Bien que l’hypothermie soit un phénomène plutôt rare, la mortalité est encore relativement élevée de nos jours. La reconnaissance rapide de l’hypothermie et un traitement adéquat font la différence entre la vie et la mort.
L’hypothermie sévère a encore aujourd’hui un taux de mortalité élevé. Bien que des progrès considérables aient été réalisés dans la prise en charge des victimes d’hypothermie sévère, tant en préhospitalier qu’en hospitalier, on manque de chiffres précis sur l’incidence, estimée à 1-5 pour 100000habitants selon les régions. Outre les groupes à risque “classiques” tels que les alpinistes, les aventuriers, les membres de l’armée ou de la marine ou les travailleurs dans les régions polaires, les personnes “normales” victimes d’un accident, inconscientes ou impuissantes dans des logements non chauffés, ou les personnes intoxiquées peuvent également souffrir d’hypothermie grave (figure 1).
Physiopathologie de l’hypothermie
Le corps humain est homoiotherme et tente en toutes circonstances de maintenir sa température centrale stable autour de 37°C. Il n’y a donc pas de raison de s’inquiéter. Pour éviter le refroidissement, le corps augmente sa production interne de chaleur, principalement en augmentant l’activité musculaire. Mais si la température ambiante est trop basse et/ou si le corps n’est plus en mesure de produire suffisamment de chaleur, la température corporelle centrale (TCC) baisse régulièrement. Les symptômes cliniques qui en résultent ont été décrits pour la première fois par le médecin et sauveteur en montagne suisse, le Dr Bruno Durrer, et le Dr Hermann Brugger, médecin et chercheur en médecine d’urgence de montagne du Tyrol du Sud, dans ce que l’on appelle le “Swiss Staging” [1]. C’est aujourd’hui la base de la classification d’une hypothermie. Une deuxième classification est effectuée sur la base des TCC mesurés. On y distingue une hypothermie légère (KKT 35-32°C) d’une hypothermie modérée (KKT 32-28°C) et d’une hypothermie sévère (KKT <28°C) [2].
Swiss Staging
Le tableau 1 illustre la classification de l’hypothermie en quatre stades selon Durrer et Brugger (“Swiss Staging”). Au stade 1, il y a une légère hypothermie (typiquement 35-32°C) qui se caractérise par des tremblements dus au froid, par lesquels le corps tente d’augmenter la CCT par le biais d’une activation musculaire. Ces patients peuvent être traités avec des mesures d’isolement, des couvertures et des boissons chaudes et n’ont généralement pas besoin de soins supplémentaires.
Le stade 2 désigne une hypothermie modérée (environ 32-28°C). Ce stade se caractérise par une altération de l’état de conscience et éventuellement déjà par les premiers symptômes cardiaques. Ces patients doivent être protégés contre un refroidissement supplémentaire et doivent généralement être hospitalisés jusqu’à ce que leur KKT revienne à la normale.
Au stade 3 (généralement <28°C), les fonctions vitales sont fortement altérées. Les patients sont souvent inconscients et présentent une instabilité circulatoire ainsi qu’une respiration perturbée. Un refroidissement supplémentaire entraîne un arrêt circulatoire et donc le stade 4.
Le stade 4 est également décrit comme une mort apparente. Ces patients subissent un arrêt circulatoire et ont en outre des pupilles larges et rigides. Ils doivent être transportés le plus rapidement possible dans un hôpital disposant de capacités ECLS (“Extracorporeal Life Support”), où un réchauffement actif externe peut être effectué par ECMO (oxygénation par membrane extracorporelle) ou par une machine cœur-poumon traditionnelle. Seul le réchauffement peut réactiver la circulation et améliorer la coagulation, massivement perturbée par l’hypothermie. C’est principalement pour cette raison que les patients traumatisés gravement hypothermes ont un moins bon résultat que les victimes d’accidents normothermes [3].
Politiques et algorithmes
Ces dernières années, plusieurs algorithmes et guidelines ont été publiés pour la prise en charge des patients en hypothermie [2,4]. Ils sont destinés à aider les sauveteurs sur le lieu de l’accident et les équipes cliniques à identifier les patients hypothermiques, à définir la gravité de l’hypothermie et à mettre en place le traitement approprié. La figure 2 présente un algorithme simplifié pour la prise de décision et le traitement des patients hypothermiques en arrêt cardiaque.
Gestion à l’hôpital
Traitement et réchauffement : les patients légèrement hypothermiques (stade 1) ont simplement besoin de couvertures chaudes et de boissons ainsi que d’activité musculaire et peuvent être pris en charge en ambulatoire. En cas d’hypothermie modérée (stade 2), parfois même à un stade 3, les fonctions cardiovasculaires et respiratoires peuvent encore être suffisantes. Si c’est le cas, les patients peuvent être réchauffés de manière non invasive à l’aide de draps chauds ou de couvertures chauffantes convectives spéciales (par exemple Bair Hugger®) et de perfusions chaudes. Ils doivent toutefois faire l’objet d’une surveillance étroite. En présence d’une instabilité circulatoire liée à l’hypothermie, l’indication d’un réchauffement actif invasif doit être posée de manière généreuse. Les patients en arrêt circulatoire (stade 4) doivent être réchauffés par ECLS. Deux systèmes différents sont utilisés : l’oxygénation extracorporelle par membrane (ECMO) ou la machine cœur-poumon (HLM). (Fig.3). Une équipe d’Innsbruck a montré qu’il n’y avait pas de différence significative entre les deux systèmes en termes de ROSC (“return of spontaneous circulation”), mais que l’ECMO permettait en revanche une meilleure survie ; ceci est probablement dû au fait que l’ECMO permet un soutien cardiopulmonaire à plus long terme [5]. Le “Bernese Hypothermia Algorithm” devrait aider à poser correctement l’indication de ces techniques coûteuses [6].
Survie et réadaptation : la machine cœur-poumon (MCP) pour le réchauffement des patients victimes d’un arrêt circulatoire dû à l’hypothermie alpine a été réalisée pour la première fois dans les années 1980 par le professeur Ueli Althaus à l’Hôpital de l’Île de Berne [7]. Ce nouveau traitement, qui donnait une chance de survie aux personnes en état de mort apparente, s’est rapidement répandu parmi les équipes de secours, les services d’urgence et les équipes de chirurgie cardiaque. Une étude multicentrique suisse dirigée par Walpoth et Althaus a examiné les patients, jeunes pour la plupart, cinq ans après le traitement par HLM [8]. Avant le traitement, tous les patients présentaient des complications postopératoires telles qu’un œdème pulmonaire, des déficits neurologiques ou encore de longs séjours en soins intensifs. Beaucoup d’entre eux avaient besoin d’une rééducation pour leurs handicaps passagers. Sur un total de 32 patients inclus, qui présentaient une KKT moyenne de 21,9°C, 15 ont survécu. Après cinq ans, les survivants étaient en bonne santé, ne présentaient aucune séquelle, ne nécessitaient aucun traitement médical et avaient repris leurs activités normales. Ces résultats très prometteurs n’étaient pas seulement essentiels pour les patients et les équipes de traitement, ils ont également montré que la méthode était viable malgré les complications initiales. Aujourd’hui, le réchauffement actif-invasif des patients en hypothermie sévère et en arrêt circulatoire est devenu l’étalon-or mondial.
Prévisions
Le résultat des patients en hypothermie dépend de plusieurs facteurs. Les signes de vie lors de l’évaluation initiale sont le principal facteur pronostique positif [9]. On entend par là, entre autres, une respiration préservée, bien qu’éventuellement très ralentie, une circulation fonctionnelle ou une certaine activité cardiaque. Plus les paramètres vitaux sont perturbés, plus le risque de refroidissement secondaire suivi d’un arrêt circulatoire est important, par exemple pendant la récupération d’une victime hypothermique. Ce phénomène est connu sous le nom de “mort par récupération” et est probablement déclenché par un déplacement de sang froid de la périphérie vers le noyau, entraînant une chute aiguë de la KKT (= stade 4). Le pronostic est favorable si le patient peut être rapidement transporté dans un centre ECLS et réchauffé par voie active-invasive [10]. L’objectif prioritaire dans les soins préhospitaliers est d’éviter qu’un patient en hypothermie ne se refroidisse davantage.
Les patients hypothermiques qui souffrent simultanément d’asphyxie ont le plus mauvais pronostic. Cela se produit souvent en cas d’avalanche ou de noyade : La victime subit une asphyxie alors que la TCC est encore normale et ne se refroidit qu’au fur et à mesure [11,12]. En cas de normothermie, le cerveau a une tolérance à l’ischémie de trois minutes seulement, alors qu’avec une KKT de 20°C, le cerveau peut résister à une hypoxie pendant une trentaine de minutes sans subir de dommages. Cet effet protecteur de l’hypothermie est dû à un ralentissement de tous les processus métaboliques [13].
Actuellement, la mesure du potassium, qui exprime les dommages cellulaires, est la norme pour estimer l’ampleur de l’hypoxie [14]. Si la valeur est de 12 mmol/l pour une victime en hypothermie sévère avec arrêt circulatoire >ou de 8 mmol/l pour une victime d’avalanche >, il faut supposer que l’asphyxie est survenue avant le refroidissement et que la personne est morte asphyxiée [4]. Les lignes directrices internationales recommandent donc que la réanimation puisse être interrompue si le taux de potassium >est de 12 ou 8 mmol/l [15]. Pasquier et al. ont élaboré le “HOPE score” qui, outre le potassium, prend en compte d’autres facteurs (âge, sexe, asphyxie, etc.) et devrait ainsi permettre de mieux évaluer le pronostic des patients en hypothermie sévère et en arrêt circulatoire (stade 4) [16]. Une validation de ce score est actuellement en cours.
Innovation et avenir
Il y a quelques années, une publication danoise sur un accident de bateau a montré des taux de survie à long terme relativement élevés chez des jeunes qui avaient chaviré dans l’eau glacée et qui avaient tous été réchauffés avec succès par ECLS [17]. Le cas incroyable d’une patiente massivement hypothermique est décrit dans l’encadré ; il renforce la maxime “Nobody is dead until warm and dead” (“Personne n’est mort tant qu’il n’est pas chaud et mort”). Cependant, malgré de nombreux exemples positifs, il reste encore beaucoup à faire : Nous avons besoin de meilleures preuves en collectant et en analysant de tels cas individuels. Nous nous intéressons surtout aux causes de l’accident, aux moyens de sauvetage et de transport utilisés et, bien sûr, aux méthodes d’échauffement et au traitement post-intervention. L’hypothermie accidentelle représente une situation à “faible incidence – fort impact” : Il y a peu de cas par an dans le monde, mais la reconnaissance correcte de l’hypothermie et le traitement “à la pointe de la technologie” font la différence entre la vie et la mort. C’est pourquoi l’International Hypothermia Registry (IHR) a été développé aux Hôpitaux universitaires de Genève. Actuellement, plus de 50 centres dans le monde soutiennent le registre et nous espérons que la collecte du plus grand nombre possible de cas d’hypothermie accidentelle permettra d’obtenir davantage de preuves scientifiques et d’améliorer ainsi les résultats de ces victimes [18].
Messages Take-Home
- L’hypothermie sévère a encore aujourd’hui un taux de mortalité élevé.
- L’objectif prioritaire dans les soins pré-hospitaliers est d’éviter qu’un patient en hypothermie ne se refroidisse davantage.
- Les patients hypothermiques qui souffrent simultanément d’asphyxie ont le plus mauvais pronostic. Cela se produit souvent en cas d’avalanche ou de noyade.
- Les patients en hypothermie profonde en arrêt circulatoire doivent être transférés immédiatement sous réanimation dans un centre où ils peuvent être réchauffés par ECLS. La règle de base est la suivante : “Nobody is dead until warm and dead”.
Littérature :
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