des troubles alimentaires s’expliquent de manière multifactorielle. Le modèle transdiagnostique de Fairburn [4] (figure 1) en donne un résumé. Les principaux facteurs de risque sont l’idéal de minceur imposé par la culture, l’insatisfaction vis-à-vis de son apparence et de sa silhouette et les régimes.
L’attractivité physique constitue une source essentielle d’estime de soi pour les femmes. Pendant le développement d’une identité propre à l’adolescence, la minceur peut devenir une source exclusive d’estime de soi pour certaines femmes.
Une conception négative de l’estime de soi, tout comme une recherche perfectionniste de la performance, est un facteur de risque bien établi. Des difficultés dans la régulation des émotions peuvent contribuer à un trouble alimentaire et être compensées par celui-ci, soit en évitant les émotions désagréables lorsque le poids est faible, soit en les gérant par des crises de boulimie.
Au niveau individuel, les expériences d’apprentissage (par exemple, les troubles de l’alimentation dans la petite enfance), les facteurs biologiques, un trouble du schéma corporel et des particularités cognitives sont considérés comme des facteurs de risque. Il décrit un style de pensée préexistant et persistant, caractérisé par une obsession du détail, une rigidité et une faible flexibilité.
Le comportement lié à l’alimentation repose sur des schémas de pensée irrationnels sous forme d’abstraction sélective, de généralisation, d’exagération et de pensée magique. Enfin, certains modèles de relations familiales (enchevêtrement, rigidité, surprotection, évitement des conflits et formation de coalitions changeantes) sont discutés en relation avec les troubles alimentaires.
Le début d’un AN ou d’un BN est souvent précédé d’événements externes (par exemple, une séparation ou une perte, la peur de ne pas être à la hauteur, une maladie physique, des remarques critiques de proches, des objectifs sportifs) qui impliquent des efforts d’adaptation que la personne concernée ne se sent pas capable de faire à ce moment-là.
Les modifications du comportement alimentaire chez les AN et les BN entraînent des changements psychologiques et physiques importants qui, à leur tour, contribuent au maintien d’une alimentation saine.
de la perturbation. Des études menées sur des sujets soumis à un régime alimentaire ont montré que la malnutrition à elle seule entraînait une forte préoccupation pour la nourriture et un rapport bizarre à la nourriture. Les réactions physiologiques dues à la malnutrition renforcent la sensation de fringale et déclenchent ainsi davantage de crises de boulimie. Cela renforce chez les patients souffrant de troubles alimentaires la peur de prendre du poids et le comportement alimentaire restrictif qui en résulte. Sur le plan psychologique, une humeur dépressive et une irritabilité se développent avec le temps, ainsi que des troubles cognitifs. En raison d’un comportement alimentaire anormal et d’un sentiment de honte prononcé, les personnes concernées se retirent socialement et limitent leurs autres intérêts, de sorte que les expériences favorisant l’estime de soi font défaut et renforcent la tentative de stabiliser l’estime de soi par le contrôle de la silhouette et de l’apparence.
Traitement de l’anorexie et de la boulimie nerveuse
Pour traiter les troubles alimentaires, l’efficacité de différentes méthodes thérapeutiques a été évaluée dans le cadre d’études : la thérapie cognitivo-comportementale, la thérapie familiale, les méthodes d’orientation psychodynamique, la psychothérapie interpersonnelle et la thérapie comportementale dialectique. En raison de la petite taille des échantillons, du taux élevé d’abandon, de l’exclusion des patients présentant une insuffisance pondérale prononcée et de l’absence d’études comparatives, il n’est actuellement pas possible de procéder à une évaluation claire. Cependant, une approche axée sur les troubles s’est avérée supérieure à une approche non spécifique. Les recommandations suivantes s’appuient essentiellement sur les lignes directrices S3 pour le diagnostic et le traitement des troubles alimentaires [5].
Motivation et relation thérapeutique
Les patients sont généralement très ambivalents vis-à-vis des changements thérapeutiques, en raison de l’échec des traitements précédents, de la fierté de leur discipline, de la nature identitaire du trouble alimentaire et des sentiments de honte et de peur. Cela nécessite un soutien permanent de la motivation thérapeutique. Il est utile d’établir ensemble un modèle de trouble individuel et de discuter ouvertement et sans jugement des chances et des risques d’une thérapie sur la base d’informations détaillées. Dans la relation thérapeutique, il faut trouver un équilibre entre la compréhension empathique d’une part et la fixation de limites ou de conséquences d’autre part. L’objectif est de coopérer avec le patient dans le cadre d’un plan de traitement commun. Les ressources intellectuelles et créatives existantes doivent être valorisées.
Éléments de traitement
Le traitement des troubles alimentaires doit inclure des éléments psycho-éducatifs et des éléments axés sur les troubles. Afin d’obtenir une régression rapide des séquelles somatiques et psychologiques, on vise à court terme une normalisation aussi rapide que possible du poids dans le cas de l’AN et du comportement alimentaire dans le cas du BN. La thérapie par l’image corporelle s’attaque à la perception déformée de son propre corps, aux émotions et cognitions négatives liées au corps concernant la silhouette, l’apparence et le poids, ainsi qu’aux comportements d’évitement et de contrôle dysfonctionnels liés au corps, qui ont une influence défavorable sur le pronostic du trouble alimentaire. A long terme, le traitement des problèmes sous-jacents est essentiel pour un traitement efficace. Il s’agit notamment d’une faible estime de soi, d’une recherche de performance perfectionniste, d’un besoin d’autonomie, d’un manque d’indépendance, de problèmes de détachement du foyer parental et de relations avec les autres, ainsi que de troubles de la régulation des émotions. Les patients sont aidés à rattraper les étapes de développement manquantes afin de parvenir à une intégration sociale.
La famille doit être impliquée dans le traitement, en particulier chez les enfants et les adolescents, et les partenaires chez les adultes, afin d’apporter une aide concrète dans la gestion du comportement alimentaire perturbé et de clarifier et traiter les aspects fonctionnels.
Setting de traitement
Les études actuelles ne permettent pas de dégager des critères clairs pour le choix préférentiel d’un setting de traitement. En principe, il convient d’abord d’envisager un traitement ambulatoire. Pour les patients présentant une insuffisance pondérale prononcée (IMC <15 kg/m2) ou une perte de poids rapide de plus de 30% du poids initial au cours des six derniers mois, il est préférable de les hospitaliser. Pendant celle-ci, il convient de viser autant que possible une restauration complète du poids afin de minimiser le risque d’une nouvelle perte de poids. Les autres critères d’indication d’une hospitalisation sont les suivants :
- Changement insuffisant dans un cadre ambulatoire ou semi-stationnaire
- Absence de traitement ambulatoire à proximité du domicile
- Comorbidité psychique ou physique prononcée, tendances suicidaires
- gravité de la maladie (habituation marquée, comportement alimentaire chaotique)
- Conflits importants dans l’environnement social et familial.
Anorexie mentale
Les études sur le traitement de l’AN montrent un niveau de preuve modéré à faible concernant la prise de poids.
Dans le traitement de l’AN, il faut tenir compte du fait que le processus de guérison s’étend généralement sur une longue période et comprend plusieurs épisodes de traitement. Cela nécessite une collaboration intégrative de tous les intervenants dans le cadre d’un plan de traitement global.
Le traitement doit être adapté au statut du patient. Au début, il est nécessaire d’avoir une structure claire et de se concentrer sur le poids et la nourriture. Ce n’est que lorsque le poids et la capacité de concentration nécessaires sont suffisants que les sujets émotionnellement importants peuvent être abordés. Pour les évolutions chroniques de plus de sept ans, il est recommandé de mettre l’accent sur la minimisation des complications psychiques et somatiques et sur l’amélioration de la qualité de vie générale.
L’objectif principal est de normaliser le poids, en visant un objectif de poids avec un IMC d’au moins 18,5 kg/m2. Dans le cadre hospitalier, des prises de poids hebdomadaires de 500 à 1000 g sont recommandées, et dans le cadre ambulatoire, de 200 à 500 g. Les quantités de nourriture sont basées sur l’évolution du poids. Pour ce faire, les patients doivent être pesés régulièrement le matin, en tenue légère. En ce qui concerne la composition des aliments, les recommandations habituelles de la société de nutrition s’appliquent. Les aliments évités doivent être réintroduits progressivement dans le régime alimentaire.
Au début, il peut y avoir une nette tendance à l’œdème dans le cadre d’un pseudo-syndrome de Bartter, ce qui implique une prise de poids sans modification substantielle de la masse corporelle. Chez les patients présentant des états de faim prolongés, la reprise de l’alimentation peut entraîner une hypophosphatémie (<2,5 mg/dl) avec un risque de syndrome de réalimentation potentiellement mortel (myélose, insuffisance cardiaque, troubles du rythme, troubles de la conscience), ce qui nécessite des contrôles réguliers et, si nécessaire, une substitution orale. Une alimentation buvable supplémentaire peut être envisagée au début. L’alimentation par sonde ne doit être utilisée que dans des cas individuels critiques et à court terme, afin d’atteindre un état nutritionnel suffisant.
Pour la phase de prise de poids, des contrats thérapeutiques sont conclus avec les patients, dans lesquels des accords clairs sont établis concernant la prise de poids requise et les conséquences si elle est atteinte ou non, dans le sens d’une gestion de contingence.
Les psychotropes n’ont pas d’effet démontré sur la prise de poids, mais en cas de tournoiement constant des pensées ou d’hyperactivité marquée, l’administration temporaire de neuroleptiques à faible dose peut être envisagée. Les antidépresseurs peuvent être utilisés en cas d’humeur dépressive persistante.
Boulimie nerveuse
Les patients atteints de BN ont souvent des antécédents biographiques de négligence émotionnelle, d’expériences de violence physique et sexuelle, de modèles de communication familiale problématiques, ainsi qu’une charge familiale de troubles psychiatriques. Le trouble alimentaire fait généralement partie d’un ensemble de troubles psychiatriques complexes, ce qui doit être pris en compte dans la planification du traitement.
L’efficacité des méthodes psychothérapeutiques est jugée bonne en ce qui concerne la réduction des crises de boulimie, des vomissements, de l’abus de laxatifs et de la dépressivité. Les effets sont moyens en ce qui concerne la recherche de la minceur et l’insatisfaction de la silhouette et de l’apparence.
Les approches d’auto-assistance, généralement basées sur des thérapies cognitivo-comportementales, constituent une autre alternative dans le sens d’une approche de soins progressifs, avec des effets certes moins importants mais clairement démontrables.
L’objectif premier du traitement du BN est de modifier le comportement alimentaire contrôlé entre les crises de boulimie de manière à éviter les états de privation physiologiques et psychologiques qui favorisent la survenue de crises de boulimie. Une alimentation équilibrée, basée sur les besoins personnels, est progressivement mise en place avec les patients. Ils sont guidés par des méthodes d’auto-observation (protocoles alimentaires) pour identifier les déclencheurs psychologiques et psychosociaux des crises de boulimie et les mesures de contre-régulation, et apprennent des stratégies de gestion alternatives pour faire face aux émotions désagréables. En complément, des expositions sont réalisées sur les aliments qui déclenchaient auparavant des crises de boulimie.
Sur le plan pharmacothérapeutique, l’administration d’inhibiteurs de la recapture de la sérotonine peut être envisagée, en particulier sur fond d’humeur dépressive et d’anxiété fréquentes, mais on ne peut s’attendre qu’à un faible effet sur la symptomatologie de base avec une légère réduction des crises de boulimie. En Suisse, seule la fluoxétine est autorisée pour cette indication, avec une dose recommandée de 60 mg/jour. Un essai de traitement doit être effectué pendant au moins quatre semaines et poursuivi pendant 9 à 12 mois en cas de bonne réponse.
Littérature :
- Schnyder U, et al. : Prévalence des troubles alimentaires en Suisse. Sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). 2012. n° de contrat 09.006170/204.001/-675 et 10.005736/204.0001/-782.
- Hilbert A, et al. : Eating Disorder Examination : version allemande de l’entretien structuré sur les troubles alimentaires. Diagnostica 2004. 50 : 98-106.
- Paul T, Thiel A. : EDI-2. Inventaire des troubles de l’alimentation-2. Göttingen Hogrefe, 2004.
- Fairburn CG. : Thérapie cognitivo-comportementale et troubles alimentaires. Schattauer Verlag, 2011.
- Société allemande de médecine psychosomatique et de psychothérapie. Collège allemand de médecine psychosomatique Lignes directrices pour le diagnostic et le traitement des troubles alimentaires. 2010 www.awmf.org/uploads/tx_szleitlinien/051-026l_S3_Diagnostik_Therapie_Essstörungen.pdf.