Les causes et le contexte des addictions comportementales sont multiples et doivent être vus et compris dans le contexte individuel. La motivation des personnes concernées à changer est souvent ambivalente et leur compréhension de la maladie est limitée. L’entourage peut aider les personnes concernées à accepter une aide professionnelle. Tant pour les patients que pour leurs proches, une détection aussi précoce que possible de la dépendance comportementale par des professionnels et une offre de conseil spécifique au groupe cible sont d’une grande utilité.
Le terme “addiction comportementale” est un terme relativement récent qui désigne un phénomène connu depuis longtemps : des comportements en principe agréables et gratifiants, tels que les jeux d’argent, l’utilisation d’Internet (par exemple les jeux de rôle et d’action ou les réseaux sociaux), le shopping ou les activités sexuelles sont pratiqués de manière excessive. Le contrôle de l’ampleur est perdu, d’autres activités importantes sont négligées et le comportement excessif sert de plus en plus à réguler les émotions et à détourner l’attention d’autres domaines problématiques. Une problématique de type addictif finit par se développer, aucune substance psychotrope n’étant apportée de l’extérieur. L’effet psychotrope se produit grâce à des changements biochimiques propres au corps. Les circuits neuronaux et la disponibilité des neurotransmetteurs, en particulier dans le système de récompense dopaminergique, changent [1,2].
La classification diagnostique de ces comportements pathologiques en tant qu’addiction ou dépendance est toutefois controversée d’un point de vue scientifique. Dans l’actuelle Classification statistique internationale des maladies (CIM-10), ils sont classés dans la section “habitudes anormales et troubles du contrôle des impulsions”, où seul le “jeu pathologique” est explicitement mentionné comme un trouble.
Dans la nouvelle édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5), le jeu pathologique (“gambling disorder”) est en revanche mentionné dans le chapitre des “troubles liés à l’utilisation de substances et à la dépendance”. Comme dans la CIM-10, les autres formes d’addiction comportementale ne sont pas spécifiées en tant que troubles et sont plus susceptibles d’être classées dans les troubles du contrôle des impulsions. Seule l’addiction aux jeux sur Internet (“internet gaming disorder”) est mentionnée au chapitre 3 du DSM 5 comme un trouble sur lequel des recherches supplémentaires sont nécessaires avant qu’il puisse être pris en compte comme diagnostic formel.
Il reste à voir comment le problème de la classification sera résolu à l’avenir et comment la définition des critères diagnostiques et la classification qui en découlent seront effectuées dans la CIM-11.
Modèle explicatif individuel
Dans la pratique, le diagnostic individuel est bien plus pertinent que ce long débat sur la classification correcte, c’est-à-dire l’exploration et la prise en compte des conditions causales et persistantes possibles du comportement excessif et des autres domaines problématiques (souvent présents) ainsi que des troubles comorbides. Il en ressort que l’addiction comportementale est un trouble très hétérogène. Ce n’est pas seulement la nature du comportement qui varie, mais aussi le contexte dans lequel s’inscrit le dérapage excessif d’un comportement qui n’est pas nuisible en soi. Ainsi, les addictions comportementales permettent à certaines personnes de faire face à des expériences pénibles ou à des états émotionnels désagréables. D’autres ont besoin des addictions comme exutoire à un stress permanent et à des problèmes non résolus, ou compensent ainsi un sentiment d’infériorité. Il n’est pas rare que les conflits interpersonnels jouent également un rôle important.
Avec le temps, un effet d’accoutumance peut se produire, qui s’accompagne des changements neurobiologiques mentionnés. Des séquelles sociales apparaissent également et les problèmes psychosociaux préexistants s’aggravent. Il en résulte un cercle vicieux psychologique, biologique et social de dépendance comportementale qui s’auto-renforce [3]. Le comprendre individuellement et en discuter avec le patient est aussi crucial pour le succès d’une consultation – souvent réalisée en premier lieu par le médecin généraliste – et pour encourager la motivation au changement que pour la planification et la mise en œuvre d’un traitement spécifique.
Motivation au changement
En raison de l’ambivalence fréquente des motivations thérapeutiques et de changement des personnes souffrant de dépendance comportementale, l’encouragement joue un rôle central dans ce domaine : comment comprendre que la personne concernée ne réduise pas son comportement alors qu’elle est parfaitement consciente des conséquences négatives ? Pourquoi la remise en question de ces comportements est-elle souvent vécue comme une menace pour l’estime de soi et n’est-elle donc pas autorisée ? La question de savoir si la personne concernée est “dépendante” ou non ne mène généralement à rien. De même, l’abstinence n’est généralement pas un objectif thérapeutique motivant. Au lieu de cela, le développement décrit d’un modèle explicatif individuel avec le patient (et si possible avec les proches) est essentiel pour renforcer avec succès la motivation au changement.
Il est également recommandé d’explorer dans quelle mesure le comportement excessif sert à gérer ou à détourner l’attention d’un état d’esprit négatif ou plutôt à rechercher le “kick”, c’est-à-dire l’obtention d’un état d’esprit positif. De même, la classification de chaque trouble sur un axe entre les comportements impulsifs (recherche du risque, manque de contrôle) et compulsifs (évitement du risque, contrôle excessif) peut être utile pour définir les objectifs de changement et l’approche thérapeutique correspondante [4].
Traitement de l’addiction à Internet et aux jeux d’argent
Dans la pratique, le triangle de la dépendance de Kielholz et Ladewig (fig. 1), souvent cité pour les dépendances liées aux substances, est approprié pour le traitement des dépendances comportementales. Le produit, l’individu et le milieu s’influencent mutuellement.
L’accès au comportement addictif, correspondant au produit addictif dans le cas des addictions liées à une substance, est un facteur important pour le traitement. Limiter cet accès ou augmenter le seuil d’accès est dans de nombreux cas bénéfique pour le traitement en ambulatoire. Une abstinence au moins partielle, par exemple de certaines applications sur Internet, améliore les chances de changements significatifs sur le plan thérapeutique. La disponibilité des médias, en particulier des appareils mobiles tels que les smartphones, représente un défi majeur à cet égard. Les offres telles que les jeux en ligne, les médias sociaux, les paris sportifs ou les casinos en ligne peuvent être utilisées à bas seuil et de manière discrète. Cela rend le contrôle (de soi) plus difficile, en particulier lorsqu’il existe un problème de contrôle des impulsions, ce qui est souvent le cas non seulement chez les toxicomanes, mais plus généralement à l’adolescence en raison du développement neurobiologique.
Le “milieu”, c’est-à-dire l’environnement personnel et donc aussi les proches, représente à la fois un facteur de risque et une ressource importante. Comme nous l’avons mentionné, dans le cas des addictions, la motivation au changement des personnes concernées est souvent ambivalente et leur compréhension de la maladie est limitée. L’entourage peut aider les personnes concernées à accepter une aide professionnelle. L’entourage remarque rapidement les changements liés à la dépendance, par exemple l’absence intérieure et le retrait des activités sociales et familiales. Les conseils donnés aux proches, par exemple par les médecins généralistes, qui sont souvent le premier point de contact en tant que personnes de confiance, créent de bonnes conditions pour que les parents et les partenaires deviennent actifs et, en exerçant une certaine pression, motivent les personnes concernées à accepter une aide professionnelle spécifique.
Interventions thérapeutiques auprès des adolescents joueurs
Jusqu’à présent, aucune recommandation thérapeutique claire basée sur des preuves ne peut être donnée pour la cyberdépendance [5]. Toutefois, la pratique montre que les interventions cognitivo-comportementales ainsi que les approches thérapeutiques multimodales impliquant les proches donnent souvent de bons résultats [2].
Ce sont généralement des parents d’adolescents ou de jeunes hommes qui jouent de manière excessive à des jeux en ligne sur des ordinateurs, des consoles de jeu ou des smartphones qui nous contactent. Les performances à l’école ou au travail chutent et les personnes concernées se retirent des activités sociales. Les disputes persistantes et l’escalade des conflits familiaux poussent les parents à bout de leur patience et pèsent sur leur estime de soi en tant que responsables de l’éducation de leurs enfants. Ils se sentent dépassés face à une situation qui semble sans issue et sont donc généralement très motivés pour un changement. Cette volonté des parents de demander de l’aide est une ressource essentielle. La situation est particulièrement favorable lorsque les parents peuvent parler ouvertement de leurs inquiétudes et, en même temps, défendre et imposer la nécessité d’un traitement à l’adolescent. C’est déjà un premier signal de rétablissement de la hiérarchie souvent déplacée.
Dans de nombreux cas, seules des séances communes avec les parents ou toute la famille permettent aux jeunes de s’engager dans un processus thérapeutique à long terme. Une publication basée sur de nombreuses années d’expérience pratique et le déroulement idéal du processus thérapeutique présenté dans le tableau 1 montrent quelles interventions sont utiles dans ce contexte [6].
Addiction aux jeux de hasard et d’argent : expérience de la pratique ambulatoire
Le principal problème du traitement de la dépendance aux jeux de hasard et d’argent est d’atteindre les personnes concernées. Seuls 5% des joueurs excessifs et pathologiques consultent un centre de traitement [7]. De plus, à peine 50% des professionnels du conseil ont de l’expérience dans ce domaine, de sorte que ce sont généralement les personnes concernées qui signalent elles-mêmes le problème avant qu’un professionnel ne le reconnaisse [8]. Dans ce contexte, une sensibilisation des médecins généralistes serait également souhaitable.
Quelle est l’expérience du centre pour la dépendance au jeu et autres addictions comportementales à Zurich (RADIX Kooperation Sucht), qui a ouvert ses portes en 2011 ? Une recherche a montré qu’avant 2011, les institutions spécialisées du canton de Zurich n’avaient enregistré que deux douzaines de cas sur cette thématique. Grâce à ce service ciblé, une augmentation continue des demandes a été observée depuis l’ouverture, de sorte que plus de 130 cas actifs de dépendance au jeu sont actuellement traités. L’expérience montre qu’une offre spécifique à un groupe cible facilite le recours à une aide professionnelle. En général, la première évaluation consiste à établir une anamnèse du jeu et à discuter de la situation personnelle et familiale. L’offre combinée de cours en groupe et de cours particuliers ou de cours de langues est un atout majeur pour les entreprises. La thérapie de couple est considérée comme utile par les personnes concernées.
Il faut s’attendre à des rechutes
La thérapie de groupe, en particulier, permet aux joueurs pathologiques de parler ouvertement de leur comportement et d’exprimer leurs sentiments de culpabilité et de honte. C’est là que les rechutes attendues peuvent et doivent être traitées et les étapes positives appréciées ensemble. L’expérience montre que le non-respect des dates de séances ou l’interruption du traitement sont en principe des prédicteurs de nouvelles rechutes. L’utilisation régulière des offres de thérapie et une fin régulière du traitement, y compris des séances de contrôle, sont importantes pour créer une bonne base pronostique pour l’évolution future.
Littérature :
- Grüsser SM, Thalemann CN : Addiction comportementale. Diagnostic, thérapie, recherche. Huber : Berne 2006.
- Bilke-Hentsch O, Wölfling K, Batra A : Praxisbuch Verhaltenssucht. Thieme : Stuttgart 2014.
- Rufer M : Motivation au changement dans les addictions comportementales. Bulletin Prävention und Gesundheitsförderung im Kanton Zürich 2011 ; 29 : 9-10.
- Rufer M, Martin Sölch C : Thérapie cognitivo-comportementale de l’addiction aux jeux vidéo. AddictionMagazine 2011 ; 3 : 30-33.
- Batthyany D, Pritz A : L’ivresse sans les drogues. Springer : Vienne 2009.
- Eidenbenz F : Thérapie systémique de la dépendance à Internet – modèle de phase. Addiction Therapy 2015 ; 16 : 179-186.
- Commission fédérale des maisons de jeu CFMJ (éd.) : Jeux de hasard : comportement et problématique en Suisse. 2009
- Lischer S, et al. : Sensibilisation des professionnels du système de soins externes aux problèmes spécifiques aux jeux de hasard et d’argent. Addiction 2014 ; 60(5) : 289-296.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2016 ; 11(5) : 30-33