La prévention des chutes et des fractures est particulièrement importante chez les personnes âgées, car ces blessures peuvent contribuer de manière non négligeable à une augmentation de la morbidité et à une perte d’autonomie concomitante. Pour éviter les chutes et les fractures, il faut en comprendre les causes et les traiter. Un aperçu de la contribution des suppléments de vitamine D et de calcium à cette problématique.
Si la chute maladroite d’un jeune enfant est encore perçue comme mignonne et inoffensive, l’appréciation d’une chute change avec l’âge. Chez les seniors en particulier, le risque de fractures osseuses est toujours présent en cas de chute. Une étude de Melton et al. a pu démontrer que 75% de toutes les fractures du corps vertébral, du radius et de la hanche se situent dans la tranche d’âge ≥65 ans [1]. Il ne faut pas non plus sous-estimer la fréquence à laquelle les personnes âgées tombent dans la vie quotidienne. 30% de toutes les personnes âgées de >65 ans et 50% de toutes les personnes >80 ans chutent au moins 1×/an [2]. Outre certains facteurs exogènes, tels que les chutes, les conditions d’éclairage insuffisantes ou les chaussures mal ajustées, des facteurs intrinsèques ont également leur part de responsabilité dans la survenue des chutes et dans l’augmentation du risque de blessures chez les personnes âgées. Chez les personnes âgées de >65 ans, deux facteurs essentiels dans le contexte du risque de chute et de blessure sont la santé des os et des muscles, selon le professeur Bischoff-Ferrari, directrice de la clinique de gériatrie de l’Hôpital universitaire de Zurich, médecin-chef de la clinique universitaire de gériatrie aiguë de l’Hôpital municipal de Waid, et directrice du centre Vieillesse et mobilité de l’Université de Zurich.
La sarcopénie, c’est-à-dire la diminution de la masse musculaire liée à l’âge et la diminution de la force musculaire qui en résulte, augmente le risque de chute, tandis que l’ostéoporose, c’est-à-dire la diminution de la masse osseuse associée à une diminution de la stabilité osseuse, contribue à augmenter le risque de blessures osseuses. En raison de la présence fréquente de comorbidités et d’un processus de guérison altéré, une chute suivie d’une fracture met rapidement en péril l’autonomie d’un senior qui était jusqu’alors encore autonome. Enfin, 40% des admissions en maison de retraite sont dues à des chutes et à leurs conséquences [2]. Une chute peut donc non seulement être une catastrophe personnelle, mais elle peut également avoir des conséquences économiques importantes en matière de santé.
Influence de la vitamine D
Le rôle de la vitamine D est très discuté dans le contexte de la prévention des chutes et des fractures chez les personnes âgées. La vitamine D est un facteur important dans le maintien de la santé osseuse. Il stimule l’absorption du calcium par l’intestin et favorise la minéralisation osseuse. Outre de nombreuses autres fonctions, on attribue à cette vitamine un effet direct sur le muscle via le récepteur de la vitamine D (VDR) [3–5]. L’hypovitaminose D peut entraîner une fonctionnalité physique réduite dans la vie quotidienne [6] et une myopathie avec faiblesse musculaire, symptômes qui peuvent être améliorés par une supplémentation en vitamine D [7]. Des études ont montré qu’une supplémentation en vitamine D à raison de 700-1000 UI/j peut réduire le risque de chute de 19% chez les personnes âgées [8] ; une administration de vitamine D d’environ 800 UI/j (parfois combinée à du calcium dans les études analysées) peut réduire le risque de fracture de la hanche de 30% chez les personnes âgées de ≥65 ans [9].
Approvisionnement en vitamine D
L’homme est capable de produire la majeure partie de la vitamine D nécessaire de manière endogène à l’aide de la lumière du soleil (rayons UVB). En outre, la vitamine est également présente dans un petit nombre d’aliments (poissons gras, foie, jaune d’œuf, certains types de champignons) et peut être apportée de manière externe. Pour vérifier que l’apport en vitamine est suffisant, on détermine le taux sérique de 25-hydroxy-vitamine D (25[OH]D), le précurseur de la vitamine D biologiquement active. Une carence est constatée à partir d’un taux <20 ng/ml.
Pour couvrir les besoins en vitamine D par l’alimentation, il faudrait par exemple consommer deux fois par jour des poissons gras comme le hareng, le saumon ou les sardines, ou 12 à 14 œufs par jour, selon le professeur Bischoff-Ferrari. Mais le seul apport par la fourniture endogène de vitamine D présente des facteurs limitants. Sous les latitudes du nord de l’Europe, l’intensité et l’angle d’incidence des rayons du soleil risquent de ne pas être optimaux de novembre à mai pour stimuler une production suffisante de vitamine D dans la peau. De plus, l’effet cancérigène des rayons UV conduit à l’exposition au soleil de zones de peau insuffisamment étendues ou à l’utilisation de produits de protection solaire à indice de protection élevé, deux mesures recommandées pour la prophylaxie du cancer de la peau, mais qui rendent difficile la production endogène de vitamine D en quantité suffisante. La population âgée est particulièrement exposée au risque de développer une hypovitaminose D. Les personnes âgées sont les plus touchées. Les personnes âgées s’exposent généralement moins au soleil, et la capacité de la peau à produire de la vitamine D diminue avec l’âge [10]. Tous ces facteurs font qu’environ 50% des personnes en bonne santé âgées de ≥65 ans et 80% de toutes les personnes âgées ayant une fracture de la hanche présentent une carence en vitamine D [11].
Plus il y en a, mieux c’est ?
Ainsi, lorsque l’apport exogène par le biais des aliments et la production endogène du corps ne suffisent pas à couvrir les besoins en vitamine D, les compléments alimentaires peuvent combler le déficit. Il existe différentes formes pharmaceutiques et différents dosages. Comme mentionné ci-dessus, un effet préventif sur les chutes a été observé pour certains dosages. Par conséquent, un dosage plus élevé de vitamine D permettrait-il d’éviter encore plus de chutes chez les personnes âgées et quelle est la sécurité de cette approche ? Cette question est également intéressante dans la perspective d’un dosage mensuel, car celui-ci est très pratique pour les patients âgés en raison de leur mobilité généralement réduite. Dans sa présentation, le professeur Bischoff-Ferrari a fait état d’une étude clinique réalisée à Zurich, dans laquelle différents dosages de vitamine D ont été comparés.
Essai de prévention de l’invalidité de Zurich
Dans le Zurich Disability Prevention Trial [12], un essai clinique randomisé en double aveugle, 200 femmes et hommes suisses ≥70 ans vivant de manière autonome à domicile ont été affectés à trois groupes d’intervention différents. Au cours de l’année précédant le début de l’étude, 100% des participants avaient fait au moins une chute. La vitamine D a été administrée à différentes doses mensuelles : 24 000 UI/mois, 60 000 UI/mois ou 24 000 UI/mois plus 300 µg de calcifédiol/mois. Le critère d’évaluation principal était l’amélioration de la fonction du membre inférieur et un taux sérique de 25[OH]D d’au moins 30 ng/ml à six et douze mois. Le critère d’évaluation secondaire était le nombre d’événements de chute par mois.
Une carence en vitamine D préexistante a été corrigée dans tous les groupes après 12 mois d’étude. Il s’est avéré que les doses plus élevées de vitamine D (60 000 UI et 24 000 plus le calcifédiol) étaient plus efficaces pour atteindre le seuil fixé de 30 ng/ml 25[OH]D. Les résultats de l’étude ont montré que les doses de vitamine D étaient plus élevées que les doses de calcifédiol. La fonction des jambes s’est également améliorée dans les trois groupes par rapport aux valeurs initiales, mais aucune différence significative n’a été observée entre les différents groupes. Au total, 61% des patients ont chuté au cours de la période d’étude de 12 mois. Dans le groupe recevant une dose mensuelle de 24 000 UI de vitamine D, 48% des membres du groupe étaient dans ce cas, contre 67% pour 60 000 UI et 66% pour 24 000 UI combinées au calcifédiol (p=0,048). Par rapport aux taux sériques de 25[OH]D, c’est dans la fourchette 21,3-30,3 ng/ml que l’on a observé le moins de chutes, ce taux étant le plus facilement atteignable avec la dose mensuelle de 24 000 IU. Les participants à l’étude qui ont atteint des taux sériques de 25[OH]D de >45 ng/ml étaient également ceux qui présentaient le plus grand risque de chute. Aucun des patients du groupe recevant une dose mensuelle de vitamine D de 24 000 UI n’a atteint ce niveau élevé de 25[OH]D dans le sang.
Sur la base des résultats de ces études, les auteurs recommandent 24 000 UI de vitamine D par mois (correspondant à 800 UI/j) chez les personnes âgées de ≥70 ans ayant des antécédents de chute et déconseillent des doses ≥60 000 UI/mois (correspondant à 2000 UI/j) dans ce groupe de patients.
Et le calcium ?
Le calcium présent dans le corps humain se trouve à environ 99% sous forme liée dans les os et les dents et confère à ces structures une stabilité grâce à des composés riches en calcium. Le calcium a également de nombreuses autres fonctions dans l’organisme, notamment la contraction musculaire et la coagulation sanguine. En raison de sa fonction stabilisatrice sur les os, un apport suffisant en calcium est considéré comme important chez les personnes âgées, surtout en ce qui concerne la prévention de l’ostéoporose et des fractures. En Suisse, l’Association suisse contre l’ostéoporose (ASCO) et la Société suisse de nutrition (SSN) recommandent un apport total de 1000 mg de calcium par jour pour les adultes, y compris les sources alimentaires de calcium et les éventuelles substitutions supplémentaires. Dans la pratique, la substitution du calcium est de plus en plus souvent associée à l’administration de vitamine D, dans le but d’obtenir un effet synergique sur la santé osseuse. Cette combinaison est déjà pratiquée, par exemple sous la forme de lait enrichi en vitamine D, comme on en trouve dans les supermarchés aux États-Unis.
Lors du symposium, le professeur Bischoff-Ferrari a donné un aperçu des études qui ont examiné les effets et les risques d’une substitution en calcium dans le cadre de la santé osseuse.
Une méta-analyse publiée en 2007 a montré que l’administration de calcium seul (sans vitamine D) n’apportait pas de bénéfice en termes de fractures non vertébrales par rapport à l’administration d’un placebo, et qu’en ce qui concerne les fractures de la hanche, il y avait même des indications d’une augmentation possible du risque de fracture [13].
Dans une autre méta-analyse, une supplémentation en calcium de ≥500 mg/j a montré une augmentation globale de 31% du risque d’infarctus du myocarde par rapport à la prise d’un placebo, le risque étant plus élevé chez les participants à l’étude qui atteignaient déjà un apport suffisant en calcium de plus de 805 mg/j par leur alimentation [14]. Cependant, les études sur les événements cardiovasculaires sous substitution calcique à haute dose ne sont pas claires. Les résultats obtenus par Lewis JR, et al. Une méta-analyse d’essais contrôlés randomisés n’a pas montré d’augmentation significative du risque de maladie coronarienne ou de ses manifestations cliniques (telles que par ex. infarctus du myocarde) ou d’augmentation de la mortalité totale lors de la prise de ≥500 mg/j de calcium avec ou sans vitamine D, dans ce cas étudiée chez des femmes ménopausées [15].
Le lait, en tant que source de calcium alimentaire, n’a montré aucun des risques mentionnés, selon le professeur Bischoff-Ferrari. Selon différentes études, le lait n’entraîne pas d’hypercalcémie ni d’augmentation du risque d’infarctus. Une méta-analyse a également suggéré qu’il existe, au moins chez les hommes, un effet protecteur par verre de lait en ce qui concerne les fractures de la hanche [16]. Pour confirmer cela, il faudrait des données d’études supplémentaires. Enfin, les produits laitiers sont des composants alimentaires précieux, car ils contiennent des protéines de haute qualité, un autre facteur important pour la santé des os et des muscles.
Source : 19e Journée de formation continue du Collège de médecine de premier recours (CMPR), 22-23 juin 2017, Lucerne
Littérature
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- Bischoff-Ferrari HA : Primer of Metabolic Bonde Diesease 9th Edition 2017-07-10
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PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2017 ; 12(8) : 49-52