Les hémangiomes sont les tumeurs les plus fréquentes de la peau des enfants. Une rémission spontanée est souvent observée. Toutefois, dans certains cas particuliers – par exemple en cas de menace de complication fonctionnelle, d’ulcération ou de dommages esthétiques permanents – un traitement est indiqué.
Les hémangiomes sont les tumeurs cutanées les plus fréquentes chez l’enfant. On les trouve chez 1,1 à 2,6% de tous les nouveau-nés matures ; au cours de la première année de vie, leur prévalence est de 10 à 12% [1]. La prématurité est un facteur de risque important pour les hémangiomes. La prévalence est corrélée au poids de naissance et à l’âge gestationnel : pour chaque 500 g de poids de naissance en moins, le risque d’hémangiome augmente de 40%. Chez les enfants dont le poids de naissance est de <1500 g, la prévalence est de 15%, et chez les enfants dont le poids de naissance est de <1000 g, la prévalence est de 22-30% [2]. Pour des raisons inconnues, les filles sont trois à cinq fois plus touchées que les garçons.
Pathogenèse
La pathogenèse des hémangiomes n’est pas encore totalement élucidée. GLUT1, un transporteur de glucose, peut être détecté à tous les stades de développement des hémangiomes. GLUT1 est normalement exprimé dans les endothéliums du cerveau, de la rétine, du placenta et de l’endoneurium, mais pas dans la peau normale ni dans d’autres tumeurs vasculaires ou malformations vasculaires. On pense que les hémangiomes sont déclenchés et entretenus par l’hypoxie. L’hypoxie stimule la transcription et l’expression de surface de GLUT1 dans les cellules endothéliales, par l’intermédiaire de protéines de signalisation comme le HIF-1α (hypoxia-inducible factor 1α). Cela permet d’augmenter la capacité d’absorption du glucose par les tissus de l’hémangiome. Le glucose sert à la néovascularisation, qui à son tour contrecarre l’hypoxie. En outre, une diminution de l’expression du VEGFR1 (vascular endothelial growth factor receptor 1) a été observée dans les cellules endothéliales des hémangiomes. Cela entraîne une stimulation du VEGFR2 et de l’angiogenèse [3]. Des données récentes indiquent que le système rénine-angiotensine (RAS) joue également un rôle dans la prolifération des cellules endothéliales des hémangiomes. Cette thèse est étayée d’une part par le fait que l’on trouve des taux élevés de rénine sérique au cours des trois premiers mois de vie, qui diminuent ensuite parallèlement au comportement naturel de croissance des hémangiomes. D’autre part, on observe des taux élevés de rénine sérique chez les femmes et les prématurés, qui sont tous deux des facteurs de risque. Au cours de la phase de prolifération, les cellules endothéliales des hémangiomes expriment l’ECA (enzyme de conversion de l’angiotensine) et l’AT2R (récepteur de l’angiotensine II). Les taux élevés de rénine sérique et l’expression locale de l’ECA entraînent des concentrations élevées d’AT-II, ce qui, avec le VEGF, favorise la prolifération cellulaire [4].
Clinique
Les hémangiomes peuvent être présents à la naissance, mais n’apparaissent généralement que dans les premiers jours ou semaines de vie, généralement avant la septième semaine. Les hémangiomes peuvent être superficiels, sous-cutanés ou mixtes, superficiels et sous-cutanés. On observe un comportement de croissance typique (Fig. 1). Au cours des six à neuf premiers mois, on observe une croissance rapide de la taille avant qu’un plateau ne soit atteint. La phase de plateau peut durer de quelques semaines à quelques mois. La phase de régression qui suit est reconnaissable par des parties grisâtres à la surface des hémangiomes, appelées zones de régression. Les zones de régression correspondent à un début de transformation fibrotique. Pour les hémangiomes de grande taille, environ 10% du volume de l’hémangiome disparaît chaque année à partir de la deuxième année, de sorte qu’il reste environ 50% du volume de la tumeur à cinq ans et environ 10% à neuf ans. Les hémangiomes de grande taille, en particulier, laissent souvent des résidus sous forme de télangiectasies, de cicatrices fibro-adipeuses ou de plis cutanés [1].
Localisations spécifiques
La majorité des hémangiomes ne présentent aucune complication et il est possible d’attendre la régression spontanée. En revanche, les hémangiomes situés à certains endroits présentent un risque accru de complications et rendent indispensables un traitement, des diagnostics supplémentaires et/ou des contrôles étroits.
Hémangiomes périoculaires : Les hémangiomes proches des yeux peuvent entraîner une amblyopie. Les trois causes suivantes d’amblyopie due aux hémangiomes sont connues [5] :
- Anisométropie due à l’astigmatisme ou à la myopie par pression directe de l’hémangiome sur l’œil
- Axe visuel limité en raison d’une masse d’hémangiome ou d’une ptose induite par l’hémangiome
- Strabisme résultant de l’effet de masse de l’hémangiome ou de la pression exercée sur les muscles extraoculaires de l’œil
En raison de ces complications redoutables, les enfants atteints d’hémangiome proche de l’œil doivent faire l’objet d’un suivi ophtalmologique étroit.
Hémangiomes nasaux : Les hémangiomes localisés à la pointe du nez peuvent entraîner une obstruction de la respiration nasale et, à long terme, une déformation du nez (Fig. 2).
Hémangiomes intertrigineux : Les hémangiomes localisés au niveau intertrigineux ont tendance à s’ulcérer, car la peau est souvent macérée dans ces zones.
Les hémangiomes paratrachéaux : Les hémangiomes paratrachéaux peuvent être isolés ou associés à des hémangiomes cutanés, typiquement localisés dans la “zone de barbe”. Une localisation endotrachéale ainsi qu’une compression externe peuvent entraîner une obstruction des voies respiratoires supérieures mettant la vie en danger. Il est important de noter que le comportement de croissance des hémangiomes paratrachéaux et des hémangiomes cutanés concomitants n’est pas toujours parallèle. En cas d’hémangiomes cutanés dans la région de la barbe, du préauriculaire au menton et sur la partie ventrale du cou, une atteinte sous-glottique est présente dans plus de 60% des cas, ce qui doit être exclu par bronchoscopie fibroscopique [6].
Les hémangiomes génitaux : Les hémangiomes de la région génitale s’ulcèrent rapidement en raison de la macération et du frottement, c’est pourquoi l’indication d’un traitement est posée à bas seuil.
Hémangiomes des lèvres : Les hémangiomes des lèvres présentent souvent un risque accru d’ulcération et de saignement en cas de morsure sur les lèvres. De plus, ils ont tendance à régresser plus lentement que les hémangiomes d’autres localisations et laissent un reliquat fibrolipomateux remarquable. Une thérapie systémique est généralement justifiable dans ce cas (fig. 3).
Formes spéciales
Outre l’hémangiome classique, il existe des types d’hémangiomes plus rares comme l’hémangiome congénital et l’hémangiome réticulaire (IH-MAG, infantile hemangioma with minimal or arrested growth). Les hémangiomes congénitaux sont classés en NICH (non-involuting congenital haemangioma) et RICH (rapidly involuting congenital hemangioma). Des chevauchements sont possibles et sont appelés PICH (partially involuting congenital hemangioma). Le NICH ne présente aucune régression, le RICH peut présenter des signes de régression dès la naissance. Les hémangiomes congénitaux sont GLUT1-négatifs. L’IH-MAG est considéré comme une variante abortive de l’hémangiome infantile. Il est principalement localisé au niveau du membre inférieur, généralement complètement formé à la naissance et présente alors une régression complète. Cliniquement, les IH-MAG se présentent sous forme de plaques érythémateuses avec un dessin vasculaire réticulaire et des papules érythémateuses en périphérie (Fig. 4). La distinction clinique avec les malformations vasculaires peut être difficile. La positivité de GLUT1 de IH-MAG est utile ici, alors que les malformations vasculaires sont GLUT1 négatives.
S’il existe plus de 5 à 10 hémangiomes (selon la définition), il s’agit d’une hémangiomatose. Il convient de faire la distinction entre l’hémangiomatose néonatale bénigne sans atteinte extracutanée et l’hémangiomatose néonatale diffuse. Dans ce dernier cas, au moins deux autres systèmes d’organes sont touchés, le foie étant le plus souvent impliqué, suivi du système nerveux central, du tractus gastro-intestinal et des poumons. En présence de >5 hémangiomes cutanés, des examens échographiques du foie et du cerveau sont indiqués.
Les hémangiomes segmentaires peuvent être isolés ou associés à d’autres malformations non vasculaires sous forme de syndrome neurocutané. Le syndrome PHACE nécessite la présence d’au moins une des anomalies extracutanées suivantes, en plus d’un hémangiome facial segmentaire de grande taille (>5 cm) : Malformation de la fosse postérieure, malformation des artères cérébrales, malformation cardiovasculaire ou anomalie oculaire. Plus rarement, un défaut de la ligne médiane, comme une fente sternale, en fait partie.
Les hémangiomes localisés dans la région lombo-sacrée médiane ou périanale peuvent être associés à des malformations anogénitales ou urologiques, à une dysraphie spinale occulte et au syndrome de la corde raide. Ils sont décrits sous forme d’acronyme par le syndrome PELVIS ou le syndrome SACRAL. PELVIS comprend les hémangiomes périnéaux, les malformations des organes génitaux externes, les lipomyéloméningocèles, les malformations vésicoreuses, l’anus imperforé et les appendices cutanés (perineal hemangioma, external genitalia malformations, lipomyelomeningocele, vesicorenal abnormalities, imperforate anus, skin tag). SACRAL est composé de dysraphisme spinal, d’anomalies anogénitales, cutanées, rénales et urologiques associées à des hémangiomes dans la région lombo-sacrée (spinal dysraphism, anogenital, cutaneous, renal and urologic anomalies, angioma of lumbosacral localization).
Diagnostic
Le diagnostic peut généralement être établi sur la base de l’anamnèse et de la clinique. Le diagnostic différentiel doit être posé avec d’autres tumeurs vasculaires (en particulier l’angiome tufted, l’hémangioendothéliome kaposiforme et le granulome pyogénique) et les malformations vasculaires (capillaires/veineuses). Si la distinction clinique pose problème, une échographie avec échographie duplex et une biopsie pour déterminer le GLUT1 peuvent être utiles. Le tableau 1 résume les principaux critères de distinction entre un hémangiome classique et une malformation capillaire (naevus flammeus).
Thérapie
La plupart des hémangiomes évoluent sans complications et présentent une régression spontanée. Ainsi, une grande partie des hémangiomes ne nécessitent pas de traitement. Cependant, la croissance des hémangiomes nécessitant potentiellement un traitement (notamment les hémangiomes de localisation particulière, les hémangiomes >5 cm, les manifestations présentant un risque d’ulcération) doit être étroitement surveillée. La “règle de Höger” s’est avérée utile pour déterminer les intervalles de réévaluation respectifs : âge en mois = intervalle de réévaluation en semaines [7].
Un traitement médicamenteux est indiqué d’urgence en cas de
- complication fonctionnelle mettant en jeu le pronostic vital ou menaçant de l’être en cas de localisation et d’extension appropriées (par exemple, hémangiomes périorificiels ou laryngés).
- menace d’ulcération ou déjà manifeste, principalement en raison de la douleur (Fig. 5).
- risque de préjudice esthétique permanent même après la guérison de l’hémangiome, par exemple les hémangiomes de grande taille dans la région du visage (fig. 6-7).
Traitement systémique par propranolol
Si l’hémangiome est indiqué, le traitement systémique par propranolol constitue généralement le traitement de choix. Le mécanisme d’action est expliqué par son influence sur les cellules endothéliales, le tonus vasculaire, l’angiogenèse et l’apoptose [8].
Le propranolol est administré à une dose de 2-3 mg/kg de poids corporel, répartie en deux ou trois doses quotidiennes. Le début du traitement se situe idéalement entre la quatrième et la dixième semaine de vie, car c’est pendant cette période que la croissance de l’hémangiome est la plus rapide (phase de prolifération). Le début précoce du traitement permet d’éviter au mieux les dommages irréversibles tels que l’atrophie cutanée, la formation de cicatrices et l’excès de tissu conjonctif. Le traitement doit être poursuivi jusqu’à l’âge d’un an afin de minimiser le risque de récidive après l’arrêt du traitement.
La première administration se fait sous surveillance de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque, en ambulatoire ou en hospitalisation. Le propanolol est généralement bien toléré. Les effets secondaires les plus fréquemment observés sont l’acrocyanose légère, la diarrhée, les troubles du sommeil, l’irritabilité et la bronchite. Ces symptômes disparaissent souvent au cours du traitement. L’hypoglycémie symptomatique, la bradycardie ou l’hypotension et le bronchospasme ont été extrêmement rarement décrits. Pour éviter l’hypoglycémie, le médicament doit être administré au moment des repas et mis en pause lorsque la prise alimentaire est réduite (par exemple en cas d’infection). Les contre-indications au traitement systémique par le propranolol sont la bradycardie, l’hypotension, le bloc AV >de 2e degré, l’insuffisance cardiaque, l’obstruction pulmonaire, la tendance à l’hypoglycémie et le phéochromocytome [9]. Les hémangiomes segmentaires sont souvent associés à davantage de complications et nécessitent une durée de traitement plus longue. Les hémangiomes congénitaux répondent généralement moins bien, voire pas du tout, au traitement par propranolol.
Thérapie topique avec le timolol
Dans le cas de petits hémangiomes à localisation remarquable (par exemple sur le visage ou les mains), qui ne mettent pas en danger la fonction ou la vie de la personne, il existe souvent un dilemme : un traitement est souhaitable, mais une thérapie systémique avec du propranolol n’est pas justifiée en raison des effets secondaires potentiels. Dans de tels cas, la thérapie topique avec Timololgel 0,5% constitue une option de traitement. Le gel est préparé par voie magistrale à partir de gouttes ophtalmiques de timolol et appliqué en couche mince sur l’hémangiome deux fois par jour. En cas d’application sur une grande surface, par exemple au niveau du cuir chevelu, la prudence est de mise en raison de la possibilité d’absorption systémique [10].
Messages Take-Home
- Les hémangiomes sont les tumeurs les plus fréquentes de la peau des enfants. Ils se manifestent généralement dans les premiers jours/semaines de vie, généralement avant la septième semaine de vie.
- La pathogenèse est inexpliquée, bien qu’un lien avec l’hypoxie soit suspecté. Les facteurs de risque incluent la prématurité et le sexe féminin.
- La plupart du temps, la rémission spontanée se produit au début de l’enfance.
- Les hémangiomes situés à des endroits spécifiques (périoculaires, nasaux, intertrigineux, paratrachéaux, génitaux, sur les lèvres) doivent être surveillés en raison du risque accru de complications.
- Un traitement est indiqué en cas de complication fonctionnelle menaçant le pronostic vital, d’ulcération menaçante et de risque de dommages esthétiques permanents.
Littérature :
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- Ceisler EJ, Santos L, Blei F : Hémangiomes périoculaires : ce que chaque physicien doit savoir. Pediatr Dermatol 2004 ; 21(1) : 1-9.
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- Smith A, et al. : Directives suisses sur le traitement par propranolol des hémangiomes infantiles. Paediatrica 2016 ; 27(2) : 11-16.
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- KidsDoc (consultation virtuelle du service universitaire de chirurgie pédiatrique du Donauspital) : Traiter plus tôt les hémangiomes (éponges à sang) chez les enfants ! www.kidsdoc.at/haemangiom_frueher_behandeln.html (consulté le 02.07.2018).
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2018 ; 28(4) : 3-7