Depuis quelques années, les inhibiteurs oraux de Janus kinase (JAKi) élargissent le paysage thérapeutique des maladies rhumatoïdes inflammatoires. Le professeur Gerd Burmester explique dans l’interview suivante ce que cela signifie pour la prise en charge de ces maladies et quels sont les points à prendre en compte concernant l’efficacité et la sécurité des JAKi.
Prof. Dr. med. Gerd Burmester, Berlin
1) Quels sont les progrès dans la prise en charge des maladies rhumatoïdes inflammatoires dont vous avez été le témoin au cours de votre parcours médical? Quelles ont été pour vous les trois plus grandes innovations?
Il est assez facile de répondre à cette question si l’on considère les innovations dans le domaine des traitements.
À mon avis, il y a eu ici trois étapes importantes: premièrement, le développement du méthotrexate, (MTX) et son utilisation en rhumatologie. La prochaine étape a été franchie avec le développement des agents biologiques, notamment des inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale (TNFis) et des inhibiteurs du récepteur de l’IL-6; mais les inhibiteurs de la costimulation ou le traitement ciblé sur les cellules B valent aussi la peine d’être mentionnés. Je considère que la troisième étape a été le développement des inhibiteurs de Janus kinase (JAKis), qui peuvent aussi être efficaces lorsque les traitements biologiques ont par exemple échoué. Les JAKis affichent un excellent spectre d’efficacité et ont montré une meilleure efficacité que certains traitements biologiques connus dans les études cliniques contrôlées.
2) La classe des JAKis représente l’avancée la plus récente dans le paysage du traitement de la PR. Comment évaluez-vous le profil de sécurité de ces médicaments?
Il existe un grand nombre de données sur l’utilisation à long terme des JAKis. Nous disposons déjà de résultats issus des études contrôlées à long terme. Il existe de larges études de registres menées aux États-Unis et aussi des premières études de registres menées en Europe qui montrent un très bon profil de sécurité pour les JAKis, similaire aux profils de sécurité que nous connaissons des agents biologiques.
Tous les JAKis s’accompagnent d’une claire augmentation des zonas. Cependant, je suis optimiste qu’il est possible de réduire sensiblement le risque de zona par une vaccination appropriée. De plus, les JAKis vont de pair avec une élévation de la créatine kinase (CK). Elles ne sont en règle générale cependant pas cliniquement pertinentes.
Aux données décrites plus haut s’ajoutent des résultats relativement récents de l’étude randomisée prospective contrôlée ORAL surveillance. Dans cette étude, aucune non-infériorité du JAKi tofacitinib par rapport aux TNFis n’a pu être montrée chez des patients atteints de PR présentant au moins un autre facteur de risque cardiovasculaire. En outre, les incidences des tumeurs malignes et des événements cardiovasculaires sous tofacitinib étaient numériquement plus élevées que sous les TNFis, ce qui n’a pas été observé dans d’autres études portant sur les JAKis. Lors de l’interprétation des résultats de l’étude ORAL surveillance, il convient de prendre en compte le fait que la population de patients inclus était une population fortement sélectionnée de patients très malades. L’ensemble des études ne suggère pas qu’il y ait un risque plus élevé d’événements cardiovasculaires ou malins sous JAKis par rapport aux TNFis. Globalement, il faut toujours évaluer le profil de risque individuel du patient lorsque l’on se décide pour un traitement spécifique.
3) Comment aborderiez-vous les problèmes de sécurité potentiels pour le patient si un traitement par JAKis devait être envisagé?
Le principe de la prise de décision partagée (« Shared decision making ») est essentiel. Les patients ne demandent de nos jours en premier lieu plus quelle est l’efficacité du médicament mais quels en sont les effets secondaires. Ceci est bien compréhensible, les médicaments devant être parfois pris pendant plus de 10 ans. Bien sûr, il existe des problèmes classiques, comme les infections ou la tuberculose dans le cas des TNFis. Ce risque a cependant pu être réduit de 80 % par un dépistage minutieux et un traitement préemptif. Avec les JAKis, il faut prêter attention aux maladies cardiovasculaires préexistantes et aux tumeurs malignes et en tenir compte lors de la prise de décision, tout en gardant en tête que nos patients préfèrent très souvent un traitement par voie orale, ne veulent prendre qu’un seul comprimé par jour et aimeraient arrêter toute comédication, telle le MTX. Cela est compréhensible, étant donné qu’un bon nombre de patients prennent plusieurs médicaments pour traiter plusieurs maladies. Du point de vue du patient, le traitement doit être si possible gérable et simple et permettre par exemple de voyager sans devoir emporter des seringues.
4) Quelle confiance avez-vous dans la sécurité à long terme de l’UPA au regard de l’étude de sécurité intégrée sur l’UPA, dans laquelle les trois indications polyarthrite rhumatoïde (PR), spondylarthrite ankylosante (SA) et arthrite psoriasique (APs) ont été analysées en détail[1]?
Plusieurs effets secondaires, tels les tumeurs malignes, ne peuvent être observés qu’après un certain temps et non pas au bout de 6 à 12 mois. Les données de sécurité à long terme sont donc particulièrement importantes. Pour l’UPA, nous disposons de ce genre de données, y compris en comparaison avec le MTX et l’adalimumab (ADA). Les données actuelles vont en tout cas dans le sens d’un bon profil de sécurité pour l’UPA. À l’exception de la survenue plus fréquente de zonas et du taux élevé de CK sous UPA, aucun signe d’une différence de sécurité avec les agents biologiques n’a été relevé.
L’upadacitinib (UPA ; RINVOQ®), un inhibiteur sélectif des JAK, est le seul JAKi qui peut actuellement être utilisé en Suisse dans trois indications : la spondyloarthrite ankylosante (SA), et l’arthrite psoriasique (APs) et la polyarthrite rhumatoïde (PR) [2-4]. |
5) L’objectif thérapeutique déclaré dans la PR, la SA et l’APs est l’atteinte d’une rémission durable[5]. Dans quelle mesure nous sommes-nous rapprochés de cet objectif avec l’introduction des JAKis?
Dans de nombreuses études, les JAKis se sont montrés supérieurs aux substances comparatrices en termes de taux de rémission et d’amélioration d’autres aspects de la maladie. Le TNFi ADA, a en particulier été étudié comme substance comparatrice, ou encore l’inhibiteur de cellules T abatacept lorsque les traitements biologiques ont échoué. Le taux de rémission est plus élevé ici avec les JAKis, même s’il ne s’agit que de 10 à 20 % supplémentaires. Je me réjouis de tout nouveau patient qui atteint une rémission et considère cela comme très précieux. C’est un constat important que nous sommes en mesure d’apporter un plus à nos patients avec les JAKis par rapport aux agents biologiques, qui sont déjà de bons médicaments, et ce, notamment lorsque les agents biologiques ont déjà échoué chez un patient. C’est ici que nous étions auparavant dos au mur par manque d’options thérapeutiques. Dorénavant, nous sommes en mesure d’en apporter plus encore à nos patients avec les JAKis.
6) Dans les études cliniques, l’UPA montre une forte efficacité en termes de rémission non seulement pour la PR, mais aussi pour la SA et l’APs[6-9]. Quelle est votre expérience à ce sujet?
Notre expérience avec l’UPA est positive et correspond aux résultats des études cliniques. Ce n’est cependant pas ce que l’on aurait pu prédire il y a quelque temps. Beaucoup pensaient que les inhibiteurs sélectifs au JAK1 agissent plutôt par la voie de signalisation de l’IL-6, et nous savons que l’inhibition de l’IL-6 ne joue un rôle important ni dans l’APs ni dans la SA. Dans ce contexte, il a donc été surprenant de découvrir que les JAKis sont aussi efficaces dans ce type de maladies. Des mécanismes indirects sont probablement impliqués ici, de sorte que l’effet anti-inflammatoire global réduit la sécrétion de l’IL-17 et du TNF, conduisant ainsi à ces résultats clairement positifs.
7) La rapidité d’action, en particulier la réduction rapide de la douleur, sont des caractéristiques particulières de l’UPA[6]. Quelle est l’importance de ce point dans le traitement de vos patients?
C’est un point essentiel! Les patients attendent en effet de nos jours un soulagement rapide de la douleur. Je me souviens encore très bien de l’époque où les patients se réveillaient la nuit avec des douleurs extrêmes dans les doigts. Cela devait être une vie atroce, lorsque le moindre mouvement des doigts provoquait des douleurs énormes. De nos propres expériences, par exemple avec les douleurs dentaires ou les maux de tête, nous savons ce que cela signifie de ne soudain plus ressentir de douleur. En tant que personne avec des articulations saines, nous pouvons donc bien comprendre que l’on puisse aspirer à une action rapide. Le soulagement de la douleur s’accompagne aussi d’une amélioration de la capacité fonctionnelle. Les patients peuvent par exemple de nouveau mieux marcher ou monter les escaliers et réaliser des tâches quotidiennes. Pour beaucoup de patients, cela représente déjà un obstacle conséquent de fermer un bouton ou de lacer ses chaussures. L’invention de la fermeture velcro a représenté à l’époque une amélioration immense pour les patients. On a de la peine à se l’imaginer aujourd’hui, car les traitements sont désormais très bons.
8) L’intolérance au MTX constitue un grand défi pour les rhumatologues. Qu’est-ce que cela signifie pour les patients d’une part de commencer avec une monothérapie avec un JAKi et d’une autre de pouvoir arrêter le MTX sous JAKi?
La monothérapie est extrêmement importante pour nos patients, comme d’un côté ils ne tolèrent parfois pas bien le MTX et d’un autre côté prennent souvent de nombreux autres médicaments, par exemple un traitement préventif de l’ostéoporose ou antihypertenseur. Même pour des patients habitués, il n’est pas toujours facile de gérer cela. Dans ces cas, n’avoir qu’un comprimé à prendre par jour est vraiment idéal. Lorsque le contrôle de la maladie est satisfaisant, le MTX peut être arrêté avec précaution. L’initiative vient souvent aussi du patient. De mon point de vue, cela fonctionne très bien dans la majorité des cas.
9) Quels sont les aspects du traitement avec un JAKi que vous souhaiteriez mettre en avant par rapport aux traitements conventionnels biologiques?
Les TNFis, en particulier l’ADA, sont généralement utilisés en association avec le MTX. Il y a certes des patients qui s’en sortent bien sans MTX, mais des anticorps anti-médicament se développent souvent, et l’efficacité de l’ADA faibli. Ce problème n’existe pas avec les JAKis. Les JAKis ont aussi du point de vue du patient l’avantage de ne demander qu’une seule prise journalière par voie orale. En outre, les JAKis possèdent une demi-vie très courte. Si un patient souhaite concevoir un enfant, le traitement par JAKis peut être interrompu à plus court terme qu’un traitement biologique. Dans les études cliniques il a de plus été montré que les JAKis sont plus efficaces dans de nombreux domaines que les TNFis classiques et qu’ils peuvent parvenir à un bon résultat thérapeutique même si les autres traitements biologiques ont échoué.
10) Contrairement aux traitements biologiques, les JAKis bloquent la cascade du signal de nombreuses cytokines. Quels sont les avantages que cela vous apporte dans le traitement à long terme de vos patients?
Nous nous sommes souvent demandé s’il était possible d’associer plusieurs agents biologiques pour inhiber plusieurs cytokines simultanément. Mais bien entendu, cela demanderait de réaliser des programmes d’études très élaborés. Les JAKis agissent par nature sur plusieurs cascades de signaux et sont ainsi utiles dans une multitude de maladies; pas seulement dans la PR, mais aussi dans la SA, l’APs et la dermatite atopique. Nous supposons, qu’avec le dosage réduit, un équilibre a été trouvé dans lequel les JAKis interceptent les cytokines produites en excédent dans un état inflammatoire chronique, sans pour autant affecter l’action physiologique des enzymes JAK.
À propos du Prof. Dr méd. Gerd Burmester
Le Prof. Dr méd. Gerd Burmester est professeur universitaire de médecine interne, rhumatologie et immunologie clinique et a été de 1993 à 2022 directeur de la Clinique médicale spécialisée dans la rhumatologie et l’immunologie clinique de médecine universitaire à la Charité, à l’Université libre et à l’Université Humboldt de Berlin. Les étapes précédentes de sa carrière médicoscientifique l’ont amené à l’université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg, à l’université Rockefeller et à la Mount Sinai School of Medicine à New York, États-Unis, ainsi qu’à la faculté de médecine de Hanovre.
Le Prof. Dr méd. Gerd Burmester a contribué à façonner la rhumatologie par ses activités au sein de diverses associations professionnelles, notamment de la Société allemande de rhumatologie (DGRh), de la Ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR) et de la Société américaine de rhumatologie (ACR). Au cours de sa carrière scientifique, il a contribué de manière décisive à élucider les processus inflammatoires sous-jacents de la PR. Ses connaissances acquises ont marqué plusieurs grandes études portant sur le traitement des maladies rhumatismales à l’aide de nouveaux médicaments. Il a ainsi déjà dirigé la vaste étude de sécurité intégrée le TNFi adalimumab (HUMIRA®) et maintenant aussi l’étude de sécurité intégrée sur le JAKi upadacitinib (RINVOQ®)[1, 10]. Les résultats ont été présentés et discutés au congrès annuel de la SSR de cette année. Le Prof. Dr méd. Gerd Burmester s’engage désormais en tant que professeur honoraire dans sa spécialité et contribue encore à faire progresser la connaissance scientifique, en particulier via son activité d’édition pour des revues scientifiques.
Les JAKi ont également fait l’objet d’une discussion lors du congrès annuel de la Société suisse de rhumatologie (SSR) qui s’est tenu les 8 et 9 septembre 2022 à Interlaken. Accédez ici au résumé de la session interactive “Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les inhibiteurs JAK” avec les professeurs Andrea Rubbert-Roth et Gerd Burmester ! |
Littérature
Les professionnels de santé peuvent demander les références à medinfo.ch@abbvie.com.
Rédaction et entretien: Dr sc. nat. Jennifer Keim
Cette contribution a été rédigée avec le soutien financier d’AbbVie AG, Alte Steinhauserstrasse 14, Cham.
Information professionnelle abrégée de Rinvoq®
CH-RNQR-220104_11/2022
Article en ligne depuis le 05.12.2022