Les orthopédistes et les chirurgiens pratiquant l’arthroscopie sont actuellement confrontés à un défi de taille. Une série d’études randomisées publiées au plus haut niveau de la hiérarchie des revues affirme que l’intervention n’a aucun effet thérapeutique spécifique sur les lésions du cartilage du genou [1, 2] ou sur les lésions dégénératives du ménisque [3, 4]. Est-ce vrai ? L’article passe une nouvelle fois en revue de manière critique les études concernées.
Les études comparatives publiées en 2013 donnent l’impression d’un bénéfice discutable ou non prouvé des opérations du ménisque, qui, dans notre pays, sont convaincantes si l’indication est appropriée, comme l’expérience le montre. Ils présentent désormais les chirurgiens sous l’angle biaisé de surprotecteurs motivés par des considérations pécuniaires. Comme on pouvait s’y attendre, la réaction des personnes concernées n’a pas manqué [5–8]. Le ton des déclarations des personnes concernées semble réjouissant, selon la devise : Fortiter in re, suaviter in modo (dur sur le fond, agréable dans la manière). Il ne s’agit pas de réactions émotionnelles excessives, comme c’est souvent le cas lorsque l’on scie sa propre chaise. Il s’agit plutôt d’analyses soigneusement rédigées après une étude approfondie de l’ensemble du travail, y compris des textes annexes, qui n’ont pas été mentionnés dans la publication principale – probablement plus consciemment qu’inconsciemment – mais qui contiennent des informations tout à fait décisives.
Les quatre études présentent des lacunes étonnantes dans la manière de transmettre les informations scientifiques, en particulier si l’on analyse les travaux dans leurs moindres détails, si l’on dispose de connaissances méthodologiques sur l’interprétation des études et si l’on peut apporter une expérience personnelle de plusieurs décennies en matière d’opérations arthroscopiques.
Défauts d’études
A la lecture critique, on se sent proche du “tireur d’élite texan” qui tire d’abord une cartouche dans un mur avec son pistolet et dessine ensuite la cible autour de l’endroit où la balle a été tirée, ce qui simplifie le message du “coup direct” [9].
Faute de place, les travaux mentionnés ne peuvent pas être discutés en détail ici. Dans les deux études sur le ménisque, la caractéristique centrale et décisive réside dans la faible prévalence d’une lésion méniscale cliniquement significative, analogue à la faible prévalence habituelle dans un cabinet de médecin généraliste. Les médecins généralistes ont le mérite d’être en mesure, grâce au diagnostic clinique, à l’évaluation de la réalité du patient, du profil d’évolution et de la réponse aux mesures conservatrices, d’augmenter la probabilité d’une lésion méniscale significative de telle sorte qu’ils puissent proposer aux collègues opérants une sélection de patients nécessitant une opération. Cette maturation des indications n’est pas discutée dans les études mentionnées. C’est pourquoi les déclarations des auteurs ne sont pas surprenantes.
On peut comparer la situation de départ à une vitre opacifiée. La cause est souvent une accumulation de poussière que l’on peut éliminer rapidement avec un wedge (physiothérapie, lavage articulaire). Toutefois, dans certains cas, si une saleté tenace colle, il faut des produits de nettoyage plus puissants (intervention chirurgicale sur le ménisque). De plus, on peut trouver des erreurs méthodologiques étonnamment grossières : Critères d’inclusion discutables ayant un impact sur la validité de l’étude [1–4], situation initiale inégale des scores dans la phase de run-in [2], analyse en intention de traiter désastreuse [3], probabilité élevée d’un biais de score [1–4], aveuglement à peine crédible [4], biais de performance, éventuellement de performeur [4], et ainsi de suite. De plus, il semble difficile de comprendre la tendance des éditeurs à accepter des textes scientifiques qui mettent en avant le message (souhaité) de l’étude et ne discutent des limites de l’étude qu’après, sans modifier le message principal.
Tactique douteuse des éditeurs
Les connaisseurs du milieu savent désormais qu’il ne suffit pas de s’appuyer aveuglément sur des études randomisées du plus haut niveau de preuve I, même dans une revue mondialement reconnue et de haut niveau. Le principe reste que les études randomisées peuvent (éthique) et doivent (facteurs de confusion répartis de manière égale entre les deux groupes) être utilisées lorsque les différences de résultats attendues dans l’étude comparative sont faibles et donc plutôt non pertinentes sur le plan clinique. Cette conception de l’étude invite donc à concevoir l’installation de manière à ce que la conclusion d’une différence de résultats inexistante ou négligeable puisse répondre aux intérêts en présence. Le NEJM est (pardon !) plutôt dirigé par des représentants de la médecine interne. On ne peut pas s’empêcher de penser que les quatre études ont un caractère stratégique systématique qui va à l’encontre d’une approche opérationnelle et que les déclarations sensationnelles sont destinées à attirer l’attention du public. Dans le contexte actuel de concurrence entre les magazines, des considérations liées au chiffre d’affaires devraient également avoir leur place dans les bureaux de direction des rédactions. Quoi qu’il en soit, il semble avoir déjà réussi à faire réagir les journalistes scientifiques et à déclencher des émissions de débat à la télévision.
Les avantages fictifs sont mieux reconnus aujourd’hui
Il ne s’agit pas de nier la nécessité d’un examen critique permanent de sa propre activité professionnelle dans les essais cliniques. Au contraire, il faut continuer à l’encourager. D’autre part, dans le contexte du débat actuel sur le sens ou le non-sens des opérations du ménisque [5–8], on peut constater que la compétence critique et analytique du corps médical s’est déjà améliorée de manière réjouissante, de sorte qu’il n’accepte plus, comme ce fut peut-être le cas autrefois, de feindre une utilité inexistante ou existante. La médecine fondée sur les preuves ou l’épidémiologie clinique fournit des outils fiables pour évaluer les avantages cliniques pertinents pour les patients. Ainsi, même d’un point de vue diagnostique, la “méthode Sherlock Holmes”, avec le calcul du gain d’information par un test et la gestion de l’estimation des probabilités de maladie [10, 11], fait ses preuves pour favoriser la qualité des indications.
Critères d’évaluation pertinents pour les patients
L’indication d’une intervention arthroscopique pertinente sur l’articulation du genou reste un défi médical majeur, non seulement dans le cabinet du médecin généraliste, mais aussi pour les spécialistes.
Il doit toujours être évident que ce ne sont pas des articulations du genou qui doivent être traitées, mais des personnes ayant un problème individuel. Cela ne peut pas se lire sur une IRM, mais nécessite une anamnèse minutieuse des modifications des capacités, un examen minutieux avec documentation des résultats cliniques pertinents et une évaluation du profil d’évolution.
Des attentes réalistes
On peut en déduire les attentes réalistes concernant la meilleure méthode de traitement curatif possible. C’est précisément dans le cas des modifications dégénératives des articulations, dans la zone grise entre la fatigue des tissus liée à l’âge et les manifestations pathologiques au sens de l’apparition de l’arthrose, que les “modèles de réparation” analogues à ceux d’un garage automobile ne sont guère appropriés. Les décisions sont plutôt basées sur le potentiel de la nature à faire face aux tissus dévitalisés dans l’articulation (cartilage, ménisque) qui n’ont plus de fonction et sont principalement responsables de la douleur et du gonflement douloureux. Le nettoyage arthroscopique vise donc à éliminer les tissus dévitalisés afin de favoriser les conditions d’une rééducation (physiothérapeutique) ultérieure.
Même si les principales affirmations de la littérature mentionnée sur le sens ou le non-sens des opérations arthroscopiques du genou semblent trompeuses à un niveau élevé, elles ont peut-être suscité des réflexions ici et là.
Dr. med. Luzi Dubs
Littérature :
- Moseley JB, et al : A controlled trial of arthroscopic surgery for osteoarthritis of the knee. N Engl J Med 2002 ; 347 : 81-88.
- Kirkley A, et al : A random trial of arthroscopic surgery for osteoarthritis of the knee. N Engl J Med 2008 ; 359 : 1097-1107.
- Katz JN, et al : Surgery versus Physical Therapy for a Meniscal Tear and Osteoarthritis. N Engl J Med 2013 ; 368(18) : 1675-1684.
- Sihvonen R, et al. : Méniscectomie partielle arthroscopique versus chirurgie de la honte pour une lésion dégénérative du ménisque N Engl J Med 2013 ; 368(26) : 2515-2254.
- Becker R, et al. : L’arthroscopie et la physiothérapie ont-elles des résultats comparables ? Orthopädie und Unfallchirurgie Mitteilungen und Nachrichten, août 2013 ; 394-395.
- Müller-Rath R : Une chirurgie méniscale inutile ? Arthroscopie 2014 ; 1 : 70-72.
- MacDonald PB : Commentary to (1) in Evidence based Orthopaedics. J Bone Joint Surg Am 2013 ; 95 : 2058.
- Dubs L : Le nettoyage arthroscopique des articulations dans l’arthrose du genou. Tiré à part de Ars Medici 2011.
- Beck-Bornholdt HP, Dubben HH : Le chien qui pond des œufs. Rowohlt Verlag 3ème éd. 2002: 38.
- Pewsner D, et al. : Sur la piste de l’intuition ? Le théorème de Bayes et le diagnostic en soins primaires. Praxis 2001 ; 3 : 41-52.
- Dubs L : La décision d’opérer le ménisque sous arthroscopie avec la “méthode Sherlock Holmes”. SAeZ 2003 ; 84(12) : 541-544.
CONCLUSION POUR LA PRATIQUE
- Restez sceptique même en cas de publication dans des revues de haut niveau.
- Une étude randomisée de niveau de preuve I ne signifie pas, loin s’en faut, que les affirmations sont convaincantes ou valables.
- Le principe de base de l’élimination des tissus dévitalisés non fonctionnels afin d’améliorer la capacité d’entraînement peut être considéré comme fiable.
- Une bonne indication de chirurgie arthroscopique du genou donne généralement de bons résultats.
- L’expérience personnelle reste importante, mais il faut toujours garder à l’esprit la question de savoir si le bon résultat a été obtenu malgré ou grâce au traitement.
A RETENIR
- Restez également septiques par rapport aux publications dans les revues prestigieuses.
- Une étude randomisée avec un niveau de preuve de I ne signifie absolument pas que les prévisions sont convaincantes ou valides.
- Le principe de base de l’ablation du tissu dévitalisé non fonctionnel afin d’améliorer l’aptitude à l’exercice physique doit être considéré comme fiable.
- Une bonne indication pour une opération du genou sous arthroscopie donne en général également de bons résultats.
- L’expérience personnelle reste importante, cependant la question de savoir si le bon résultat a été obtenu malgré le traitement ou grâce à lui ne doit jamais être perdue de vue.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2014 ; 9(4) : 22-24