L’insuffisance cardiaque est un problème croissant en Suisse, comme dans le reste du monde industrialisé, car l’incidence de l’insuffisance cardiaque augmente avec l’âge et il y a de plus en plus de personnes âgées. D’autre part, les possibilités de traitement ont considérablement augmenté au cours des 20 dernières années. Quels conseils et astuces peuvent faciliter le traitement ?
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L’insuffisance cardiaque est un problème croissant en Suisse, comme dans le reste du monde industrialisé, car l’incidence de l’insuffisance cardiaque augmente avec l’âge et il y a de plus en plus de personnes âgées. D’autre part, les possibilités de traitement ont considérablement augmenté au cours des 20 dernières années. Plus de cinq classes de médicaments ont été introduites, qui réduisent significativement la mortalité et les hospitalisations. En outre, il existe de nouvelles techniques de traitement des valvulopathies par cathétérisme et des progrès dans le traitement invasif des arythmies cardiaques, ainsi que de nouveaux développements dans les thérapies d’assistance ventriculaire. Les perspectives d’un patient lors du premier diagnostic d’insuffisance cardiaque sont bien meilleures aujourd’hui qu’il y a quelques années.
Dans cet article, notre objectif n’est pas de répéter les lignes directrices de l’ESC sur ce sujet [1]. Nous souhaitons plutôt aborder les conseils et astuces qui peuvent faciliter la prise en charge des patients atteints d’insuffisance cardiaque dans le cabinet du médecin généraliste.
Définition et diagnostic
L’insuffisance cardiaque est définie comme une inadéquation entre la fonction cardiaque et les besoins du cœur. Ces dernières années, de nombreuses abréviations sont apparues, ce qui a plutôt compliqué la compréhension des listes de diagnostics. En fait, l’insuffisance cardiaque peut être divisée en deux grandes catégories. La première est l’insuffisance cardiaque avec fonction ventriculaire systolique préservée (HFpEF ) et la seconde est l’insuffisance cardiaque avec fonction d ‘éjection réduite ( HFrEF). Cette distinction est très importante, car les concepts thérapeutiques sont fondamentalement différents dans les deux groupes et ont fait l’objet de recherches séparées [1].
Il convient également de mentionner l’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection modérément réduite (HFmrEF), qui est principalement utilisée à des fins de recherche, et l’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection rétablie (HFrecEF) [2] pour les patients présentant une normalisation de la fonction ventriculaire systolique après une restriction initiale (tableau 1).
Étiologie de l’insuffisance cardiaque
Une fois le diagnostic d’insuffisance cardiaque posé, l’étiologie doit être identifiée. Bien que le traitement médicamenteux de base des différentes causes d’insuffisance cardiaque ne diffère pas pour la plupart, des traitements différents (par exemple, la revascularisation en cas de cardiopathie ischémique), des mesures de prévention ou un dépistage familial spécifique sont proposés en fonction de l’étiologie.
Les lignes directrices de l’ESC [1] fournissent une liste exhaustive des étiologies et des examens complémentaires nécessaires pour les diagnostiquer. Si l’on compile 18 études clés sur le sujet (tableau 2), environ 70% des patients souffrent d’une cardiopathie ischémique, 20% d’une cardiopathie dilatée d’origine indéterminée et les 10% restants d’une cardiopathie post-myocardique, alcoolique, valvulaire, diabétique, toxique (principalement liée à la chimiothérapie) ou post-partum. Une échocardiographie transthoracique, suivie d’une angiographie coronaire, complétée en cas de résultat négatif par une IRMc associée à une anamnèse et un laboratoire détaillés, permet généralement d’identifier la cause de l’insuffisance cardiaque (tableau 3).
Une cause de l’HFpEF a été occultée pendant des années en raison de l’absence prolongée de traitement efficace : l’amylose cardiaque de type ATTR. En cas de suspicion (hypertrophie ventriculaire marquée, fibrillation auriculaire persistante très symptomatique, besoin inattendu de diurétiques alors que la FEVG est préservée), l’amylose ATTR doit être activement recherchée. Il existe aujourd’hui avec le tafamidis un traitement spécifique qui améliore le pronostic, même s’il est coûteux. La scintigraphie DPD est ici l’outil de diagnostic de choix.
Thérapie
Nous devons nous représenter les différents niveaux de traitement de l’insuffisance cardiaque comme une pyramide. Il faut développer et terminer les niveaux inférieurs de la pyramide autant que possible avant de passer au niveau supérieur. Plus le niveau est élevé, plus le traitement et les effets secondaires sont complexes (Fig. 1).
Traitement non spécifique non médicamenteux et médicamenteux
La base de la pyramide est constituée par les thérapies non médicamenteuses, y compris les mesures de prévention cardiovasculaire.
Dans le cadre d’une consultation de médecine générale, le syndrome d’apnée obstructive du sommeil, particulièrement néfaste pour le cœur, ainsi qu’une carence en fer peuvent être facilement identifiés (voir le tableau 4 pour des indications ). Les patients les plus susceptibles de bénéficier d’une substitution en fer par voie intraveineuse sont ceux qui souffrent d’une cardiopathie ischémique et dont la fonction ventriculaire <40%.
Un sujet délicat pour les patients souffrant d’insuffisance cardiaque est le conseil relatif à la consommation d’alcool. Bien que l’on pense qu’une consommation d’alcool de plus de trois unités par jour est nocive, une consommation de deux unités d’alcool par jour ou moins ne semble pas être nocive [3]. Si la consommation d’alcool est la cause de l’insuffisance cardiaque elle-même, nous recommandons bien sûr une abstinence totale.
Une simple mesure régulière du poids et l’adaptation du poids des diurétiques est l’une des mesures les plus efficaces pour éviter les hospitalisations en cas de décompensation cardiaque aiguë. Nous recommandons que le patient et le médecin déterminent la quantité de diurétique selon un schéma individuel. Le schéma comprend la quantité de diurétique en fonction du poids, un poids cible et un poids d’alerte. En cas de dépassement du poids d’alerte, le patient doit demander un avis médical. Pour maintenir un poids stable, l’ajout temporaire de métolazone au torasémide (par exemple, 5 mg de métolazone pendant 3 à 5 jours) peut améliorer considérablement la diurèse en cas de résistance aux diurétiques de l’anse [4]. La prise de métolazone doit avoir lieu environ une heure avant la prise de torasémide. Les troubles électrolytiques doivent faire l’objet d’une attention accrue, notamment en cas de traitement combiné avec plusieurs diurétiques. Une dyselectrolytémie pertinente peut entraîner les arythmies malignes chez les patients qui subissent un stress cardiaque.
Thérapie médicamenteuse spécifique : les 4 piliers
Le deuxième étage de la pyramide du traitement moderne de l’insuffisance cardiaque est l’association d’Entresto/ARNI, d’un inhibiteur des récepteurs de l’aldostérone, d’un bêtabloquant et du dernier venu, l’inhibiteur du co-transporteur sodium-glucose (SGLT2i). Certaines “astuces” peuvent être utiles lors de l’introduction et de la titration ultérieure de ces thérapies :
En Suisse, Forxiga ou Jardiance doit être commencé AVANT un traitement par Entresto. Cela ne repose ni sur des recommandations de l’ESC ni sur des données cliniques. Mais c’est un critère obligatoire dans la liste des spécialités et c’est donc un critère de prise en charge.
Il est généralement connu que Entresto, les sartans et les IEC ne doivent pas être administrés en parallèle. Il existe également un effet de chevauchement entre Entresto et les inhibiteurs de l’ECA lors du passage d’un inhibiteur de l’ECA à Entresto. Si le traitement doit être modifié pour passer d’un IEC à Entresto, une pause d’au moins 72 heures de l’IEC doit être respectée.
Entresto réduit la pression artérielle systolique d’environ 20%. Une titration sur 6 semaines est recommandée, en particulier chez les patients dont la pression artérielle initiale se situe autour de 100-110 mmHg systolique [5]. En dessous d’une systole de 90 mmHg, Entresto ne doit pas être formellement commencé. Notre expérience montre toutefois qu’en commençant le traitement à faible dose et en l’augmentant prudemment, même les patients ayant une pression artérielle initiale basse peuvent bénéficier d’Entresto.
Il est important de noter que l’effet des thérapies médicamenteuses a été démontré dans les études avec la dose maximale tolérée et non avec la dose maximale possible. En pratique, l’effet positif d’une dose maximale recommandée et d’une dose maximale tolérée est heureusement très similaire [6].
La médication de l’insuffisance cardiaque a un effet négatif sur la sexualité masculine. Un effet secondaire sur la sexualité féminine peut être suspecté, mais il n’existe malheureusement aucune étude à ce sujet. La spironolactone (Aldactone) a, entre autres, un effet négatif sur la libido, provoque une hypertrophie mammaire chez les hommes et entraîne des troubles de l’érection. L’éplérénone, l’alternative à l’aldactone, également recommandée pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, ne présente pas ces effets secondaires. Cependant, les caisses d’assurance maladie ne remboursent l’éplérénone que si une gynécomastie apparaît sous aldostérone. Les bêtabloquants sont également connus pour leur effet négatif sur la fonction érectile. Le bisoprolol et le nébivolol ont un effet moins prononcé dans ce domaine.
Pour vous aider à prescrire des médicaments contre l’insuffisance cardiaque, consultez les tableaux annexés aux lignes directrices de l’ESC (https://academic.oup.com/eurheartj/article/42/36/3599/6358045#supplementary-data).
Enfin, il est important à ce stade d’aborder le “problème” des patients atteints de HFrecEF. Comment traiter les patients dont la fonction ventriculaire s’est améliorée ? Dans la plupart des cas, le médicament doit être poursuivi. Si le patient souffre beaucoup d’effets secondaires, le traitement peut être poursuivi à dose réduite. Le risque de récidive d’une insuffisance cardiaque grave après l’arrêt du médicament est d’environ 40% [7].
Thérapie intermédiaire
Le troisième niveau de la pyramide est celui des thérapies intermédiaires. Il s’agit notamment de thérapies qui ne constituent toutefois pas directement un soutien mécanique ou un remplacement ventriculaire.
Nous passons brièvement en revue les méthodes de traitement établies : Le défibrillateur est implanté dans le cadre de la prévention primaire et secondaire des troubles du rythme potentiellement mortels. En prophylaxie primaire, il existe une indication en cas de FEVG ≤35%, en particulier en cas de cardiopathie ischémique. Les femmes souffrant d’une cardiopathie non ischémique et d’un bloc de branche gauche large (>150 ms) bénéficient particulièrement d’un stimulateur de resynchronisation, où un bloc de branche est ponté. Contrairement au défibrillateur, les patients en bénéficient généralement aussi au quotidien avec une amélioration de leurs performances. Souvent, une combinaison de défibrillateur et de stimulateur de resynchronisation est implantée, car les indications pour les deux fonctions de l’appareil se recoupent.
Les thérapies de réparation ou de remplacement valvulaire telles que le TAVI ou le TEER (par ex. le clip mitral) sont des contributions importantes à la préservation de la fonction cardiaque en cas de sténose aortique ou d’insuffisance mitrale sévère. En particulier, l’insuffisance mitrale secondaire sévère est la voie finale commune à de nombreuses cardiopathies dilatantes et accélère la progression de la maladie et de ses symptômes. Le clip de Mitra est une méthode d’intervention relativement nouvelle qui présente un faible risque péri-interventionnel et une réduction significative de l’insuffisance en cas d’anatomie appropriée.
Enfin, il existe d’autres nouvelles interventions invasives, encore moins établies, sur la valve tricuspide chez les patients souffrant d’insuffisance tricuspide sévère symptomatique ou la stimulation carotidienne pour réduire le drive sympathique (“bêtabloquants électriques”). Toutes ces options sont également disponibles pour les patients qui ne sont pas éligibles pour une implantation ou une transplantation d’appareillage.
Thérapies avancées
Le sommet de la pyramide est constitué par les thérapies avancées avec la transplantation cardiaque (HTX) et la pompe d’assistance mécanique du ventricule gauche (LVAD ).
Lors de la pose de l’indication, il est utile de connaître l’échelle INTERMAC qui décrit le degré des symptômes. Plus la valeur INTERMAC est basse, plus l’état du patient est mauvais. Les patients INTERMAC 1-3 sont en soins intensifs, les patients INTERMAC 4 sont souvent hospitalisés, les patients INTERMAC 5-7 sont ambulatoires mais souffrent de graves difficultés respiratoires (figure 2).
La décision d’inscrire un patient sur la liste pour une transplantation ou de lui attribuer un appareillage permanent (Destination Therapy, DT) ou temporaire en attendant la transplantation (Bridge to Transplant, BTT) est prise en fonction de nombreux facteurs. Les facteurs les plus importants dans la décision d’implanter un appareillage sont la qualité de vie (chez les patients INTERMAC 5-7) [8] et la survie (chez les patients INTERMAC 4-1). Les comorbidités et l’âge biologique ainsi que l’observance peuvent limiter l’escalade thérapeutique. Les indications de transplantation cardiaque sont beaucoup plus variées et vont de l’insuffisance cardiaque systolique sévère (dans la grande majorité des cas) à l’insuffisance diastolique sévère symptomatique (rare) et aux arythmies répétées malgré plusieurs traitements (rare).
La contribution du médecin généraliste est essentielle pour que l’équipe de cardiologie et le patient prennent la bonne décision concernant la transplantation ou l’appareillage. L’observance médicamenteuse est-elle déjà un problème avant une éventuelle transplantation ? Est-il socialement isolé ? Ou, au contraire, est-il en excellent état général malgré son âge et ne souffre-t-il que des symptômes de son insuffisance cardiaque ? Une étroite collaboration avec le cardiologue ainsi que la connaissance des indications, des limites et des contre-indications des différentes thérapies sont utiles. Elles sont résumées dans le tableau 5.
Messages Take-Home
- Le médecin généraliste joue un rôle central dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. Tout d’abord, dans le cadre d’un dépistage précoce chez les patients présentant des symptômes tels que des difficultés respiratoires ou une diminution de la capacité à l’effort.
- Le médecin généraliste est ensuite en première ligne pour développer le traitement de l’insuffisance cardiaque. Se rapprocher de la dose maximale tolérée peut être un grand défi et on peut perdre le patient en tant que partenaire dans les efforts d’extension.
- De même, le médecin généraliste est un partenaire important lorsqu’il s’agit de discuter de l’étape de la transplantation cardiaque et de l’implantation de l’appareillage. Il prévoit les difficultés à l’avance et connaît d’autre part les ressources du patient. Enfin, un bon réseau de soins primaires est indispensable pour le suivi après une transplantation cardiaque ou une implantation d’appareillage.
Littérature :
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- Wilcox JE, Fang JC, Margulies KB, Mann DL. : Insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection ventriculaire gauche récupérée : JACC Scientific Expert Panel. Journal of the American College of Cardiology 2020 ; 76 : 719-734.
- Larsson SC, Orsini N, Wolk A : Alcohol consumption and risk of heart failure : a dose-response meta-analysis of prospective studies. European Journal of Heart Failure 2015 ; 17 : 367-373.
- Grosskopf I, Rabinovitz M, Rosenfeld JB : Combination of furosemide and metolazone in the treatment of severe congestive heart failure. Isr J Med Sci 1986 ; 22 : 787-790.
- Senni M, McMurray JJV, Wachter R, et al. : Initiating sacubitril/valsartan (LCZ696) in heart failure : results of TITRATION, a double-blind, randomized comparison of two uptitration regimens. European Journal of Heart Failure 2016 ; 18 : 1193-1202.
- Corrado E, Dattilo G, Coppola G, et al : Low- vs high-dose ARNI effects on clinical status, exercise performance and cardiac function in real-life HFrEF patients. Eur J Clin Pharmacol 2022 ; 78 : 19-25.
- Wilcox JE, Fang JC, Margulies KB, Mann DL : Heart Failure With Recovered Left Ventricular Ejection Fraction : JACC Scientific Expert Panel. Journal de l’American College of Cardiology 2020 ; 76 : 719-734.
- Shah KB, Starling RC, Rogers JG, et al. : Left ventricular assist devices versus medical management in ambulatory heart failure patients : An analysis of INTERMACS Profiles 4 and 5 to 7 from the ROADMAP study. The Journal of Heart and Lung Transplantation 2018 ; 37 : 706-714.
- Cook JL, Colvin M, Francis GS, et al : Recommendations for the Use of Mechanical Circulatory Support : Ambulatory and Community Patient Care : A Scientific Statement. The American Heart Association Circulation 2017 ; 135 : e1145-e1158.
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HAUSARZT PRAXIS 2023; 18(1): 12–17