“Dans la littérature, l’art et la musique, les extrêmes sont exploités comme s’il n’y avait plus de lendemain” – c’est ainsi que le dernier best-seller de Florian Illies dépeint l’immense année 1913. Il décrit l’esprit de l’époque, qui permet de comprendre pourquoi le professeur Max Tièche dirigeait à l’époque un cabinet florissant à la Bahnhofstrasse et poursuivait avec une ténacité unique et une capacité de s’imposer grandiose l’objectif de créer une polyclinique pour les maladies de la peau et surtout les maladies vénériennes à l’endroit où les besoins se faisaient sentir. Confronté à des querelles politiques, à la mauvaise volonté et au manque de compréhension, il a cependant fallu des années pour que le conseil municipal accepte finalement son projet.
Au début du XXe siècle, les prévalences des maladies vénériennes étaient très élevées en Suisse et particulièrement à Zurich. Une polyclinique spécialisée dans les maladies de la peau et les maladies vénériennes n’existait à l’époque qu’à Berne. Comme la problématique épidémiologique de ces maladies vénériennes – principalement la syphilis et la gonorrhée – était jugée la plus urgente dans la population pauvre des arrondissements 3, 4 et 5 de la ville et qu’il existait en outre dans ces couches de la population une certaine réticence à l’égard de l’hôpital cantonal de l’arrondissement 6 du Zürichberg, le conseil municipal a décidé à l’époque avec clairvoyance d’amener une institution spécialisée sur le lieu des besoins.
En 1913, le conseil municipal de Zurich a pris la décision de mettre gratuitement à la disposition de Max Tièche les locaux de la policlinique médicale située au 82 de la Hohlstrasse pour des consultations de dermato-vénérologie, avec le droit explicite “d’utiliser les patients qui viennent se faire soigner dans ses consultations à des fins de démonstration une à deux fois par semaine pour des étudiants”, comme le stipulait la décision du conseil municipal.
Le 1er octobre 1913, Tièche, accompagné de son épouse, le docteur Sabine Tièche-Fatère, ouvre les premières consultations. Mme Tièche s’est occupée des femmes malades. En 1921, le magazine “Schlaglicht” a publié un article satirique sur “Zurich’s newers Bedürfnisanstalt”. Cette “Poli Tièche” privée ne devait être transformée en polyclinique municipale qu’en 1928.
Impression de l’institution par les différents médecins-chefs
Max Tièche (1913-1938), un pionnier visionnaire : en tant que fondateur de la polyclinique, Max Tièche a clairement indiqué la direction à suivre pour le développement de l’institution : Celle-ci devait notamment être une maison ouverte aux couches de patients les plus pauvres des arrondissements 3, 4 et 5 de la ville et, si nécessaire, traiter les patients gratuitement. Sa principale préoccupation était d’endiguer les maladies vénériennes. Les autres maladies infectieuses de la peau venaient en deuxième position, la variole et la varicelle suscitant particulièrement son intérêt.
Originaire du Jura bernois, Tièche a acquis une renommée internationale grâce à sa thèse sur la première description et la caractérisation des nævus bleus. En quelques années, il avait transformé la polyclinique en une institution sociale.
Les consultations prolongées en soirée, souvent jusqu’à 22 ou 23 heures, étaient très appréciées de la population. Ses démonstrations médicales pour les étudiants et les médecins étaient de plus en plus appréciées. Cela a parfois conduit à une situation de concurrence croissante avec la clinique dermatologique de l’hôpital cantonal, créée trois ans plus tard. En raison de l’afflux croissant de patients, la polyclinique devint rapidement trop petite et Tièche dut chercher un remplacement plus spacieux, qu’il trouva dans l’ancienne poudrière du 119 Hohlstrasse.
Ces locaux ont été transformés en urgence en polyclinique et occupés à titre de solution provisoire en janvier 1923. A l’époque, 9432 consultations avaient permis de traiter 1533 patients. L’espace et les installations étaient toutefois préoccupants, ce qui a suscité un mécontentement croissant de la population et des critiques au sein du conseil municipal. Ce n’est qu’en 1934 qu’un crédit a été accordé pour la construction d’un nouveau bâtiment. Ces nouveaux locaux ont pu être occupés en 1936 au 70 de la Herman-Greulich-Strasse – où la clinique se trouve encore aujourd’hui (fig. 1).
Le caractère original de Tièche se caractérisait notamment par une soif de liberté et un sens de la justice très prononcés. Deux ans seulement après avoir emménagé dans ses nouveaux locaux, Tièche est décédé en 1938, à l’âge de 60 ans, des suites d’une pancréatite aiguë. Ce n’est que dans les années 1950 que la ville de Zurich lui a érigé un petit monument avec la “Tièche-Strasse” près du Waidspital.
Le professeur Walter Burckhardt (1938-1971), modèle et dermatologue dans l’âme : en Walter Burckhardt, alors âgé de 33 ans, Tièche a trouvé un digne successeur. Il avait été formé professionnellement par les deux premiers titulaires de la chaire de dermatologie à Zurich, Bruno Bloch et Guido Miescher. Burckhardt a été choisi parmi six candidats et a pris ses fonctions le 1er octobre 1938. Burckhardt était un dermatologue dans l’âme, particulièrement fasciné par ses deux domaines de prédilection : les dermatoses professionnelles (dermatologie industrielle) et les maladies vénériennes. Dans sa thèse d’habilitation “Das Maurerekzem” (L’eczéma du maçon), il a résumé ses principaux travaux sur l’eczéma du ciment.
Burckhardt a progressivement fait de la polyclinique un lieu d’accueil réputé pour son expertise. Son style de travail était extrêmement productif et rapide, ce qui est confirmé par sa vaste bibliographie d’environ 200 publications. De nombreux médecins célèbres ont obtenu leur doctorat sous sa direction, dont la thèse légendaire d’Urs Peter Hämmerli, futur médecin-chef du service de médecine de l’hôpital Triemlis, est un exemple. Hämmerli a été le premier à décrire l’origine et les circonstances de la dermatite cercarienne dans le lac de Zurich.
Les présentations de cas de dermatologie-vénérologie de Burckhardt le vendredi soir étaient légendaires auprès des étudiants, qui y ont mis tout leur savoir-faire didactique et leur enthousiasme pour la discipline de la dermatologie. Burckhardt lui-même représentait pour certains un idéal – un modèle à suivre. Son manuel, illustré de photographies en couleur, a été un ouvrage de référence pour des générations de futurs médecins et a également été traduit en anglais et en espagnol. Le nombre de patients a continué à augmenter ; en 1945, 5439 patients ont été traités au cours de 36 500 consultations. Burckhardt est décédé peu après son départ à la retraite, à l’âge de 66 ans, en octobre 1971, d’un arrêt cardiaque.
Kaspar Schwarz (1971-1988), chercheur au grand talent créatif : le conseil municipal a choisi Kaspar Schwarz, jusqu’alors chef de clinique à la clinique de dermatologie de l’hôpital cantonal de Zurich, pour lui succéder. Contrairement à ses deux prédécesseurs, Schwarz était une personne plutôt introvertie et retirée. Sous son ère, il s’agissait principalement de stabiliser le niveau et la position de la polyclinique en tant qu’établissement médical dans la ville de Zurich. Marqué par la tradition de la clinique dermalogique de l’hôpital cantonal, Schwarz s’est intéressé très tôt à la radiothérapie dermatologique. Un autre axe de travail concernait les photodermatoses, qui ont également fait l’objet de sa thèse d’habilitation. Avec son épouse, qui travaillait avec lui en tant que chimiste, plusieurs travaux très remarqués ont pu être publiés sur les photoallergies.
La vénérologie a connu des pics suite à de nouvelles épidémies, par exemple, selon le rapport annuel 1974, 2065 cas de gonorrhée et 294 patients atteints de syphilis ont été traités. En tant que secrétaire de la Société suisse de dermatologie et vénérologie pendant de nombreuses années, Kaspar Schwarz a en outre accompli un travail infatigable en matière de politique professionnelle. Après 17 ans d’activité, il a été mis à la retraite ; retiré, il a succombé à ses années de souffrance à l’âge de 88 ans en décembre 2011 à Zurich.
Le professeur Alfred Eichmann (1988-2002), un combattant à l’esprit novateur : fin 1988, le conseil municipal a élu Alfred Eichmann comme nouveau médecin-chef. Sous la direction de U.W. Schnyder, Eichmann a pu passer son habilitation à la clinique dermatologique de l’hôpital universitaire de Zurich sur le thème des maladies vénériennes. La polyclinique est ainsi restée le principal centre de référence pour les maladies vénériennes en Suisse alémanique. Parallèlement, Eichmann s’est intéressé de plus en plus aux nouvelles sous-spécialités de la dermatologie – la dermatochirurgie, la stomatologie et les maladies des ongles – et a fait de ces domaines des adresses de référence.
Fidèle à la tradition de l’établissement, Eichmann s’est beaucoup investi dans l’enseignement, où il tenait particulièrement au cours pour étudiants du vendredi après-midi dans les locaux de la polyclinique. Outre la lutte fructueuse pour le maintien de la polyclinique, son intégration administrative à l’hôpital municipal Triemli a suivi en 1995, à son initiative. Après avoir été médecin-chef pendant près de 14 ans, Eichmann a été mis à la retraite anticipée fin août 2002, conformément à la législation en vigueur à l’époque, mais contre sa volonté. Jusqu’en 2007, il a ensuite dirigé un cabinet privé très apprécié à l’hôpital de Zollikerberg.
Stephan Lautenschlager, s’est engagé en faveur du progrès médical et de la réussite économique : Stephan Lautenschlager, qui a suivi sa formation en dermatologie à la clinique universitaire de Bâle, a été nommé à sa succession – désormais au service ambulatoire de dermatologie de l’hôpital municipal de Triemli – après une mise au concours régulière du poste par l’hôpital de Triemli (fig. 2).
Comme le veut la tradition, Lautenschlager a passé son habilitation à l’université de Zurich sur un sujet de vénérologie, l’herpès génital. Lautenschlager a intégré la dermatologie pédiatrique et gynécologique aux points forts déjà définis de la polyclinique. Avec l’embauche d’un médecin cadre spécialisé en allergologie et immunologie, le Dr Siegfried Borelli, la clinique est également devenue un centre de référence pour les maladies allergiques. Grâce à l’expertise approfondie de tous les médecins-chefs précédents dans le domaine des infections sexuellement transmissibles (IST), l’institution s’est établie comme un centre de référence dans le diagnostic et le traitement des IST. En se basant sur la prévalence à nouveau plus fréquente de ces diagnostics au début du troisième millénaire, le service ambulatoire a pu identifier très tôt la renaissance actuelle des IST en Suisse.
D’une part, la tradition de la consultation ouverte en tant que clinique sans rendez-vous a été maintenue (fig. 3), ce qui permet d’évaluer et de traiter principalement les affections cutanées aiguës et, traditionnellement, les infections vénériennes à bas seuil.
La traditionnelle consultation du vendredi soir est particulièrement appréciée. D’autre part, les temps modernes sont marqués par une collaboration interdisciplinaire croissante avec les différentes cliniques des hôpitaux de la ville et les centres de soins, avec des orientations complexes correspondantes et des consultations communes. Cette mise en réseau interdisciplinaire a conduit à la planification de l’intégration physique de la dermatologie dans le nouveau bâtiment des lits de l’hôpital municipal Triemli dans le quartier voisin de la ville 3, ce qui devrait devenir réalité en 2020. L’avenir nous dira dans quelle mesure les avantages de l’institution, qui sera alors plus que centenaire, pourront être transférés dans un grand hôpital. L’augmentation constante du nombre de patients, avec actuellement plus de 25 000 consultations pour 15 000 patients, a conduit au succès économique et à l’augmentation du nombre de médecins. En plus des 2500 interventions chirurgicales (fig. 4a), de nombreuses méthodes de traitement physique sont proposées, notamment la thérapie par rayons X mous avec plus de 2500 traitements par an (fig. 4b).
Lautenschlager accorde également une grande importance à l’enseignement, comme en témoigne son grand engagement pour le cours du vendredi après-midi, très apprécié par les étudiants. Le nombre toujours croissant de patients, mais aussi d’orientations de collègues établis, prouve la nécessité du service ambulatoire de dermatologie pour assurer à l’avenir les soins dermatologiques dans l’agglomération de Zurich. Il faut espérer que le succès de l’institution se poursuive !
Littérature :
- Furrer HP : Max Tièche (1878-1928). Dermatologue et fondateur de la polyclinique municipale pour les maladies de la peau et les maladies vénériennes de la ville de Zurich. Med. Dissertation, Zurich 1992.
- Wicki-Bühler B : Vie et oeuvre du dermatologue Walter Burckhardt 1905-1971. Med. Dissertation, Zurich 1995.
- Puenzieux D, Ruckstuhl B : Médecine, meurtre et sexualité. La lutte contre les maladies vénériennes, syphilis et blennorragie, à Zurich, 1870-1920. Chronos Verlag : Zurich 1994.
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2013 ; 23(6) : 14-17
