La fibrillation auriculaire est le trouble du rythme cardiaque persistant le plus fréquent chez les adultes. Dans ses nouvelles lignes directrices pour la prise en charge de la fibrillation auriculaire, la Société européenne de cardiologie (ESC) accorde une attention particulière à la protection contre les accidents vasculaires cérébraux. La décision de recourir à l’anticoagulation orale est désormais indépendante du sexe et se fonde sur le score CHA2DS2-VA.
Présentée à l’occasion du congrès annuel de l’ESC à Londres, la ligne directrice de van Gelder et al. a été publiée dans l’European Heart Journal [1]. Le PD Dr Patrick Badertscher, médecin cadre en cardiologie à l’Hôpital universitaire de Bâle, a présenté dans son exposé dans le cadre des Journées de formation continue des médecins de famille FomF des points importants de la ligne directrice, avec un accent sur la prévention des AVC [2]. “La fibrillation auriculaire est de loin le trouble du rythme cardiaque le plus fréquent”, a-t-il déclaré avant de préciser : “1 personne sur 3 sera atteinte de fibrillation auriculaire à un moment ou à un autre de sa vie” [2]. Et l’on sait que la fibrillation auriculaire est un facteur de risque majeur de thromboembolie paroxystique, persistante ou permanente [1].
Guide AF-CARE au lieu du guide ABC
En l’absence de traitement et en fonction d’autres facteurs propres au patient, le risque d’AVC ischémique est multiplié par cinq en cas de fibrillation auriculaire, et un AVC sur cinq est associé à la fibrillation auriculaire [1,3]. L’efficacité des anticoagulants oraux pour prévenir les AVC ischémiques chez les patients atteints de fibrillation auriculaire est bien établie [4,5]. L’utilisation des antiplaquettaires seuls (aspirine seule ou associée au clopidogrel) n’est pas recommandée pour prévenir les AVC en cas de fibrillation auriculaire [6,7]. L’ancien guide ABC de la version précédente de la ligne directrice de l’ESC, publiée en 2020, a été complété par le nouveau guide AF-CARE, qui met encore plus l’accent sur la prise en charge globale du patient dans son ensemble, plutôt que de se concentrer uniquement sur le traitement de la fibrillation auriculaire [1]. L’acronyme AF(Atrial Fibrillation)-CARE se réfère aux points suivants :
- C (Comorbidity and risk factor management) = Comorbidité et gestion des facteurs de risque
- A (Avoid stroke and thromboembolism) = Éviter les accidents vasculaires cérébraux et les thromboembolies
- R (Reduce symptoms by rate and rhythm control) = Réduction des symptômes par le contrôle de la fréquence et du rythme
- E (Evaluation and dynamic reassessment) = Évaluation et co-évaluation de la dynamique
Score CHA2DS2VA: le sexe n’est plus un critère
La ligne directrice propose d’utiliser des outils validés localement ou le scoreCHA2DS2VA pour évaluer le risque thromboembolique [1,8]. En outre, d’autres facteurs de risque doivent être régulièrement réévalués pour servir de base à la décision de prescrire des anticoagulants. L’utilisation d’anticoagulants oraux est recommandée pour tous les patients éligibles, à l’exception de ceux qui présentent un faible risque d’accident vasculaire cérébral ou de thromboembolie. Une recommandation de classe I pour l’anticoagulation existe à partir d’un score CHA2DS2-VA ≥2. Si le score est de 1, il faut évaluer le risque pour savoir si l’on doit ou non anticoaguler [1,2]. Depuis peu, ces recommandations s’appliquent indépendamment du sexe, selon le Dr Badertscher, [2]. La raison pour laquelle le sexe n’est plus un critère dans le score CHA2DS2-VA est que le sexe n’est pas nécessairement un facteur de risque, mais que c’est plutôt l’âge qui est déterminant.
Le score CHA2DS2-VA est composé des paramètres pondérés suivants :
- Congestiveheart failure = Insuffisance cardiaque (1 point)
- Hypertension= hypertonie (1 point)
- Age >75 = âge >75 ans (2 points)
- Diabètesucré (1 point)
- Stroke/ITA= accident vasculaire cérébral/accident ischémique transitoire (2 points)
- Vasculardisease = Maladie vasculaire (par ex. AOPV, antécédents d’infarctus du myocarde, calcification sévère de l’aorte)
- Age: 65-74 = âge 65-74 ans (1 point)
L’orateur a attiré l’attention sur le fait que la “maladie vasculaire” regroupe les conditions suivantes :
- Maladie artérielle périphérique (MAP)
- Varicose
- Statut après un infarctus du myocarde
- maladie coronarienne (MC) significative avec détection d’une sténose >50% (scanner, angiographie coronaire)
- Sténose carotidienne
- Plaque aortique au scanner
- Anévrisme de l’aorte
- Angine de poitrine
Utiliser un DOAK ou un antagoniste de la vitamine K ?
Les anticoagulants oraux directs (AOD) constituent une alternative aux antagonistes de la vitamine K (AVK). Les DOAK sont des inhibiteurs directs de la coagulation, c’est-à-dire qu’ils se lient rapidement, de manière hautement spécifique et réversible au facteur de coagulation activé F IIa (inhibiteur de la thrombine dabigatran) ou F Xa (inhibiteurs directs du F Xa / DXI, “-xabane”) [18].
Il est généralement recommandé de préférer les DOAK (apixaban, dabigatran, edoxaban et rivaroxaban) aux antagonistes de la vitamine K (phenprocoumone, acénocoumarol, warfarine), sauf chez les patients présentant des valves cardiaques mécaniques et une sténose mitrale. “Les sténoses mitrales sont très rares sous nos latitudes”, a rapporté le Dr Badertscher [2]. Pour les patients avec une valve cardiaque, les AVK sont le gold standard, car des études ont montré que les DOAK entraînaient davantage de thromboses [2]. En général, il est recommandé d’utiliser la dose standard complète d’ACOD, sauf si le patient répond à des critères spécifiques de réduction de la dose (par exemple, fonction rénale, âge, poids ou comédication). En cas d’utilisation d’AVK, la ligne directrice conseille de maintenir l’INR (International Normalized Ratio) à 2,0-3,0 et >70% du temps dans la zone cible. Dans les cas où il existe un risque d’hémorragie intracrânienne ou de mauvais contrôle de l’INR, il convient de passer d’un AVK à un DOAK. Il faut éviter d’ajouter des facteurs de risque hémorragique modifiables (p. ex. des anti-inflammatoires non stéroïdiens en plus des DOAK). “Et il ne faut plus utiliser de scores de risque pour arrêter une anticoagulation”, a déclaré le conférencier [2]. Autre point important, selon lui, on ne combine généralement pas les anticoagulants oraux avec les antiagrégants plaquettaires, sauf si le patient présente un événement vasculaire aigu ou a besoin d’un traitement transitoire dans le cadre de certaines procédures.
Pourquoi les DOAK sont-ils généralement préférables ?
Dans de grandes études, les AOD ont montré un profil de sécurité nettement meilleur que les AVK chez les patients souffrant de fibrillation auriculaire ou de thromboses veineuses profondes et d’embolies pulmonaires, avec une efficacité comparable.
Il y a moins d’hémorragies, notamment intracrâniennes, selon le Dr Badertscher.
C’est ce qui ressort des méta-analyses des grandes études d’homologation des AOD
, qui ont démontré des réductions de risque pour des critères d’évaluation cliniquement pertinents tels que l’accident vasculaire cérébral ischémique, la récidive de la TEV, l’hémorragie cérébrale, l’hémorragie grave ou le décès [5,9].
En Suisse, deux ACOD sont autorisés, l’un administré une fois par jour (rivaroxaban, edoxaban) et l’autre deux fois par jour (apixaban, dabitgatran) (tab. 1) [1,2].
En ce qui concerne la question souvent posée de savoir quel est le meilleur DOAK, l’orateur a indiqué qu’il n’existait pas encore d’étude head-to-head à ce sujet [2].
Lorsque l’on compare les principes actifs sur la base de différentes études, il faut garder à l’esprit que la population étudiée n’est généralement pas comparable.
Dans ce contexte, il faut garder à l’esprit que les taux d’événements absolus des DOAK sont en corrélation avec le score de risque : Plus le score est élevé, plus le taux d’événements est élevé [10–13].
Malgré un score CHADS2 plus faible, des taux de saignement nettement plus élevés ont été observés dans le bras AVK de l’étude ARISTOTLE [10,14].
Et pour démontrer une différence de 10% du risque hémorragique entre le rivaroxaban et l’apixapan dans le cadre d’un essai randomisé, il faudrait suivre 85 000 patients pendant 5 ans, comme le soulignent Ferro et al.
dans un éditorial publié en 2021 [15].
En ce qui concerne les analyses rétrospectives de bases de données, les résultats sont fortement influencés par la méthode statistique.
C’est pourquoi les comparaisons de substances actives sur la base de telles données devraient être évitées, selon Fanaroff et al.
dans une publication de 2018 [16].
Adaptation de la dose en cas de fonction rénale réduite
Selon les connaissances actuelles, les inhibiteurs directs du FXa peuvent également être utilisés en cas d’insuffisance rénale, les adaptations posologiques suivantes étant recommandées [18]:
- Apixaban : de 2×5 mg à 2×2,5 mg, en cas d’indication de fibrillation auriculaire avec créatinine sérique ≥133 µmol/l plus un critère supplémentaire (âge ≥80 ans et/ou poids ≤60 kg)
- Edoxaban : de 1×60 mg à 1×30 mg, en cas d’indication de fibrillation auriculaire ou de traitement de la TEV avec DFG ≤50 ml/min
- Rivaroxaban : de 1×20 mg à 1×15 mg, en cas d’indication de fibrillation auriculaire avec DFG ≤50 ml/min.
En cas d’insuffisance rénale terminale (DFG <15 ml/min), l’utilisation de tout ACOD est déconseillée car ce groupe de patients a été exclu des études d’enregistrement et aucune donnée n’est disponible à ce sujet [2,18]. Étant donné qu’une baisse de la clairance de la créatinine peut survenir rapidement en cas d’insuffisance rénale modérée dans le cadre d’une maladie aiguë ou d’une polypharmacie, nombreux sont ceux qui renoncent à utiliser le dabigatran dès un DFG <40 ml/min. Un DFG <50 ml/min nécessite une réduction de la dose de 2× 150 mg à 2× 110 mg en cas de limitation supplémentaire de la fonction rénale. “Chez les patients dont la fonction rénale est réduite, les DOAK sont toujours sûrs, mais ils nécessitent un ajustement de la dose”, a résumé le Dr Badertscher [2]. Et qu’en est-il des patients souffrant d’une maladie du foie ? Les maladies du foie peuvent affecter la clairance hépatique et sont associées à un risque accru d’hémorragie. En cas de maladie hépatique avancée, associée à une coagulopathie cliniquement manifeste ainsi qu’à des risques hémorragiques cliniquement significatifs, comme dans le cas d’une cirrhose du foie au stade C de Child-Pugh, le traitement par DOAK est considéré comme contre-indiqué ; pour le rivaroxaban, l’utilisation d’un DOAK est déconseillée dès le stade B de Child-Pugh [18].
Congrès : FomF Journées de formation continue des médecins généralistes (Bâle)
Littérature :
- Van Gelder, et al. : 2024 ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation developed in collaboration with the (EACTS) : Développé par le groupe de travail pour la prise en charge de la fibrillation auriculaire de l’ESC, avec la contribution spéciale de l’EHRA de l’ESC. Endorsed by the European Stroke Organisation (ESO), European Heart Journal, 2024 ;, ehae176,
https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehae176. - “Anticoagulation”, PD Dr. med. Patrick Badertscher, FomF, Journées de formation continue des médecins de famille, 05-06.09.20204.
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