Les AINS conventionnels et les coxibe diffèrent en termes de profil de risque et de tolérance, ce qui doit être pris en compte, en particulier chez les patients à risque. Mais comment procéder ? HAUSARZT PRAXIS s’entretient avec quatre représentants des spécialités impliquées : cardiologie, gastroentérologie, hémostase et médecine interne générale.
Tous les AINS, et pas seulement les coxibs, disposent d’un risque cardiovasculaire accru, mais les coxibs obtiennent en revanche de bien meilleurs résultats que les AINS conventionnels en termes de tolérance à l’IG. Comment évaluez-vous la sécurité et la tolérance des AINS conventionnels et des coxibes ?
Pr Ruschitzka : Lorsque les inhibiteurs de la COX-2 sont arrivés sur le marché, on s’est demandé si les coxibe présentaient un risque accru et si c’était également le cas des AINS. Auparavant, les AINS passaient pour ainsi dire sous le radar et n’étaient pas étudiés de manière plus approfondie à cet égard. Les coxibe ont dû répondre à des questions qui n’avaient jamais été posées aux AINS conventionnels ou non sélectifs. Et au cours de la dernière décennie, il a été démontré que les AINS ont fondamentalement le même profil de risque cardiovasculaire que les coxibs. Une aberration a peut-être été la dose élevée de Vioxx de 50 mg.
Prof. Korte : Des considérations spécifiques à chaque substance doivent être prises en compte ; en particulier, l’inhibition plus ou moins forte de la COX-1 et de la COX-2. En général, les AINS conventionnels et les coxibs disponibles sur le marché peuvent être considérés comme sûrs, à condition de respecter les indications et les mises en garde.
PD Dr Vavricka : En général, les complications gastro-intestinales, y compris les ulcères et les saignements potentiellement mortels, sont environ cinq fois plus fréquentes que les événements cardiovasculaires indésirables. Le risque cardiovasculaire est surtout discuté et généralement étudié en relation avec les AINS spécifiques de la COX-2. Le risque d’événements cardiovasculaires est à peu près le même pour tous les AINS et doit être pris en compte, en particulier chez les patients à haut risque. En ce qui concerne la fréquence des complications gastro-intestinales, les coxibs obtiennent de meilleurs résultats que les AINS conventionnels.
Dr Widler : Les deux sont sûrs, bien tolérés et efficaces. Il faut identifier les patients à risque et mettre en balance le risque et le bénéfice.
Faut-il encore utiliser le paracétamol ?
Prof. Korte: Tout à fait, notamment en cas d’infection fébrile simple et pour une simple analgésie.
Dr Widler : Oui, mais en sachant que le paracétamol est souvent trop peu analgésique.
PD Dr Vavricka: D’un point de vue gastro-entérologique, le paracétamol reste l’analgésique de premier choix.
Pr Ruschitzka : Chaque médicament peut potentiellement avoir des effets secondaires et il faut évaluer le rapport risque/bénéfice pour tous les médicaments, y compris les analgésiques. Le paracétamol peut provoquer une insuffisance hépatique aiguë et des lésions hépatiques toxiques aiguës, pouvant aller jusqu’à la transplantation. Mais ne pas traiter la douleur n’est pas non plus une solution. Il y a deux ans, nous avons mené une étude qui a évalué pour la première fois 3 g de paracétamol chez des patients atteints de maladies coronariennes. Il s’est avéré que, comme avec les autres AINS, la pression artérielle augmentait. Cela signifie simplement ceci : Le paracétamol est soit aussi bon, soit aussi mauvais que les autres AINS.
Quelles sont les précautions à prendre lors de l’utilisation d’AINS pour le traitement de la douleur chez les patients à haut risque, par exemple dans le traitement de l’arthrose ? Coxiben ?
Pr Korte : Le risque cardiovasculaire de base doit être pris en compte et traité si nécessaire. La possibilité d’une détérioration de la fonction rénale doit être prise en compte, en particulier si des médicaments éliminés par voie rénale sont administrés en parallèle.
PD Dr Vavricka : Dans cette question, il faut distinguer d’une part les patients à haut risque gastro-intestinal et d’autre part les patients à haut risque cardiovasculaire. Chez les patients présentant un risque gastro-intestinal et cardiovasculaire très élevé, la prise d’AINS ou d’inhibiteurs de la COX-2 doit être évitée dans la mesure du possible. En cas de risque gastro-intestinal élevé, il convient d’utiliser soit des AINS en association avec un inhibiteur de la pompe à protons, soit un inhibiteur de la COX-2, et en cas de risque gastro-intestinal très élevé, des inhibiteurs de la COX-2 en association avec un inhibiteur de la pompe à protons.
Pr Ruschitzka : Tous les analgésiques présentent un risque cardiovasculaire, mais celui-ci est acceptable dans une certaine mesure. Je pense que nous devons mettre l’accent sur le risque cardiovasculaire et la tolérance gastro-intestinale. Il s’agit ici de trouver le bon équilibre entre sécurité cardiovasculaire et gastro-intestinale, mais aussi efficacité.
Dr Widler : Il faut faire particulièrement attention à la fonction rénale. La pression artérielle et le poids corporel doivent être contrôlés régulièrement, initialement et à intervalles rapprochés. Par ailleurs, il est particulièrement utile d’administrer un inhibiteur de la pompe à protons aux patients âgés dont l’état général est réduit.
Il convient d’être prudent lors de l’utilisation d’AINS avec de l’aspirine à faible dose. Mais qui dérange qui : l’aspirine les AINS ou les AINS l’aspirine ?
Pr Korte : Cela dépend des effets cliniques souhaités dans chaque situation. Lorsque l’inhibition de l’agrégation plaquettaire est au premier plan d’un traitement combiné, les effets secondaires des AINS “interfèrent” davantage. En revanche, si l’analgésie est importante dans une situation inflammatoire, l’AAS “interfère” davantage.
Prof. Ruschitzka : C’est une bonne question, car nous ne savons pas encore qui dérange qui. Si l’ibuprofène ou le naproxène sont pris en même temps que l’aspirine, cette dernière n’aura pas le même effet. C’est ce que nous ne voulons absolument pas pour nos coronariens et nos patients ayant subi une intervention coronarienne.
A quoi pourrait ressembler une forme simple d’établissement de profil de risque pour la pratique ?
Dr Widler : L’important est bien sûr l’anamnèse : qu’en est-il des ulcères, de l’hypertension, de la cardiopathie hypertensive, de l’insuffisance rénale ? Quelle est la tolérance du produit ?
Pr Korte : En outre, l’objectif le plus important devrait être priorisé et, comme l’a déjà mentionné le Dr Widler, le choix des médicaments devrait être adapté en tenant compte des effets secondaires potentiels.
PD Dr Vavricka : Les facteurs de risque de complications gastro-intestinales sont un âge >65 ans, des antécédents d’ulcère ou de complications gastro-intestinales, une dose élevée d’AINS, l’association d’AINS avec d’autres coxibs ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens, l’association avec des glucocorticoïdes, des anticoagulants, de l’aspirine ou des antidépresseurs, ainsi que des comorbidités sévères. En l’absence de tels facteurs de risque, un AINS seul peut être utilisé.
Si le risque est modéré et qu’il existe un ou deux de ces facteurs de risque, il est possible d’administrer soit des inhibiteurs de la COX-2 seuls, soit des AINS en combinaison avec des inhibiteurs de la pompe à protons.
En présence de plus de deux facteurs de risque, seul un inhibiteur de la COX-2 doit être utilisé, éventuellement en combinaison avec des inhibiteurs de la pompe à protons.
Pr Ruschitzka : Le risque cardiovasculaire peut être calculé à l’aide du score AGLA ou du score de risque de la Société européenne de cardiologie, c’est très simple. Mais que faire du résultat ? En pratique, il faut se rappeler d’une chose : souvent, les patients ne prennent pas le médicament tous les jours, ils ont une poussée, puis ils ne le prennent plus pendant quelques semaines. On peut donc supposer que le risque est plus faible que chez les patients qui prennent des analgésiques de manière chronique, tous les jours, pendant plusieurs années.
Quelles sont les différences entre les AINS en ce qui concerne la fonction rénale ?
PD Dr Vavricka : L’incidence de l’hypertension artérielle est plus élevée avec l’étoricoxib qu’avec le célécoxib. Il est important de noter que toutes les substances antiphlogistiques peuvent potentiellement interférer avec les médicaments antihypertenseurs. L’étoricoxib est contre-indiqué en Europe en cas d’hypertension insuffisamment contrôlée avec une pression artérielle constamment supérieure à 140/ 90 mmHg*.
Prof. Ruschitzka : Il y a beaucoup de suppositions, nous n’avons pas d’études tête-à-tête ici, c’est pourquoi nous devons être prudents. Il ne faut pas oublier que les AINS et les coxibs sont tous deux des inhibiteurs de la COX-2. Cependant, les AINS classiques, Voltarène et Naproxène, inhibent également la COX-1, ce que ne font pas les coxibe.
Les deux stratégies de traitement – AINS conventionnels plus IPP ainsi que les coxibe – ont-elles un profil de sécurité IG équivalent ?
Dr Vavricka : Non. Cela a notamment été clairement démontré dans l’étude CONDOR publiée dans le Lancet en 2010. Dans cette étude, les effets indésirables gastro-intestinaux ont été examinés à la fois dans le tractus gastro-intestinal supérieur et dans le tractus gastro-intestinal inférieur. Les deux stratégies thérapeutiques étaient le diclofénac associé à l’oméprazole vs le célécoxib. Les données ont montré que, sur une période de 210 jours, il y avait beaucoup plus d’effets indésirables gastro-intestinaux dans l’ensemble du tractus gastro-intestinal dans le traitement combiné AINS conventionnels plus IPP par rapport aux inhibiteurs de la COX-2.
Les lésions du tractus digestif inférieur entraînent souvent une carence chronique en fer. Les anémies permettent-elles d’identifier les saignements dans le tractus gastro-intestinal inférieur ?
Prof. Korte: Il n’est évidemment pas possible de porter un jugement sûr. L’apparition d’une anémie au cours d’un traitement par AINS doit cependant faire penser à une hémorragie digestive, surtout si une carence en fer s’y ajoute.
PD Dr Vavricka: Si ces lésions apparaissent dans le côlon, elles peuvent être visualisées par colonoscopie. Les lésions de l’intestin grêle, distales par rapport à la bande de Treitz, posent toutefois problème, car elles ne peuvent être détectées que par endoscopie capsulaire et ne peuvent donc pas être traitées de manière satisfaisante.
Du point de vue de l’hémostase, à quoi faut-il faire attention en ce qui concerne l’utilisation des AINS chez les patients à haut risque ?
Pr Korte : Toute inhibition de la COX s’accompagne de la possibilité d’une thrombocytopathie importante. Cela devient particulièrement important en cas d’administration concomitante d’anticoagulants (éliminés par voie rénale), car les AINS peuvent affecter assez rapidement la fonction rénale.
Pr Ruschitzka: Tous les médicaments interagissent potentiellement entre eux. Vous le voyez bien sûr au risque de saignement gastro-intestinal qui augmente. Le profil de saignement s’aggrave si vous donnez aux patients des inhibiteurs de COX non sélectifs, c’est-à-dire des AINS. Mais même un coxib n’est pas totalement exempt d’effets secondaires gastro-intestinaux, c’est juste moins prononcé qu’avec les AINS.
Faut-il arrêter les AINS avant une opération élective pour des raisons de coagulation ?
Prof. Korte : Le type d’opération et la raison de l’utilisation du médicament sont ici déterminants. Si une fonction plaquettaire normale doit être obtenue au cours de l’opération parce qu’il existe un risque élevé de saignement, les AINS doivent être arrêtés si possible cinq à sept jours avant. Dans le cas des coxibes, c’est l’inhibition des différentes enzymes qui compte. Si l’inhibition n’est pas spécifique à la COX-2 et que la situation est telle que décrite précédemment, l’arrêt doit également être envisagé.
PD Dr Vavricka : Pour les interventions gastro-entérologiques telles que la polypectomie ou la pose de PEG, un arrêt d’au moins sept jours est généralement requis pour les coxibs et les AINS.
Entretien : Séverine Bonini et Lena Geltenbort