Pour la prévention secondaire des événements cardiovasculaires, l’acide acétylsalicylique (AAS) est établi depuis longtemps. En revanche, l’administration d’ASS pour la prévention primaire est controversée. Alors que les experts européens ont tendance à le déconseiller, les sociétés savantes américaines y voient un certain intérêt. Mais en tout état de cause, l’utilisation de l’ASS en prévention primaire doit être envisagée au cas par cas. Les patients jeunes sont plus susceptibles d’en bénéficier, mais les personnes de plus de 60 ans doivent être particulièrement prudentes.
Le cabinet du médecin généraliste offre aux patients un accès à bas seuil pour l’évaluation et le traitement du risque cardiovasculaire. Selon la ligne directrice S3 actuelle “Conseil en matière de risque chez le médecin généraliste pour la prévention cardiovasculaire”, le nombre d’années de vie perdues à cause de la maladie coronarienne (MCC) en Allemagne est de 13 ans pour les hommes et de 15 ans pour les femmes [1]. L’hypertension, le diabète, l’obésité, l’hypercholestérolémie et le tabagisme comptent parmi les principaux facteurs de risque modifiables d’un événement cardiovasculaire. Les bénéfices en termes de prévention primaire d’un traitement efficace de ces facteurs sont indiscutables. En revanche, l’utilisation de l’acide acétylsalicylique (AAS) pour la prévention d’un premier événement cardiovasculaire est de plus en plus critiquée d’un point de vue scientifique.
Rapport de preuves basé sur 13 essais cliniques randomisés
Les recommandations de l’American College of Cardiology (ACC) et de l’American Heart Association (AHA) actuellement en vigueur, publiées en 2019, conseillent une prévention primaire par AAS “chez des adultes sélectionnés âgés de 40 à 70 ans qui présentent un risque accru de maladie athérosclérotique, mais qui ne présentent pas de risque accru de saignement” [2,3]. Un nouveau projet de recommandation publié en 2021 le US Preventive Services Task Force (USPSTF) – un groupe d’experts qui conseille le ministère de la Santé américain sur les questions de prévention des maladies – arrive à une conclusion légèrement différente : la prise d’acide acétylsalicylique (aspirine®) pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires devrait être administré aux patients âgés de 40 à 59 ans. Les patients âgés de plus de 60 ans doivent être évalués individuellement et il est déconseillé de prescrire de nouveaux AAS dans cette indication. Cette évaluation se fonde sur un rapport de données probantes portant sur plus de 160 000 personnes dont l’âge moyen allait de 53 ans dans l’étude “Physicians’ Health Study” à 74 ans dans l’étude “Aspirin in Reducing Events in the Elderly” (ASPREE) [2,4].
Conclusion : évaluation individuelle – la tranche d’âge joue un rôle
L’équipe de recherche dirigée par le Dr Janelle M. Guirguis-Blake du Kaiser Permanente Evidence-based Practice Center à Portland, Oregon (États-Unis), a effectué une revue systématique de la littérature scientifique et une méta-analyse des données de 13 essais contrôlés randomisés portant sur un total de 161 680 participants afin de déterminer l’efficacité de l’aspirine.® pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires. Ils ont constaté que l’aspirine® à faible dose réduisait légèrement le risque d’événements cardiovasculaires majeurs, d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques (Peto Odds Ratio* de 0,90, 0,89 et 0,82 respectivement), alors qu’aucune différence n’a été observée en termes de mortalité cardiovasculaire et de mortalité globale. Dans les études, les réductions absolues du risque d’événements cardiovasculaires graves allaient de 0,08 à 2,5%. L’aspirine® à faible dose a été associée à un risque accru d’hémorragie intracrânienne et extracrânienne (Peto Odds Ratio 1,31 et 1,53, respectivement). Les augmentations absolues du risque allaient de -0,2-0,4% pour les hémorragies intracrâniennes et de 0,2-0,9% pour les hémorragies extracrâniennes.
* Peto Odds Ratio : indicateur statistique qui, dans le cadre de méta-analyses, fait la moyenne des odds ratios de plusieurs travaux et les pondère.
Par conséquent, à partir de 60 ans, l’AAS n’est plus recommandé en prévention primaire de l’infarctus du myocarde et autres. Les risques liés aux hémorragies pourraient être plus importants qu’une éventuelle faible protection contre les maladies cardiovasculaires. Le projet de recommandation de l’USPSTF a été publié en ligne et peut être consulté en cliquant sur ce lien web.
Littérature :
- S3-Leitlinie : Hausärztliche Risikoberatung zur kardiovaskulären Prävention, AWMF-Register-Nr. 053-024, https://www.awmf.org, (dernier appel 03.01.2022)
- “Les maladies cardiovasculaires : Des experts américains veulent limiter les ASS dans la prévention primaire”, www.aerzteblatt.de/nachrichten/128154/Herz-Kreislauf-Erkrankungen-US-Experten-wollen-ASS-in-der-
- Primaerpraevention-einschraenken, 13.10.2021
- Arnett DK, et al. : 2019 ACC/AHA Guideline on the Primary Prevention of Cardiovascular Disease : A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines, Circulation 2019, 140 (11), www.ahajournals (dernière consultation 03.01.2022)
- “Draft Recommendation Statement : Aspirin Use to Prevent Cardiovascular Disease : Preventive Medication”, https://uspreventiveservicestaskforce.org/uspstf/draft-recommendation/aspirin-use-to-prevent-cardiovascular-disease-preventive-medication, (dernière consultation 03.01.2022)
- Rosenberg Y, et al. : Recommandations pour le traitement conservateur et la prévention secondaire de l’artériopathie oblitérante périphérique (AOP) : une brochure d’information basée sur les preuves pour les personnes concernées, Chirurgie vasculaire, publiée en ligne le 23.12.2021, https://doi.org/10.1007/s00772-021-00855-0
- Inhibition de la coagulation (fluidification du sang), www.swissheart.ch/de/herzkrankheiten-hirnschlag/behandlungen/behandlungen/gerinnungshemmung-blutverduennung.html (dernier appel 03.01.2022)
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2022 ; 17(2) : 22
CARDIOVASC 2022 ; 21(1) : 21