Lors du traitement antihypertenseur dans le groupe d’âge des 80 ans et plus, il est important d’évaluer individuellement les risques et les avantages et de ne pas traiter strictement en fonction de la valeur cible. La fragilité (“frailty”) est un concept important dans la pratique clinique. En particulier chez les personnes de plus de 80 ans souffrant d’hypertension et de comorbidités, la réduction de la pression artérielle est basée sur l’état général, y compris les comorbidités et la polypharmacie éventuelles. Outre les résultats empiriques, l’expérience clinique du médecin et l’avis des patients doivent également être pris en compte.
Les personnes fragiles très âgées souffrant de multimorbidité sont souvent exclues des grands essais contrôlés randomisés. “Si ces patients manquent dans les études, ils manquent aussi dans les guidelines”, explique le Pr. Sven Streit, responsable des soins de base interprofessionnels, Institut bernois de médecine de famille, à l’occasion du congrès médical virtuel d’Arosa de cette année [1]. Une comparaison des guidelines sur le traitement de l’hypertension dans différents pays montre que les recommandations des valeurs cibles de pression artérielle pour les personnes de plus de 80 ans ne sont pas uniformes et que toutes les guidelines ne prennent pas en compte ce groupe d’âge (tab. 1). L’expérience montre qu’un traitement de l’hypertension centré sur le patient fait ses preuves dans cette sous-population d’hypertendus, selon le professeur Streit.
Tenir compte non seulement de l’âge biologique, mais aussi de l’état général
Les grandes études randomisées sur l’effet de la réduction de la pression artérielle chez les personnes très âgées ne sont que partiellement transposables dans un cadre “monde réel”. Par exemple, dans l’étude SPRINT, 2636 patients de plus de 75 ans ont été inclus, mais le diabète, l’insuffisance cardiaque, l’orthostatisme et les antécédents d’AVC faisaient partie des critères d’exclusion [2]. Il s’agit toutefois de caractéristiques des patients qui sont associées à un risque plus élevé d’effets secondaires, de sorte qu’il est particulièrement important d’évaluer les bénéfices et les risques dans le cadre d’un traitement antihypertenseur. En ce sens, les résultats de cette étude, qui indiquent qu’une valeur systolique cible <120 mm Hg* par rapport à une valeur systolique cible <140 mm Hg** a entraîné une réduction de 33% de la mortalité globale, doivent être considérés de manière critique. C’est également le cas des résultats de l’étude HYVET, qui a examiné le traitement de l’hypertension chez les patients de plus de 80 ans. Cependant, en raison des critères d’exclusion, l’échantillon ne représente pas complètement le concept de “frailty”, qui est pertinent pour les patients de ce groupe d’âge traités en médecine générale [3].
* valeur cible effectivement atteinte = 123 mmHg
** valeur cible effectivement atteinte = 135 mm Hg
Les études de cohorte, une source de données importante
Les études de cohorte basées sur la population, qui comprennent un échantillon de sujets plus représentatif de l’ensemble de la population, constituent donc une source de données importante. L’une d’entre elles est la “cohorte Leiden 85-plus”, dans laquelle 570 habitants de plus de 85 ans de la ville de Leiden (NL) ont été inclus [5]. L’analyse des données a notamment révélé qu’une pression artérielle systolique de 120 mmHg obtenue grâce aux antihypertenseurs était associée à un risque de chute plus élevé par rapport à une valeur systolique de 140 mmHg. Il a également été démontré que la prise d’antihypertenseurs augmentait le risque de troubles de la mémoire (Mini-Mental-Status-Test, MMSE) [5]. Alors que les études randomisées contrôlées sont soumises à un biais de sélection en raison des critères d’inclusion/d’exclusion, l’absence de randomisation doit être prise en compte lors de l’interprétation des résultats des études de cohorte.
La “frailty” et les comorbidités sont pertinentes pour la cible de pression artérielle
Dans la pratique quotidienne du médecin généraliste, le traitement de l’hypertension chez les personnes âgées doit tenir compte d’un grand nombre de facteurs, y compris les maladies vasculaires athéroscléreuses avancées, la fonction rénale réduite, la tendance accrue à l’hypotension orthostatique, ainsi que la fragilité (“frailty”) et la polypharmacie. Il est conseillé de procéder à des contrôles étroits dans le cabinet médical, en particulier au début du traitement. Pour évaluer la fragilité des patients, le diagnostic visuel ou l’intuition (“gut feeling”) ou encore des méthodes d’évaluation comme le “up-and-go test” ont fait leurs preuves, selon le professeur Streit [6].
Le tableau 2 présente des points de repère pour les valeurs cibles systoliques chez les personnes âgées de plus de 80 ans, en tenant compte de leur état général. Ces données sont basées sur l’intégration de l’expérience clinique et des données empiriques. Par conséquent, pour un patient très en forme de ce groupe d’âge, une réduction de la pression artérielle à une valeur de <130 mmHg a tendance à être raisonnable, alors que pour un patient fragile du même groupe d’âge, une valeur cible de <150 mmHg peut être suffisante. L’orateur a illustré le traitement individualisé de la pression artérielle par des études de cas. Alors qu’une valeur cible de systolique comprise entre 141 et 150 est fixée pour un patient de sexe masculin âgé de 82 ans, fragile et souffrant de diverses comorbidités (diabète sucré de type 2, obésité, troubles cognitifs), la valeur cible de systolique est de 141 à 150. mmHg, il est préférable d’opter pour une valeur cible comprise entre 131 et 140 mmHg chez une patiente âgée de 82 ans, fragile, qui, en plus de son obésité et de ses troubles cognitifs, a été victime d’un accident vasculaire cérébral il y a deux ans. mmHg, explique le conférencier.
Littérature :
- Streit S : Est-il toujours préférable d’aller plus bas ? Traitement de l’hypertension chez les patients âgés, Prof. Dr Sven Streit, Congrès médical d’Arosa, 26.03.2021
- Williamson JD, et al : Intensive vs standard blood pressure control and cardiovascular disease outcomes in adults aged >75 years : a randomized clinical trial. JAMA 2016 ; 315 : 2673-2682. doi : 10.1001/jama.2016.7050.
- Warwick J, et al. : No evidence that frailty modifies the positive impact of antihypertensive treatment in very elderly people : an investigation of the impact of frailty upon treatment effect in the HYpertension in the Very Elderly Trial (HYVET) study, a double-blind, placebo-controlled study of antihypertensives in people with hypertension aged 80 and over. BMC Med 2015 ; 13 ; 78.
- Streit S, et al. : Variation in GP decisions on antihypertensive treatment in oldest-old and frail individuals across 29 countries. BMC Geriatr 2017 ; 17(1) : 93.
- Streit S, et al : Une pression artérielle plus basse pendant un traitement antihypertenseur est associée à une mortalité plus élevée par toutes les causes et à un déclin cognitif accéléré chez les personnes les plus âgées. Data from the Leiden 85-plus Study, Age and Ageing 2018 ; 47(4) : 545-550.
- Pangilinan J, et al. : The Timed Up and Go Test as a Measure of Frailty in Urologic Practice. Urologie 2017 ; 106 : 32-38.
- Société européenne de cardiologie : 2018 ESC/ESH Clinical Practice Guidelines for the Management of Arterial Hypertension, www.escardio.org/Guidelines (dernière consultation 23.04.2021)
- Reeve E, et al : Withdrawal of antihypertensive drugs in older people. Cochrane Database of Systematic Reviews 2020, Issue 6. Art. No. : CD012572.
HAUSARZT PRAXIS 2021 ; 16(5) : 26-27 (publié le 5.5.21, ahead of print)