La polypharmacie est un problème qui se développe rapidement. Elle concerne principalement les patients gériatriques. La multimorbidité est la principale cause. Les risques sont les effets indésirables des médicaments, qui conduisent souvent à des hospitalisations d’urgence, les interactions médicamenteuses, la sous- et la surmédicalisation, ainsi que les éventuels traitements non effectués malgré une indication claire. L’approche de l’évaluation gériatrique, en plus du diagnostic minutieux de la multimorbidité, ainsi que la définition explicite de l’objectif du traitement (éventuellement avec les proches) et la tenue d’une anamnèse continue de la médication avec les effets souhaités et indésirables, permettent d’avoir une vue d’ensemble et de prévenir activement les problèmes liés à la médication.
En Suisse, plus de 3000 substances actives sont autorisées par Swissmedic dans plus de 12 400 préparations pharmaceutiques au total. Ce chiffre ne permet pas à un prescripteur de connaître tous les produits. Parallèlement, l’intensité des traitements et le nombre de médecins par patient augmentent. Cette constellation, associée au vieillissement de la population, crée de nombreuses situations nouvelles et potentiellement dangereuses.
Comment la polypharmacie est-elle définie et quelle est l’ampleur du problème ?
La polypharmacie désigne généralement la prise simultanée d’au moins cinq médicaments ou produits pharmaceutiques. la prise d’un ou plusieurs médicaments non indiqués. Cette définition n’est pas fondée sur des preuves, mais exprime l’opinion concordante de différents auteurs effectuant des recherches dans ce domaine [1].
Nous savons que le phénomène de polypharmacie est fréquent : 57% des femmes américaines âgées de ≥65 ans prennent simultanément au moins cinq médicaments, et 12% en prennent au moins dix. Aux États-Unis, le nombre de médicaments en vente libre pris par les personnes âgées de 74 ans est d’au moins un dans 90% des cas et d’au moins deux à quatre dans 59% des cas [2].
51% d’une cohorte d’Européens âgés de 72 ans prenaient au moins six médicaments en même temps. La même étude mentionne que, par ailleurs, 50 à 60% des patients âgés prennent au moins un médicament sans indication, 30% au moins un médicament inefficace et 16% deux médicaments pour la même indication. En revanche, 64% ont une indication de traitement claire pour laquelle ils ne reçoivent pas de médicament [2]. Si l’on considère les conséquences possibles d’une médication incorrecte, ces chiffres sont inquiétants.
Les principaux facteurs de risque de polypharmacie
La multimorbidité est le principal facteur de risque de polymédication. En Écosse, on trouve en moyenne 2,6 maladies chez les personnes âgées de 65 à 84 ans – seul un tiers environ des personnes examinées à cet âge n’étaient pas multimorbides. Environ 20% avaient cinq maladies pertinentes ou plus. Pour les personnes âgées de ≥85 ans, les chiffres correspondants étaient même de 3,26%, 18,5% et 30%. On a trouvé des combinaisons de maladies bien connues dans la pratique clinique quotidienne : Les patients atteints de BPCO souffraient également de maladies coronariennes, de diabète sucré, d’insuffisance cardiaque, d’accident vasculaire cérébral, de fibrillation auriculaire, d’états douloureux, de dépression et de troubles anxieux [3]. Chez les patients hospitalisés en médecine interne à l’hôpital universitaire de Zurich, on a également constaté un nombre élevé de patients polymorbides [4].
Ainsi, l’âge constitue le principal facteur de risque de polypharmacie. Le nombre de consultations médicales et le nombre de médecins impliqués dans un traitement sont d’autres facteurs de risque.
L’application inconditionnelle des directives de traitement peut conduire à une polypharmacie dangereuse. Les guidelines (par exemple pour le traitement de l’hypertension, de l’insuffisance cardiaque, de la fibrillation auriculaire, de l’hyperlipidémie, etc. Le praticien doit donc savoir exactement à quel groupe appartient le patient qu’il traite actuellement. L’âge du patient, le poids, éventuellement le sexe, la fonction rénale et hépatique, la polymorbidité et les médicaments administrés simultanément jouent le rôle le plus important [5].
Pour les patients gériatriques, l’intention du traitement doit toujours être clarifiée en fonction de l’objectif du traitement. Plus le patient est âgé, moins le traitement des facteurs de risque asymptomatiques tels que l’hyperlipidémie, l’hypertension (seuils moins bas) et le diabète sucré (tolérance à l’HbA1c plus élevée) est important. Ceci est important pour éviter des problèmes tels que l’orthostatisme (dans le cas du traitement de la BD) ou les hypoglycémies (dans le cas du traitement du diabète). En revanche, le traitement des symptômes tels que la douleur, la constipation, les tremblements, les vertiges, etc. devient plus important. Les effets indésirables symptomatiques des médicaments doivent être évités.
Les principaux risques et conséquences de la polypharmacie
En règle générale, plus le nombre de médicaments pris par un patient est élevé, plus le risque d’effets indésirables (EI) augmente. Une étude américaine sur 32 ans a montré que le taux d’EI graves et fatals survenus à l’hôpital était de 2,29%. Les EI de même gravité ayant entraîné une hospitalisation ont affiché un taux de 4,83% [6].
En 1999, à l’Ospedale San Giovanni de Bellinzone, un effet indésirable a été constaté chez 6,4% des patients. 96% de ces EI étaient prévisibles, 73% étaient graves et 57% des médicaments étaient inutiles ou incorrectement prescrits. Dans deux tiers des cas, les EI ont entraîné une hospitalisation [7]. Les chiffres prouvent que nous sommes confrontés à des problèmes fréquents et souvent évitables.
Afin de réduire la polypharmacie et ses effets négatifs, Hanlon et al. l'”indice d’adéquation des médicaments”, qui a été élargi par la suite, a été publié. Le tableau 1 présente l’indice MAI élargi avec 14 questions clés [1]. Les questions de l’AMI définissent en même temps les principaux risques de la polypharmacie.
Médicaments dangereux
Il existe plusieurs listes de médicaments potentiellement dangereux pour les patients âgés d’au moins 65 ans : Liste Beers (États-Unis 1997), liste PRISCUS (Allemagne 2010) [8], liste FORTA (Allemagne 2013) [9]. Ils présentent tous l’inconvénient d’être rapidement obsolètes, de ne jamais être complets ou de ne pas être accessibles à tous. sont exhaustives et ne tiennent pas compte des différences régionales en matière de médicaments disponibles. Leur utilisation dans la pratique clinique quotidienne se heurte en outre à la disponibilité de l’information au moment de la prescription. Personne n’est en mesure de garder en mémoire ces listes, qui contiennent au total plus de 100 médicaments. On peut toutefois s’efforcer de ne pas inclure les médicaments listés dans son “répertoire de prescription” personnel.
En Irlande, Gallagher et al. publié les critères STOPP et START pour les patients de plus de 65 ans [10]. Les premiers décrivent 65 critères cliniquement significatifs pour une prescription potentiellement inappropriée, tandis que les critères START incluent 22 indications de prescription basées sur des preuves pour des maladies courantes. Les listes et les listes de diffusion mentionnées ces critères pourraient servir de base à un outil de prescription informatisé.
Les études les plus diverses nous ont appris qu’une prudence et une précision particulières sont indiquées pour les médicaments mentionnés dans le tableau 2.
Situations dangereuses
Outre les effets indésirables des médicaments, les erreurs de dosage et de prescription, les interactions sont particulièrement dangereuses. Les possibilités d’interaction augmentent de manière disproportionnée avec l’augmentation du nombre de médicaments administrés simultanément. Cinq substances entraînent la formation de dix paires, huit en entraînent 28 et dix produits pharmaceutiques peuvent même former 45 paires qui s’influencent mutuellement. La formule générale est I = (n2-n) : 2.
La modification de l’effet d’un antagoniste de la vitamine K (p.ex. phenprocoumon) par l’ajout d’autres produits pharmaceutiques peut entraîner une sous-anticoagulation (risque thromboembolique) ou une suranticoagulation (risque hémorragique).
Pour les principales interactions avec les antagonistes de la vitamine K et les anticoagulants oraux directs (AOD), voir le tableau 3.
L’amiodarone ne pose pas de problème avec les AOD, contrairement à la dronédarone. Il convient de noter que l’effet anticoagulant des AOD ne peut pas être mesuré dans la pratique quotidienne de routine, contrairement à l’INR (Quick) des AVK. Pour d’autres données d’interaction, nous vous renvoyons à la compilation claire de Hafner 2010 [11].
Que peut-on faire pour gérer la polypharmacie ?
Une clarification aussi précise que possible de la situation du patient crée une bonne base de départ : il est utile de déterminer les handicaps fonctionnels à l’aide d’une évaluation gériatrique. Il convient ensuite d’obtenir des précisions sur les comorbidités. Les objectifs thérapeutiques doivent être définis avec le patient ou sa famille. Il en résulte quelles morbidités éventuelles ne sont pas (plus) traitées – ceci en tenant compte des risques avec et sans traitement. Ensuite, les thérapies peuvent être sélectionnées et harmonisées entre elles, par exemple à l’aide de questions MAI. Vient ensuite le test d’interaction. Au final, la faisabilité et la mise en œuvre du règlement doivent être réexaminées dans leur ensemble. Ce n’est qu’ensuite que l’on prescrit avec les instructions correspondantes au patient et à son entourage (soignants).
Éventuellement, certains médicaments peuvent être remplacés par d’autres prescriptions (comportement, mesures physiques, soins).
Le gériatre A. E. Stuck a récemment publié dans le Swiss Medical Forum un algorithme possible pour les prescriptions chez les patients âgés [12]. Il nous semble important, premièrement, que le problème soit réalisé et, deuxièmement, que chaque prescripteur choisisse une procédure standardisée qui minimise la polypharmacie et, si elle est nécessaire, en réduise les risques autant que possible.
Points importants pour la pratique
- Appréhender le patient avec ses principales et comorbidités et sa fragilité avec les principaux problèmes gériatriques par le biais d’une évaluation.
- Formuler des objectifs thérapeutiques ; thérapies symptomatiques vs. thérapies basées sur les preuves ; examiner de manière critique les thérapies existantes pour réduire les risques.
- Appliquer les questions de l’AMI (de préférence réalisable au moyen d’une informatique/d’une ordonnance électronique).
- Noter les interactions, les contre-indications (questions STOP, de préférence réalisables par informatique/prescription électronique).
- Médicaments potentiellement manquants (questions START, réalisables de préférence au moyen de l’informatique/de la prescription électronique).
- thérapie est-elle réalisable chez le patient ?
- Formuler l’ordonnance avec la recommandation de prise et l’aide éventuelle (proches, soins à domicile, etc.).
- Enregistrer les prescriptions au fur et à mesure avec l’effet, les effets indésirables ou l’absence d’effet.
Littérature :
- Haefeli WE : Polypharmacie. Forum Med Suisse 2011 ; 11(47) : 847-852.
- Hajjar E, et al : Polypharmacie chez les patients âgés. Am J Geriatr Pharamcother 2007 ; 5 : 345-351.
- Barnett K, et al : Epidemiology of multimorbidity and implications for health care, research, and medical education : a cross-sectional study. Lancet 2012 ; 380 : 37-43.
- Schneider F, et al : Prevalence of multimorbidity in medical inpatients. Swiss Med Wkly 2012 ; 142 : w13533.
- Mancia G, et al : ESH/ESC Guidelines for the management of arterial hypertension. European Heart Journal 2013 ; 34 : 2159-2219.
- Lazarou J : Incidence des réactions indésirables aux médicaments chez les patients hospitalisés. Jama 1998 ; 279 : 1200-1205.
- Lepori V : Effets indésirables internes des médicaments à l’admission à l’hôpital. Schweiz Med Wochenschr 1999 ; 129 : 915-922.
- Holt S : Médicaments potentiellement inadéquats pour les personnes âgées : La liste PRISCUS. Deutsches Ärzteblatt 2010 ; 107(31-32) : 543-551.
- Kuhn-Thiel A : Consensus Validation of the FORTA (Fit fOr The Aged) List : A Clinical Tool for Increasing the Appropriateness of Pharmacotherapy in the Elderly. Drugs Aging 2014 ; 31 : 131-140.
- Gallagher P : STOPP (outil de dépistage des prescriptions des personnes âgées) et START (outil de dépistage pour alerter les médecins sur le traitement approprié). Validation du consensus. International Journal of Clinical Pharmacology and Therapeutics 2008 ; 46 : 72-83.
- Hafner V : Interactions médicamenteuses. Internist 2010 ; 51 : 359-370.
- Stuck AE, et al. : Réforme nécessaire : il faut une dose plus élevée de gériatrie. Swiss Medical Forum 2015 ; 15(1-2) : 15-17.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2015 ; 10(6) : 32-36