Le deuil lui-même n’est pas une maladie, mais un processus naturel après la perte d’un proche, qui permet de vivre des expériences positives en plus d’un grand stress. Une attitude ouverte et de soutien vis-à-vis de la fin de vie et de la mort est un critère de qualité d’une bonne institution. En cas de deuil très intense, les processus de régulation émotionnelle et somatique peuvent être durablement perturbés. Un accompagnement intensif du deuil, voire une thérapie, n’est que très rarement nécessaire et requiert un diagnostic complet ainsi qu’une intervention spécifique.
Dans notre société, et donc dans les soins médicaux, la gestion de la mort est un sujet complexe qui implique des questions juridiques, médicales, sociales et psychologiques. Cet article a pour but d’aborder brièvement les principales questions relatives au deuil et à la gestion du deuil ou de la mort. de l’accompagnement du deuil.
Les personnes exerçant des professions d’aide sont régulièrement confrontées à des pertes. Elles doivent être en mesure de gérer le désespoir des proches tout en faisant face à leur propre émotion. Tant les soignants que les proches sont souvent seuls dans leur perte et se sentent impuissants face à la situation de décès. Il n’en reste pas moins que la situation doit être gérée de manière compétente. Dans de nombreux cas, les soignants sont confrontés au deuil et à la douleur de la perte sans avoir reçu de formation spécifique. Récemment, le problème a été reconnu et il existe de plus en plus de littérature qui tente de combler cette lacune [1]. Cependant, dans le domaine des soins, il existe différentes idées sur le traitement du deuil, qui sont parfois appliquées de manière irréfléchie.
Il est d’autant plus important que la perte ne soit pas considérée comme une tâche de soins primaire, mais comme un événement de la vie qui ne provoque pas en soi une souffrance nécessitant un traitement médical, quel qu’il soit – mot-clé : “médicalisation” du deuil [2]. De même, une assistance spirituelle n’est pas obligatoire en cas de décès. Toutefois, il est extrêmement utile de se demander comment gérer les pertes lorsqu’on exerce une profession d’aide. Ce traitement concerne d’une part l’institution elle-même, d’autre part les patients et leurs proches, ainsi que les personnes travaillant dans l’institution. La mort d’un patient n’est pas un moment bienvenu. Les services qui s’occupent des personnes pour lesquelles il n’y a plus de “médecine” sont souvent externalisés par rapport aux activités habituelles. Il est important, en particulier pour les institutions de soins de santé, de prendre conscience de leur propre culture en matière de fin de vie et de mort, afin que la perte ne soit pas traitée honteusement comme un “accident”. Pour les proches, il est essentiel de savoir que la dignité de la personne est préservée même après son décès. Il est particulièrement important pour les personnes travaillant dans une institution de savoir que ce ne sont pas seulement les gestes qui sauvent et le temps et l’énergie consacrés à ces gestes qui ont une valeur, mais aussi des facteurs “doux”, comme la mise à disposition d’un espace d’adieu dans lequel les proches et le personnel médical peuvent se confronter à la perte.
Charge de la perte
Le deuil lui-même n’est pas une maladie, mais un processus naturel après la perte d’un proche, qui permet de vivre des expériences positives en plus d’un grand stress. Cependant, la charge émotionnelle est souvent importante et peut se manifester de différentes manières. Des émotions intenses de peur, de colère, de culpabilité et de tristesse, mais aussi des sentiments de vide émotionnel, de froid et des états de soulagement ou de solitude sont présents. Au niveau comportemental, on peut observer
- Apathie
- Hystérie
- Comportement anesthésique (médicaments, alcool, drogues)
- Recherche extensive de stimuli (y compris sexuels)
- automutilation (jusqu’au suicide)
- Troubles de l’alimentation et du sommeil.
- Au niveau cognitif, on constate
- Déni (ne pas vouloir admettre)
- Vide de pensée
- La frénésie de la pensée.
- Sur le plan somatique, le deuil peut se manifester par :
- Douleurs
- Agitation motrice
- Troubles cardio-vasculaires.
L’intensité de la réaction de deuil résulte de la relation avec la personne décédée (détermine la réaction de deuil plus que d’autres circonstances). En cas de deuil très intense, les processus de régulation émotionnelle et somatique peuvent être durablement perturbés. Cela affecte la fonction adaptative de l’expérience émotionnelle – les personnes en deuil ne se comportent donc pas toujours de manière adaptée à la situation dans des contextes sociaux. À long terme, cela peut entraîner des troubles psychologiques et somatiques.
Cette perte demande un effort d’adaptation important, qui ne réussit pas dans tous les cas. On estime que dans environ 5 à 15% des cas de deuil, il faut s’attendre à des complications du deuil [3], qui se manifestent principalement par une réaction de deuil persistante. Les raisons sont aussi variées que les formes de deuil elles-mêmes. Souvent, le deuil se complique d’un trouble mental existant ou en rémission. On estime qu’en cas de deuil persistant, la comorbidité actuelle avec la dépression est de 55% et avec un trouble anxieux quelconque de plus de 60% [4].
Jusqu’à présent, le diagnostic de “deuil persistant” n’existe ni pour la CIM ni pour le DSM. La révision actuelle du DSM V n’a pas inclus le deuil persistant ou compliqué en tant que diagnostic autonome, malgré les résultats encourageants, mais cela devrait être le cas dans la révision de la CIM-11 qui est toujours en cours [5]. Malgré le manque de clarté du diagnostic, il est indéniable que le deuil peut prendre des aspects pathologiques et qu’une intervention psychologique est alors indiquée.
Accompagnement du deuil ou intervention psychologique ?
La thérapie du deuil s’adresse aux personnes qui vivent leur deuil comme insupportable ou qui ont consulté un psychothérapeute pour d’autres problèmes et qui réalisent pendant le traitement que leurs problèmes sont au moins en partie liés à un deuil non résolu jusqu’à présent. Aujourd’hui, le travail de deuil est généralement basé sur une vision orientée vers les tâches [6]. Worden distingue quatre tâches que les personnes endeuillées doivent accomplir pour s’adapter à la perte :
- Accepter la réalité de la perte. De nombreuses personnes endeuillées ont du mal à accepter la réalité de la mort de l’être cher. La réalité apparaît comme un mauvais rêve dont on veut s’échapper. Accepter correctement la perte est un processus qui peut prendre plusieurs mois.
- Expérimenter et assimiler la douleur de la perte. Un deuil non ressenti émotionnellement peut se traduire somatiquement par des symptômes – ou la douleur émotionnelle se manifeste plus tard, des semaines ou des mois après la perte, en tant que réaction retardée au deuil. Le degré de réaction émotionnelle à la douleur (comme se sentir triste, en colère, coupable, anxieux ou extrêmement seul) est moins déterminant pour une bonne gestion qu’on ne le pense généralement, car l’intensité de la réaction au deuil est influencée par de nombreux facteurs.
- S’adapter à un environnement dans lequel la personne décédée est absente. Il peut s’écouler des mois avant que toutes les facettes de la perte ne soient réalisées. La perception croissante de la perte explique en partie le temps qu’il faut pour surmonter le décès d’un proche. Il s’agit d’une adaptation à de nouvelles conditions de vie (externe), à de nouveaux rôles et à un nouveau statut social, d’adaptations qui concernent l’estime de soi et le sentiment d’efficacité personnelle (interne), ainsi que de changements dans le “belief system” – les questions de foi et la propre vision du monde (spirituel).
- Redéfinir la relation avec la personne décédée. La personne décédée ne doit pas être effacée de la vie, mais la relation doit être réorganisée de manière à permettre la poursuite de sa propre vie. De nouvelles relations, y compris intimes, avec d’autres personnes doivent être possibles si le conjoint est décédé. C’est à la personne endeuillée de déterminer dans quelle mesure le lien est totalement rompu (conception “moderne”) ou totalement maintenu (conception “romantique”). L’important est d’accepter la mort de la personne aimée.
Outre la gestion des émotions, l’une des principales tâches des personnes endeuillées est de s’orienter vers la vie sans leur proche décédé.
Une psychothérapie n’est indiquée en cas de deuil que s’il s’agit d’une réaction de deuil compliquée ou persistante, dans laquelle une ou plusieurs des tâches esquissées ci-dessus ne peuvent pas être accomplies. Il s’agit d’une constatation importante, car dans de nombreux cercles, le mythe selon lequel l’accompagnement du deuil est utile dans tous les cas persiste. Cela peut effectivement être le cas selon différentes perspectives, mais il ne faut pas se faire d’illusions en pensant que ces services à bas seuil permettent d’éviter une évolution psychopathologique ou que le deuil est moins difficile à vivre grâce à un accompagnement professionnel. Un deuil peut en effet – dans de rares cas – se transformer en trouble mental. Cela semble être particulièrement le cas lorsqu’il existe déjà une vulnérabilité à un trouble mental. Comme nous l’avons mentionné, la comorbidité d’autres troubles psychologiques avec le deuil compliqué est très élevée. Currier et ses collaborateurs [7] ont confirmé dans une méta-analyse récente que l’intensité de l’effet passe de presque 0 pour la thérapie du deuil normal à une intensité d’effet moyenne de d >0,50 pour les interventions ciblées sur une réaction de deuil compliquée.
Une assistance au deuil professionnalisée et proposée dans le cadre de la médecine quotidienne ne doit pas encourager la “médicalisation” de la vie quotidienne. La perte ne peut pas être réparée mais la souffrance causée par la perte peut être atténuée dans certaines circonstances. Le travail de deuil des patients en fin de vie et de leurs proches peut être encouragé par le personnel d’accompagnement, et pas seulement par l’aumônerie, par la sympathie, le réconfort et la proximité humaine.
Littérature :
- Schärer-Santschi E (éd.) : Faire le deuil. Accompagner les personnes endeuillées dans les soins palliatifs et les soins. Hans Huber, Hogrefe AG, Berne 2012.
- Bandini J : The Medicalization of Bereavement : (Ab)normal Grief in the DSM-5. Études de la mort 2015 ; 39(6) : 347-352.
- Znoj HJ, Maercker A : Travail de deuil et thérapie du deuil persistant. Dans : Linden M, Hautzinger M (éd.) : Manuel de thérapie comportementale. 8 éd. Springer, Heidelberg 2015 ; 431-435.
- Simon NM, et al. : The prevalence and correlates of psychiatric comorbidity in individuals with complicated grief. Comprehensive Psychiatry 2007 ; 48 : 395-399.
- Bryant RA : Prolonged grief : where to after Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th Edition ? Current Opinion Psychiatry 2014 ; 27 : 21-26.
- Worden WJ : Tasks and Mediators of Mourning : A Guideline for the Mental Health Practitioner. Dans Session : Psychotherapy in Practice 1996 ; 2(4) : 73-80.
- Currier JM, Neimeyer RA, Berman JS : The Effectiveness of Psychotherapeutic Interventions for Bereaved Persons : A Comprehensive Quantitative Review. Bulletin psychologique 2008 ; 134(5) : 648-661.
InFo ONKOLOGIE & HÄMATOLOGIE 2015 ; 3(11-12) : 22-24
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2016 ; 11(8) : 8-10