Les objectifs du traitement de l’hémophilie sont de plus en plus ambitieux. On s’efforce aujourd’hui de normaliser la coagulation dans une large mesure. Pour les patients adultes, la thérapie génique est aujourd’hui l’une des nombreuses options de traitement efficaces, bien qu’en Suisse, contrairement à l’UE, un médicament de thérapie génique ne soit autorisé que pour les patients atteints d’hémophilie B. Outre une sélection des patients basée sur des critères en amont de la thérapie génique, un suivi de plusieurs mois est nécessaire après la réalisation de celle-ci.
L’hémophilie est une tendance congénitale aux saignements, héréditairement liée au chromosome X, qui se caractérise par l’absence ou la diminution de l’activité du facteur VIII (hémophilie A) ou le facteur IX (hémophilie B). Comme ces deux facteurs sont des éléments de la cascade de coagulation, une carence peut entraîner un fort ralentissement de la coagulation sanguine [1,4]. Les symptômes dépendent de la gravité de la maladie**. Les cas les plus graves souffrent de saignements prolongés et plus importants après des blessures, et ces patients peuvent également présenter des saignements spontanés (par ex. hématomes, hémorragies articulaires et autres hémorragies internes). Les formes légères d’hémophilie ne se manifestent cliniquement qu’en cas de traumatisme ou d’opération majeure. Le traitement classique pour réduire la fréquence des saignements spontanés et traumatiques consiste en une prophylaxie avec un facteur de coagulation administré de manière exogène [1]. “C’est relativement contraignant pour les patients”, a rapporté PD Dr. med. Robert Klamroth, médecin en chef, Clinique de médecine interne d’angiologie et d’hémostase, Vivantes Klinikum im Friedrichshain, Berlin [2]. Jusqu’à trois injections hebdomadaires sont nécessaires. Comme alternative à la substitution prophylactique du facteur, les patients atteints d’hémophilie A disposent de l’anticorps monoclonal bispécifique emicizumab, qui imite la fonction du FVIII activé et est appliqué par voie sous-cutanée à intervalles de 1, 2 ou 4 semaines [3]. En Suisse, l’emicizumab (Hemlibra®) est autorisé depuis 2018 [6].
** La sévérité de l’hémophilie est divisée en sévère (<1 UI/dl ou <1% de la norme), modérée (1-5 UI/dl ou 1-5%) et légère (5-40 UI/dl ou 5-40%) sur la base de l’activité résiduelle du facteur [1].
En tant que maladie monogénique, l’hémophilie se prête également à la thérapie génique. Ce dernier représente une option de traitement innovante en introduisant dans les cellules de l’organisme des gènes intacts pour la production de facteurs de coagulation déficients [4]. Le transfert d’un gène fonctionnel dans la cellule hépatique permet d’obtenir une production à long terme, parfois même normale, du facteur de coagulation, de sorte qu’une perfusion unique peut entraîner une réduction durable des événements hémorragiques [5].
Les premiers représentants de cette nouvelle forme de traitement sont le Valoctocogen-Roxaparvovec pour l’hémophilie A et l’Etranacogene-Dezaparvovec pour l’hémophilie B [6].
La thérapie génique utilise l’AAV comme vecteur
Le principe de base de la thérapie génique pour le traitement de l’hémophilie consiste à transporter un gène spécifique d’un facteur de coagulation en même temps qu’un vecteur. Pour ce faire, un virus adéno-associé (AAV) est utilisé comme vecteur. Pour s’assurer que le gène fonctionne correctement dans l’organe cible, le foie, le vecteur contient des éléments supplémentaires tels que des promoteurs et des amplificateurs. Ces éléments de contrôle aident à faire entrer le gène dans les cellules hépatiques et à y réguler son activité [5]. “La particularité des virus AAV est que l’information génétique n’est pas intégrée dans l’ADN de la cellule, mais reste épisomale”, a expliqué le conférencier [2]. Le transfert de gènes est donc une thérapie génique additive et non corrective [1]. En raison de son caractère essentiellement épisomique, on a d’abord supposé que le transgène était perdu lors de la division des hépatocytes. Chez les adultes en bonne santé hépatique, cela ne semble pas avoir d’importance ; dans les études cliniques sur l’hémophilie B, des niveaux de facteurs stables ont été observés pendant une période allant jusqu’à 8 ans [1,7].
Le sérotype des AAV (caractéristiques variables de la structure de surface) joue un rôle crucial dans l’efficacité de la transduction hépatocellulaire et la probabilité de la présence d’anticorps neutralisants préformés contre les AAV chez le receveur, ce qui peut réduire l’efficacité du traitement [1,8].
Étude GENEr8-1 pour l’hémophilie A : Valoctocogene roxaparvovec
L’étude GENEr8-1 a inclus des patients séronégatifs atteints d’hémophilie A sévère [9]. Les critères d’inclusion comprenaient l’absence de corps inhibiteurs et d’anticorps anti-AAV5 chez les patients. Les participants à l’étude ont reçu une perfusion unique de Valoctocogene roxaparvovec à une dose de 6×103 génomes vecteurs par kilogramme de poids corporel (vg/kg).A la semaine 104, des données évaluables étaient disponibles pour 132 participants à l’étude [12]. Le taux de saignement annualisé moyen a diminué de 84,5% depuis la ligne de base (p<0,001). A partir de la semaine 76, l’évolution de l’activité du facteur VIII transgénique a montré une cinétique d’élimination de premier ordre ; la demi-vie estimée était de 123 semaines (intervalle de confiance à 95% : 84-232). Le risque de saignement articulaire a également été estimé à l’aide de modèles. Cela a révélé une relation similaire entre l’activité du facteur VIII et les épisodes de saignement dans l’hémophilie A légère à modérée. Deux ans après la perfusion, aucun nouveau signal de sécurité n’était apparu et aucun nouvel événement indésirable grave n’avait été associé au traitement. Sur l’ensemble de la population étudiée, les saignements nécessitant un traitement ont été réduits de 82,9% par rapport à la ligne de base sur une période de trois ans (p<0,0001) [10].
L’orateur a souligné qu’il existe une variabilité interindividuelle considérable dans la réponse au traitement en ce qui concerne l’activité du facteur VIII. “Nous n’avons aucun paramètre pour prédire quel patient en bénéficiera”, a déclaré le Dr Klamroth [2].
Étude HOPE-B pour l’hémophilie B
Au total, 54 patients ont reçu une dose unique d’Etranacogene-Dezaparvovec dans le cadre de l’étude pivot, dont 53 ont achevé au moins 18 mois de suivi [11]. Le critère d’évaluation principal de l’étude HOPE-B était le taux de saignement annualisé 52 semaines après avoir atteint un niveau d’expression stable du facteur IX (mois 7 à 18), par rapport à la période de prétraitement de six mois. Pour ce critère, le taux de saignement annualisé a été mesuré du mois 7 au mois 18 après la perfusion afin de s’assurer que la période d’observation représentait une expression transgénique stable du facteur IX. Les critères d’évaluation secondaires comprenaient l’évaluation de l’activité du facteur IX. Les résultats d’efficacité obtenus 18 mois après le traitement par Etranacogene-Dezaparvovec ont montré une supériorité par rapport à la prophylaxie de routine du facteur IX administrée précédemment. Le taux annuel total d’hémorragies a diminué de manière significative de 64% et 96% de tous les patients n’ont plus besoin d’une prophylaxie de routine du facteur IX. Aucun effet indésirable grave n’a été signalé et aucun inhibiteur du facteur IX n’a été détecté. En Suisse, l’extranacogène-dézaparvovec (Hemgenix®) est autorisé pour les patients adultes atteints d’hémophilie B [6,11]. Dans l’état actuel des connaissances, une thérapie génique AAV ne peut être utilisée qu’une seule fois.
Des contrôles de suivi sont nécessaires
Outre des réactions d’intolérance généralement peu prononcées, une augmentation des transaminases (ALT) peut survenir, généralement quelques semaines ou mois après la perfusion de vecteurs. L’élévation de l’ALT est asymptomatique, la nécessité d’un traitement découle de l’observation que celle-ci peut s’accompagner d’une perte d’expression du facteur en l’absence de traitement [1]. “Il est important de le détecter et de le traiter à temps”, a expliqué le Dr Klamroth [2]. Le traitement consiste en une immunosuppression par la prednisolone. Il est recommandé de contrôler les patients atteints d’hémophilie B toutes les semaines pendant trois mois et ceux atteints d’hémophilie A pendant six mois, afin de déterminer si les valeurs hépatiques augmentent et si une cortisonothérapie est indiquée. Les transaminases étant soumises à un rythme circadien, le dosage doit être effectué, si possible, à un moment similaire de la journée. Dans le cas de l’hémophilie B, 1 patient sur 5 a besoin d’une immunosuppression par la prednisolone, contre 4 sur 5 dans le cas de l’hémophilie A, a précisé le conférencier [2]. Il est proposé d’administrer initialement 60 mg de prednisolone par jour per os pendant au moins 14 jours, puis d’arrêter progressivement en fonction de l’évolution [1].
Littérature :
- Miesbach W, et al. : Thérapie génique de l’hémophilie : recommandation de la Société pour la recherche sur la thrombose et l’hémostase (GTH) [Gene therapy of Hemophilia : Recommendations from the German, Austrian, and Swiss Society for Thrombosis and Haemostasis Research (GTH)]. Hamostaseologie 2023 ; 43(3) : 196-207.
- “Hémophilie et nouvelles thérapies génériques”, PD Dr Robert Klamroth, 130. Congrès de la Société allemande de médecine interne (DGIM), 15.04.2024.
- Callaghan MU, Negrier C, Paz-Priel I : Résultats à long terme du traitement prophylactique par emicizumab de l’hémophilie A avec ou sans inhibiteurs du FVIII dans les études HAVEN 1-4. Sang 2021 ; 137(16) : 2231-2242.
- “Hémophilie”, https://flexikon.doccheck.com,(dernière consultation 10.06.2024).
- Association allemande d’hémophilie : nouvelles possibilités de traitement, www.dhg.de/behandlung/neue-behandlungsmoeglichkeiten.html,(dernière consultation 10/06/2024).
- Swissmedic : Information sur les médicaments, www.swissmedicinfo.ch,(dernière consultation 10.06.2024).
- Duda H, et al : The German Hemophilia Registry : Growing with Its Tasks. J Clin Med 2020 ; 9(11) : E3408.
- Lisowski L, et al : The intersection of vector biology, gene therapy, and hemophilia. Res Pract Thromb Haemost 2021 ; 5(06) : e12586.
- Ozelo M et al : Valoctocogene Roxaparvovec Gene Therapy for Hemophilia A. N Engl J Med 2022 ; 386(11) : 1013-1025.
- Mahlangu J, et al. : Présentation orale à l’ISTH, 25-28 juin 2023
- “Swissmedic délivre une autorisation de mise sur le marché pour HEMGENIX®”, CSL Behring Suisse, 15.01.2024.
- Mahlangu J, et al ; Groupe d’essai GENEr8-1. Résultats à deux ans du traitement par Valoctocogene Roxaparvovec pour l’hémophilie A. N Engl J Med 2023 ; 388(8) : 694-705.
HAUSARZT PRAXIS 2024 ; 19(6) : 46-47 (publié le 26.6.24, ahead of print)