Le sport est bon pour la santé, mais en faire trop peut-il même rendre malade ? Le professeur Johann Scher, médecin-chef et directeur du Centre universitaire de prévention et de médecine du sport de l’Hôpital universitaire de Bâle, explique quelle est la quantité optimale de sport, ce qu’il en est de la mort subite d’origine cardiaque et comment la réintégration dans le sport peut se faire avec un risque acceptable après une infection par le SRAS-CoV-2.
L’activité physique apporte une multitude de bienfaits pour la santé bien documentés, alors que l’inactivité physique est un facteur de risque majeur de morbidité et de mortalité cardiovasculaires. Selon le professeur Johann Scher, la dose d’activité physique nécessaire pour obtenir ces bénéfices est relativement modeste et correspond à un effort physique d’intensité modérée ≤60 min, ≤60% VO2max, en une seule fois ou régulièrement. La plupart des athlètes s’entraînent à un niveau et à une intensité au moins 5 à 10 fois supérieurs aux recommandations générales pour l’activité physique [1].
Les cellules immunitaires les plus sensibles à l’exercice physique et qui subissent une mobilisation aiguë dans la circulation sanguine lors d’un effort physique sont les cellules tueuses naturelles (cellules NK). Au cours d’un effort physique, la concentration des cellules immunitaires circulantes augmente de manière plus prononcée que l’augmentation des cellules T et B. Les cellules immunitaires circulantes sont plus sensibles à l’effort physique que les cellules T et B. Pour expliquer cette augmentation des cellules immunitaires, on suppose que le taux de catécholamines, qui augmente également lors d’un entraînement d’intensité modérée à élevée, favorise la mobilisation des cellules immunitaires dans la circulation sanguine. Une fois l’exercice terminé, les niveaux de myokine induits devraient influencer la redistribution et l’activation des cellules immunitaires. Il a été récemment établi que cette mobilisation des cellules NK en fonction de l’effort joue un rôle central dans la protection contre le cancer médiée par l’effort [2].
Covid-19 : Sport et retour aux sports
L’établissement de profils immunologiques chez les patients atteints de Covid-19 a révélé de nombreuses modifications de l’immunité innée et adaptative. Une étude a comparé le profil immunitaire de patients atteints de pneumonie légère et sévère à Covid-19 à celui de patients ne souffrant pas de pneumonie à SARS-CoV-2 (HAP), ainsi qu’à des témoins sains, en utilisant une spectrocytométrie longitudinale à cellules uniques de haute dimension et une analyse basée sur un algorithme. Les pneumonies à Covid-19 et à CoV-2 non-SARS présentaient toutes deux une myélopoïèse d’urgence élevée et présentaient des caractéristiques de paralysie immunitaire adaptative. Cependant, les signatures immunologiques pathologiques indiquant un épuisement des cellules T ne sont apparues que dans le cas du Covid-19. L’intégration de profils de cellules uniques avec une capacité prédite de liaison des peptides SARS-CoV-2 au profil HLA des patients a permis de relier davantage l’immunopathologie Covid-19 à une reconnaissance virale perturbée. En ce qui concerne la mise en œuvre clinique, la fréquence des cellules T CD56+ circulantes a été identifiée comme un biomarqueur prédictif de l’issue de la maladie [3].
Bien que les sportifs ne fassent pas partie des groupes à risque pour une évolution grave de la maladie Covid-19 selon les connaissances actuelles, cela n’exclut pas qu’ils puissent néanmoins être infectés par le SRAS-CoV-2. Quelques exemples tirés du sport organisé montrent que, dans certains cas, des évolutions plus graves sont possibles chez des sportifs par ailleurs en forme et initialement en bonne santé. Ceux-ci peuvent être accompagnés de graves problèmes de santé aigus et probablement chroniques. La question se pose donc, en particulier pour les sportifs de haut niveau et les sportifs amateurs ambitieux, de savoir comment réintégrer le sport avec un risque acceptable après avoir été infecté par le SRAS-CoV-2. Les organigrammes “SARS-CoV-2 – Return to training and competition” peuvent constituer une première ligne de conduite lors de la clarification de l’aptitude au sport et de la reprise de l’entraînement et de la compétition après une infection. Par exemple, un sportif positif au SRAS-CoV-2 et asymptomatique devrait observer une pause sportive de cinq jours. Cette période de repos de cinq jours doit être suivie d’une anamnèse et d’un examen physique, mais aussi d’un ECG au repos et d’un examen de laboratoire, en raison de la possible implication myocardique dans le cadre d’une infection par le SRAS-CoV-2, qui est associée à un risque accru de mort subite d’origine cardiaque. Les sportifs positifs au SRAS-CoV-2 et présentant des symptômes doivent en outre être asymptomatiques pendant 48 heures. En outre, une imagerie supplémentaire doit être réalisée en fonction des symptômes cliniques.
Mort subite d’origine cardiaque pendant le sport
Il arrive que des activités sportives intenses soient associées à des morts subites chez des athlètes souffrant d’une maladie cardiaque dormante mais potentiellement incurable. Malgré la publicité faite à ces catastrophes, la réputation du sport reste intacte, car la plupart des décès sont dus à une anomalie cardiaque sous-jacente, dans laquelle le sport n’est qu’un déclencheur d’une arythmie mortelle et non la cause réelle du décès.
Chez les sportifs ≤35 ans, les maladies du muscle cardiaque, des valves cardiaques, de l’aorte ainsi que des artères coronaires font partie des facteurs déclenchants possibles. Des modifications du patrimoine génétique peuvent par exemple entraîner une cardiomyopathie hypertrophique (CMH), et la cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit (ARVC/D) peut également être à l’origine d’une mort subite d’origine cardiaque. Les valves cardiaques défectueuses à la naissance entraînent un reflux accru du sang dans le cœur (insuffisance valvulaire) ou augmentent la pression dans le cœur (sténose valvulaire). Il arrive également que les artères coronaires soient mal placées. Au repos, ces maladies n’entraînent généralement aucun symptôme ; elles passent souvent inaperçues. En revanche, en cas d’effort intense, le muscle cardiaque n’est pas suffisamment alimenté en oxygène et des troubles du rythme cardiaque dangereux, pouvant entraîner la mort, peuvent survenir. Les recommandations actuelles de dépistage chez les sportifs ≤35 ans comprennent donc une anamnèse, un examen physique et un ECG de repos.
Chez les sportifs ≥35 ans, l’artériosclérose est la cause la plus fréquente de mort cardiaque subite, avec environ 85%. Dans ce cas, les artères coronaires se rétrécissent de plus en plus en raison de dépôts (plaques) de cholestérol, de tissu conjonctif et de calcaire. Si ces plaques se rompent, des caillots de sang se forment parfois et le vaisseau sanguin se bouche. Il en résulte un infarctus du myocarde, qui peut être associé à des arythmies cardiaques potentiellement mortelles. Il est donc recommandé d’ajouter un ECG d’effort aux recommandations de dépistage actuelles (anamnèse, examen physique et ECG de repos) [4].
Bien que l’ECG augmente la capacité à détecter les maladies cardiovasculaires sous-jacentes associées à la mort subite d’origine cardiaque (MSC), l’ECG en tant qu’outil de diagnostic a ses limites, tant en termes de sensibilité que de spécificité. En particulier, l’ECG ne permet pas de détecter les artères coronaires anormales, l’athérosclérose coronaire précoce et les aortopathies. Dans certains cas, les patients atteints de cardiomyopathies, notamment de cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit (ARVC), peuvent également présenter un ECG normal. L’ECG ne permet donc pas de détecter toutes les maladies qui prédisposent à la SCD. En outre, la variabilité entre les observateurs parmi les médecins reste un problème majeur. Afin d’améliorer la précision de la détection des maladies cardiaques potentiellement mortelles chez les athlètes tout en limitant les faux positifs, les normes d’interprétation de l’ECG ont donc été modifiées (Fig. 1) [5].
L’exercice physique est une médecine
Mais en principe, il est généralement admis que la pratique régulière d’une activité physique est bénéfique pour la santé cardiovasculaire. La pratique fréquente d’un sport est fortement associée à une diminution de la mortalité cardiovasculaire et du risque de maladies cardiovasculaires. Les personnes physiquement actives ont une pression artérielle plus basse, une sensibilité à l’insuline plus élevée et un profil de lipoprotéines plasmatiques plus favorable. En outre, l’activité physique régulière est également associée à la prévention de diverses maladies néoplasiques, de la dépression et de la démence. Les mécanismes physiologiques qui sous-tendent les bénéfices observés de l’activité physique ont été largement documentés (revue 1) [6].
Plusieurs études in vivo et in vitro ont montré des effets favorables sur la fibrinolyse, la fonction plaquettaire et l’agrégation plaquettaire, ce qui pourrait expliquer la moindre prévalence des maladies cardiovasculaires lors d’un entraînement modéré. Des modèles animaux sportifs montrent que l’activité physique répétée supprime l’athérogenèse et augmente la disponibilité des médiateurs vasodilatateurs tels que l’oxyde nitrique. L’exercice améliore également la diminution de la compliance et de l’élasticité du ventricule gauche et de l’aorte liée à l’âge, ce qui peut prédisposer à la morbidité cardiovasculaire à un âge avancé. En effet, le vieillissement est également un facteur de risque important pour les maladies cardiovasculaires, qui va au-delà de la simple exposition cumulée aux facteurs de risque traditionnels. Dans les grandes artères, le vieillissement progressif est associé à des modifications biochimiques et histologiques qui entraînent une rigidification des vaisseaux. De telles modifications de l’hémodynamique sont associées à la démence et aux maladies cardiovasculaires et rénales. Cette rigidification de l’aorte liée à l’âge à l’état sain est réversible si l’on modifie précocement son mode de vie en pratiquant régulièrement des exercices aérobies. Des études transversales ont montré que les athlètes à vie ont des artères périphériques plus extensibles et que des interventions d’entraînement aérobie supervisées relativement courtes (<3 mois) ont un effet positif sur la pression artérielle brachiale (PA) et la rigidité des artères périphériques [7].
La dose fait la différence !
Bien qu’il ait été établi qu’un niveau modéré d’activité physique est systématiquement associé à une réduction du risque de maladie cardiovasculaire, il existe des preuves qu’un niveau élevé et continu d’activité physique, tel qu’un marathon, peut avoir des effets néfastes sur la santé cardiovasculaire.
Des données récentes indiquent une relation en forme de U entre l’intensité de l’exercice et les événements cardiovasculaires négatifs, l’exercice modéré étant préférable à l’absence d’exercice, mais l’exercice intense pouvant être néfaste chez certaines personnes (figure 2) [6]. Une étude prospective récente a recueilli des données sur la mortalité de plus de 1000 joggeurs apparemment en bonne santé âgés de 20 à 86 ans et d’environ 4000 témoins sédentaires en bonne santé. Les chercheurs ont décrit une association en forme de U entre la mortalité totale et la dose de jogging, exprimée par la vitesse, la quantité et la fréquence du jogging. Les joggeurs légers qui faisaient 1 à 2,4 heures de jogging par semaine, réparties en trois séances, avaient un taux de mortalité inférieur à celui des non-joggeurs sédentaires, tandis que le taux de mortalité des joggeurs plus rigoureux n’était pas statistiquement différent de celui du groupe sédentaire. Sur la base de cette étude, on peut conclure que les plus grands bénéfices de l’exercice physique pour le système cardiovasculaire proviennent d’une activité physique relativement légère.
Médecine spécifique au genre !
Bien qu’il ait été globalement accepté que la plupart des blessures musculo-squelettiques sont spécifiques au sport plutôt qu’au sexe, selon Scherr, il faut également garder à l’esprit que les différences de structure anatomique entre les sexes jouent un rôle dans l’orientation biomécanique et la fonction. Outre une masse squeletto-musculaire différente, environ 40% plus élevée chez les hommes que chez les femmes, les femmes ont un bassin plus large, une valgus de la hanche et du genou plus prononcée, ainsi qu’une laxité et une pronation de l’arrière-pied plus importantes par rapport aux hommes du même âge. Le membre inférieur des femmes semble donc être moins favorable du point de vue biomécanique. C’est pourquoi la probabilité d’une rupture des ligaments croisés est quatre à huit fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Cependant, des programmes de prévention spécifiques peuvent aider à améliorer la stabilité du tronc et à consolider musculairement la stabilité de l’axe des jambes.
Et même pour certains enfants et adolescents, le sport est plus qu’un simple passe-temps. Toutefois, selon leur âge, les enfants et les adolescents sont encore en pleine croissance physique. Un entraînement sportif inapproprié peut causer des dommages durables à l’ossature et le risque de blessure ne doit en aucun cas être sous-estimé à cet égard. La Société de médecine sportive pédiatrique s’engage donc pour le progrès de la médecine sportive pédiatrique et pour la thérapie par le sport chez l’enfant et l’adolescent.
Congrès : FomF Médecine interne générale Update Refresher
Littérature :
- Dr Johannes Scherr : Médecine du sport – L’essentiel pour la pratique. Médecine interne générale Update Refresher, FomF, 21.05.2022.
- Idorn M, Hojman P : Exercise-Dependent Regulation of NK Cells in Cancer Protection. Trends Mol Med 2016 ; doi : https://doi.org/10.1016/j.molmed.2016.05.007.
- Kreutmair S, et al : Distinct immunological signatures discriminate COVID-19 from non-SARS-CoV-2-driven critical pneumonia. Immunité 2021 ; doi : https://doi.org/10.1016/j.immuni.2021.05.002.
- Pelliccia A, et al : 2020 ESC Guidelines on sports cardiology and exercise in patients with cardiovascular disease : The Task Force on sports cardiology and exercise in patients with cardiovascular disease of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2021 ; doi : 10.1093/eurheartj/ehaa605.
- Sharma S, et al : International recommendations for electrocardiographic interpretation in athletes. Eur Heart J 2018 ; doi : 10.1093/eurheartj/ehw631.
- Merghani A, et al : The U-shaped relationship between exercise and cardiac morbidity. Trends Cardiovasc Med 2016 ; doi : 10.1016/j.tcm.2015.06.005.
- Bhuva A, et al : L’entraînement pour un premier marathon inverse le raidissement de l’aorte lié à l’âge. J Am Coll Cardiol 2020 ; doi : 10.1016/j.jacc.2019.10.045.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2022 ; 17(7) : 24-26