Dans une publication de 2023, Ellis et al. met en lumière la gestion clinique de l’insomnie chronique en Europe centrale. En Suisse, environ un adulte sur dix souffre d’insomnie chronique, ce qui correspond à peu près à la moyenne européenne. Contrairement aux recommandations des lignes directrices, les benzodiazépines et les agonistes des récepteurs des benzodiazépines sont souvent utilisés pour des durées plus courtes que celles recommandées. Il y a un besoin d’amélioration à ce sujet et sur d’autres aspects, conclut la revue.
Chez l’adulte, on parle d’insomnie chronique lorsque les troubles du sommeil persistent depuis au moins 3 mois et ont un impact significatif sur l’activité quotidienne [1,19]. En Suisse, 11% répondent aux critères diagnostiques de l’insomnie chronique, selon les données Sentinella** publiées en 2020 [2]. L’évaluation diagnostique doit inclure un enregistrement minutieux des antécédents médicaux et de sommeil du patient, y compris des informations sur les déclencheurs, les facteurs circadiens et le rythme veille-sommeil. Il existe une relation réciproque entre le sommeil et l’état de santé général. La somnolence diurne et les difficultés de concentration sont associées à des troubles cognitifs et de l’humeur et peuvent affecter les performances sociales et professionnelles [3,4]. Et récemment, un sommeil sain a été ajouté comme l’un des piliers de la santé cardiovasculaire [5].
** Le système de déclaration Sentinella permet d’obtenir des données épidémiologiques, de surveiller les maladies transmissibles courantes et d’autres maladies aiguës en médecine générale. www.bag.admin.ch/bag/de/home/krankheiten/infektionskrankheiten-bekaempfen/meldesysteme-infektionskrankheiten/sentinella-meldesystem.html
Que recommandent les lignes directrices ?
Idéalement, le traitement de l’insomnie chronique devrait viser en premier lieu à améliorer la qualité et la durée du sommeil ainsi que la forme diurne [6]. La thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie (CBT-i : Cognitive Behavioral Therapy for Isomnia) est considérée comme un traitement de première ligne selon les directives européennes [7]. La CBT-i est une intervention multimodale qui vise à modifier les pensées, les émotions et les comportements dysfonctionnels [8]. Les options pharmacologiques recommandées en deuxième ligne comprennent une variété de substances actives différentes, allant de traitements plus anciens comme les benzodiazépines et les agonistes des récepteurs des benzodiazépines à la mélatonine et au daridorexant, un antagoniste des récepteurs de l’orexine récemment approuvé [9,10]. D’autres substances synthétiques ou à base de plantes sont également utilisées, parfois en usage “off-label”. En cas de troubles légers du sommeil, on peut par exemple utiliser des extraits de valériane ou des préparations associant la valériane à d’autres extraits de plantes médicinales.
Quelle est la réalité du traitement ?
Une enquête menée en 2018 auprès des médecins généralistes suisses a révélé que chez les patients souffrant d’insomnie chronique sans comorbidité, seuls 8% des médecins généralistes recommandaient le CBT-i en première intention ; 87% recommandaient l’hygiène du sommeil, 65% les phytothérapies, 49% les antidépresseurs et 18% les agonistes des récepteurs des benzodiazépines [11]. Les connaissances des médecins généralistes sur le CBT-i étaient plutôt faibles : 19% ont déclaré ne rien savoir et 46% très peu [11].
En Allemagne, une étude transversale menée en 2012-2014 auprès d’adultes âgés de plus de 50 ans a révélé que les benzodiazépines ou les agonistes des récepteurs des benzodiazépines étaient principalement prescrits pour des troubles du sommeil [12]. La plupart des patients considéraient leur utilisation comme une nécessité vitale. Cependant, l’utilisation à long terme de ces substances était significativement associée au chômage (OR : 2,9, 95% CI : 1,2-7,1) [12].
En France, les soins psychiatriques sont dispensés dans les départements de santé et de soins sociaux [13]. En 2015, 5,6% de la population française prenait des benzodiazépines pour des problèmes de sommeil [20]. Une étude menée en 2015 auprès de patients en médecine générale et en pharmacie a révélé qu’environ 15% d’entre eux s’étaient vu prescrire des TCC-i, mais que 69% des médicaments prescrits par les médecins généralistes concernaient des benzodiazépines [14].
En Italie, une grande enquête épidémiologique publiée en 2004 auprès de 738 médecins généralistes a révélé que 18% des patients souffrant d’insomnie chronique étaient traités par pharmacothérapie, la benzodiazépine lorazépam (23%) et l’analogue de benzodiazépine zolpidem (15%) étant parmi les médicaments les plus prescrits [15]. Une enquête similaire menée en 2017-2018 a montré que la moitié des patients âgés de plus de 50 ans (55,3%) souffraient de troubles du sommeil, dont 45,6% étaient traités principalement par des benzodiazépines [16].
En conclusion de leur revue, Ellis et al. constatent qu’en Europe, les mesures les plus fréquentes pour l’insomnie chronique, en plus de l’hygiène du sommeil et des médicaments sans ordonnance, sont la prescription d’une pharmacothérapie à long terme, les benzodiazépines, les z-drugs et les analogues des récepteurs des benzodiazépines étant parmi les médicaments les plus fréquemment prescrits [17,19]. Cependant, l’utilisation à long terme des benzodiazépines, des z-drugs et des analogues des récepteurs des benzodiazépines est en contradiction avec les recommandations des lignes directrices [7,19].
Littérature :
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PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2024 ; 19(9) : 20