Les développements de ces dernières années ont heureusement permis de traiter efficacement de nombreux patients atteints de psoriasis modéré à sévère. Outre les immunosuppresseurs classiques, plusieurs médicaments biologiques et un inhibiteur des petites moléculessont actuellement disponibles. Il s’agit de plus en plus de proposer un traitement individualisé, dans lequel les comorbidités/les symptômes associés ainsi que les préférences des patients sont pris en compte lors du choix du traitement.
Au cours des dernières années, il est devenu évident que le psoriasis n’affecte pas seulement la peau, mais qu’il s’agit d’une maladie inflammatoire systémique à médiation immunitaire. “C’est pourquoi nous avons absolument besoin de thérapies systémiques pour soutenir au mieux nos patients”, a souligné le PD Dr Ahmad Jalili, directeur de la Dermatology & Skin Care Clinic, Buochs [1]. Dans le Rapport mondial sur le psoriasis, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a constaté que le psoriasis est associé à un grand nombre de facteurs déclencheurs et de comorbidités potentielles [2] (encadré). Pour éviter la progression de la maladie et l’augmentation des handicaps cumulatifs au cours de la vie, l’OMS estime qu’il est urgent de mettre en place un traitement précoce du psoriasis fondé sur des données probantes.
Psoriasis : facteurs déclencheurs et comorbidités Environ un tiers des personnes atteintes de psoriasis souffrent d’arthrite psoriasique. Mais les maladies cardiovasculaires, le syndrome métabolique, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin et la dépression sont également fréquents. De nombreuses personnes atteintes de psoriasis sont stigmatisées et victimes d’exclusion sociale. On sait en outre que le tabac et l’alcool aggravent l’évolution de la maladie. La charge de morbidité associée au psoriasis dans le parcours de vie des patients est appelée “impact cumulatif sur le parcours de vie” (cumulative life course impairment of psoriasis, CLCI). |
d’après [2] |
Évaluation de la gravité, des antécédents et du pré-dépistage
La “Rule of Ten” stipule que si la Body Surface Area (BSA)≥10, le Psoriasis Area and Severity Index (PASI)≥10 et le Dermatology Life Quality Index (DLQI)≥10 indiquent un psoriasis modéré à sévère, l’indication d’un traitement systémique est par définition posée [3]. Cependant, selon des données récentes, un psoriasis peut être considéré comme modéré à sévère même si les valeurs sont inférieures à ce seuil, si les lésions sont prédominantes dans certaines localisations ou si les démangeaisons sont importantes (encadré, critères de mise à niveau) [3].
Gravité du psoriasis : “critères de mise à niveau Des “critères de mise à niveau” ont été définis dans la version du guide S3 qui sera publiée en 2021. Par conséquent, la “règle des dix” (BSA≥10, PASI≥10, DLQI≥10) n’est pas la seule à s’appliquer pour déterminer si un psoriasis est modéré à sévère ; d’autres aspects sont également déterminants : Affection prononcée des zones visibles, affection prononcée du cuir chevelu, affection de la région génitale, atteinte de la paume des mains et de la plante des pieds, onycholyse ou onychodystrophie d’au moins deux ongles, démangeaisons et grattage associé, présence de plaques résistantes au traitement. |
d’après [3] |
“Il est très important que nous fassions l’anamnèse avec précision”, a souligné le Dr Jalili [1]. Les médicaments systémiques conventionnels (csDMARD), les inhibiteurs synthétiques des petites molécules(sDMARD) et les agents biologiques (bDMARD) doivent faire l’objet d’un pré-screening avant le début du traitement [1]. Pour ce faire, le conférencier recommande de réaliser un hémogramme complet ; les paramètres hépatiques et rénaux, ainsi que les paramètres inflammatoires doivent notamment être enregistrés et, le cas échéant, surveillés (en fonction des options thérapeutiques). En outre, une sérologie de l’hépatite et du VIH, ainsi qu’une recherche de tuberculose latente ou manifeste doivent être effectuées. En outre, le statut vaccinal doit être contrôlé et il est conseillé d’effectuer les vaccinations ou rappels nécessaires, en particulier avec des vaccins vivants, avant le début du traitement.
Les caractéristiques du patient et les comorbidités éventuelles font partie des critères importants pour le choix du traitement. L’arthrite psoriasique (PsA) est un symptôme particulièrement fréquent qui accompagne le psoriasis. Si les patients présentent des signes d’atteinte articulaire, ils peuvent être orientés vers un traitement qui est également efficace contre la PsA – ce qui est le cas pour plus de 80% des traitements systémiques, a expliqué le Dr Jalili [1]. L’atteinte unguéale est un facteur de risque connu pour le développement d’une PsA à un moment donné de l’évolution de la maladie.
Par quelle thérapie systémique commencer ?
En Suisse, la réglementation prévoit que l’on commence d’abord par un csDMARD (méthotrexate, ciclosporine A, acitrétine, diméthyl-fumarate, photothérapie) ou que l’on explique pourquoi ce traitement est contre-indiqué chez le patient concerné et que l’on utilise directement un bDMARD ou un sDMARD (actuellement, seul l’apremilast est autorisé) [1]. Par rapport aux médicaments biologiques et à l’aprémilast, les objectifs réalistes à atteindre avec les traitements systémiques conventionnels sont plus modestes :
- Le fumarate de diméthyle (DMF) : en Allemagne, il s’agit de l’un des médicaments systémiques conventionnels les plus prescrits, selon le Dr Jalili. Le taux de réponse PASI-75 à la semaine 12 serait de 43%, mais il est intéressant de noter qu’un taux de réponse de 87,7% a été obtenu à la semaine 52. Avec le DMF, il faut faire attention à une baisse du nombre de lymphocytes (= risque d’infections opportunistes) et des troubles gastro-intestinaux peuvent apparaître comme effet secondaire.
- méthotrexate (MTX) : Un taux de réponse PASI-75 de 41% a été obtenu à la semaine 16. Le MTX est disponible sous forme orale et sous-cutanée (s.c.), le MTX s.c. étant généralement très bien toléré. Les études n’ont pas montré d’effets secondaires graves ni d’augmentation du risque de malignité.
- la ciclosporine A (CsA) : Dans une étude, environ 40% des patients atteints de psoriasis traités par CsA ont déclaré une réponse satisfaisante. En raison des risques d’effets secondaires connus (par exemple, fonction rénale, hypertension artérielle), il est préférable d’éviter un traitement à long terme par CsA.
- Acitrétine : dans une étude avec différentes doses, la meilleure réponse a été obtenue sous 35 mg/d – à la semaine 12, une proportion de 69% a atteint un PASI-75. Les infections cutanéo-muqueuses sont considérées comme l’effet secondaire le plus important (lié à la dose).
Si une réduction du PASI de ≥75% est obtenue pendant la phase d’induction avec un agent thérapeutique systémique, le traitement peut être considéré comme un succès. En revanche, une réduction du PASI de <50% équivaut à un échec thérapeutique. Si le PASI se situe entre ≥50 et <75%, il s’agirait d’un succès modéré – si l’indice de qualité de vie en dermatologie ( Dermatology Life Quality Index, DLQI) <5, le traitement peut être poursuivi, sinon il est conseillé de le changer [1].
bDMARD et sDMARD : très efficaces contre l’inflammation systémique
En Suisse, l’aprémilast (sDMARD) est inscrit sur la liste des spécialités avec une limitation. Il convient d’évaluer au cas par cas si une garantie de prise en charge des coûts est nécessaire [1]. Les médicaments biologiques (bDMARD) sont des médicaments fabriqués par génie génétique et interviennent de manière ciblée dans le dysfonctionnement du système immunitaire, en bloquant certaines cytokines qui favorisent l’inflammation. Le Dr Jalili [1] a expliqué qu’il était donc possible de choisir la substance active en fonction des caractéristiques du patient. Les premiers agents biologiques étaient les inhibiteurs du TNF-α. Depuis, l’éventail des agents biologiques s’est élargi avec un anticorps anti-IL-12/23 (Ak), plusieurs anti-IL-17-Ak et trois anti-IL-23-Ak. Le choix du traitement ne dépend pas seulement des symptômes cutanés, mais aussi des comorbidités et des maladies associées. En particulier, les classes de substances modernes des inhibiteurs d’IL-17 et d’IL-23 permettent d’atteindre des objectifs thérapeutiques ambitieux, comme un PASI-90 ou l’absence d’apparition.
- Inhibiteurs du TNF-α (étanercept, adalimumab, infliximab, certolizumab pegol) [1,4]: L’étanercept n’est presque plus utilisé, en revanche l’adalimumab joue toujours un rôle important et est autorisé non seulement pour le psoriasis, mais aussi pour les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), l’acné inversa et l’arthrite. L’infliximab n’est qu’un traitement de troisième ligne en dermatologie, selon le Dr Jalili [1]. Si l’infliximab est réadministré après une interruption du traitement, il existe un risque accru de réaction anaphylactique. Le certolizumab est le seul inhibiteur du TNF-α qui peut être administré en toute sécurité pendant la grossesse et l’allaitement [1].
- Blocage de l’IL (interleukine) 12/23p40 (ustékinumab) [1,4]: L’anticorps monoclonal Stelara®, qui cible l’IL-12 et l’IL-23, a été le premier médicament biologique dont l’intervalle d’application était de trois mois, un grand progrès à l’époque, a rapporté le Dr Jalili [1].
- blocage de l’IL-17 (ixekizumab, secukinumab, bimekizumab) [1,4]: En plus des inhibiteurs de l’IL-17-A disponibles depuis quelques années déjà, l’ixekizumab (Taltz®) et le sécukinumab (Cosentyx®), le bimekizumab (Bimzelx®), un inhibiteur dual de l’IL-17A/F, a récemment été autorisé en Suisse [1,4]. Le Dr Jalili a expliqué que le brodalumab, un inhibiteur très efficace du récepteur IL-17, n’est pas autorisé en Suisse et que l’arrêt du traitement entraîne souvent une aggravation rapide ou une rechute du psoriasis [1]. Des études sont en cours sur le sonelokimab, un nanobody bispécifique anti-IL-17A/F qui inhibe à la fois IL-17A et IL-17F. Les nanobodies sont nettement plus petits que les anticorps conventionnels, ce qui leur permet probablement de mieux pénétrer dans les tissus, ce qui pourrait avoir un effet bénéfique sur l’efficacité.
- Blocage de l’IL-23p19 (guselkumab, risankizumab, tildrakizumab) [1,4]: “Le blocage de l’IL-23 semble être nettement plus important que si l’on bloquait les deux cytokines IL-23 et IL-12”, a rapporté le Dr Jalili, ajoutant : “L’efficacité du guselkumab, du risankizumab et du tildrakizumab est nettement supérieure à celle de l’ustékinumab” [1]. Le guselkumab (Tremfya®), le risankizumab (Skyrizi®) et le tildrakizumab (Ilumetri®) diffèrent en termes d’affinité de liaison à l’IL-23 et de demi-vie [1,4]. L’intervalle de dosage après la phase d’induction est de 8 semaines pour le guselkumab et de 12 semaines pour le risankizumab et le tildrakizumab.
Alors que tous les agents biologiques mentionnés sont administrés par voie sous-cutanée ou intraveineuse, l’aprémilast – actuellement le seul inhibiteur de petites molécules autorisé dans le domaine du psoriasis – est disponible sous forme d’administration orale. L’algorithme thérapeutique (Fig. 1) mentionne également le deucravacitinib, car son approbation est attendue prochainement, a expliqué le Dr Jalili [1].
- Apremilast [1,4]: il s’agit d’un inhibiteur de la PDE-4 par voie orale. Pour le traitement par l’aprémilast (Otezla®), aucun monitoring de laboratoire n’est nécessaire, a déclaré le conférencier [1,4]. L’aprémilast permet d’obtenir des taux de réponse PASI moins élevés qu’avec les produits biologiques modernes, mais il s’agit d’une option de traitement qui a démontré une grande satisfaction des patients pour certaines localisations (par ex. atteinte du cuir chevelu ou des ongles, psoriasis génital, psoriasis palmo-plantaire) et contre les démangeaisons prononcées.
- le deucravacitinib [1] : Il s’agit d’un inhibiteur de tyrosine kinase (TYK)-2 disponible par voie orale, qui inhibe la cascade de signalisation de l’IL-12 et de l’IL-23 ainsi que celle de l’interféron de type 1. On s’attend à ce que le deucravacitinib soit bientôt autorisé en Suisse. Des résultats prometteurs ont été obtenus dans les études de phase III (POETYK PSO-1 et -2). “Nous n’avons pas encore l’autorisation de mise sur le marché en Suisse, mais c’est potentiellement un bon médicament”, a résumé le Dr Jalili [1].
Critères de sélection du traitement spécifiques aux sous-groupes
En général, le choix du traitement doit être adapté aux caractéristiques du patient ou aux manifestations du psoriasis, mais des facteurs situationnels peuvent également jouer un rôle. Le Dr Jalili a cité quelques exemples que l’on rencontre régulièrement dans la pratique clinique quotidienne (des informations plus détaillées sur les différentes substances actives sont disponibles dans la ligne directrice S3 actuelle) [1,3]: En ce qui concerne un début d’action aussi rapide que possible, les inhibiteurs de l’IL-17 et de l’IL-23 ont par exemple une longueur d’avance et sont supérieurs au TNF-α-i. Dans le cas du psoriasis des ongles, presque tous les médicaments biologiques fonctionnent bien, mais les anti-IL-17-Ak et les anti-TNFα-Ak sont plus efficaces et plus rapides. En cas d’obésité, les inhibiteurs de l’IL-17 et de l’IL-23 sont efficaces. Cependant, les patients présentant des signes de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) ne devraient pas être traités par les anti-IL-17-Ak et, en cas d’antécédents d’hypertension artérielle ou de thrombose, il convient d’être prudent quant à l’inhibition de TYK-2 (le deucravacitinib fait actuellement l’objet d’études réglementaires). Chez les patients atteints de tumeurs malignes, l’utilisation d’anti-IL-23-Ak ou d’anti-IL-17-Ak peut éventuellement être envisagée en collaboration avec les oncologues. Si les patients souffrent de sclérose en plaques (SEP), le DMF peut être envisagé, car ce médicament est également approuvé pour la SEP. Si une tuberculose latente a été détectée lors du pré-dépistage, il est possible d’utiliser des inhibiteurs de l’IL-23 ou de l’IL-17. Il n’y aurait pas de restrictions chez les patients VIH sous traitement antirétroviral (HAART). Et les enfants et les adolescents peuvent également être traités avec certains des médicaments biologiques : L’étanercept, l’adalimumab, l’ustékinumab, le sécukinumab et l’ixekizumab ont une autorisation de mise sur le marché à partir de 6 ans en Suisse et d’autres bDMARD sont à l’étude pour une extension de leurs indications. Les choses bougent également chez sDMARD et il est intéressant de voir comment les choses évoluent.
Littérature :
- “Les thérapies systémiques dans le psoriasis : pourquoi, quand et avec lesquelles ?”, PD Dr. Dr. Ahmad Jalili, session de formation continue (en ligne), Hôpital universitaire de Bâle, 30.05.2023.
- OMS : Rapport mondial sur le psoriasis 2016, www.who.int/publications,(dernière consultation 16/06/2023)
- Nast A, et al : Deutsche S3-Leitlinie zur Therapie der Psoriasis vulgaris, adaptiert von EuroGuiDerm – Teil 1 : Therapieziele und Therapieempfehlungen. JDDG 2021 ; 19(6) : 934-951.
- Information sur les médicaments, www.swissmedicinfo.ch,(dernière consultation 16.06.2023)
- Nast A, et al : German S3-guidelines on the treatment of psoriasis vulgaris (short version). Arch Dermatol Res 2012 ; 304(2) : 87-113.
DERMATOLOGIE PRAXIS 2023 ; 33(4) : 21-24 (publié le 27.8.23, ahead of print)