Les antibiotiques sont un pilier très important de la médecine moderne pour la prophylaxie et la lutte contre les infections bactériennes. Mais utilisé trop souvent ou sur une trop longue période, il favorise l’émergence et la propagation d’agents pathogènes résistants. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la résistance aux antibiotiques est aujourd’hui l’une des plus grandes menaces pour la santé. Quelles sont les implications dans la pratique clinique quotidienne ?
On constate dans le monde entier une augmentation des infections dues à des bactéries résistantes aux antibiotiques. L’utilisation excessive d’antibiotiques crée une pression sélective : les souches bactériennes qui possèdent une résistance à l’antibiotique peuvent continuer à se multiplier et à se propager. Les infections dues aux entérobactéries productrices de bêta-lactamase à spectre étendu, aux entérobactéries résistantes aux carbapénèmes et aux entérocoques résistants à la vancomycine sont de plus en plus difficiles à traiter [1]. Dans le contexte clinique, cela signifie que l’efficacité des traitements existants diminue et que, par conséquent, la morbidité et la mortalité augmentent. Pour faire face au problème de la résistance aux antibiotiques, plusieurs initiatives nationales ont notamment été lancées : le Centre suisse pour la résistance aux antibiotiques (ANRESIS) surveille ainsi en permanence la situation en matière de résistance dans le pays [2]. Les principales données sont publiées chaque mois dans le bulletin de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Alors que la résistance des bactéries à Gram négatif comme Escherichia coli (E. coli) est en forte augmentation en Suisse, les infections à Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM) ont diminué [3]. Cela est principalement dû à une réduction des infections à SARM contractées à l’hôpital, grâce aux progrès réalisés dans la prévention des infections, y compris l’amélioration des mesures d’hygiène [4,5]. “Philip Tarr, co-médecin-chef et responsable de l’infectiologie et de l’hygiène hospitalière à l’hôpital cantonal de Bâle-Campagne, Bruderholz [6].
Utiliser les antibiotiques de manière ciblée et selon des critères précis
Les principales raisons de la résistance aux antibiotiques sont une augmentation de la consommation d’antibiotiques dans l’élevage et une utilisation excessive d’antibiotiques en médecine humaine. Plus on prescrit d’antibiotiques, plus la résistance augmente. Dans le domaine de la médecine humaine, environ 75% de tous les antibiotiques sont prescrits dans les cabinets de médecins généralistes, selon le professeur Tarr [6]. Jusqu’à 50% d’entre eux ne seraient pas indiqués, ou un antibiotique à spectre trop large serait prescrit, ou la durée du traitement serait trop longue [6,7]. Entre 2000 et 2015, la consommation mondiale d’antibiotiques a augmenté de 65% [8]. En Grande-Bretagne, un antibiotique sur cinq est prescrit inutilement, et aux États-Unis, c’est même un sur trois [7]. L’utilisation ciblée d’antibiotiques est une approche importante pour réduire la résistance aux antibiotiques et est promue par les directives actuelles de différentes sociétés savantes. En plus des directives pour le traitement des maladies infectieuses de la Société européenne de microbiologie clinique et des maladies infec tieuses (ESCMID), la Société suisse d’infectiologie (SSI) a publié des recommandations adaptées aux conditions particulières de la Suisse [9,10].
Durée courte du traitement antibiotique et évitement des quinolones
Plus la période de traitement antibiotique est longue, plus la pression sélective vers le développement d’une résistance est importante. C’est pourquoi la devise est de donner des antibiotiques plutôt brièvement et violemment, explique le professeur Tarr. Il s’agit d’une tendance fondée sur des données probantes (tableau 1) [6]. “Aujourd’hui, on traite plus brièvement qu’il y a 10 ou 20 ans”, résume l’infectiologue. Tant pour la pneumonie que pour la cellulite, il est recommandé de limiter l’administration d’antibiotiques à 5 jours et à 5-7 jours pour la pyélonéphrite [6]. Des exceptions sont possibles, par exemple lorsqu’il s’agit de patients gravement immunodéprimés. En ce qui concerne le choix de l’antibiotique approprié, les recommandations du professeur Tarr relatives aux indications sont résumées dans le tableau 2 [6].
La résistance aux quinolones chez E. coli est en augmentation depuis quelques années. L’Agence européenne des médicaments (EMA) recommande de ne plus utiliser les quinolones pour les infections légères ou modérément graves, telles que les infections urinaires basses (IUB) récidivantes, lorsque d’autres antibiotiques recommandés peuvent être utilisés [11].
Tant au niveau individuel qu’au niveau de la population, il existe une forte association entre la consommation et la résistance [12]. En outre, les quinolones causent des dommages plus importants au microbiome intestinal que les autres antibiotiques, selon le professeur Tarr. Il existe de bonnes données indiquant qu’à chaque fois que le microbiome est endommagé par des antibiotiques, la fonction de défense de la microflore saine est affaiblie. Et ces dernières années, de nombreux effets secondaires des quinolones ont été mis en évidence.
Angine et cystite non compliquée : un traitement sans antibiotique en option
En prenant l’exemple d’une patiente souffrant d’une cystite non compliquée, le conférencier a illustré le fait qu’en l’absence de signes d’alerte (p. ex. mauvais état général, CRP élevée), un traitement sans antibiotiques peut souvent être une option. La décision doit être prise dans le cadre d’une “prise de décision partagée”, en informant les patients des avantages et des inconvénients. Il est très rare qu’une cystite évolue vers une pyélonéphrite secondaire sans traitement antibiotique, selon le conférencier. Il concernerait au maximum 1 femme sur 100 parmi les femmes concernées. Concernant les angines streptococciques, les guidelines autorisent officiellement depuis 2019 un traitement sans antibiotique en première intention [13]. Cela ne signifie pas que cela fonctionne toujours. Si la fièvre et le mal de gorge s’aggravent au bout de deux ou trois jours, un traitement antibiotique différé peut également être prescrit.
Dans le domaine pédiatrique, l’Association des médecins cantonaux de Suisse a décidé en 2020 que les enfants atteints d’angine streptococcique et de scarlatine ne seraient plus exclus du jardin d’enfants ou de l’école s’ils se sentent bien [14].
Congrès : Forum pour la formation médicale continue 17-20.11.2021
Littérature :
- OFSP : Stratégie sur la résistance aux antibiotiques dans le domaine humain, www.bag.admin.ch/bag/de/home/strategie-und-politik/nationale-gesundheitsstrategien/strategie-antibiotikaresistenzen-schweiz.html (dernière consultation 21.12.2021)
- ANRESIS, www.anresis.ch/de (dernière consultation 21.12.2021)
- Renggli L, et al. : Lutte contre la résistance aux antibiotiques en Suisse. Primary And Hospital Care – Médecine interne générale 2020 ; 20(11) : 352-355.
- Knight GM, EL Budd, Lindsay JA : Large mobile genetic elements carrying resistance genes that do not confer a fitness burden in healthcare-associated meticillin-resistant Staphylococcus aureus. Microbiologie 2013 ; 159(Pt 8) : 1661-1672.
- Landelle C, K Marimuthu, S Harbarth : Mesures de contrôle des infections pour réduire la charge de la résistance aux antimicrobiens dans le milieu des soins critiques. Curr Opin Crit Care 2014 ; 20(5) : 499-506.
- Tarr P : Infections courantes et principaux antibiotiques utilisés dans la pratique. Philip Tarr, Forum pour la formation médicale continue, 17.11.2021
- Schwenke J, Schaub R, Tarr P : Mise à jour 2018 sur la résistance aux antibiotiques pour la pratique. Primary and Hospital Care 2018, DOI:10.4414/PHC-D.2018.01839
- Partenariat mondial pour la recherche et le développement des antibiotiques (GARDP), https://gardp.org/uploads/2020/05/GARDP-brochure-2020-de.pdf (dernière consultation 21.12.21)
- ESCMID, www.escmid.org (dernière consultation 21.12.21)
- Swiss Society for Infectious Diseases, https://ssi.guidelines.ch, (dernière consultation 21.12.21)
- Agence européenne des médicaments (EMA), www.ema.europa.eu/en/documents/press-release/fluoroquinolone-quinolone-antibiotics-prac-recommends-restrictions-use_en.pdf, (dernière consultation 21.12.21)
- Gasser M, Schrenzel J, Kronenberg A : “Evolution actuelle de la résistance aux antibiotiques en Suisse”, Swiss Med Forum 2018 ; 18(46) : 943-949. https://medicalforum.ch/de/detail/doi/smf.2018.03404 (dernière consultation 21.12.21)
- Swiss Society for Infectious Diseases, Pharyngitis-Guidelines, https://ssi.guidelines.ch/guideline/2408, (dernière consultation 21.12.21)
- Association des médecins cantonaux de Suisse, www.vks-amcs.ch/fileadmin/docs/public/vks/Schulausschluss__def_20200505_d.pdf (dernière consultation 21.12.21)
- Llewelyn MJ, et al : The antibiotic course has had its day. BMJ 2017 Jul 26 ; 358:j3418.
- Organisation mondiale de la santé (OMS), www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/antibiotic-resistance (dernière consultation 21.12.21)
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2022 ; 17(1) : 44-45