Le symposium de cardiologie interventionnelle de l’hôpital universitaire de Zurich a également été consacré aux anticoagulants et aux antiplaquettaires. Ici, la question était : “un, deux ou trois ?” Il s’est avéré que la durée et le type de combinaison de la double antiagrégation plaquettaire sont mieux choisis individuellement et dépendent du risque ischémique et hémorragique. La trithérapie en cas de FVC et de syndrome coronarien aigu/stent doit être la plus courte possible. Dans certains cas, une approche duale composée de (N)OAK et de clopidogrel est une option.
Le professeur Thomas F. Lüscher, directeur de la clinique de cardiologie de l’Hôpital universitaire de Zurich, a abordé la question suivante : “Double traitement antiplaquettaire (DAPT) – quelle combinaison et pendant combien de temps ?” De nouvelles directives de revascularisation ont été publiées en 2014 concernant la situation en cas de maladie coronarienne stable (MCS) et après une intervention coronarienne percutanée. Ils recommandent la DAPT après l’implantation d’un stent à libération de médicament (“drug eluting stent”, DES) pendant une période de six mois (recommandation IB). Une durée de traitement plus courte peut être envisagée chez les patients à haut risque hémorragique, et une durée plus longue chez les patients à faible risque hémorragique mais à haut risque ischémique. L’importance de la DAPT réside dans la prévention de la thrombose de stent et dans la prévention de nouveaux événements. Mais quelle est la durée suffisante (6, 12, 24 mois) ? Et quels sont les dangers ?
Aperçu de l’état des études
Les antiagrégants plaquettaires disponibles sont, outre l’aspirine, les suivants : Ticagrelor, Prasugrel, Clopidogrel. Ces dernières années, leurs essais cliniques ont permis d’obtenir les résultats suivants :
Étude CAPRIE : le clopidogrel entraîne un taux d’événements cumulatifs d’AVC ischémique, d’infarctus du myocarde ou de décès vasculaire significativement inférieur à celui de l’aspirine (réduction du risque relatif de 8,7% à trois ans, p=0,043) – ceci chez 19 185 patients ayant récemment subi un AVC ou un infarctus du myocarde ou présentant une artériopathie périphérique symptomatique [1].
Étude CURE : chez 12 562 patients souffrant d’un syndrome coronarien aigu, le clopidogrel ajouté à l’aspirine a réduit de manière significative le taux d’événements ischémiques consistant en un décès d’origine cardiovasculaire, un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral par rapport à l’aspirine plus placebo (réduction du risque de 20% à un an, p<0,001). Cependant, il y avait aussi significativement plus de personnes avec des saignements graves (RR 1,38, p=0,001) [2].
Étude TRITON : chez 13 608 patients souffrant d’un syndrome coronarien aigu et d’une intervention coronarienne percutanée (ICP), le prasugrel a obtenu de meilleurs résultats que le clopidogrel dans le critère d’évaluation primaire, qui était le même que celui défini dans l’étude CURE (les deux étant ajoutés à de l’aspirine à faible dose). Le taux d’événements était de 12,1 vs. 9,9%, soit une réduction significative du risque de 19% à 15 mois (HR 0,81 ; IC à 95% 0,73-0,90 ; p<0,001). Les thromboses de stents étaient également significativement moins fréquentes. Toutefois, le prasugrel a de nouveau entraîné davantage d’hémorragies graves (2,4 vs. 1,8% ; HR 1,32 ; IC à 95% 1,03-1,68 ; p=0,03) [3].
Étude DAPT : l’étude dite DAPT [4], présentée l’année dernière notamment lors du congrès de l’AHA, a suscité beaucoup d’attention : 9961 patients atteints de coronaropathie et de DES ont été randomisés et suivis pendant environ trois ans (33 mois). Soit ils ont reçu le DAPT (aspirine + clopidogrel ou prasugrel) pendant 12 mois, puis uniquement de l’aspirine plus un placebo, soit la bithérapie a été étendue à 30 mois. Le traitement prolongé a permis de réduire de plus de deux tiers le risque de thrombose dite “in-stent” à 30 mois : dans le groupe étudié, le taux était de (0,4% vs 1,4% ; HR 0,29 ; IC à 95% 0,17-0,48 ; p<0,001). Le critère d’évaluation coprimaire consistant en des événements indésirables cardiovasculaires ou cérébrovasculaires pertinents a également montré une différence significative de 29-
Les résultats de l’étude ont montré une différence de 1 % en faveur de l’option de traitement à long terme. Les saignements étaient à nouveau significativement plus fréquents en raison de la prolongation du DAPT.
Étude PEGASUS : les résultats de l’étude PEGASUS ont récemment été présentés au congrès ACC 2015 à San Diego. Ils ont montré que les patients ayant subi un infarctus du myocarde plus d’un an auparavant bénéficiaient du ticagrelor en complément de l’aspirine pour le critère d’évaluation principal (défini de la même manière que dans CURE) : Le risque a diminué avec une dose de 2×90 mg/d de manière significative de 15% et avec une dose de 2× 60 mg/d de 16% par rapport au placebo (suivi : trois ans). Cependant, comme on pouvait s’y attendre, ils ont également subi un nombre significativement plus élevé d’hémorragies graves [5].
“En cas de coronaropathie stable, je recommanderais le ticagrelor (ou le clopidogrel) pour la DAPT après ICP, compte tenu des études actuelles, et le prasugrel (STEMI) et le ticagrelor (NSTEMI) en cas de syndrome coronarien aigu”, explique le professeur Lüscher. “Sur la balance risque/bénéfice, le bénéfice doit clairement l’emporter sur le risque : Prévenir la mort, l’infarctus, et la thrombose de stent sont les objectifs – ceci en augmentant le moins possible le risque de saignement”. En ce qui concerne la durée, une approche individualisée est donc la plus appropriée : par exemple, la complexité des modifications coronariennes et les comorbidités ont un impact décisif sur les événements futurs du syndrome coronarien aigu, ce qui peut nécessiter une prolongation de la durée du traitement. “Il faut trouver ce que l’on appelle le sweet spot entre la protection et le saignement (tab. 1)“, a conseillé le professeur Lüscher. “Les patients jeunes, stables et en bonne santé par ailleurs doivent bénéficier d’un DAPT de trois à six mois, et de douze mois en cas de syndrome coronarien aigu. Les patients complexes souffrant d’artériopathie périphérique, de diabète, etc. doivent être traités plus longtemps, le cas échéant”.
Triple thérapie
Le professeur Jürg Hans Beer, médecin-chef du département de médecine interne de l’hôpital cantonal de Baden, a abordé la question de la trithérapie. Le problème de l’évaluation des risques et des bénéfices est ici encore plus aigu. “En principe, le slogan est : bleeding is rarely good for you”, a déclaré le professeur Beer. Une grande étude de cohorte danoise [6] montre que les hémorragies fatales et non fatales en cas de fibrillation auriculaire (FAV) augmentent déjà avec la bithérapie – mais de manière encore plus marquée avec la triple thérapie composée de warfarine, d’aspirine et de clopidogrel, soit plus de trois fois plus que la monothérapie par warfarine (HR 3,7 ; IC à 95% 2,89-4,76).
Les découvertes suivantes ont été faites ces dernières années dans le domaine de la fibrillation auriculaire :
Fibrillation auriculaire sans maladie coronarienne/stent : il a été démontré que l’ajout d’aspirine à l’anticoagulation orale par warfarine entraîne une nette différence en faveur du côté du risque : Le risque de subir une hémorragie grave a augmenté de manière significative de 53% en six mois [7].
Fibrillation auriculaire après ICP : selon l’étude WOEST [8], la bithérapie par clopidogrel et anticoagulation orale (ACO) réduit significativement le risque de saignement de 64% par rapport à la triple thérapie ACO, aspirine et clopidogrel (incidence cumulée de 19,4 vs 44,4%). Le critère d’évaluation secondaire, défini comme le décès, l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral, était également significativement moins fréquent. Concrètement, le risque était réduit de 40% avec la bithérapie (p=0,025). En y regardant de plus près, il s’est avéré que la différence était principalement due à des saignements légers et que les saignements graves n’étaient pas significativement moins fréquents. Dans l’ensemble, WOEST a tout de même constaté une nette tendance à l’avantage en supprimant une substance active, ce que Lamberts et ses collègues [9] ont confirmé la même année. Ils concluent également que le clopidogrel et les ACO sont au moins aussi efficaces que la trithérapie en termes de sécurité et d’efficacité, et tendent même à être meilleurs. Suite à l’étude WOEST, les associations AHA/ACC/HRS ont émis une recommandation de classe IIb (évidence B) pour l’association d’un antagoniste de la vitamine K (AVK) et de clopidogrel (patients atteints de FVH après ICP). Les lignes directrices de l’ESC de 2014 considèrent également l’approche duale avec (N)OAK et 75 mg/j de clopidogrel comme une alternative pour des patients sélectionnés.
En outre, le clopidogrel ne doit en aucun cas être remplacé par le prasugrel dans le cadre d’une trithérapie – le taux de saignement augmenterait sinon de manière significative (augmentation du risque d’un facteur 4,6), comme l’a montré une étude en 2013 [10]. Il en va de même pour le ticagrelor jusqu’à présent.
Conclusion
En résumé, il existe donc actuellement deux options en cas de FHV et de syndrome coronarien aigu/stent :
- D’une part, on peut traiter par anticoagulation orale et DAPT, de préférence le plus brièvement possible (1, 3 ou 6 mois). Si l’on utilise les nouveaux anticoagulants oraux, il faut choisir le dosage le plus faible. Avec les VKA, il convient de viser un TIN cible de 2-2,5. Le prasugrel et le ticagrelor doivent être évités dans la trithérapie.
- D’autre part, dans certains cas, une approche duale avec les (N)OAK et le clopidogrel est possible.
Source : Symposium de cardiologie interventionnelle, 26 mars 2015, Zurich
Littérature :
- Comité directeur CAPRIE : Un essai randomisé en aveugle de clopidogrel versus aspirine chez les patients à risque d’événements ischémiques (CAPRIE). Comité directeur de CAPRIE. Lancet 1996 Nov 16 ; 348(9038) : 1329-1339.
- Yusuf S, et al : Effets du clopidogrel en plus de l’aspirine chez les patients atteints de syndromes coronariens aigus sans élévation du segment ST. N Engl J Med 2001 Aug 16 ; 345(7) : 494-502.
- Wiviott SD, et al : Prasugrel versus clopidogrel chez les patients atteints de syndromes coronariens aigus. N Engl J Med 2007 ; 357 : 2001-2015.
- Mauri L, et al : Twelve or 30 months of dual antiplatelet therapy after drug-eluting stents. N Engl J Med 2014 Dec 4 ; 371(23) : 2155-2166.
- Bonaca MP, et al. : Long-Term Use of Ticagrelor in Patients with Prior Myocardial Infarction. N Engl J Med 2015 Mar 14 [Epub ahead of print].
- Hansen ML, et al : Risk of bleeding with single, dual, or triple therapy with warfarin, aspirin, and clopidogrel in patients with atrial fibrillation. Arch Intern Med 2010 Sep 13 ; 170(16) : 1433-1441.
- Steinberg BA, et al. : Utilisation et risques associés du traitement concomitant à l’aspirine avec anticoagulation orale chez les patients atteints de fibrillation auriculaire : informations tirées du registre des résultats pour un traitement mieux informé de la fibrillation auriculaire (ORBIT-AF) Registry. Circulation 2013 Aug 13 ; 128(7) : 721-728.
- Dewilde WJ, et al : Use of clopidogrel with or without aspirin in patients taking oral anticoagulant therapy and subgoing percutaneous coronary intervention : an open-label, randomised, controlled trial. Lancet 2013 Mar 30 ; 381(9872) : 1107-1115.
- Lamberts M, et al : Oral anticoagulation and antiplatelets in atrial fibrillation patients after myocardial infarction and coronary intervention. J Am Coll Cardiol 2013 Sep 10 ; 62(11) : 981-989.
- Sarafoff N, et al. : Triple thérapie avec aspirine, prasugrel, et antagonistes de la vitamine K chez les patients avec implantation de stent à élution de médicament et une indication d’anticoagulation orale. J Am Coll Cardiol 2013 May 21 ; 61(20) : 2060-2066.
- Binder RK, Lüscher TF : Duration of dual antiplatelet therapy after coronary artery stenting. Médecine cardiovasculaire 2015 ; 18(1) : 3-5.
CARDIOVASC 2015 ; 14(3) : 31-34