Les acouphènes chroniques sont un symptôme fréquent du système auditif qui, en particulier lorsqu’il est associé à des comorbidités, peut entraîner une lourde charge de morbidité. Les recommandations thérapeutiques visent à réduire les contraintes à long terme. Une grande importance est accordée à l’éducation des patients. Le traitement s’oriente d’une part vers l’étiologie et la gravité des acouphènes et d’autre part vers les comorbidités.
La version actualisée du guide S3 “Acouphènes chroniques” a été publiée sous l’égide de la Société allemande d’oto-rhino-laryngologie, de chirurgie de la tête et du cou (DGHNO-KHC) [1]. Les acouphènes chroniques (latin pour “bourdonnement”) sont définis comme des bruits d’oreille qui persistent depuis au moins trois mois et qui gênent les personnes concernées. Il ne s’agit pas d’une pathologie unique, les acouphènes chroniques peuvent prendre de nombreuses formes.
Selon les connaissances actuelles, les acouphènes, qu’ils soient symptomatiques ou idiopathiques, peuvent certes avoir des causes multiples, mais ils reposent souvent sur un processus physiopathologique primaire dans l’oreille interne. Le traitement nerveux central conduit souvent à des réponses neuronales pathologiques exagérées aux stimuli chez les personnes gravement affectées par les acouphènes (par exemple, une attention exagérée portée aux acouphènes, l’anxiété, les troubles du sommeil). Ceux-ci s’expliquent par des mécanismes de traitement psychophysiologiques et neurophysiologiques du stimulus acouphénique.
Évaluation diagnostique et “counselling” des acouphènes
La cause et la gravité des acouphènes ainsi que l’ampleur de la gêne subjective peuvent être définies par un diagnostic complet. L’éducation des personnes concernées est un aspect essentiel de la clarification. Dans le cadre de la procédure diagnostique, les particularités audiologiques du bruit d’oreille et d’une éventuelle surdité, ainsi que les comorbidités psychosomatiques et les autres maladies concomitantes doivent être prises en compte. Sur cette base, un counseling détaillé et effrayant doit être effectué. Le traitement doit être adapté à cette évaluation du diagnostic différentiel. L’un des objectifs prioritaires est de permettre aux personnes concernées de faire face aux bruits d’oreille. Le but d’une thérapie est donc aussi d’amener le cerveau d’une perception d’acouphène pénible à une situation d’absence d’acouphène. À ce jour, il n’existe pas de monothérapie pour les acouphènes. La ligne directrice discute d’un large éventail de mesures pour lesquelles des études ont été menées chez des patients souffrant d’acouphènes.
Prothèses auditives, thérapie auditive et implants cochléaires
Les mesures fondées sur des preuves incluent par exemple les appareils auditifs ou la thérapie auditive, ainsi que la chirurgie pour l’implantation cochléaire. Certaines revues confirment l’efficacité de l’appareillage des personnes souffrant d’acouphènes et de surdité en général, mais les preuves sont modérées [2]. Une fonction bruiteur en plus de l’aide auditive n’apporte aucun avantage aux patients souffrant d’acouphènes. Pour les patients atteints de surdité profonde et d’acouphènes, la mise en place d’un implant cochléaire peut apporter une bonne suppression des acouphènes [3,4]. Des thérapies auditives spécifiques peuvent favoriser la situation des acouphènes en entraînant et en renforçant les effets inhibiteurs de la perception auditive [5]. Pour ce faire, des exercices ciblés permettent de mettre en œuvre des capacités de traitement auditif central telles que l’écoute directionnelle, la focalisation et la différenciation dans le bruit, avec ou sans appareils auditifs, et plus particulièrement une sur-écoute des acouphènes.
Procédures psychothérapeutiques spécifiques aux acouphènes
Dans le cadre d’une psychothérapie spécifique aux acouphènes, les patients doivent être informés qu’il est souvent possible d’obtenir une habituation progressive au bruit dans l’oreille. L’un des objectifs d’un traitement judicieux des acouphènes est de faire en sorte que les acouphènes ne jouent très probablement plus un rôle important dans le déroulement de la vie quotidienne. Dans le cas d’une habituation cognitive, le bourdonnement d’oreille existe toujours, mais il est moins ou plus perçu sans attention active à l’acouphène. La thérapie cognitivo-comportementale spécifique aux acouphènes et les interventions psychothérapeutiques approfondies sont réalisées en individuel ou en groupe. En plus de soulager les acouphènes et d’améliorer la qualité de vie, il est également possible d’avoir un impact sur les comorbidités telles que l’anxiété et la dépression. Il existe de nombreuses études qui démontrent l’efficacité des interventions de thérapie comportementale par rapport à des groupes de contrôle sur liste d’attente, mais aussi par rapport à des groupes de contrôle actifs en ce qui concerne les acouphènes [6]. L’efficacité est similaire pour les différentes formes de thérapie comportementale et, de manière limitée, pour la thérapie comportementale basée sur Internet. Outre les méthodes de thérapie comportementale, fréquentes et suffisamment évaluées, des interventions psychodynamiques, plutôt orientées vers la psychologie des profondeurs, sont également utilisées dans le traitement des acouphènes.
Interventions musicothérapeutiques et thérapie de réentraînement
La thérapie de réentraînement des acouphènes peut être envisagée comme une mesure thérapeutique à long terme pour les acouphènes chroniques. L’élément central de la thérapie de réentraînement (TRT) est une thérapie acoustique avec du bruit non modulé en fréquence, qui a été développée et introduite dans les pays anglo-américains sur la base du modèle neurophysiologique [7–9]. Une utilisation générale de sons, de scènes auditives et de bruits à large bande ou à bande étroite dans la gamme de fréquences des acouphènes a été testée et surtout vendue dans de nombreuses approches et formes d’application pour le traitement des acouphènes. L’efficacité n’a été démontrée pour aucune des méthodes ou aucune étude n’a été lancée à ce sujet.
Bien que les méthodes de musicothérapie soient utiles en termes d’éducation auditive, aucune étude n’a démontré leur efficacité sur les acouphènes chroniques. La gradation du niveau de recommandation a été effectuée sur la base de l’absence de preuves d’efficacité. La musique interrompue (notch) dans la fréquence des acouphènes est proposée sous forme d’application pour smartphone ou en association avec des appareils auditifs. Elle n’a pas plus d’effet sur les acouphènes chroniques que la musique normale non modifiée. Diverses méthodes de stimulation par des sons, des bruits, des scènes auditives, etc. ont été proposées et testées. En raison de cette multitude de méthodes, il n’est pas possible de faire une recommandation positive globale. Il n’y a pas suffisamment de preuves de l’efficacité de la neuromodulation acoustique selon la méthode CR (coordinated reset).
Approches pharmacothérapeutiques
Dans l’ensemble, la ligne directrice indique qu’il n’existe actuellement pas de données suffisantes sur l’efficacité des traitements médicamenteux spécifiquement contre les acouphènes. Il est toutefois recommandé de traiter les comorbidités psychiatriques des acouphènes. Par exemple, les antidépresseurs sont souvent utilisés avec succès, non pas pour améliorer les acouphènes eux-mêmes, mais pour traiter les symptômes de dépression et/ou d’anxiété qui les accompagnent ou les troubles du sommeil pénibles [10]. Les benzodiazépines ne devraient être utilisées comme bridging qu’avec des indications strictes, par exemple dans le cadre de l’introduction d’un traitement antidépresseur, en raison des risques importants d’effets secondaires. Il n’existe aucune preuve de l’efficacité de la bétahistine dans le traitement des acouphènes chroniques [11]. L’influence médicamenteuse de la neurotransmission par la gabapentine ou les antagonistes du glutamate s’est révélée majoritairement inefficace sur les symptômes des acouphènes.
Le ginkgo biloba est la préparation à base de plantes la plus utilisée pour traiter les acouphènes. Dans une revue systématique de Spiegel et al. a démontré les effets positifs de l’EGb761® (extrait de ginkgo) par rapport au placebo dans la démence associée aux acouphènes [12,13].
Le postulat de base de cette analyse est que l’extrait de ginkgo a un effet positif sur les acouphènes et les symptômes de vertige, ce qui a déjà été prouvé ailleurs. Lors de l’utilisation de préparations à base de ginkgo, il convient de tenir compte du fait que le risque de saignement peut être accru chez les patients présentant des troubles de la coagulation sous-jacents [14].
Autres mesures
Outre les produits pharmaceutiques mentionnés, d’autres agents médicamenteux sont abordés dans la ligne directrice. Il existe également des sections séparées consacrées à diverses méthodes de traitement non médicamenteux. En raison du manque de preuves, la ligne directrice déconseille l’utilisation de méthodes de stimulation électrique transcrânienne pour les acouphènes chroniques. Il convient également d’éviter la stimulation transcutanée ou invasive du nerf vague, seule ou en association avec une stimulation acoustique. Les auteurs du guide considèrent également que la stimulation acoustique et électrique bimodale n’est pas appropriée pour les acouphènes chroniques. Et il faut également renoncer à une stimulation électrique invasive du cerveau en cas d’acouphènes chroniques. Cela s’applique également à la stimulation nerveuse électrique transcutanée et à la thérapie laser de bas niveau.
En revanche, une thérapie manuelle et physiothérapeutique doit être proposée en cas d’acouphènes chroniques lorsque des modulations de l’acouphène dues à des modifications comorbides de la colonne cervicale (cervicales) et de l’appareil masticatoire sont présentes [15,16]. Les thérapies manuelles et physiothérapeutiques ont un effet positif sur la sévérité des symptômes des acouphènes et sur les troubles au niveau des cervicales. Une combinaison de physiothérapie et de thérapie manuelle en complément de l’éducation des patients a eu des effets positifs chez les patients souffrant d’acouphènes et de dysfonctionnement cranio-mandibulaire concomitant. En ce qui concerne les compléments alimentaires (par exemple les vitamines, les minéraux ou les produits phytothérapeutiques), il n’existe actuellement aucune preuve d’efficacité concernant les acouphènes sur la base d’essais cliniques randomisés.
Messages Take-Home Les acouphènes chroniques s’accompagnent souvent de troubles de l’audition. L’impact subjectif des acouphènes est très variable et dépend essentiellement des comorbidités psychosomatiques, mais aussi de la sévérité de la perte auditive. Le guide recommande le counseling, les interventions psychothérapeutiques et les mesures d’amélioration de l’audition. Les méthodes thérapeutiques basées sur la psychophysiologie visent à traiter une situation d’acouphène. Des aides auditives sont recommandées pour traiter la surdité associée et un implant cochléaire peut être envisagé si nécessaire. Les psychothérapies spécifiques aux acouphènes peuvent être menées en tant que thérapies individuelles ou de groupe, ou être combinées dans le cadre d’une approche multimodale. Selon la ligne directrice, les preuves sont insuffisantes pour les traitements médicamenteux spécifiques aux acouphènes (y compris les compléments alimentaires), de même que pour les thérapies sonores/musicales et les procédures de neuromodulation telles que la stimulation magnétique transcrânienne ou la stimulation électrique. Les comorbidités fréquentes des acouphènes, telles que les troubles anxieux et la dépression, doivent être traitées conformément aux directives, et des options de traitement médicamenteux peuvent également être utilisées. |
d’après [1] |
Littérature :
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