Le prurit chronique peut survenir à tout âge et toucher différents groupes de patients. Il est conseillé d’adopter une approche fondée sur des lignes directrices afin d’en déterminer la cause et d’orienter les personnes concernées vers le meilleur traitement possible. Le paysage thérapeutique est en pleine évolution, comme en témoignent, entre autres, les nouveaux médicaments autorisés récemment dans les indications du prurit néphrogénique et du prurigo nodulaire.
Le prurit ne survient pas uniquement dans le cadre de maladies cutanées telles que la dermatite atopique ou le psoriasis, mais de nombreux patients souffrant de pathologies internes souffrent également de ce symptôme gênant. La prévalence à vie des démangeaisons chroniques – c’est-à-dire persistantes pendant au moins 6 semaines – est d’environ 20%, a expliqué le PD Dr Simon Müller, directeur médical de la dermatologie hospitalière, Hôpital universitaire de Bâle [1]. Les personnes concernées souffrent souvent d’une qualité de vie fortement dégradée, accompagnée de niveaux de stress élevés, de troubles anxieux et de dépression.
Classification – “International Forum for the Study of Itch” (IFSI)
Pour trouver une explication au prurit, il est recommandé d’adopter une approche structurée, basée sur des lignes directrices, car l’éventail des causes possibles est large, selon l’orateur. La ligne directrice S2k actuelle propose d’utiliser la classification IFSI du prurit chronique [2,3]. Dans un premier temps, le patient est classé dans un groupe clinique (IFSI I-III) et dans un deuxième temps, les catégories de diagnostic différentiel de la maladie sous-jacente éventuelle sont déterminées. Selon l’IFSI, le prurit chronique peut être classé dans les groupes suivants :
- IFSI I : prurit chronique sur une peau primairement lésionnelle (altérée) : en présence d’une maladie de la peau (auparavant : prurit cum materia)
- IFSI II : prurit chronique sur une peau primaire non lésionnelle (non altérée) : sans présence initiale de lésions cutanées (auparavant : prurit sine materia)
- IFSI III : prurit chronique avec lésions de grattage sévères : Prédominance de lésions de grattage chroniques (par exemple prurigo chronique, lichen simplex) qui ne permettent pas de les classer dans le premier ou le deuxième groupe.
Les catégories de diagnostic différentiel sont les suivantes : maladies dermatologiques, maladies systémiques (y compris le prurit médicamenteux), maladies neurologiques, maladies psychiques/psychosomatiques, multifactorielles (c.-à-d. plus d’une cause), prurit d’origine indéterminée. En cas de prurit chronique sur une peau primitivement non lésionnelle, il convient d’envisager en premier lieu des maladies internes, neurologiques et psychologiques/psychosomatiques ou un prurit induit par des médicaments [3].
Plan de traitement individuel avec mesures axées sur les symptômes
Il est recommandé de suivre la procédure thérapeutique suivante : il convient tout d’abord d’informer les personnes concernées sur les mesures générales visant à soulager le prurit et de procéder à un diagnostic afin de détecter d’éventuelles maladies sous-jacentes. Parallèlement au diagnostic, il est judicieux d’instaurer un traitement symptomatique progressif (tableau 1) [3]. Afin d’obtenir le meilleur profil bénéfice/risque possible, il est proposé d’établir le plan de traitement de manière individuelle en tenant compte de l’âge, des maladies et de la médication, ainsi qu’en fonction de la gravité des symptômes et des limitations de la qualité de vie liées à la santé. Les antagonistes des récepteurs H1 périphériques sélectifs de deuxième génération (par exemple la loratadine, la cétirizine, la desloratadine, la lévocétirizine ou la bilastine) sont largement utilisés comme agents antiprurigineux. Contrairement aux bloqueurs de récepteurs H1 de première génération, ils sont généralement bien tolérés et n’ont pratiquement pas d’effet dépresseur ou sédatif.
Les produits biologiques et les JAK-i inhibent les voies de signalisation pro-inflammatoires
Le prurit chronique repose sur des mécanismes physiopathologiques complexes, dans lesquels différents systèmes de médiateurs, des cellules immunitaires et non immunitaires, ainsi que des classes de fibres nerveuses interagissent pour déclencher et maintenir des processus de sensibilisation dans la peau et dans le système nerveux périphérique et central [4]. Les approches récentes du traitement systémique du prurit se concentrent sur le blocage des interleukines pro-inflammatoires, telles que l’IL(interleukine)-4/IL-13/IL-31 ou la voie de signalisation JAK/STAT** [5]. Une expression pertinente de l’IL-4 et de l’IL-13 a été démontrée en particulier dans les maladies inflammatoires de la peau telles que la dermatite atopique (et le prurigo nodulaire chronique ou prurigo nodularis). L’IL-31 est particulièrement discutée chez l’homme en cas de démangeaisons dans le cadre de la dermatite atopique, du lymphome cutané à cellules T, du psoriasis et du purigo nodularis.
** JAK/STAT=Januskinase/”transducteurs de signal et activateurs de transcription”.
Prurigo nodulaire – le dupilumab et le némolizumab marquent des points
Le prurigo nodulaire (PN) se caractérise par des nodules qui démangent la peau. L’étiologie exacte de la maladie n’a pas encore été établie. Il est probable que la PN se développe chez des patients souffrant de prurit chronique et sévère d’étiologies diverses en réponse à un grattage répété. Dupilumab (Dupixent®) a obtenu de Swissmedic une extension d’indication pour les adultes atteints d’une PN modérée à sévère, sur la base du programme d’études PRIME [6]. Les effets de cet anticorps monoclonal reposent sur la liaison à la sous-unité α du récepteur de l’interleukine (IL)-4 et du récepteur de l’IL-13. Dans les études de phase III PRIME et PRIME2, menées en double aveugle et contrôlées par placebo, 311 adultes souffrant de prurigo nodulaire non contrôlé ont été randomisés 1:1 pour recevoir 300 mg de dupilumab toutes les deux semaines ou un placebo [7]. Dans l’étude PRIME, une réduction de ≥4 points de la Worst-Itch Numeric Rating Sc ale [WI-NRS] a été obtenue à la semaine 24 dans le bras d’étude dupilumab, contre 18,4% sous placebo (intervalle de confiance (IC) à 95% : 27,8-57,7 ; p<0,001). Dans l’étude PRIME2, 37,2% et 22,0% des patients ont obtenu une réduction de ≥4 points dans le WI-NRS à la semaine 12 (IC 95% ; 2,3-31,2 ; p=0,022).
Souffrance liée aux démangeaisons – Envisager des antidépresseurs De nombreuses études ont démontré que le prurit chronique affecte considérablement la qualité de vie des personnes qui en souffrent. “La prévalence de la dépression et des troubles anxieux est élevée dans cette population de patients”, a expliqué le PD Dr Simon Müller, dermatologie, Hôpital universitaire de Bâle. Le test de Whooley à deux questions (“Au cours du dernier mois, vous êtes-vous senti(e) souvent abattu(e), tristement déprimé(e) ou désespéré(e) ?” et “Au cours du dernier mois, avez-vous eu nettement moins envie et moins de plaisir à faire des choses que vous aimez habituellement ? Si les symptômes dépressifs sont au premier plan et que le patient souhaite une amélioration du sommeil, le Dr Müller utilise l’antidépresseur tricyclique trimipramine, alors que si les symptômes anxieux sont prédominants et que le patient souffre de problèmes de sommeil, il utilise la trazadone – un antidépresseur du groupe des antagonistes de la sérotonine avec inhibition simultanée de la recapture de la sérotonine (SARI). En cas de dépression ou d’anxiété, mais si l’on ne souhaite pas améliorer le sommeil, on peut utiliser la sertraline, un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine qui présente relativement peu d’effets secondaires. |
vers [1,11] |
L’anticorps antirécepteur IL-31, le nemolizumab, n’est pas encore commercialisé en Suisse, mais des résultats remarquables ont été obtenus lors d’études cliniques. Dans une étude de phase II, le némolizumab a entraîné une réduction du prurit de 4,5 points (-53,0%) par rapport à la ligne de base à la semaine 4 chez les patients atteints de PN modérée à sévère, contre 1,7 point (-20,2%) sous placebo (p<0,001) [8].
Prurit néphrogénique – récepteurs opioïdes μ et κ
Selon la cohorte multinationale DOPPS (“Dialysis Outcomes and Practices Patterns Study”), plus de 40% des patients dialysés souffrent d’un prurit modéré à très sévère [9]. “La pathogenèse du prurit néphrogénique est relativement complexe”, a rapporté le Dr Müller. On pense qu’un dysfonctionnement du système opioïde endogène, comme une surstimulation des récepteurs opioïdes μ centraux ou un antagonisme des récepteurs opioïdes κ périphériques, est largement impliqué. La diféfaline (Kapruvia®) – une substance active appartenant au groupe des agonistes des récepteurs opioïdes – a été autorisée en Suisse en 2022 pour le traitement du prurit chez les patients adultes hémodialysés [6]. Les effets anti-démangeaisons sont dus à un agonisme sélectif sur les récepteurs opioïdes kappa. Le médicament est administré par voie intraveineuse. Contrairement aux agonistes des récepteurs μ, la diféfaline ne peut pas être utilisée de manière abusive comme stupéfiant et ne provoque pas de dépression respiratoire [10].
Congrès : formation continue commune BE-BS-ZH
Littérature :
- “1, 2, 3 – le prurit bientôt terminé ? Bewährte und neue Systemtherapien”, PD Dr. med. Simon Müller, Formation continue et postgraduée commune des cliniques dermatologiques de Berne, Bâle et Zurich. Hôpital de l’Île, Berne, 25.05.2023.
- International Society for the Study of Itch (IFSI), www.itchforum.net,(dernière consultation 09.08.23)
- Ständer S, et al. : Ligne directrice S2k : Diagnostic et traitement du prurit chronique. JDDG 2022 ; 20(10) : 1386-1402.
- Cevikbas F, Lerner EA : Physiologie et physiopathologie de la démangeaison. Physiol Rev 2020 ; 100 : 945-982.
- Agelopoulos K, et al : Neurobiologie du prurit : nouveaux concepts. La dermatologie 8/2022. www.springermedizin.de,(dernière consultation 09.08.23)
- Information sur les médicaments, www.swissmedicinfo.ch,(dernière consultation 09.08.23)
- Yosipovitch G, et al : Dupilumab chez les patients atteints de prurigo nodulaire : deux essais de phase 3 randomisés, en double aveugle et contrôlés par placebo. Nat Med 2023 : 29 : 1180-1190.
- Ständer S, et al. : Essai du némolizumab dans le prurigo nodulaire modéré à sévère. NEJM 2020 ; 382(8) : 706-716.
- Rayner HC, et al : International comparisons of prevalence, awareness, and treatment of prurit in people on hemodialysis. Clin J Am Soc Nephrol 2017 ; 12 : 2000-2007.
- Pharmawiki, www.pharmawiki.ch,(dernière consultation 09.08.2023)
- Whooley MA, et al. : Outils de recherche de cas pour la dépression. Deux questions valent mieux qu’une. J Gen Intern Med 1997 ; 12 : 439-445.
- Tutka K, et al : Microbiome de la peau dans le prurigo nodulaire. International Journal of Molecular Sciences 2023 ; 24(8) : 7675. www.mdpi.com/1422-0067/24/8/7675,(dernière consultation 09.08.2023)
DERMATOLOGIE PRAXIS 2023 ; 33(4) : 26-27 (publié le 27.8.23, ahead of print)