On sait depuis quelques années que les femmes atteintes de polyarthrite rhumatoïde (PR) et de lupus érythémateux disséminé (LED) ont moins d’enfants qu’elles ne le souhaiteraient, par rapport aux femmes de la population normale. Plusieurs études se sont récemment penchées sur cette situation et ont examiné les raisons exactes de cette situation et les options disponibles pour les patientes qui souhaitent avoir un enfant.
Dans le cas de la polyarthrite rhumatoïde, l’infertilité est de 25% (contre 16% pour la population normale) et la sous-fertilité, définie par un délai de >1 an avant une conception souhaitée, est également deux fois plus élevée (40% contre 20%). Il existe des associations avec la prise de cortisone, d’AINS, mais surtout avec une activité plus importante de la maladie, a expliqué le Dr Rebecca Fischer-Betz, polyclinique de rhumatologie, responsable du service ambulatoire de grossesse, hôpital universitaire de Düsseldorf (D) [1]. En revanche, les patientes atteintes de lupus n’auraient pas de risque accru d’infertilité, mais auraient plus souvent des grossesses non réussies, surtout les femmes ayant des anticorps antiphospholipides.
Une étude de 2018 [2] a comparé les taux de grossesse et le délai avant la grossesse (time to pregnancy, TTP) chez des femmes atteintes de PR (n=180) et de LED (n=53) en utilisant le registre norvégien des grossesses. Comme on pouvait s’y attendre, l’âge au diagnostic était plus bas chez les patientes atteintes de lupus, mais l’âge à l’inclusion dans le registre était comparable. Les patientes atteintes de lupus étaient légèrement plus nombreuses à avoir une maladie peu active et elles prenaient plus souvent de la cortisone, bien que cela ne soit pas significatif. Cependant, il s’est avéré que les femmes atteintes de lupus étaient significativement plus susceptibles de tomber enceintes que les patientes atteintes de PR (ratio 1,91 ; IC à 95% 1,27-2,88 ; p=0,002), et qu’elles tombaient également enceintes dans un délai médian beaucoup plus court (3,0 vs. 7,0 mois ; p=0,001).
Les auteurs ont ensuite analysé les facteurs qui jouent un rôle : Dans le cas de la PR, comme on pouvait s’y attendre, l’âge avancé, la prise régulière d’AINS et une moins bonne qualité de vie physique avaient un effet négatif sur le taux de grossesse et le PTT. Les patientes atteintes de LED qui n’ont pas réussi à tomber enceinte avaient globalement une moins bonne qualité de vie que celles qui sont tombées enceintes. Le Dr Fischer-Betz conseille d’en tenir compte lors de la consultation, notamment en vue d’un réglage optimal du traitement médicamenteux.
IL-6 associée à la subfertilité
Une deuxième étude sur la fertilité, réalisée aux Pays-Bas, se réfère essentiellement à l’étude PARA*, déjà publiée il y a 10 ans, qui portait sur l’activité de la maladie dans la PR pendant la grossesse [3]. Ici, il y avait des échantillons de retour d’une partie des femmes. Les auteurs se sont demandé si des taux élevés d’interleukine-6 (IL-6) pouvaient éventuellement avoir un effet négatif sur la survenue d’une grossesse. Dans la population normale, des taux élevés d’IL-6 (et dans une moindre mesure de TNFα) sont décrits en cas de troubles de la fertilité, par exemple en cas d’endométriose.
* Amelioration de la PR induite par la grossesse
Dans les échantillons de retour, les niveaux de cytokines ont été analysés chez des femmes atteintes de PR et souhaitant avoir un enfant, dont le sérum pré-conceptionnel était disponible et qui avaient finalement réussi à obtenir une grossesse et à donner naissance à un enfant. 61 des 373 patientes initiales de la cohorte PARA ont pu être incluses dans cette analyse. En comparant les femmes qui ont eu besoin de <1 an pour tomber enceintes (n=42) avec celles dont le TTP >1 an (n=19), il n’y avait pas de différences significatives, à l’exception de la prise de cortisone, qui a également eu un effet négatif sur le TTP. En outre, des niveaux élevés d’IL-6 (mais pas de TNFα) étaient associés à la subfertilité, indépendamment de l’activité de la PR et de la médication (Fig. 1) .
Les auteurs de l’étude concluent donc qu’il est possible que des niveaux élevés d’IL-6 contribuent au fait que les femmes atteintes de PR sont plus souvent sous-fertiles et qu’il y a peut-être là une raison d’influencer cette voie de signalisation avant la conception. Cependant, il n’existe pas beaucoup de données concernant la sécurité des inhibiteurs de l’IL-6 pendant la grossesse ou en cas de désir de grossesse, c’est pourquoi les auteurs discutent également de la possibilité d’utiliser éventuellement des bloqueurs du TNFα si les femmes ne tombent pas enceintes. Le Dr Fischer-Betz a fait référence à une petite étude menée au Japon qui a montré que les patientes atteintes de PR qui suivent un traitement par inhibiteur du TNFα tombent enceintes un peu plus vite que les femmes qui ne prennent pas de bloqueur du TNFα. Les taux d’IL-6 étant peu pratiques à déterminer en routine, les auteurs ont suggéré que l’augmentation de la CRP pourrait également être prédictive d’un PTT prolongé.
Risque élevé de poussées post-partum
Environ 50 à 75% des patientes atteintes de PR voient leur activité s’améliorer pendant la grossesse (bien qu’il n’y ait pas beaucoup d’études prospectives à ce sujet). Cependant, la fréquence des poussées après l’accouchement est nettement plus élevée. Dans une méta-analyse publiée en 2019 [4], les auteurs ont cherché à savoir dans quelles études prospectives l’activité de la maladie diminuait. Les études examinées étaient celles qui incluaient au moins 5 patientes par étude et dans lesquelles les auteurs utilisaient un instrument objectif (système de scoring) pour mesurer l’activité de la maladie. Seules 10 études totalisant 237 patientes ont été incluses dans la méta-analyse selon ces critères. Des données prénatales étaient disponibles pour 204 d’entre elles et des données sur l’activité de la maladie post-partum étaient disponibles pour 135 grossesses.
En moyenne, les études ont montré une amélioration pendant la grossesse chez 60% des femmes et une aggravation post-partum chez 47% d’entre elles, bien qu’une grande partie des patientes aient repris un traitement après l’accouchement. Fischer-Betz, les résultats varient toutefois considérablement d’une étude à l’autre. En fin de compte, cela montre aussi combien peu d’études de qualité existent sur ce sujet, conclut-elle. Il manquerait également des études qui tiennent compte de l’évolution des approches thérapeutiques actuelles. Par exemple, peu de patientes ayant reçu un traitement biologique auraient été incluses.
Les patientes SpA moins à risque
Une autre étude s’est intéressée aux complications de la grossesse chez les femmes atteintes de polyarthrite rhumatoïde et de spondyloarthrite (SpA), en utilisant les données d’un registre canadien des naissances de 2005 à 2014 [5]. L’étude a comparé l’évolution de la grossesse de femmes atteintes de PR (n=631), sans arthrite inflammatoire (IA, n=308 989) et de SpA, y compris le psoA (n=2461). Il en résulte que les femmes atteintes de PR ou de SpA avaient tendance à vivre dans des zones rurales au moment de l’accouchement et étaient significativement plus susceptibles d’avoir des comorbidités, notamment des maladies de la thyroïde, de l’hypertension et du diabète.
Il est intéressant de noter que cette étude a montré que les femmes atteintes de polyarthrite rhumatoïde ont un risque significativement plus élevé de développer toutes les complications de la grossesse par rapport aux femmes de la population normale, mais que les femmes atteintes de spondyloarthrite ne présentent pas ce risque accru. (Tab.1). Une différence significative a également été observée en ce qui concerne le traitement : Les femmes atteintes de PR prenaient, comme on pouvait s’y attendre, plus de cortisone, d’AINS, d’antipaludéens et de DMARD.
Le Dr Fischer-Betz a conclu en soulignant que les registres ne permettent pas de connaître les effets de l’activité ou du traitement. “Mais je pense que l’on peut conclure ici aussi que l’on devrait par exemple envisager une prophylaxie de la pré-éclampsie, comme nous le recommandons pour le lupus avec l’aspirine, également chez les femmes atteintes de PR, en tout cas si ces femmes présentent également d’autres facteurs de risque comme le diabète ou l’hypertension”.
Messages Take-Home
- Les femmes atteintes de lupus et souhaitant avoir un enfant sont plus susceptibles de réussir à concevoir que les femmes atteintes de PR. Ils ont également un délai de conception plus court.
- Un âge maternel plus élevé, la prise régulière d’AINS et une moins bonne qualité de vie physique prolongent le PTT.
- Pendant la grossesse, plus de la moitié des patientes atteintes de PR ont connu une amélioration, mais l’autre moitié a connu une activité permanente ou même une aggravation, par exemple en raison d’une réduction du traitement.
- Il existe un risque élevé de poussées post-partum.
- Les femmes atteintes de PR, tout comme les patientes atteintes de lupus, présentent également un risque significativement plus élevé de complications liées à la grossesse.
Congrès : Mise à jour rhumatisme 2021 (en ligne)
Sources :
- Hot Topic : Grossesse & Rhumatisme, Mise à jour rhumatisme 2021 (en ligne), 12.03.2021
- Göteskam Skorpen C, et al : Les femmes atteintes de lupus érythémateux disséminé tombent plus facilement enceintes que les femmes atteintes d’arthrite rhumatoïde. Rheumatology (Oxford) 2018 ; 57(6) : 1072-1079.
- Bongenaar M, et al : IL-6 but Not TNFα Levels Are Associated With Time to Pregnancy in Female Rheumatoid Arthritis Patients With a Wish to Conceive. Front Pharmacol 2020 ; 11 : 604866.
- Jethwa H, et al : Does Rheumatoid Arthritis Really Improve During Pregnancy ? A Systematic Review and Metaanalysis. J Rheumatol 2019 ; 46(3) : 245-250.
- Keeling SO, et al : A Population-level Analysis of the Differing Effects of Rheumatoid Arthritis and Spondyloarthritis on Peripartum Outcomes. J Rheumatol. 2020 ; 47(2) : 197-203.
InFo DOULEUR & GERIATRIE 2021 ; 3(1) : 16-18 (publié le 2.7.21, ahead of print)