Le fer libre est toxique et une surcharge en fer peut entraîner des lésions organiques mortelles : Un aperçu des relations de cause à effet et des dangers d’une surcharge en fer en cas de transfusion chronique et d’érythropoïèse inefficace.
Le fer lié à l’hémoglobine, à la ferritine ou à la transferrine est sans danger. Normalement, environ un tiers de la transferrine est saturé en fer, a expliqué le conférencier. Lorsque le taux de saturation est supérieur à 75%, il y a du fer libre dans la circulation (“non-transferrin bound iron”, NTBI). Certaines cellules captent activement le NTBI, par exemple le foie, le cœur et les organes endocriniens (pancréas, gonades).
Le fer libre (“labile iron”) entraîne la formation de ce que l’on appelle des radicaux d’oxygène (“reactive oxygen species” ROS). Ces radicaux peuvent attaquer les organelles cellulaires et entraîner la mort des cellules, l’instabilité de l’ADN et la fibrose. Le fer augmente également le risque d’infections, car les micro-organismes ont besoin de fer. Normalement, le bilan entre l’absorption et la perte de fer est équilibré, si ce n’est pas le cas, on parle de carence en fer ou de manque de fer. Surcharge en fer.
Les transfusions chroniques peuvent être à l’origine d’une augmentation de l’absorption de fer. Toutefois, chez un même patient transfusé, d’autres facteurs peuvent intervenir, comme des facteurs génétiques. Le gène de l’hémochromatose est très fréquent en Europe centrale et en Europe du Nord. Une personne sur neuf est hétérozygote pour le gène et une sur 300 est homozygote, ce qui s’accompagne d’une absorption accrue de fer. Il est également possible d’ingérer trop de fer par voie orale ou, rarement, par voie intraveineuse.
Une érythropoïèse inefficace (Fig. 1) associée à des thalassémies ou à des syndromes myélodysplasiques (SMD) constitue une cause de surcharge en fer secondaire. Dans le cas d’une érythropoïèse inefficace, la production de sang dans la moelle osseuse est massivement augmentée. Elle est inefficace car une partie des érythrocytes périssent déjà dans la moelle osseuse, ce qui entraîne une anémie. Dans cette situation, le métabolisme du fer est perturbé. En cas d’érythropoïèse inefficace, le taux d’hepcidine reste bas malgré un excès de fer, et l’absorption de fer se poursuit donc. On parle alors d'”iron loading anemia”, un terme pour lequel il n’existe pas de traduction française adéquate, selon Tichelli.
Surcharge en fer et transfusions chroniques
La surcharge en fer est une conséquence inévitable des transfusions chroniques. Une fois le fer dans le corps, il n’existe aucun moyen physiologique de l’éliminer. Les exceptions aux transfusions chroniques qui n’entraînent pas de surcharge en fer sont les hémorragies chroniques, où le bilan en fer est rétabli par la perte de sang. Un patient atteint de thalassémie ou de SMD recevant deux concentrés érythrocytaires toutes les deux semaines a absorbé 12 g de fer en l’espace d’un an, soit bien plus que les réserves normales d’environ 2-4 g.
La tolérance des tissus à la surcharge en fer est variable. Le foie supporte les surcharges en fer pendant une période relativement longue (20 à 30 ans) avant d’évoluer vers la fibrose et la cirrhose. La surcharge est beaucoup plus toxique pour le cœur. Selon le type de surcharge en fer, le fer est distribué. Les surcharges en fer transfusionnelles sont d’abord apportées dans les macrophages, puis dans les hépatocytes et enfin dans le cœur et les organes endocriniens, où elles provoquent respectivement des lésions typiques de ces organes, telles que la cirrhose ou le carcinome hépatocellulaire, l’insuffisance cardiaque, le diabète ou la dysfonction érectile, l’hypogonadisme.
Dans les années 50 à 60, la plupart des patients thalassémiques mouraient d’anémie, car il n’existait pas encore de politique de transfusion systématique (ce qui a changé à la fin des années 60). A partir du début des années 70, les patients sont décédés de surcharge en fer et d’infections. Ensuite, les thérapies de chélation du fer, qui permettent de fixer le fer et de l’éliminer, ont été introduites, ce qui a permis de réduire les taux de mortalité [1].
Chez les patients SMD souffrant d’une anémie dépendante des transfusions, le problème de la surcharge en fer est plus complexe, car les SMD constituent un groupe de maladies très hétérogène. Outre le risque de lésions organiques dues à une surcharge en fer, les radicaux oxygénés peuvent favoriser les mutations clonales (transformation en leucémie myéloïde aiguë, LMA) et aggraver l’hématopoïèse déjà perturbée par la maladie de la moelle osseuse. Le pronostic dépend du type de SMD, de l’âge du patient – dans le cas des SMD, l’âge médian au moment du diagnostic est de 70 ans – et de l’ampleur de la surcharge en fer. Les conséquences d’une surcharge en fer ne doivent être abordées que chez les patients présentant un SMD à faible risque et donc une espérance de vie de plusieurs années.
Outre l’amélioration des taux de survie des patients SMD à faible risque grâce à la chélation du fer, il existe un autre avantage à ce traitement. On observe une amélioration des valeurs hématologiques de 20 à 25% [2,3]. Cela montre que les cellules hématopoïétiques peuvent mieux survivre.
Ferritine pour estimer la surcharge en fer
La ferritine mesure principalement le fer dans les macrophages, c’est-à-dire le fer qui transfuse. En cas de surcharge en fer non transfusionnelle, la ferritine est souvent sous-estimée. Toutes les ferritines élevées ne sont pas associées à une surcharge en fer et doivent être traitées. Environ 90% des lectures élevées ont une autre cause, a fait remarquer le conférencier. C’est pourquoi la saturation de la transferrine doit également être mesurée (à jeun !). Si les valeurs à jeun sont de >55% chez un homme ou >50% chez une femme, cela indique une surcharge en fer. Les causes d’une ferritine élevée sans surcharge en fer sont les maladies du foie, les excès d’alcool, les inflammations aiguës ou chroniques, les infections, les maladies malignes, le syndrome métabolique, l’obésité. Dans ce cas, la saturation de la transferrine est généralement dans la norme. La détection et les évaluations ultérieures se font par IRM, et dans le cas du foie, par biopsie (tableau 1).
Traitement de la surcharge en fer
Pour les patients dont l’hémoglobine est normale et dont l’état veineux est bon, le conférencier a cité la thérapie par saignée, sachant que l’on peut compter sur environ 200 mg de fer par saignée. Dans une situation d’anémie, la chélation du fer est indiquée. Il s’agit de substances qui fixent le fer et l’éliminent dans les selles ou l’urine. Trois médicaments sont actuellement disponibles à cet effet : Deferoxamine, Deferiprone et Deferasirox (tableau 2), qui présentent différents avantages et inconvénients. Selon M. Tichelli, c’est en Suisse que le déférasirox est le plus utilisé.
Source : Iron Academy, le 17 mai 2018, Zurich. Conférence : Transfusion et surcharge en fer, quels sont les dangers ? Conférencier : Prof. André Tichelli, Hôpital universitaire de Bâle
Littérature :
- Modell B, et al : Improved survival of thalassaemia major in the UK and relation to T2* cardiovascular magnetic resonance. J Cardiovasc Magn Reson 2008;10(1) : 42.
- Rose C, et al : Does iron chelation therapy improve survival in regularly transfused lower risk MDS patients ? Leukemia research 2010 ; 34(7) : 864-870.
- Gattermann N, et al : Hematologic responses to deferasirox therapy in transfusion-dependent patients with myelodysplastic syndromes. Haematologica 2012 ; 97(9) : 1364-1371.
CARDIOVASC 2018 ; 17(4) : 30-32