Le professeur Thurnheer, de l’hôpital cantonal de Münsterlingen, a démontré de manière impressionnante qu’il ne faut pas toujours se contenter du diagnostic de travail “dyspnée d’étiologie indéterminée”, mais qu’il est possible, grâce à une anamnèse détaillée et à des étapes d’investigation appropriées, d’identifier de nombreuses causes sous-jacentes et d’orienter les patients vers un traitement approprié. En particulier chez les patients multimorbides, la recherche et l’interprétation des pièces du puzzle pertinentes pour l’évaluation de la dyspnée est un défi difficile à relever, compte tenu de la complexité des résultats.
Si un patient a l’impression de ne pas avoir assez d’air, cela peut être dû à de nombreux facteurs. “La dyspnée est un symptôme subjectif”, explique le professeur Robert Thurnheer, médecin-chef de la médecine interne à l’hôpital cantonal de Münsterlingen [1]. Les signes extérieurs perceptibles peuvent être une respiration superficielle et rapide ou une respiration accentuée et profonde. La respiration étant un processus complexe influencé par des facteurs pulmonaires, cardiaques, musculaires, squelettiques et cérébraux, entre autres, l’éventail des causes possibles d’une dyspnée est large.
Cas 1 : Cardiopathie hypertensive
Une patiente de 82 ans, souffrant de dyspnée, avait récemment contracté la grippe A et présentait une hypertension artérielle connue ainsi qu’une fibrillation auriculaire (FAV). Il y a quelque temps, elle est tombée chez elle. Elle a également souffert de diarrhée après avoir reçu de la nitrofurantoïne pour une infection urinaire. Les radiographies montraient une redistribution baso-apicale. L’indice cardiothoracique (quotient cœur/thorax) était supérieur à 0,50. On a constaté une congestion veineuse pulmonaire et du liquide dans les vaisseaux, ainsi qu’un recrutement de la circulation pulmonaire dans les champs supérieurs (augmentation de la pression wedge à 13-18 mmHg). Autres caractéristiques à l’examen radiologique : épanchement interlobaire, ballonnet péribronchique, phénomène de silhouette (le contour du diaphragme n’est pas clairement visible) ; “Kerley Lines”. Les lignes de Kerley sont de fines lignes horizontales qui s’étendent jusqu’à la paroi thoracique et sont un signe d’insuffisance cardiaque, a expliqué le professeur Thurnheer [1]. Un scanner réalisé un mois auparavant aurait également été utile dans ce cas, car il aurait permis de détecter une fibrose pulmonaire due à l’ion nitrofurane, par exemple. Si l’on soupçonne des symptômes pneumologiques induits par des médicaments, on peut consulter le site www.pneumotox.com [1,3].
Comme on le sait, la dyspnée est une caractéristique possible de l’insuffisance cardiaque gauche. Si la présence d’une HFpEF, d’une HFrEF ou d’une HFmrEF est confirmée, un traitement conforme aux directives doit être mis en place. En ce qui concerne les diurétiques de l’anse, le torasémide et le furosémide doivent être considérés comme équivalents en cas d’insuffisance cardiaque, selon l’état actuel des connaissances [4]. “Cela ne dépend probablement pas du fait que l’on donne du furosémide ou du torasémide”, a reconnu le professeur Thurnheer [1]. Les bandages de compression peuvent être utiles pour mobiliser les patients. L’expérience montre que chez les patients atteints de FHV, un contrôle de la fréquence est souvent suffisant en fonction des caractéristiques du patient, alors qu’un contrôle du rythme n’est pas nécessaire, a rapporté l’orateur [1]. La question de savoir s’il faut prescrire des opiacés en cas de dyspnée fait l’objet d’une controverse. “On donne volontiers de la morphine quand quelqu’un souffre de dyspnée”, explique le professeur Thurnheer [1]. Les données disponibles à ce sujet sont toutefois limitées. En revanche, la morphine est une option thérapeutique bien établie pour les patients atteints de tumeurs et souffrant de dyspnée.
Quand l’ergospirométrie est-elle utile ? |
“L’ergospirométrie permet de déterminer assez facilement si une limitation est plutôt d’origine cardiaque ou pulmonaire et mécanique”, a expliqué le professeur Thurnheer. D’origine pulmonaire et mécanique, la dyspnée est classiquement présente dans l’asthme et la BPCO. Les personnes concernées sont tellement limitées qu’elles ont du mal à respirer après une courte période, ce qui apparaît clairement à l’ergospirométrie. On peut également détecter un trouble de la diffusion (échange gazeux) lorsque les rapports de ventilation entre l’oxygène etle CO2 sont déséquilibrés. Mais il ne s’agit pas forcément du cœur ou des poumons, il peut aussi s’agir d’un déconditionnement, a fait remarquer le conférencier. Si des personnes de 55 ans disent qu’elles couraient le semi-marathon mais qu’elles ne parviennent plus à gravir la montagne, il s’agit peut-être d’un phénomène normal lié à l’âge ou simplement d’un manque d’entraînement. Mais il existe aussi des maladies musculaires rares, comme la myopathie mitochondriale ; dans ces cas, les personnes concernées deviennent très rapidement hyperacides, c’est-à-dire que les équivalents ventilatoires pour leCO2 augmentent. |
d’après [1] |
Cas 2 : Hypertension artérielle pulmonaire
Dans l’étude de cas suivante, le conférencier a décrit une jeune femme qui s’est présentée aux urgences avec une dyspnée et une cyanose et a indiqué qu’elle souffrait d’épuisement physique et psychologique [1]. La radiographie du thorax était sans particularité et la patiente présentait une fonction pulmonaire normale. Les jeunes femmes présentant de tels symptômes, un thorax normal aux rayons X et une fonction pulmonaire normale doivent subir une échocardiographie, a souligné le professeur Thurnheer [1]. En présence d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), le cardiologue constatera très probablement l’hypertension pulmonaire et la charge cardiaque droite. Dans l’étude de cas, il s’est ainsi avéré qu’il s’agissait d’une HTAP idiopathique. “Il s’agit d’une maladie très rare, plus fréquente chez les femmes”, a expliqué le professeur Thurnheer [1]. Environ deux tiers des personnes touchées sont des femmes et les données des registres indiquent qu’il y a souvent une latence de diagnostic de >1 an [2]. Aujourd’hui, l’HTAP peut être traitée par des médicaments. “Heureusement, il existe de nouveaux médicaments qui ont massivement amélioré le pronostic et la qualité de vie”, a déclaré le conférencier [1]. Les valeurs normales de la pression artérielle pulmonaire sont indiquées dans le tableau 1 .
Cas 3 : Chute de la fréquence cardiaque
Un homme athlétique de 52 ans ayant des antécédents de maladie de Hodgkin et de maladie coronarienne (MC) s’est plaint de dyspnée pendant l’exercice. Le patient s’est senti limité par cette situation et s’est inquiété [1]. L’angine de poitrine a été exclue. Une radiothérapie effectuée dans le médiastin était une explication possible de la maladie coronarienne (maladie des branches). Une coronarographie a été réalisée pour voir s’il y avait une progression de la maladie coronarienne, ce qui n’était pas le cas. L’examen de la fonction pulmonaire n’a rien révélé de particulier ; toutes les valeurs, y compris VEF1, la mécanique pulmonaire et la capacité de diffusion, étaient dans la norme. Il a été décidé de procéder ensuite à une ergospirométrie. Les résultats ont été les suivants :
- 50 watts, augmentation de 75 watts par 3 min
- Puissance 162 watts (= 82% du point de consigne)
- Chute de la fréquence cardiaque de 114 à 65 à 150 watts
Le professeur Thurnheer a expliqué que le patient a certes réalisé environ 80% de sa valeur théorique, mais compte tenu du fait qu’il travaille physiquement (dans le génie civil) et qu’il est très sportif, on aurait pu s’attendre à ce qu’il atteigne 120% [1]. La chute de la fréquence cardiaque de 114 à 65 à la puissance de 150 watts est frappante. “Il s’agit d’un bloc de branche dépendant de la fréquence”, a expliqué le conférencier [1]. Un bêtabloquant avait été arrêté depuis un certain temps, ce qui n’a pas entraîné la disparition de ce bloc de branche.
Le diagnostic final de ce patient était le suivant :
- Bloc AV dépendant de la fréquence avec conduction 2:1 à 3:1, persistance après l’arrêt du bêtabloquant
- Statut après maladie de Hodgkin 1982 avec radiothérapie médiastinale.
- Au vu de ce diagnostic, il a été décidé d’implanter un stimulateur cardiaque, à la suite de quoi l’état du patient s’est amélioré.
Cas 4 : Parésie diaphragmatique bilatérale séquentielle
Un patient de 69 ans présentant une dyspnée récente a récemment subi une prostatectomie (opération Da Vinci) [1]. En outre, il présentait des D-dimères positifs (ou “D-dimères non négatifs”) et des antécédents d’infarctus du myocarde sans élévation du ST (NSTEMI). Entre-temps, le patient avait reçu un stent et prenait de l’aspirine et du ticagrelor. Récemment, il a souffert d’une dyspnée sévère, notamment en s’allongeant. Il avait auparavant travaillé comme boulanger, mais avait dû abandonner ce métier car il avait développé un asthme de boulanger. Il travaillait depuis lors comme restaurateur, était marié, avait deux fils et ne consommait pratiquement pas d’alcool. Bien qu’il ne fût pas fumeur, il avait une BPCO GOLD 3B et était en surpoids avec un IMC de 34,8 kg/m2 (obésité de grade 1 selon l’OMS). Il présentait en outre une parésie diaphragmatique gauche, diagnostiquée lors d’un examen pneumologique antérieur.
Au cours de l’évaluation actuelle, il a été remarqué qu’il hyperventilait en s’allongeant et qu’il était légèrement tachypnéique en position assise. La fréquence respiratoire montrait une bonne saturation, le pouls était normal et la pression artérielle élevée. Un souffle vésiculaire était audible, légèrement atténué à la base. L’analyse des gaz du sang (BGA) a révélé une pCO2 légèrement élevée et un gradient artério-alvéolaire d’oxygène normal (2,2 kPa). L’ECG s’est révélé sans particularité. L’échocardiographie n’était possible qu’en position assise, ce qui limitait les possibilités d’évaluation. La fonction systolique s’est révélée hautement normale.
L’échographie du thorax a révélé un diaphragme surélevé des deux côtés et le scanner a également clairement montré cette anomalie. Une spirométrie a également été effectuée. Une différence de 33% a été constatée entre la position couchée et la position debout, ce qui est fortement évocateur d’une parésie diaphragmatique, a fait remarquer le professeur Thurnheer, expliquant que la différence devrait être d’environ 15%. Finalement, le diagnostic de parésie diaphragmatique bilatérale séquentielle d’origine idiopathique a été retenu pour ce patient. Le diagnostic différentiel était d’abord une suspicion d’embolie pulmonaire, car les patients atteints de cancer de la prostate font partie d’un groupe à risque. Le duplex veineux (angiographie par scanner) n’a toutefois révélé aucun signe de thrombose veineuse profonde. Autres DD qui auraient été théoriquement possibles compte tenu des antécédents : Maladie de Pompe, syndrome d’hyperventilation de l’obésité, parésie diaphragmatique bilatérale séquentielle, effet secondaire de médicaments.
En ce qui concerne le traitement, une ventilation non invasive a été prescrite, c’est-à-dire une aide respiratoire mécanique (par exemple un masque nasal ou bucco-nasal) sans tube endotrachéal ni canule de trachéotomie. Cette mesure a permis une amélioration rapide des symptômes chez ce patient.
Autres causes possibles de dyspnée |
En plus de celles décrites dans les études de cas, il existe de nombreuses autres explications possibles pour expliquer pourquoi les patients ressentent des difficultés respiratoires. Il s’agit notamment de l’hyperventilation due à des facteurs psychologiques (en particulier l’anxiété), de l’intoxication aux salicylates ou au ticagrelor, de l’acidocétose comme effet secondaire des inhibiteurs du SGLT-2, de l’anaphylaxie ou du sepsis. Mais les myopathies dans le cadre d’une sclérose latérale amyotrophique, d’une myopathie mitochondriale, d’une polymyosite ou d’une dermatomyosite ou encore d’une amyotrophie névralgique de l’épaule peuvent également se manifester par une dyspnée. En ce qui concerne le Covid-19, la dyspnée est un symptôme possible, bien qu’il y ait eu des cas d’hypoxémie mais pas de dyspnée. Les indices indiquant qu’il pourrait s’agir d’un problème cardiaque plutôt que pneumonique sont à rechercher dans les antécédents. Dans ce cas, il convient d’être particulièrement attentif aux éléments suivants : maladie coronarienne, remplacement des valves cardiaques, hypertension, FHV, orthopnée, nycturie, prise de poids, œdème, gros cœur, redistribution, BNP élevé (cave faussement bas, par exemple en cas d’obésité ou non élevé en cas de péricardite constrictive ou de rupture aiguë du fil mitral). |
d’après [1] |
Cas 5 : Acidocétose due à la famine
Une femme de 70 ans souffrait de dyspnée, de nausées et de vomissements. Elle n’a pas mangé depuis quatre jours. D’un point de vue clinique, l’hyperventilation était frappante. Il n’y avait aucun signe de symptomatologie neurologique. L’analyse des gaz du sang artériel (ABGA) a révélé que la patiente présentait une acidose métabolique et une hyponatrémie. L’écart anionique était dans la norme (Na Cl Bic=9). La patiente ne souffrait ni d’insuffisance rénale ni de diabète et ne prenait aucun médicament qui aurait pu expliquer les anomalies de l’ABGA. Dans l’urine, on a trouvé de l’acétone, c’est-à-dire des corps cétoniques. “Cette patiente souffre d’acidocétose”, a résumé le professeur Thurnheer [1]. Celle-ci a été décrite sous le terme de “pseudo normal anion gap starvation induced (beta hydroxybutyrate) ketosis”.
Une gastroscopie ultérieure a révélé que la patiente souffrait d’une grave œsophagite de reflux, ce qui était très douloureux et l’empêchait de manger. L’acidocétose a été corrigée par l’apport de NaCl et de glucose. Après la correction, les valeurs de la patiente se sont normalisées, y compris le sodium, l’Osmo, le ph, leCO2, la saturation en oxygène et le bicarbonate. L’orateur a indiqué qu’en ce qui concerne le sodium, une correction lente est généralement appliquée (maximum 8 mmol par 24 heures), bien que les données ne plaident pas nécessairement contre une correction rapide.
Congrès : Forum médical de Davos
Littérature :
- “Dyspnée, cardiaque, pulmonaire et ‘everything beyond'”, Prof. Dr méd. Robert Thurnheer, Ärzteforum Davos, 05.03.2024.
- Khou V, et al : Diagnostic delay in pulmonary arterial hypertension : Insights from the Australian and New Zealand pulmonary hypertension registry. Respirology 2020 ; 25(8) : 863-871.
- “The Drug-Induced Respiratory Disease Website”, Philippe Camus, MD, www.pneumotox.com/drug/index,(dernière consultation 22.03.2024).
- “Quel diurétique est plus efficace ?”, https://app.cardionews.de/Aktuelles/Welches-Diuretikum-wirkt-besser-434858.html,(dernière consultation 22.03.2024).
HAUSARZT PRAXIS 2024 ; 19(4) : 16-17 (publié le 18.4.24, ahead of print)