La carence en fer est fréquente chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque. Outre une diminution des performances et de la qualité de vie, un risque accru de mortalité est associé à cette maladie, qu’il y ait ou non une anémie. Les directives de l’ESC recommandent donc un relevé de routine du statut en fer. En cas de carence, la supplémentation intraveineuse en fer-carboxymaltose s’est révélée plus efficace que le fer oral.
80% des patients souffrant d’insuffisance cardiaque ont plus de 65 ans et il s’agit du deuxième motif de consultation cardiovasculaire dans un cabinet médical après l’hypertension [1]. La carence en fer est une comorbidité reconnue par la Société européenne de cardiologie (ESC) dans l’insuffisance cardiaque chronique, qui touche 37 à 61% des patients [2]. Plus précisément, une étude suisse a montré une prévalence de 54,7% de carence en fer chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque [11]. Une étude de cohorte a montré que la carence en fer est un facteur prédictif indépendant de mortalité chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque [3]. Il est important d’améliorer le diagnostic et le traitement précoces de la carence en fer comorbide dans l’insuffisance cardiaque. Si la carence en fer n’est souvent pas diagnostiquée en cas d’insuffisance cardiaque, c’est notamment parce que de nombreux symptômes se chevauchent (baisse des performances physiques, épuisement/fatigue, sommeil agité, difficultés cognitives). Une autre raison est que l’on considère parfois à tort que le dépistage de l’anémie est suffisant ou que l’on fixe des valeurs de cut-off trop basses lors de l’interprétation des valeurs de ferritine.
Le dépistage du statut en fer est essentiel – il est essentiel d’utiliser des valeurs normatives adéquates !
Une carence en fer cliniquement significative se caractérise par une disponibilité en fer insuffisante pour couvrir les besoins de l’organisme, ce qui, selon les connaissances actuelles, est possible indépendamment de la présence ou non d’une anémie [4]. Même si les taux d’hémoglobine (Hb) sont dans la norme, il peut y avoir une carence en fer qui peut entraîner une aggravation de l’insuffisance cardiaque et de la qualité de vie [2]. Les lignes directrices de l’ESC 2016 pour le diagnostic et le traitement de l’insuffisance cardiaque aiguë et chronique recommandent un dépistage du statut en fer chez tous les patients nouvellement diagnostiqués comme souffrant d’insuffisance cardiaque chronique [2,5]. Il est également très important d’utiliser les valeurs normales adéquates lors de l’interprétation des résultats (aperçu 1). Le cut-off pour les patients souffrant d’insuffisance cardiaque est plus élevé que celui pour les autres patients. Selon les directives de l’ESC sur le traitement de l’insuffisance cardiaque, les valeurs normales suivantes sont déterminantes pour le diagnostic d’une carence en fer : ferritine sérique <100 μg/L ou saturation de la transferrine <20%. Si les valeurs de la ferritine sérique se situent dans la fourchette 100-300 μg/L, un test de saturation de la transferrine est nécessaire, si les valeurs <20% sont obtenues, il s’agit d’une carence en fer fonctionnelle.
La substitution intraveineuse de fer est plus efficace que la supplémentation orale
Les directives de l’ESC indiquent explicitement d’envisager une thérapie intraveineuse à base de fer-carboxymaltose pour traiter la carence en fer [2]. Cela est particulièrement vrai pour les patients symptomatiques souffrant d’une FCF systolique chronique ou d’une insuffisance cardiaque avec FEVG <45% et d’une carence en fer [5]. Dans l’étude IRONOUT contrôlée par placebo, la supplémentation en fer par voie orale (150 mg 2×/d) n’a pas eu d’effet sur les performances physiques des patients souffrant d’insuffisance cardiaque (NYHA II-IV, FEVG ≤40%) après 16 semaines [6]. De plus, le fer oral n’a pas entraîné d’augmentation des taux de ferritine et de saturation de la transferrine par rapport au placebo. L’une des principales raisons est que le fer oral est mal absorbé par les patients souffrant d’insuffisance cardiaque. C’est pourquoi les auteurs déconseillent de procéder d’abord à une substitution orale prolongée chez ces patients. Les observations montrent toutefois que cela va à l’encontre de la pratique clinique actuelle et que la plupart des patients souffrant d’insuffisance cardiaque sont d’abord traités par fer oral, conformément à l’information professionnelle.
Le fer-carboxymaltose : une option thérapeutique rapide et durable
Les effets positifs de la supplémentation en fer par voie intraveineuse ont été prouvés empiriquement. Dans les études randomisées CONFIRM-HF, FAIR-HF et EFFECT-HF, une supplémentation intraveineuse en fer-carboxymaltose chez des patients souffrant d’insuffisance cardiaque chronique et d’une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) réduite a entraîné une amélioration des symptômes, des performances et de la qualité de vie, ainsi qu’une réduction du taux d’hospitalisation [7]. L’administration de 1 à 2 perfusions intraveineuses de fer avec du fer-carboxymaltose (Ferinject®) [8,10] se fait en pratique en 45 minutes environ et les effets positifs sont rapidement perceptibles par le patient. Dans le cas d’une supplémentation en fer par voie orale, la durée du traitement est généralement de 6 à 12 mois et les objectifs thérapeutiques ne sont souvent pas atteints. Le fer remplit plusieurs fonctions importantes dans l’organisme, de sorte qu’un état de carence sur une longue période est important. La carence en fer est associée à une réduction du transport et à une mauvaise utilisation de l’oxygène dans les muscles. Mais la fonction du fer dans le cœur va au-delà du transport de l’oxygène. Le fer joue en outre un rôle important dans la production d’ATP dans les mitochondries en tant que carburant pour la contraction musculaire [8]. Les cardiomyocytes contiennent plusieurs fois plus de mitochondries que les autres cellules. Le fer est nécessaire aux mitochondries pour stimuler les réactions enzymatiques et pour la production d’énergie des cardiomyocytes [7].
Implications pour la contractilité des cardiomyocytes
Il est scientifiquement prouvé que la carence en fer affecte la contractilité des cardiomyocytes, bien qu’une étude in vitro ait montré que cet effet est réversible si le traitement est effectué à temps [9]. Cela a été étudié en utilisant des cardiomyocytes embryonnaires humains (cellules souches), dont le fer a été retiré par une intervention expérimentale. La respiration cellulaire mitochondriale a été mesurée à l’aide du test de stress Seahorse Mito et la contractilité a été quantifiée à l’aide d’une analyse vidéo. Les séquences vidéo peuvent être téléchargées sous les codes QR dans l’encadré [9].
Des dosages spectrophotométriques d’enzymes ont également été effectués. L’analyse des données a montré que la carence en fer réduisait les niveaux d’ATP cellulaire de 74% (p<0,0001) et que la contractilité diminuait de 43% (p<0,05). La figure 1 illustre la contractilité des cardiomyocytes en cas de carence en fer et après correction de la carence en fer [9]. Il en ressort qu’en cas de carence en fer induite, une réduction significative de la contractilité des cardiomyocytes embroynaux peut être mesurée, mais que ce phénomène est réversible [9]. On peut donc en déduire que le traitement de la carence en fer par une supplémentation intraveineuse est également pertinent pour la contractilité des cardiomyocytes et que cela représente une implication importante des mesures thérapeutiques correspondantes, en particulier chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque.
Séquences vidéo : contractilité des myocytes |
Messages Take-Home
- La carence en fer est une comorbidité fréquente de l’insuffisance cardiaque chronique. Environ 37 à 61% des patients sont concernés [2].
- Les directives de la Société européenne de cardiologie (ESC) pour le traitement de l’insuffisance cardiaque et le groupe de travail “Insuffisance cardiaque” de la Société suisse de cardiologie (SSC) recommandent un dépistage du statut en fer chez tous les patients nouvellement diagnostiqués comme insuffisants cardiaques [5,12].
- Une carence en fer peut également être présente indépendamment de l’anémie, c’est pourquoi il est important de mesurer séparément les valeurs de ferritine et de saturation de la transferrine [2]. Lors de l’interprétation des résultats, il convient d’utiliser les valeurs de cut-off pour les patients souffrant d’insuffisance cardiaque, qui sont plus élevées que pour les autres patients [5].
- Une supplémentation en fer effectuée à temps peut avoir un effet positif sur l’insuffisance cardiaque et donc sur la qualité de vie des patients. Il a été démontré qu’un traitement de substitution du fer par voie intraveineuse a de meilleurs effets que la substitution orale chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque [7].
Littérature :
- Mohacsi P : La carence en fer – une comorbidité importante en cas d’insuffisance cardiaque. Prof. Paul Mohacsi, FOMF médecine interne, 23.6.20.
- Lam CSP, et al. (au nom du groupe IRON CORE) : Déficience en fer dans la défaillance cardiaque chronique : guide pratique basé sur des cas. ESC Heart Failure 2018 ; 5(5) : 764-771.
- Klip IT, et al : Am Heart J 2013 ; 165(4) : 575-582.
- Cappellini MD, et al : Am J Hematol 2017 ; 92 : 1068-1078.
- Ponikowski P, et al : ESC guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J 2016 ; 37 : 2129-2200.
- American College of Cardiology, www.acc.org/latest-in-cardiology/articles/2016/11/10/15/58/wed-1145amet-ironout-effect-aha-2016. Accessed Janvier 22, 2017
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- Rosca MG, Hoppel CL : Mitochondria in heart failure. Cardiovasc Res 2010 ; 88(1) : 40-50.
- Hoes MF, et al. : European Journal of Heart Failure 2018 ; 20 ; 5 : 910-919. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/ejhf.1154
- Information professionnelle Ferinject®, www.swissmedicinfo.ch
- Wienbergen H, et al : Usefulness of Iron Deficiency Correction in Management of Patients With Heart Failure [from the Registry Analysis of Iron Deficiency-Heart Failure (RAID-HF) Registry. Am J Cardiol 2016 ; 118 : 1875-1880.
- SSC : Diagnostic et prise en charge de l’insuffisance cardiaque chronique. Nouvelle édition 2019 basée sur les directives ESC 2016, groupe de travail “Insuffisance cardiaque” de la Société Suisse de Cardiologie (SSC), www.heartfailure.ch
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2020 ; 15(8) : 18-20