La malnutrition augmente avec l’âge. Le principal symptôme est une perte de poids involontaire. Dans le cadre de la thérapie nutritionnelle, l’assistance d’une diététicienne qualifiée est d’une grande importance.
Bien que nous vivions dans un pays prospère, le nombre de personnes souffrant de malnutrition est étonnamment élevé. Dans les hôpitaux et les établissements de soins en particulier, 20 à 60% des patients de médecine interne et de chirurgie présentent une malnutrition énergétique et/ou protéique, la prévalence la plus élevée étant observée dans les services de gériatrie (56,2%), d’oncologie (37,6%) et de gastroentérologie (32,6%). 43% des patients âgés de plus de 70 ans souffraient de malnutrition, contre seulement 7,8% des patients âgés de moins de 30 ans [1]. Nous avons également observé, dans une étude personnelle portant sur plus de 32 000 patients, que la prévalence de la malnutrition est directement liée à l’âge (figure 1) [2]. La malnutrition est donc fréquente et augmente avec l’âge.
Jusqu’à présent, les sociétés savantes nationales et internationales n’ont pas réussi à s’accorder sur une définition commune de la malnutrition. Néanmoins, tous les experts considèrent la perte de poids involontaire comme le symptôme principal de la malnutrition. Toute personne ayant perdu plus de 5% de son poids corporel en un mois ou plus de 10% en six mois répond à un critère clé de la malnutrition. Une diminution involontaire de l’apport alimentaire et un indice de masse corporelle inférieur à 20 kg/m2 sont d’autres signes importants, souvent plus faciles à appréhender au quotidien, de l’existence d’un risque de dénutrition [3].
Les causes de l’apparition de la malnutrition sont multiples. Un aperçu des causes possibles de la malnutrition est présenté dans le tableau 1 . Tout d’abord, la composition corporelle change au cours de la vie : dès l’âge de 30 ans, les muscles disparaissent et sont remplacés par de la masse grasse. Ce changement affecte les capacités physiques, de sorte que certains seniors ne sont plus en mesure, par exemple, de faire les courses ou de préparer les aliments. De plus, avec l’âge, la sensation de soif et l’envie de manger sont réduites. Cette anorexie dite “de vieillesse” s’explique par une activité accrue des facteurs de satiété gastro-intestinaux. La biodisponibilité du fer, de la vitamine B12 et du calcium est réduite en raison d’une diminution de la résection de l’acide gastrique chez les personnes âgées. De nombreux seniors passent moins de temps à l’extérieur, de sorte que leur peau synthétise moins de vitamine D par le biais du rayonnement solaire. Il est donc recommandé aux hommes et aux femmes de plus de 60 ans de prendre une supplémentation de 800 UI/jour pour atteindre une concentration sanguine cible de 25(OH)D de 50 nmol/l. De plus, la capacité à réagir de manière adéquate au stress métabolique est altérée. Même une maladie bénigne peut donc souvent entraîner une détérioration de l’état nutritionnel et le développement d’une malnutrition chez les personnes âgées. Ces changements chez les personnes âgées apparaissent rarement de manière isolée, mais plutôt en parallèle et sont aggravés par la polypharmacie [4].
La présence d’une malnutrition a à la fois des conséquences cliniques pour le patient et des conséquences économiques (Fig. 2) [5]. La malnutrition a un impact structurel et fonctionnel sur pratiquement tous les systèmes d’organes. Par exemple, le statut immunitaire des patients diminue, ce qui augmente le risque d’infections et de complications. En conséquence, la tolérance au traitement diminue d’une part et la qualité de vie des patients se dégrade d’autre part, ce qui entraîne une augmentation de la morbidité et de la mortalité [5]. La réduction de l’état nutritionnel a généralement pour effet de prolonger l’hospitalisation des patients et d’augmenter les coûts des soins. Des analyses systématiques menées en Allemagne montrent que les coûts supplémentaires directs liés à la malnutrition sont de l’ordre de 9 milliards d’euros par an [5]. Une étude plus ancienne commandée par l’Office fédéral de la santé publique pour évaluer les coûts de la malnutrition en Suisse a permis de chiffrer ces coûts à 526 millions de francs suisses en moyenne par an [6]. Nous pouvons supposer qu’aujourd’hui les coûts sont substantiellement plus élevés.
Détection de la malnutrition
Dans les hôpitaux, les établissements de soins ou même dans les cabinets médicaux, il convient de vérifier régulièrement si un patient présente une malnutrition. Différents questionnaires se sont avérés efficaces pour le dépistage. Le Nutritional Risk Screening [7] est recommandé pour les patients hospitalisés et le Mini Nutritional Assessment [8,9] pour les patients âgés. Le questionnaire pour les patients gériatriques convient aussi bien pour le secteur hospitalier que pour le secteur ambulatoire. Tous les questionnaires ont en commun l’interrogation sur une perte de poids involontaire et une restriction de l’apport alimentaire.
Le dépistage et, si possible, la prévention de la malnutrition ne devraient pas être effectués seulement en cas de maladie aiguë à l’hôpital, mais déjà par le médecin de famille. Cependant, le peu de temps disponible dans la pratique médicale nécessite des outils simples pour vérifier la présence d’une malnutrition. Tout d’abord, il est recommandé de mesurer et de documenter le poids de chaque patient deux fois par an, en tant que mesure de routine. Sans perdre beaucoup de temps, trois questions très efficaces peuvent être posées lors de l’entretien avec le patient. Elles sont présentées dans le tableau 1 , avec les réponses possibles. Si le score total est égal ou supérieur à deux, il s’agit d’une situation à risque, ce qui devrait conduire à une évaluation nutritionnelle détaillée par une diététicienne qualifiée (reconnue par la loi) [10].
Dans l’anamnèse détaillée, la question clé de l’appétit joue un rôle central. Si l’appétit est normal ou augmenté, les causes de la malnutrition sont principalement une hyperthyroïdie, un diabète sucré non contrôlé, une malabsorption ou un phéochromocytome. Dans la plupart des cas, l’appétit est cependant diminué, de sorte que l’examen s’étend à l’ensemble du spectre de la médecine interne et doit être effectué selon les symptômes principaux [11].
Outre l’entretien approfondi, un bref examen physique doit être effectué sur le patient. Certains patients malnutris sont manifestement reconnaissables en tant que tels, car on voit directement les bords osseux et les côtes saillants. Les atrophies musculaires et l’absence totale de tissu adipeux sous-cutané sont faciles à identifier et également à palper. En plus de l’état des muscles et des tissus adipeux, la cavité buccale est une région anatomique importante du corps où se manifestent les signes cliniques d’une carence en nutriments ou d’une malnutrition. Les lèvres, la langue, la muqueuse buccale et les gencives révèlent notamment des carences en vitamines et/ou en minéraux, souvent bien avant que d’autres parties du corps ne soient touchées. Les troubles tels que les brûlures de la bouche et de la langue ainsi que les modifications du goût peuvent également être détectés de cette manière [11].
Thérapie nutritionnelle en cas de malnutrition
Lorsqu’une malnutrition ou un risque de malnutrition est identifié chez un patient, il convient de faire appel à une diététicienne qualifiée et, si cela est indiqué, de mettre en place un traitement nutritionnel individualisé après avoir effectué une évaluation nutritionnelle. Chez les patients plus jeunes, la réduction de la morbidité et de la mortalité est la priorité absolue, alors que chez les patients gériatriques, la préservation de la fonction, de l’autonomie et de la qualité de vie est primordiale [12]. La thérapie nutritionnelle chez les personnes âgées va souvent au-delà des simples mesures alimentaires et comprend un large éventail de mesures différentes, qui peuvent toutes contribuer à une prise alimentaire adéquate. Parmi ces mesures, on peut citer une visite chez le dentiste, des couverts spéciaux pour manger ou le recours à une aide ménagère ou à un service de repas à domicile [12].
La thérapie nutritionnelle a pour but d’assurer aux patients un apport suffisant en énergie, en macro et micronutriments et en liquides. La valeur indicative pour l’apport en liquide est de 30 ml par kg de poids corporel. Si la transpiration, la fièvre, la diarrhée ou les vomissements entraînent une augmentation de la déshydratation, ces pertes doivent être rapidement compensées. Les besoins énergétiques au repos diminuent au cours de la vie, la valeur de référence pour l’apport énergétique chez les seniors est d’environ 30 kcal par kg de poids corporel et par jour. En fonction de l’état nutritionnel, de l’activité physique et de la situation métabolique, les besoins énergétiques doivent être adaptés en conséquence. Le contrôle régulier du poids corporel permet de savoir si l’apport énergétique est suffisant. Contrairement aux besoins énergétiques, les besoins en protéines ne diminuent pas et augmentent même légèrement. Un apport suffisant en protéines permet de lutter contre la perte de masse musculaire. L’apport quotidien en protéines doit donc être d’au moins 0,8 à 1,2 g/kg de poids corporel, sauf en cas d’insuffisance rénale [12,13]. Outre les recommandations nutritionnelles, il convient de souligner ici l’importance de l’activité physique chez les personnes âgées, qui favorise également le maintien de la masse musculaire, de la fonction et de la qualité de vie [14].
Pour atteindre les objectifs nutritionnels, il est utile d’avoir une structure de repas régulière. Les repas principaux doivent toujours comporter un féculent, comme des pommes de terre, et un accompagnement de protéines. Au petit déjeuner, l’accompagnement protéique pourrait être du fromage, des œufs ou du fromage blanc, et au déjeuner, par exemple, de la viande, des œufs ou des sources de protéines végétales. De plus, de petites collations peuvent être intégrées afin d’obtenir un apport adéquat en énergie et en protéines. Lors du choix des aliments, il convient de tenir compte des calories et des graisses. les aliments riches en protéines, tels que le fromage à la crème, les noix ou les yaourts au lait entier, sont préférés. En outre, les repas peuvent être enrichis de graisses, par exemple sous forme d’huile d’olive, ou de sucre, de miel ou de maltodextrine. Les produits riches en protéines comme le lait écrémé en poudre ou les protéines en poudre peuvent également être utilisés pour l’enrichissement [13].
Si le patient ne peut pas couvrir ses besoins par l’alimentation normale, des suppléments nutritionnels oraux (SNO) doivent être utilisés. Ils peuvent également être utilisés comme collation ou comme substitut/complément de repas. Dans le cadre de la thérapie nutritionnelle chez les seniors malnutris, l’utilisation d’ONS est appropriée pour stabiliser et améliorer l’état nutritionnel [15,16]. Les directives nationales et européennes des sociétés de médecine nutritionnelle recommandent l’utilisation d’ONS avec un niveau de preuve A pour les personnes âgées souffrant de malnutrition ou à risque de malnutrition, afin de réduire le risque de complications et également le risque de mortalité [12,17].
Si toutes les mesures décrites pour traiter la malnutrition ne suffisent pas et qu’un déficit d’approvisionnement persiste, il convient de discuter avec le patient de l’alimentation par sonde ou, en dernier recours, de l’alimentation parentérale. La condition préalable à l’utilisation d’une nutrition artificielle par sonde est toujours que les bénéfices attendus doivent l’emporter sur les contraintes. Les aspects du pronostic et de la qualité de vie devraient toujours être pris en compte et réévalués régulièrement lors de la décision de recourir ou non à l’alimentation artificielle par sonde [18]. Dans ces conditions, la pose d’une sonde est indiquée dès qu’il est prévisible qu’un patient ne pourra pas s’alimenter correctement par voie orale, par exemple en raison d’une dysphagie ou d’un trouble de l’alimentation. ne peut pas s’alimenter par voie orale pendant plus de trois jours. Dans ce contexte, la nutrition entérale est toujours préférable à la nutrition parentérale. Si un patient ne doit être alimenté par sonde que pendant une courte période, il convient d’utiliser des sondes insérées par voie nasogastrique ou nasojéjunale. En cas d’alimentation par sonde à long terme, à partir d’environ quatre semaines, la mise en place d’une gastrostomie percutanée (PEG) doit être discutée [19]. La nutrition parentérale n’est indiquée que lorsque le patient n’a plus de tractus gastro-intestinal fonctionnel [18].
Messages Take-Home
- La malnutrition est fréquente et augmente avec l’âge.
- Le principal symptôme de la malnutrition est la perte de poids involontaire.
- La thérapie nutritionnelle chez les patients gériatriques est axée sur le maintien de la fonction, de l’autonomie et de la qualité de vie. Dans ce contexte, la prise en charge par un(e) diététicien(ne) qualifié(e) et diplômé(e) est d’une grande importance.
- Pour les seniors en bonne santé, les valeurs indicatives quotidiennes sont de 30 kcal pour l’énergie, de 0,8 à 1,2 g pour les protéines et de 30 ml pour l’eau par kg de poids corporel.
- Dans le cadre de la thérapie nutritionnelle chez les seniors malnutris, l’utilisation d’une alimentation buvable est appropriée.
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