La (hypo)manie chez l’enfant et l’adolescent est associée à des épisodes dépressifs antérieurs, et la dépression atypique à l’âge adulte à un IMC élevé. Ces connaissances peuvent-elles être utilisées à titre prophylactique ?
Les facteurs de risque modifiables sont une cible possible pour les mesures préventives. Cette idée est à la base de la recherche de facteurs prédictifs dans les troubles unipolaires ou bipolaires.
Genes matter !
L’un des facteurs prédictifs est, sans surprise, la maladie affective de l’un ou des deux parents. Une méta-étude a conclu que le risque de maladie pour un enfant dont l’un des parents est bipolaire est d’environ 10% [1]. Si les deux parents sont atteints, le risque atteint déjà 30%. Les enfants de parents dépressifs ont un risque multiplié par 2 de développer également une dépression [2]. Puisque la génétique ne peut pas être modifiée : Y a-t-il d’autres prédicteurs qui pourraient être modifiés ?
les enfants et les adolescents : Prédiction difficile
Martin Preisig du Département de psychiatrie de l’Hôpital universitaire de Lausanne, les troubles unipolaires et bipolaires commencent tôt chez l’enfant et l’adolescent, et les mesures préventives doivent donc être prises rapidement. Le premier facteur de risque est une anamnèse familiale positive. D’autres signes sont l’anxiété et les troubles du sommeil, suivis de symptômes affectifs sous-jacents qui évoluent vers des épisodes dépressifs et finalement vers une symptomatologie (hypo)maniaque ou bipolaire (Fig. 1). Cette évolution est influencée par des facteurs génétiques, le stress périnatal, les événements stressants de la vie, la personnalité, les stratégies d’adaptation et le soutien social.
Actuellement, il n’existe que peu d’études prospectives qui évaluent les enfants de parents bipolaires et dépressifs en fonction de ces facteurs potentiellement prédictifs. L’une d’entre elles est l’étude Lausanne-Geneva High-Risk, qui est en cours depuis maintenant vingt ans. Jusqu’à présent, 163 enfants de parents bipolaires, 128 enfants de parents dépressifs et 158 témoins y ont été étudiés à partir de l’âge de sept ans jusqu’à l’âge adulte, avec un suivi régulier. Les résultats soutiennent les résultats d’études similaires. En ce qui concerne la (hypo)manie, il a notamment été constaté que des épisodes dépressifs, une hypomanie sous-jacente et/ou un comportement social perturbé précèdent la maladie ; il convient toutefois de garder à l’esprit qu’un comportement social perturbé peut déjà correspondre à une symptomatologie maniaque légère. La dépendance aux substances fait également partie des troubles prodromiques de l'(hypo)manie, le cannabis en particulier devant être considéré comme dangereux. Dans le contexte des efforts visant à utiliser le cannabis à des fins thérapeutiques pour de nombreuses maladies, le professeur Preisig met donc en garde : “Au moins pour le trouble bipolaire, comme cela a été signalé pour les psychoses, le cannabis est plus un déclencheur que quelque chose qui a un effet positif”.
Mais où actionner le levier ? Compte tenu de leur valeur prescriptive positive plutôt faible, les troubles prodromiques, à l’exception des épisodes dépressifs, ne conviennent pas comme prédicteur d’une (hypo)manie. Les troubles bipolaires parentaux avec un âge précoce de début de la maladie et les comportements d’opposition sont beaucoup plus importants. En revanche, les influences environnementales et la personnalité ne jouent pratiquement aucun rôle.
Les troubles prodromiques de la dépression sont le trouble panique, le trouble anxieux généralisé et l’anxiété de séparation. C’est surtout la première qui a une forte influence, d’autant plus que le risque de maladie est multiplié par quatre. Les valeurs prédictives positives des prodromes de la dépression sont plus robustes que celles des maladies prodromiques de l'(hypo)manie : 45% des personnes souffrant d’anxiété de séparation, 60% de celles souffrant de trouble anxieux généralisé et 63% de celles souffrant de trouble panique ont effectivement développé une dépression au cours de leur vie. Les facteurs environnementaux jouent également un rôle beaucoup plus important dans la dépression : les abus sexuels multiplient le risque par quatre, la violence familiale est associée à un risque deux fois plus élevé. La dépression parentale avec un âge précoce de début de la maladie (HR=1,45) et le neuroticisme (HR=1,14) influencent également la pathogenèse.
Le professeur Preisig conclut : Il vaut la peine de traiter les troubles prodromiques à un stade précoce. Mais ceux-ci sont souvent trop peu spécifiques pour justifier un traitement en vue d’un éventuel trouble bipolaire (par exemple avec du lithium ou des neuroleptiques atypiques). En outre, les troubles affectifs bi- et unipolaires semblent avoir des prédicteurs différents. Alors qu’une (hypo)manie est souvent associée à un trouble bipolaire parental et à des épisodes dépressifs antérieurs, dans le cas de la dépression, les influences environnementales telles que les psychotraumatismes semblent avoir une influence accrue sur la pathogenèse.
Le somatique prend de l’importance avec l’âge
La majorité des patients souffrant de troubles affectifs sont des adultes. La question se pose alors de savoir quels facteurs prédictifs pourraient indiquer une maladie uni ou bipolaire, qui apparaît généralement à partir de la quarantaine.
L’étude lausannoise CoLaus/PsyCoLaus, qui dure depuis quinze ans et dont le troisième suivi est en cours, a notamment montré que la dépression non spécifique est le plus fortement associée à des événements de vie négatifs ou au stress (augmentation de 40%). Tous les autres facteurs – IMC, hypertension, score d’inflammation, neuroticisme, symptômes dépressifs sous-jacents – étaient d’importance secondaire. En revanche, le sous-type mélancolique présente une augmentation significative du risque de maladie due au neuroticisme et aux symptômes dépressifs sous-jacents. Dans le cas de la dépression atypique, un IMC élevé s’ajoute à ce tableau comme facteur prédictif (fig. 2).
Ainsi, un certain nombre de facteurs influencent la pathogenèse de la dépression, tels que le profil de personnalité, les symptômes dépressifs sous-jacents, le stress (en particulier dans le cas de la dépression non spécifique) et les troubles cardiométaboliques (en particulier dans le cas de la dépression atypique). Et le professeur Preisig d’ajouter : “Plus on vieillit, plus les troubles somatiques jouent un rôle”.
Pour la prophylaxie, cela signifie qu’un traitement des troubles de la personnalité et des troubles dépressifs sous-jacents pourrait en effet avoir un effet préventif quant au développement d’une dépression atypique et mélancolique, et qu’un bon traitement somatique pourrait réduire l’apparition de la dépression atypique.
Littérature :
- Lau P, et al : Prevalence of psychopathology in bipolar high-risk offsprings and siblings : a meta-analysis. Eur Child Adolesc Psychiatry 2018 ; 27(7) : 823-837.
- Rasic D, et al : Risk of mental illness in offsprings of parents with schizophrenia, bipolar disorder, and major depressive disorder : a meta-analysis of family high-risk studies. Schizophr Bull 2014 ; 40(1) : 28-38.
- Duffy A, et al : The clinical trajectory of emerging bipolar disorder among the high-risk offspring of bipolar parents : current understanding and future considerations. Int J Bipolar Disord 2017 ; 5 : 37.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2019 ; 17(4) : 16-18 (publié le 20.6.19, ahead of print)