Le cancer de l’œsophage est une pathologie complexe. Une consultation et un suivi interdisciplinaires du patient sont donc utiles. Quelle est la place de la radiothérapie ou de la radiochimiothérapie dans le traitement multimodal ?
Il existe différents concepts de traitement du cancer de l’œsophage en fonction de la localisation, du stade et des maladies associées. Les études qui définissent les normes thérapeutiques jusqu’à aujourd’hui ont été menées avec une technologie dépassée du point de vue actuel. Ce qui est sûr, c’est que la radiothérapie et la chirurgie ont toutes deux fait d’énormes progrès techniques ces dernières années, de sorte que les deux formes de traitement peuvent aujourd’hui être utilisées de manière plus douce et avec moins de complications. Quel que soit le type de traitement local, les métastases à distance restent le facteur limitant de la survie. Il n’est pas toujours facile de déterminer le concept thérapeutique optimal, en particulier chez les patients âgés ou morbides, ainsi que dans les situations de maladie localement avancées. Dans cet article, nous souhaitons résumer la place de la radiothérapie ou de la radiochimiothérapie dans le traitement multimodal du cancer de l’œsophage.
Radio-chimiothérapie néoadjuvante
Depuis les années 1990, la radiochimiothérapie est établie pour le traitement des cancers de l’œsophage [1]. Ce n’est qu’en 2012 que les résultats randomisés de l’étude CROSS [2] ont démontré l’avantage indéniable de la radiochimiothérapie combinée avant la chirurgie dans le cancer de l’œsophage localement avancé. L’étude CROSS a comparé de manière randomisée une radiochimiothérapie à 41,4 Gy en 23 fractions, parallèlement à du carboplatine AUC2 et du paclitaxel 50 mg/qm par semaine, suivie d’une chirurgie, à une chirurgie seule chez des patients en stade T1 N1 ou T2-3 N0/N1. Des tumeurs localement avancées (T3-4) étaient présentes chez 78% des patients.
L’augmentation significative des résections R0 et des rémissions complètes pathologiques, la réduction du nombre de ganglions lymphatiques positifs dans la pièce opératoire ainsi qu’une amélioration cliniquement significative de la survie médiane et de la survie à 5 ans (47% vs. 34%, p=0,003) ont fait de ce concept le nouveau standard thérapeutique. Avant l’étude CROSS, les cliniciens pensaient que les adénocarcinomes n’étaient pas aussi sensibles aux radiations. Il convient de noter que dans cette étude, 75% des patients avaient des adénocarcinomes. Le schéma CROSS n’a pas encore été comparé à une radiochimiothérapie définitive utilisant des techniques d’irradiation modernes. Il reste donc à déterminer dans quelle mesure une radiochimiothérapie définitive pourrait constituer une alternative équivalente au traitement trimodal.
Radiochimiothérapie définitive
Le traitement standard du cancer de l’œsophage inopérable est la radiochimiothérapie combinée définitive. Il s’agit principalement des cancers de l’œsophage thoracique inopérables et des cancers inopérables de la jonction gastro-œsophagienne (GEJ) de type Siewert I et II. Les cancers de l’œsophage cervicaux ne sont généralement pas opérés, mais traités par radiochimiothérapie définitive pour préserver le larynx, de la même manière que les cancers avancés de l’hypopharynx, avec des doses d’irradiation de 66-70 Gy. Le carcinome GEJ de type Siewert III est un domaine de la chirurgie et de la thérapie systémique et n’est pas irradié à titre curatif. Les différents volumes cibles en fonction de la localisation de la tumeur primaire et de l’objectif thérapeutique sont présentés dans la figure 1.
Dans l’étude RTOG 8501, des patients atteints de cancer de l’œsophage inopérable ont été randomisés pour recevoir soit 64 Gy seuls, soit 50 Gy en combinaison avec 1000 mg/m2 de FU et 75 mg/m2 de cisplatine × 4 (semaines 1, 4, 8 et 11) [3]. La survie à 5 ans était de 0% après radiothérapie seule contre 27% après traitement combiné (p<0,0001). La radiochimiothérapie est depuis lors l’alternative de traitement curatif à la chirurgie et la radiothérapie seule est considérée comme un traitement palliatif uniquement. Cependant, dans cette étude, le taux de récidive locorégionale était encore de 45% dans les deux ans, même après un traitement combiné. Pour améliorer encore les résultats de la radiochimiothérapie, une étude d’escalade de dose (RTOG94-05) a été menée, comparant 50,4 Gy à 64,80 Gy, dans les deux cas en combinaison avec une chimiothérapie à base de 5FU/cisplatine [4]. La survie moyenne était significativement plus courte dans le bras à forte dose, avec toutefois un taux élevé de toxicité G5. La plupart des décès liés au traitement sont survenus avant que le seuil de dose de 50,4 Gy ne soit atteint, ce qui rend les résultats de l’étude difficiles à interpréter. L’utilisation de techniques d’irradiation 2D et 3D dépassées et, par conséquent, l’exposition plus importante du cœur et des poumons sont soupçonnées d’être à l’origine de cette toxicité élevée. La RCMI moderne permet aujourd’hui de mieux préserver le cœur et les poumons et d’appliquer des doses de rayonnement allant jusqu’à 60 Gy ou plus avec une toxicité modérée [5].
En ce qui concerne la comparaison entre la chirurgie et la radiochimiothérapie seule, il faut dire qu’il n’existe à ce jour aucune preuve par des études randomisées de l’avantage d’un traitement trimodal par rapport à une radiochimiothérapie seule. Pöttgen et al. ont démontré dans une méta-analyse de six essais randomisés en 2012 que la chirurgie après radiochimiothérapie améliore le contrôle local, mais sans effet sur la survie globale. Au vu de ces données, il convient d’examiner de manière critique si les patients présentant des comorbidités importantes ou un risque opératoire individuel élevé doivent être opérés et si une radiochimiothérapie définitive ne serait pas dans ce cas le moyen adéquat [6].
Concepts de radiothérapie palliative
Il n’est pas rare qu’un cancer de l’œsophage soit diagnostiqué chez des patients polymorbides ou âgés. Ces patients ne sont souvent pas accessibles à une thérapie combinée ou même trimodale, car cela serait trop toxique. En raison des problèmes locaux souvent déjà existants et des complications potentielles qui menacent en cas de progression de la tumeur primaire (p. ex. fistulisation, sténose, régurgitation avec aspiration), un contrôle local est souvent avantageux pour la palliation et l’amélioration de la qualité de vie. En outre, pour de nombreux patients, le maintien d’une alimentation perorale est essentiel pour une bonne qualité de vie et pour éviter une alimentation par sonde permanente, en particulier dans le contexte d’une durée de vie limitée.
Il existe peu d’études prospectives et peu de descriptions de cohortes rétrospectives sur ce sujet. Une étude randomisée portant sur 111 patients a montré que la radiothérapie seule de courte durée (35 Gy en 15 fractions ou 30 Gy en 10 fractions) n’entraînait qu’une amélioration légèrement inférieure de la dysphagie (35% vs 45% p=0,13), mais avec une toxicité nettement moindre (16% vs 36% p=0,0017) que la radiochimiothérapie palliative [7].
Dans l’ensemble, un hypofractionnement dit “léger” permet donc d’obtenir un effet palliatif dans un délai thérapeutique gérable. Cela doit être pris en compte dans le concept de traitement palliatif multimodal, en tenant compte du pronostic global.
Questions scientifiques cliniques actuelles
L’étude PRODIGE-32-ESOSTRATE1-FFCD1401 (Fig. 2) compare actuellement, chez des patients présentant une rémission clinique complète après un prétraitement par chimioradiothérapie, la chirurgie subséquente à un contrôle étroit et à une chirurgie uniquement en cas de rechute locale. Cette étude intergroupe de phase II/III devrait inclure un total de 593 patients et, en cas de réponse complète, environ 260 patients seront randomisés. Le PI d’étude est Laurent Bedenne du CHU de Dijon.
La combinaison de la radiochimiothérapie et de l’immunothérapie présente également un intérêt scientifique pour le cancer de l’œsophage. Dans une étude de phase II récemment publiée, 45% des 90 patients présentant des récidives de cancer de l’œsophage avaient des tumeurs PDL1 positives en immunohistochimie. La réponse de ces patients à une monothérapie par pembrolizumab, un inhibiteur anti-PDL1, a été de 30%. Un score IFNy a été calculé à l’aide d’analyses génétiques, un score plus élevé étant corrélé à une survie sans progression plus longue. Près de la moitié des patients ayant présenté une bonne réponse au pembrolizumab avaient été irradiés auparavant. Il est possible que la radiothérapie ait également un effet immunomodulateur dans le cancer de l’œsophage, comme dans le cancer bronchique [8].
L’EORTC ouvrira prochainement l’étude randomisée de phase II CRUCIAL (EORTC-1714-ROG-GITCG, NCT03437200). Les patients atteints de cancers de l’œsophage inopérables sont ainsi traités par radiochimiothérapie définitive en association avec l’anticorps anti-PD1 nivolumab avec ou sans l’anticorps anti-CTLA-4 ipilimumab. Le PI de l’étude est Eric Deutsch du service de radio-oncologie de l’Institut Villejuif à Paris. Tous les patients reçoivent 50 Gy en doses uniques de 2 Gy en combinaison avec six cycles de FOLFOX. Les anticorps sont administrés pendant la radiochimiothérapie et pendant l’année qui suit. Le critère d’évaluation principal de l’étude est la PFS à 12 mois selon RECIST 1.1. Au total, 130 patients devraient être inclus.
Deux autres études combinent la radiochimiothérapie avec nivolumab ± ipilimumab ou avec durvalumab dans le cadre préopératoire (NCT03044613, NCT02962063). Outre les critères cliniques, l’expression de marqueurs immunitaires sera également étudiée dans les tumeurs réséquées.
Une autre étude randomisée de phase II nord-américaine compare actuellement la radiochimiothérapie par protons à la radiochimiothérapie par photons à 54 Gy/1,8 Gy (NCT0151258). Les critères d’évaluation primaires sont la PFS et la toxicité radiogénique.
Messages Take-Home
- Le conseil et le suivi interdisciplinaires des patients, ainsi que la prise en compte des préférences individuelles des patients et de leurs comorbidités, sont essentiels dans le cadre de cette pathologie complexe.
- Pour les patients en bonne santé atteints de tumeurs avancées opérables, le traitement trimodal consistant en une radiochimiothérapie néoadjuvante suivie d’une opération est le traitement de choix.
- Chez les patients comorbides présentant un risque opératoire élevé ou chez les patients présentant des tumeurs inopérables, la radiochimiothérapie combinée définitive est une option thérapeutique curative.
- Dans le cadre d’un traitement palliatif, la radiothérapie palliative de courte durée peut être une option précieuse dans le contrôle des symptômes.
- Les études cliniques actuelles examinent l’absence de chirurgie après radiochimiothérapie en cas de réponse clinique complète, ainsi que l’association de la radiochimiothérapie et de l’immunothérapie dans le cadre néoadjuvant et définitif.
Littérature :
- Herskovic A, et al : Chimiothérapie et radiothérapie combinées comparées à la radiothérapie seule chez les patients atteints de cancer de l’œsophage. N Engl J Med 1992 Jun 11 ; 326(24) : 1593-1598.
- van Hagen P, et al : Chimioradiothérapie préopératoire pour le cancer de l’œsophage ou de la jonction. N Engl J Med 2012 May 31 ; 366(22) : 2074-2084.
- al-Sarraf M, et al : Progress report of combined chemoradiotherapy versus radiotherapy alone in patients with esophageal cancer : an intergroup study. J Clin Oncol 1997 ; 15(1) : 277-284.
- Minsky BD, et al : INT 0123 (Radiation Therapy Oncology Group 94-05) phase III trial of combined-modality therapy for esophageal cancer : high-dose versus standard-dose radiation therapy. J Clin Oncol 2002 ; 20(5) : 1167-1174.
- Roeder F, et al : Intensity modulated radiotherapy (IMRT) with concurrent chemotherapy as definite treatment of locally advanced esophageal cancer. Radiat Oncol 2014 ; 9 : 191.
- Pöttgen C, Stuschke M : Radiothérapie versus chirurgie dans le cadre de protocoles multimodaux pour le cancer de l’œsophage–a meta-analysis of the randomized trials. Cancer Treat Rev 2012 Oct ; 38(6) : 599-604.
- Penniment MG, et al : Palliative chemoradiotherapy versus radiotherapy alone for dysphagia in advanced oesophageal cancer : a multicentre randomised controlled trial (TROG 03.01). Lancet Gastroenterol Hepatol 2018 Feb ; 3(2) : 114-124.
- Doi T, et al : Sécurité et activité antitumorale de l’anticorps anti-Programmed Death-1 pembrolizumab chez les patients atteints d’un carcinome avancé de l’œsophage. J Clin Oncol 2018 ; 36(1) : 61-67.
InFo ONKOLOGIE & HÉMATOLOGIE 2018 ; 6(3) : 18-21