L’acupuncture et la pharmacothérapie chinoise ont un grand potentiel en oncologie intégrative. Il s’agit donc de mesures de soutien. Ils ne sont pas destinés à remplacer les thérapies biomédicales contre le cancer, mais à les compléter.
L’utilisation de l’acupuncture est très répandue dans le domaine de l’oncologie intégrative. De nombreux grands centres de cancérologie aux États-Unis proposent l’acupuncture à leurs patients [1]. L’utilisation de la pharmacopée chinoise est un peu moins répandue.
En Suisse, l’acupuncture et la médecine chinoise sont généralement bien implantées. Ainsi, pour l’acupuncture médicale, il existe un certificat de capacité et la thérapie est remboursée par l’assurance de base ; l’acupuncture non médicale est réglementée au niveau fédéral et est remboursée par l’assurance complémentaire. Les médicaments chinois sont considérés comme des remèdes et sont contrôlés par Swissmedic. Les mélanges de médicaments sont préparés par des pharmacies spécialisées et envoyés aux patients. L’oncologie intégrative, et donc l’utilisation de l’acupuncture et de la médecine chinoise chez les patients atteints de cancer, n’est toutefois pas encore très répandue en Suisse.
En oncologie, l’acupuncture et la pharmacothérapie chinoise sont utilisées de manière complémentaire. Les patients atteints de cancer sont soutenus par l’acupuncture et la pharmacothérapie chinoise pendant et après la chimiothérapie ou la radiothérapie. L’objectif est de réduire les effets secondaires, d’améliorer la qualité de vie et la tolérance au traitement médical classique et d’augmenter le succès global du traitement. Lors de l’administration de remèdes chinois, il faut tenir compte des interactions possibles avec le traitement médical traditionnel.
Preuves actuelles
Acupuncture : il existe un nombre relativement important d’études sur l’utilisation de l’acupuncture chez les patients oncologiques. Le niveau de preuve varie en fonction de l’indication (tableau 1). Il existe des preuves solides de l’utilisation de l’acupuncture pour le traitement des douleurs liées au cancer ainsi que pour les nausées et les vomissements secondaires à la chimiothérapie ou à l’anesthésie [1,2]. Les preuves sont moins évidentes, mais néanmoins positives, pour un grand nombre d’effets secondaires fréquents chez les patients cancéreux. Ainsi, l’utilisation de l’acupuncture peut être utile en cas de raideurs et de douleurs dues aux inhibiteurs de l’aromatase [1,3], de bouffées de chaleur secondaires à un traitement antihormonal [1,2], de xérostomie induite par la radiothérapie [1], de dyspnée, de fatigue [4], de neuropathie induite par la chimiothérapie [2,5], d’insomnie [6] et de neutropénie induite par la chimiothérapie [7]. L’acupuncture peut également être utilisée pour traiter la dépression et l’anxiété qui surviennent chez les patients cancéreux dans le cadre de leur maladie [5,8]. Outre les symptômes spécifiques soulagés par l’acupuncture, les patients font souvent état d’un effet positif général sur la qualité de vie et le bien-être [3,9,10]. L’acupuncture peut également contribuer à l’amélioration de la qualité de vie dans un cadre palliatif en raison de ses effets [8,11]. Les études citées portent sur différents types de cancer et on peut s’attendre à ce que les effets positifs existent indépendamment du type de cancer.
Thérapie médicinale chinoise : contrairement à l’Occident, la thérapie médicinale traditionnelle est beaucoup plus utilisée en Chine que l’acupuncture [12]. Cela a un impact sur les études. Un grand nombre d’études sur l’utilisation de la pharmacothérapie chinoise chez les patients oncologiques proviennent des pays asiatiques. Comme pour l’acupuncture, l’utilisation de la pharmacothérapie chinoise chez les patients en chimiothérapie ou en radiothérapie permet d’améliorer la qualité de vie en réduisant les effets secondaires [13,14]. La pharmacothérapie chinoise peut également atténuer les effets secondaires et améliorer le bien-être général lors du traitement post-opératoire par inhibiteurs de l’aromatase [15].
L’efficacité de la pharmacothérapie chinoise est parfois critiquée au motif qu’elle atténue la chimiothérapie et en réduit donc la toxicité. A cet égard, il a été démontré que l’utilisation simultanée de la pharmacopée chinoise et d’un traitement oncologique conventionnel permettait d’améliorer le taux de survie dans les cas de cancer du sein avancé [16], de cancer de l’estomac [17] ou de cancer du foie [18].
Les études sur la pharmacothérapie chinoise sont globalement moins solides que celles sur l’acupuncture et la réduction de la toxicité induite par la chimiothérapie grâce à la pharmacothérapie chinoise n’est pas considérée comme prouvée [19].
Sécurité
Pratiquée par des personnes qualifiées, l’acupuncture est une méthode thérapeutique extrêmement sûre [2]. Dans une étude sur les effets secondaires de l’acupuncture, aucun effet secondaire grave n’a été documenté sur 34 000 traitements et seulement 43 effets secondaires légers tels que nausées, vertiges, bleus ou douleurs [20]. Les études citées ci-dessus sur l’utilisation oncologique confirment également la sécurité de l’acupuncture.
La pharmacothérapie chinoise présente un potentiel de discussion beaucoup plus important en matière de sécurité. Si la pharmacothérapie chinoise est utilisée parallèlement à la chimiothérapie, la question des interactions possibles se pose. Il n’est pas possible de répondre de manière définitive à cette question. Nous allons aborder ici quelques thèmes importants.
Les phytohormones peuvent poser problème en cas de cancer hormono-sensible. L’accent est mis ici sur les phytoestrogènes dans le cas du cancer du sein ER-positif. Dans le cas des phytohormones, il est difficile d’extrapoler à l’homme les données issues d’études in vitro ou d’expérimentations animales [21]. En outre, il convient de distinguer les récepteurs α et β des récepteurs des œstrogènes. Les données sont par conséquent complexes et difficiles à interpréter. Certains médicaments chinois ont des effets phytoestrogéniques [22]. Cependant, lorsque ces remèdes sont utilisés au sein des mélanges de substances multiples de la pharmacopée chinoise, l’effet phytoestrogénique est modifié [23]. De plus, en prescrivant des mélanges de 8 à 14 substances, le dosage individuel de chaque substance est très faible, ce qui a également un impact sur l’activité phytohormonale. Néanmoins, s’il existe des données positives sur les effets phytohormonaux des médicaments chinois individuels, ceux-ci ne doivent pas être utilisés.
Le deuxième problème d’interaction important est celui de la métabolisation. Les médicaments chinois peuvent bloquer ou induire le système enzymatique P-450. Ces deux éléments ont un effet négatif sur la chimiothérapie concomitante. L’hypericum en est un exemple : en activant les systèmes enzymatiques P450 3A4 et 2C9, il réduit les taux plasmatiques des métabolites de l’irinotécan de 42% [24]. Cet exemple illustre toutefois la différence entre les extraits de substances uniques (phytothérapie “single-drug”) et l’utilisation chinoise de mélanges de plusieurs substances. L’effet d’un mélange de plusieurs substances sur des systèmes enzymatiques individuels est beaucoup plus faible. D’une part, parce que les doses de chaque agent sont faibles et, d’autre part, parce que les différentes substances ont des effets différents sur les systèmes enzymatiques.
La pratique semble soutenir cet argument. Des études sur les effets pharmacocinétiques des formulations chinoises de médicaments sur le docétaxel [25], l’irinotécan et le 5-FU [26] ne montrent aucune interaction à un niveau pharmacocinétique. L’argument du dosage est également soutenu par des études montrant des interactions pharmacocinétiques entre un mélange de médicaments chinois et le 5-FU à des doses très élevées chez l’animal [27].
Il faut également tenir compte de l’impact sur le foie de l’administration des médicaments chinois. Cependant, l’expérience pratique ne montre que très rarement des problèmes à cet égard. Une étude qui vient d’être publiée en Allemagne rapporte, sur 21 470 patients monitorés, 26 cas avec un taux d’ALT très élevé (>5× élevé). Les valeurs hépatiques sont revenues à la normale après l’arrêt des médicaments [28].
La littérature concernant les interactions est actuellement insuffisante, mais elle n’est pas négative. Dans une étude de 2010 sur les interactions entre les médicaments chinois et les anticancéreux, l’auteur conclut que les bénéfices sont supérieurs aux risques [29]. Depuis lors, la littérature a tendance à soutenir cette conclusion.
Application pratique
Dans la pratique, l’acupuncture et la pharmacothérapie chinoise peuvent être combinées ou utilisées séparément. En raison de problèmes d’interaction avec les médicaments chinois, le seuil pour une thérapie par acupuncture est beaucoup plus bas. Une thérapie par acupuncture n’implique qu’un risque minimal, est évaluée positivement par les patients [30] (et vécue comme “très importante” [31]) et peut donc être proposée comme thérapie complémentaire possible [2,32]. Lors du choix de l’acupuncteur, il est important de recommander un professionnel qualifié [1,2]. Les séances d’acupuncture ont généralement lieu une fois par semaine, pendant toute la durée de la chimiothérapie ou de la radiothérapie. Les traitements sont adaptés aux besoins individuels actuels des patients par des acupuncteurs qualifiés.
En Suisse, la pharmacothérapie chinoise est généralement prescrite sous forme d’extraits secs ou, moins fréquemment, sous forme d’extraits liquides. Les extraits secs peuvent également être pressés en comprimés. La forme traditionnelle de la décoction est plutôt rare en raison de la complexité de sa préparation. Les médicaments chinois sont prescrits sous forme d’ordonnances. Les formules sont composées de 8 à 15 substances individuelles et sont généralement prescrites individuellement et adaptées précisément à la problématique du patient. Si la situation de la maladie évolue, la recette est également adaptée. Pour cette raison, il ne devrait pas y avoir d’effets secondaires. Les spécialistes de la thérapie médicinale chinoise composent des formules individuelles à partir d’une base d’environ 350 remèdes individuels.
Dans le cadre du soutien aux patients oncologiques, les remèdes chinois sont pris entre chaque jour de chimiothérapie. Le plus souvent, aucun mélange n’est pris un jour avant et après la chimiothérapie. Bien que cette pratique ne soit pas scientifiquement prouvée, elle est largement appliquée dans la pratique. Cependant, cette approche est en contradiction avec les études qui montrent une amélioration de l’efficacité de la chimiothérapie [33] ou une réduction de la “résistance multi-médicaments” lorsque les remèdes chinois sont administrés en même temps que des médicaments chimiothérapeutiques [34].
Messages Take-Home
- L’acupuncture et la pharmacothérapie chinoise ont un grand potentiel en oncologie intégrative.
- L’important est de communiquer avec les patients : Il s’agit uniquement de traitements de soutien, qui sont utilisés en complément et jamais à la place des thérapies biomédicales contre le cancer.
- L’acupuncture est une option pour la plupart des patients oncologiques en raison de son rapport risque/bénéfice très positif. Dans le cas de la pharmacothérapie chinoise, il n’est pas possible de répondre de manière définitive à la question des interactions possibles. Si l’on veut exclure la (faible) possibilité d’une interaction, il faut renoncer à la thérapie médicamenteuse chinoise.
- Dans tous les cas, il est important de choisir un spécialiste qualifié en acupuncture et/ou en pharmacothérapie chinoise ayant une expérience en oncologie.
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