Le traitement de l’hypertension artérielle chez les patients âgés et fragiles représente un défi à plusieurs niveaux. Comme elles sont sujettes à un risque accru d’effets indésirables, la médication doit être initiée avec prudence. L’objectif est d’atteindre des valeurs de 130-139 mmHg pour la systolique et de 70-79 mmHg pour la diastolique.
Le traitement de l’hypertension artérielle chez les patients âgés et fragiles représente un défi à plusieurs niveaux. Néanmoins, nous serons de plus en plus confrontés à ce scénario, car on peut s’attendre à ce que la proportion croissante de patients âgés et très âgés souffrant d’hypertension artérielle entraîne une augmentation du nombre de patients fragiles et de patients souffrant de troubles cognitifs et fonctionnels.
Les directives européennes sur l’hypertension définissent les patients âgés comme ceux ≥65 ans et les très âgés comme ceux ≥80 ans [1]. Néanmoins, il faut résister à la tentation de ne prendre en compte que l’âge chronologique dans la gestion de l’hypertension artérielle ; c’est plutôt l’âge biologique qui est déterminant. L’âge ne devrait jamais être le seul motif de refus d’un traitement antihypertenseur nécessaire [1].
Épidémiologie
L’incidence et la prévalence de l’hypertension artérielle sont en constante augmentation, car la population vieillit et l’apparition de l’hypertension est clairement liée à l’âge. L’espérance de vie d’une personne de 80 ans est actuellement estimée à environ 9 ans, soit trois ans de plus qu’en 1970 [2] ; le pourcentage de personnes âgées de plus de 80 ans est estimé à 5,4% dans l’Union européenne.
La prévalence de l’hypertension artérielle est d’environ 60% chez les personnes âgées de >60 ans et d’environ 75% chez les personnes âgées de >75 ans [1]. Des données provenant d’Italie et de France montrent que >80% des résidents des maisons de retraite et des maisons de soins infirmiers souffrent d’hypertension artérielle et que >80% d’entre eux suivent un traitement antihypertenseur.
Particularités physiopathologiques du vieillissement
Modifications vasculaires chez les personnes âgées : avec l’âge, les vaisseaux sanguins deviennent plus rigides et perdent de leur élasticité. Il y a une augmentation de la vitesse de l’onde de pouls avec une augmentation de la pression artérielle systolique tardive. Cela entraîne une augmentation de l’amplitude de la pression artérielle ou de la tension artérielle, ce qui est important pour le pronostic. dans une constellation appropriée, à l’apparition d’une hypertension systolique isolée. Celle-ci est nettement plus fréquente à un âge avancé que chez les jeunes patients hypertendus (figure 1). En conséquence, on observe une augmentation de la pression artérielle systolique en fonction de l’âge et une diminution de la pression artérielle diastolique au-delà de 60 ans environ.

Fragilité : la fragilité est un syndrome gériatrique multidimensionnel qui correspond au corrélat physiopathologique d’un déclin fonctionnel avec une diminution de la condition physique, souvent du poids corporel et une sarcopénie. Sur le plan clinique, la fragilité peut être définie et quantifiée de différentes manières, et il existe un grand nombre de scores différents. L’échelle de fragilité clinique (CFS) de l’Étude canadienne sur la santé et le vieillissement (Fig. 2) permet d’évaluer et de quantifier la fragilité de manière pragmatique [2, 3]. La définition de la fragilité est importante pour la prise en compte et l’interprétation des résultats des études sur la réduction de la pression artérielle dans cet important groupe de patients [4].

Ce qu’il faut prendre en compte dans le diagnostic des hypertendus âgés
L’hypertension de la blouse blanche est plus fréquente chez les patients âgés que chez les jeunes [5] et doit être exclue avant l’instauration d’un traitement médicamenteux. Les médicaments qui augmentent la pression artérielle sont également plus souvent pris par les patients âgés que par les jeunes. Il s’agit notamment des anti-inflammatoires non stéroïdiens, des corticostéroïdes, des antidépresseurs (venlafaxine, bupropion) ou des médicaments contre le rhume (pseudoéphédrine, phényléphrine). Chez tous les patients âgés souffrant d’hypertension artérielle, une mesure de la pression artérielle en position debout (1 et 3 minutes après le lever) doit toujours être effectuée afin de ne pas passer à côté d’hypotensions orthostatiques pertinentes.
Particularités du traitement antihypertenseur
Pharmacothérapie chez les personnes âgées : les patients âgés souffrent souvent de maladies concomitantes telles qu’une insuffisance rénale ou des lésions vasculaires athéroscléreuses [1]. Ils sont plus vulnérables aux effets secondaires du traitement antihypertenseur, notamment les hypotensions avec/sans chute ou blessure [6]. Les raisons possibles sont l’état d’hydratation souvent insuffisant, une sensibilité réduite des barorécepteurs, une modification de la pharmacocinétique ou une prévalence accrue d’une composante blouse blanche [6]. Ces hypotensions sont associées à une morbidité et une mortalité accrues en raison de l’altération des mécanismes d’autorégulation des différents organes [6]. Il est donc indiqué dans les European Hypertony Guidelines de 2018 [1] que chez les patients très âgés, il est possible de s’écarter de la combinaison thérapeutique initiale recommandée au profit d’une monothérapie afin d’éviter ces effets secondaires. Chez les patients prédisposés, les diurétiques de l’anse et les alpha-bloquants doivent être évités en raison de l’association décrite avec les chutes [1]. La fonction rénale doit être régulièrement contrôlée, car un traitement antihypertenseur suffisant diminue (de manière souhaitable) la pression de perfusion rénale [1].
Une bonne surveillance des effets indésirables du traitement antihypertenseur est essentielle, en particulier pendant la phase d’initiation du traitement antihypertenseur. Ces effets indésirables sont probablement plus fréquents dans la pratique quotidienne que ce qui est indiqué dans les études randomisées, car le setting des études impose généralement une surveillance étroite [1]. D’autre part, chez les patients hypertendus âgés, l’adhésion au traitement doit être régulièrement évaluée, car la fragilité est un facteur important de non-adhésion [7].
Bénéfices du traitement antihypertenseur chez les patients âgés, très âgés et fragiles : Dans l’étude HYVET [8], 3845 patients de plus de 80 ans avec une pression artérielle systolique >160 mmHg ont été randomisés pour recevoir un traitement par indapamide (+ périndopril si nécessaire) ou par placebo. L’objectif du traitement était une pression artérielle <150/80 mmHg. Après un suivi médian de 1,8 an, la mortalité totale a été significativement réduite de 21%, la mortalité due à un AVC de 39% et le taux d’événements cardiovasculaires de 34% dans le groupe traité par le médicament. La réduction significative des événements liés à l’insuffisance cardiaque grâce au traitement antihypertenseur a également été frappante. Des méta-analyses ont même montré que les patients âgés bénéficiaient davantage d’une réduction intensive (objectif systolique de 120-140 mmHg) de la pression artérielle que les patients plus jeunes, et ce sans augmentation des effets secondaires [9]. L’étude SPRINT SENIOR [10] a démontré un bénéfice significatif du traitement antihypertenseur même chez les patients >75 ans, considérés comme “fragiles” sur la base d’un indice de fragilité de 37 points. Il est intéressant de noter que ni les analyses post-hoc de l’étude HYVET ni celles de l’étude SPRINT n’ont trouvé d’influence de la fragilité sur le bénéfice d’un traitement antihypertenseur. Cependant, les critères d’inclusion des deux études randomisées susmentionnées montrent que les patients atteints d’une fragilité avancée n’ont pas été étudiés ou qu’ils n’ont pas été inclus dans l’étude. que la définition de la fragilité reflète plutôt une comorbidité plus prononcée [4]. Les patients des maisons de retraite ou de soins, les patients présentant des troubles cognitifs significatifs ou une autonomie réduite ont été exclus de la plupart des études randomisées sur le traitement pharmacologique de la pression artérielle [2]. Pour les patients très âgés, multimorbides et/ou fragiles, une approche très individuelle reste donc nécessaire. Les études d’observation permettent de tirer des conclusions intéressantes dans ce groupe de patients, bien que les études d’observation sur le traitement antihypertenseur chez les patients en état de fragilité avancée soient plus difficiles à interpréter (et à réaliser). Une étude portant sur une cohorte de patients âgés issus de la population générale (les patients fragiles ont été inclus) a montré qu’une meilleure adhésion au traitement antihypertenseur était associée à une réduction du risque d’événements cardiovasculaires et de mortalité, même chez les patients très âgés (>85 ans) [11], ce qui souligne l’importance de l’adhésion aux médicaments même chez les personnes âgées. Une étude observationnelle basée sur la population (étude LEIDEN 85+) chez des patients très âgés (>85 ans) a montré qu’une pression artérielle systolique plus basse sous traitement antihypertenseur par >1, mais non traitée, était associée à une mortalité accrue et à un déclin cognitif plus rapide [12], ce qui relativise la réduction agressive de la pression artérielle par des médicaments à un âge très avancé. L’étude PARTAGE est parvenue à une conclusion similaire pour les résidents des maisons de retraite >80 ans [13]. Il convient toutefois de garder à l’esprit la causalité inverse lors de l’interprétation de ces résultats d’études d’observation [2], c’est-à-dire la baisse de la pression artérielle en tant qu’expression de la dégradation de la santé et de la réduction du pronostic. Malgré cette causalité inverse difficile à établir (ou plutôt la causalité d’une baisse de la pression artérielle avec un moins bon pronostic), une autorégulation perturbée chez les patients très âgés en relation avec une baisse agressive de la pression artérielle est tout à fait envisageable pour expliquer la mortalité plus élevée observée [2] et souligne que le traitement de la pression artérielle chez les personnes fragiles avancées doit être individualisé.


Valeurs cibles de pression artérielle et approche pratique : Les recommandations de prise en charge pour les hypertendus âgés, très âgés et fragiles sont résumées dans le tableau 1 . Selon les directives européennes sur l’hypertension de 2018 [1], les valeurs cibles de la pression artérielle chez les patients âgés et très âgés se situent entre 130 et 139 mmHg pour la systolique et entre 70 et 79 mmHg pour la diastolique, à condition que le traitement médicamenteux soit bien toléré. Les valeurs de pression artérielle <130 mmHg systolique doivent être évitées [1]. Pour les patients très âgés, la réduction du déclin fonctionnel ainsi que le maintien de l’autonomie et d’une bonne qualité de vie sont des priorités. Il convient donc d’éviter autant que possible les effets secondaires du traitement antihypertenseur tels que l’hypotension orthostatique, les troubles électrolytiques (avec prises de sang répétées) et la détérioration de la fonction rénale. Il en résulte donc des stratégies de prise en charge individuelles pour ces patients, un traitement antihypertenseur pouvant en principe être envisagé. Un algorithme décisionnel pour les patients très âgés est présenté dans la figure 3. Les valeurs cibles de pression artérielle ne doivent être visées que si le traitement médicamenteux est bien toléré. Il faut toutefois souligner que même une réduction de la pression artérielle qui n’atteint pas son objectif présente un bénéfice clinique [1]. La loi du tout ou rien ne s’applique donc pas au traitement de la pression artérielle.
Messages Take-Home
- Les patients âgés et très âgés souffrant d’hypertension ont tendance à présenter un risque accru d’effets indésirables du traitement antihypertenseur : la médication doit être initiée et développée avec prudence.
- La mesure de la pression artérielle en position assise et debout fait partie des mesures à effectuer chez les patients âgés afin de détecter les hypotensions orthostatiques et d’éviter les chutes.
- Chez les patients fragiles, l’indication ou l’objectif de pression artérielle dépend de l’ampleur de la fragilité : ce qui compte, c’est de préserver au maximum la qualité de vie.
- Chez les patients âgés et très âgés en bonne condition physique, l’objectif doit être de 130-139 mmHg pour la systolique et de 70-79 mmHg pour la diastolique. Il est important que les médicaments antihypertenseurs soient bien tolérés.
Littérature :
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PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2022 ; 17(4) : 14-17