Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) est l’un des troubles neuropsychiatriques les plus fréquents. Elle est principalement déterminée génétiquement et repose sur des anomalies neuroanatomiques et neurophysiologiques. La maladie va donc bien au-delà des jurons et des insultes.
Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) est l’un des troubles neuropsychiatriques les plus fréquents, avec une prévalence qui varie de 0,3 à 1% de la population totale selon les publications. C’est pourquoi, et alors que la médiatisation de cette pathologie ne cesse de croître, de plus en plus de collègues médecins sont confrontés ces derniers temps à des patients qui pensent être atteints de cette maladie.
Selon le DSM-5, le diagnostic de STC nécessite l’apparition d’au moins un tic vocal et de plusieurs tics moteurs ayant débuté avant l’âge de 18 ans et ayant duré au moins un an. Typiquement, les premiers tics apparaissent à l’âge de l’école primaire (4 à 9 ans). Il s’agit généralement de tics moteurs simples au niveau du visage, tels qu’une augmentation du nombre de clignements des yeux, une torsion ou un plissement des yeux, ou encore des mouvements brusques de la tête par exemple. Typiquement, les tics ne restent pas constants dans le temps, mais se transforment au fil du temps. Il peut également y avoir des tics moteurs plus complexes, par exemple sous la forme d’un accroupissement, d’une torsion du corps ou de mouvements brusques des extrémités. Il est également possible d’effectuer une séquence concertée de plusieurs mouvements. Les premiers tics vocaux apparaissent généralement quelques années après l’apparition des tics moteurs. Là encore, l’éventail est large. Outre des sons isolés tels que “grognements”, “raclements de gorge”, “chuintements” ou “souffles”, il est possible d’utiliser des syllabes isolées, des mots ou, plus rarement, des phrases courtes ou des exclamations.
Outre les phénomènes d’écho, c’est-à-dire l’imitation de gestes observés (échopraxie) ou la répétition de sons ou de mots entendus (écholalie), des coprophénomènes sous forme de gestes vulgaires (copropraxie) ou de mots (coprolalie) sont également possibles. Bien que les coprophénomènes n’apparaissent que chez environ un patient du STC sur cinq, ils dominent souvent la couverture médiatique, ce qui conduit à une perception déformée de la maladie par le public et, par conséquent, à un stress évident pour les patients qui n’ont pas de coprophénomènes et leurs familles.
Il peut être difficile de faire la différence entre les tics dans le cadre d’un STC et d’autres troubles du mouvement. Il est important de noter que les tics sont généralement des mouvements courts, phasiques et répétitifs. Il est également typique que les tics apparaissent plus fréquemment en groupes (appelés “bouts”) au fil du temps. Les tics peuvent présenter une grande similitude avec les mouvements spontanés physiologiques. Mais une fois replacées dans leur contexte, elles apparaissent le plus souvent inappropriées, déplacées ou exagérées. La capacité des patients à supprimer les tics, au moins temporairement, est également typique, ce qui n’est généralement pas possible dans d’autres troubles moteurs classiques, comme le myoclonisme ou la chorée. Une dépendance des troubles aux processus cognitifs (augmentation de la fréquence des tics en cas de stress et de concentration sur les tics, diminution en cas de distraction) peut également être utilisée comme critère de différenciation avec les troubles moteurs classiques.
L’une des principales caractéristiques du STC, outre les tics proprement dits, est la “pulsion prémonitoire” qui les précède. Celui-ci apparaît typiquement pour la première fois quelques années après l’apparition des premiers tics, généralement vers l’âge de 10 ans. Il s’agit souvent d’une tension ou d’un besoin d’action interne. Certains décrivent cela comme une autre perception sensorielle, par exemple une sensation de chaleur ou de froid ou une tension dans les muscles impliqués dans l’exécution du tic. Typiquement, la suppression des tics entraîne une augmentation, tandis que l’exécution des tics entraîne une diminution temporaire de cette sensation. La plupart du temps, la sensation préalable est perçue comme très désagréable par les patients et entraîne souvent une forte diminution de la capacité d’attention et de concentration.
Les patients atteints de STC présentent souvent des comorbidités psychiatriques. 60% présentent un syndrome d’hyperactivité avec déficit de l’attention, tandis que 40% souffrent d’anxiété et de troubles obsessionnels compulsifs. En outre, les troubles dépressifs et les troubles de l’estime de soi ne sont pas rares.
Évolution et traitement
Heureusement, l’évolution du STC est bénigne dans la plupart des cas. Alors qu’il s’agit typiquement de la 10e-11e année, il s’agit d’une période de transition. Si les troubles atteignent un pic avant l’âge de 18 ans, ils diminuent généralement de manière significative jusqu’à l’âge de 18 ans. A l’âge adulte, la plupart des patients ne présentent aucun symptôme. Dans ce contexte, aucun traitement spécifique n’est souvent nécessaire. Toutefois, si les symptômes sont très gênants ou persistent à l’âge adulte, il existe quelques options de traitement. Sur le plan médicamenteux, ce sont surtout les antipsychotiques (antagonistes de la dopamine) qui se sont révélés efficaces. Outre le tiapride en première intention chez les enfants et l’aripiprazole en première intention chez les patients adultes, d’autres neuroleptiques tels que le sulpiride ou le pimozide sont fréquemment utilisés. Les alpha-2 agonistes tels que la guanfacine sont également utilisés. En outre, des procédures psychothérapeutiques spécifiques telles que la “thérapie de renversement des habitudes” sont disponibles. Les deux éléments principaux de cette thérapie, également appelée “renversement de l’habitude”, sont une auto-perception adéquate des tics et l’apprentissage d’une “competing response”, c’est-à-dire d’une contre-réponse motrice. Dans des cas particuliers de tics focaux et peu variables, souvent au niveau de la mâchoire ou du cou, un traitement symptomatique par injection de toxine botulique peut être utile. La stimulation cérébrale profonde, en particulier du globus pallidus interne, s’est également avérée utile en principe, mais ne devrait être utilisée que dans le cadre d’études cliniques.
Étiologie et physiopathologie
Les recherches sur les facteurs déclencheurs du STC remontent à 1885, date à laquelle le neurologue et médecin légiste français George Gilles de la Tourette a décrit pour la première fois ce syndrome. Alors que l’on pensait initialement que l’origine était psychiatrique ou psychosomatique, cette théorie a été abandonnée vers 1950 en raison de l’amélioration des méthodes de diagnostic. Aujourd’hui, outre une prédisposition génétique, de nombreuses particularités neuroanatomiques, neurophysiologiques et psychologiques perceptives et cognitives sont reconnues chez les patients atteints de STC.
Spécificités neuroanatomiques et neurophysiologiques
Une partie de ces anomalies se situent au niveau des ganglions de la base, plus précisément au niveau de la boucle cortico-striato-thalamo-corticale, particulièrement importante pour l’initiation, la planification et la réalisation des mouvements. L’une des particularités les plus constantes est la diminution du volume du striatum. Mais des modifications de la connectivité des différents composants entre eux ont également pu être montrées.
Au niveau du cortex, les patients GTS présentent également un certain nombre de particularités. Il s’agit notamment d’une diminution du volume de la matière grise au niveau du cortex préfrontal. Les anomalies au niveau de l’aire motrice supplémentaire (SMA) sont particulièrement importantes. On attribue à cette partie du cortex, située dans la partie centrale de l’aire de Brodmann 6, un rôle important dans la planification et l’initiation des mouvements, entre autres. De même, les patients atteints de STC ont montré une augmentation de l’activité associée aux tics. L’inhibition de cette zone par stimulation magnétique transcrânienne a permis de réduire la fréquence des tics chez les enfants atteints du SGT.
A ce stade, il faut également mentionner le cortex pariétal inférieur (aire de Brodmann 40). Comme elle est responsable du couplage entre la perception et l’action, qui semble être perturbé chez les patients STC (voir ci-dessous), cette partie du cortex fait l’objet d’une attention croissante.
D’autres particularités se situent au niveau de l’équilibre des neurotransmetteurs. Une hyperactivité du système dopaminergique est notamment attestée par le bon effet thérapeutique des antagonistes de la dopamine comme l’aripiprazole.
Troubles psychologiques de la perception et de la cognition
De nombreuses études ont démontré des changements dans le domaine de la perception, du traitement et de la sélection des impressions sensorielles et des actions chez les patients atteints de STC. Un exemple est un contrôle inhibiteur perturbé, c’est-à-dire une capacité réduite à ignorer les stimuli non pertinents, comme le montrent par exemple les expériences avec les tâches de Stroop, Flanker, Simon ou Go/noGo. La perception interoceptive, c’est-à-dire la perception de son propre corps, par exemple sous la forme de ses propres battements cardiaques, est également significativement réduite chez les patients atteints de STC.
Le système somatosensible est particulièrement important dans le domaine des processus de perception modifiés. Cela résulte d’une part des perceptions somatosensibles typiques, appelées pré-sentiment, qui précèdent typiquement les tics (voir ci-dessus). De même, environ 80% des patients atteints du STC font état d’une hypersensibilité aux stimuli externes, de sorte que, par exemple, le contact de la peau avec une chaise ou les instructions de lavage dans un pull peuvent être perçus comme très désagréables.
Étant donné que, d’une part, les patients atteints du STC considèrent souvent les tics comme une réaction à la sensation préalable qui les précède et que, d’autre part, l’exécution du tic entraîne une diminution temporaire de cette sensation préalable, il semble qu’il existe chez les patients atteints du STC un lien particulièrement fort entre les perceptions et les actions, lien qui pourrait être à l’origine de l’apparition des tics. Pour répondre à cette question, le groupe de recherche multidisciplinaire TEC4Tic (“Cognitive theory for Tourette syndrome – a novel perspective”, DFG FOR 2698) a été créé en 2019. La théorie du codage des événements (TEC) développée par Bernhard Hommel constitue la base de cette approche. Il s’agit d’un concept-cadre ou d’une base cognitive pour les processus de perception et d’action. On considère que les perceptions sont stockées dans des fichiers dits “objets” et les actions dans des fichiers dits “actions”. Selon le TEC, cela ne se fait en aucun cas indépendamment les uns des autres, mais plutôt selon les mêmes codes, de manière interdépendante et relative, de sorte qu’un couplage entre les “fichiers d’objets” et les “fichiers d’actions” correspondants donne naissance à ce que l’on appelle des “fichiers d’événements”. Cela signifie que les conséquences sensorielles découlant d’une action sont associées à celle-ci et vice versa. Il est important qu’un “fichier d’événements” établi soit activé par un stimulus qu’il contient et qu’il soit ensuite entièrement rappelé, ce que l’on appelle la “logique de complétion de pattern”. De plus, les fichiers d’événements déjà établis ont une influence considérable sur les actions ultérieures. Si un stimulus déjà lié dans un “event-file” est présenté dans un autre contexte, les liens déjà existants au sein du “event-file” préexistant posent problème, car les liens préexistants doivent d’abord être rompus. Ces problèmes sont appelés “coûts de répétition partielle”. L’importance de ces “coûts de répétition partielle”, qui se traduisent par exemple par une augmentation du temps de réaction ou du taux d’erreur dans les “stimulus response tasks”, constitue une mesure de la force du lien entre la perception et l’action. En effet, les premières études ont montré une augmentation de ces “coûts de répétition partielle” chez les patients atteints de STG, indiquant un couplage particulièrement fort entre les perceptions (par exemple, les pré-sentiments) et les actions (par exemple, les tics).
Distinction entre le STC et les tics fonctionnels
Dans le contexte de la forte médiatisation récente des troubles du tic, en particulier des manifestations extrêmes avec des coprophénomènes très accentués, et en raison du fait que des symptômes qui n’ont que peu ou pas de points communs avec un syndrome de Gilles de la Tourette classique sont également qualifiés de Gilles de la Tourette, il est important de faire une distinction claire entre le STC et les autres troubles. Les “mouvements de type tic”, de plus en plus fréquents ces derniers temps, qui surviennent dans le cadre de troubles fonctionnels, revêtent une importance particulière à cet égard. C’est surtout dans les médias sociaux et sur les plateformes vidéo comme YouTube que l’on trouve une accumulation de “patients Tourette” qui génèrent une énorme attention médiatique en présentant des comportements bizarres et certainement divertissants pour un groupe cible spécifique. Cette exposition publique de soi-disant tics, tout à fait atypique pour les patients atteints du syndrome de Gilles de la Tourette, déforme fortement la perception du public sur le SGT, ce qui entraîne un stress énorme pour les personnes réellement atteintes et leurs familles. La distinction entre les troubles fonctionnels avec mouvements de type tic et le syndrome de Gilles de la Tourette classique est d’une importance exceptionnelle sur le plan thérapeutique. Les points suivants peuvent servir d’orientation à cet égard : Par exemple, si les “tics” sont plutôt des mouvements complexes, lents et toniques, plutôt que des mouvements brefs, fragmentés et saccadés, comme décrit ci-dessus, cela ne plaide pas en faveur d’un STC classique. De même, une relation contextuelle ou une action liée à un but ou à un objet sont plus susceptibles de faire penser à un trouble fonctionnel. De même, dans le cadre d’un STC, les tics n’ont généralement pas de caractère communicatif immédiat. Cela vaut en particulier pour les phénomènes de coprophénomène, qui sont de toute façon plutôt rares et qui occupent souvent une place très centrale dans les médias. S’il s’agit d’insultes courtes, “hachées” et répétées de manière stéréotypée, sans lien direct avec une situation ou une personne, c’est typique du STC, alors que des phrases entières, un lien avec une situation qui pourrait offenser une personne en particulier ou une multitude d’expressions différentes qui ne se répètent pas ou rarement sont plutôt des signes de troubles fonctionnels. Les insultes ciblées, la destruction délibérée d’objets, les comportements d’agression sexuelle ou l’agression d’autres personnes ne font pas partie des symptômes du syndrome de Gilles de la Tourette.
D’autres indices peuvent être fournis par le début des symptômes (SGT généralement à l’âge de l’école primaire, tics fonctionnels généralement >18), les comorbidités éventuelles (SGT souvent TDAH, trouble anxieux et obsessionnel-compulsif, troubles fonctionnels plus souvent troubles de la personnalité) et l’absence de réponse aux antipsychotiques dans le cas des troubles fonctionnels.
Dans l’ensemble, il est donc important de ne pas considérer le syndrome de Gilles de la Tourette comme une sorte de terme générique désignant des comportements socialement inacceptables et, en cas de doute, d’orienter les patients vers un service ambulatoire spécialisé afin d’éviter une erreur de diagnostic et les conséquences parfois graves qui en découlent.
Messages Take-Home
- Le SGT n’est pas un trouble psychosomatique, mais plutôt un trouble neurologique ou neuropsychiatrique, dont le déterminisme est essentiellement génétique et qui repose sur des anomalies neuroanatomiques et neurophysiologiques.
- Souvent, l’évolution est bénigne et ne nécessite pas de traitement spécifique.
- La coprolalie n’apparaît que chez environ 20% des personnes concernées et consiste généralement en des injures isolées, “hachées”, sans lien contextuel ni caractère communicatif.
- En cas de souffrance importante, des formes efficaces de thérapie médicamenteuse, psychothérapeutique et interventionnelle sont disponibles.
- La distinction entre les troubles fonctionnels et les “tics” est difficile à faire.
- Les “mouvements” peuvent être difficiles à détecter, de sorte qu’en cas de doute, il est conseillé de se rendre dans un service ambulatoire spécialisé.
Remerciements : Nous remercions la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) pour son soutien (FOR 2698).
Littérature complémentaire :
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- Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, 21 juillet 2019, n° 29, entretien avec le professeur Alexander Münchau.
- Ganos C, Garrido A, Navalpotro-Gomez I, et al. : L’envie prémonitoire de tic dans la maladie de Tourette est associée à la prise de conscience interocclusive. Mov Disord. 2015 ; 30(9) : 1198-1202.
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- Hommel B : Event files : feature binding in and across perception and action. Tendances Cogn Sci. 2004 ; 8(11) : 494-500.
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- Leckman JF, Walker DE, Cohen DJ : urges prémonitoires dans le syndrome de Tourette. Am J Psychiatry. 1993 ; 150(1) : 98-102.
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InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2020 ; 18(1) : 10-13