De nos jours, un anévrisme de l’aorte abdominale peut être traité de manière ouverte ou par des procédures endovasculaires. Le choix de la thérapie doit toujours être fait individuellement.
Le terme anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) désigne une dilatation pathologique (>3 cm de diamètre) de l’aorte abdominale. L’anévrisme aortique infrarénal, qui débute en dessous des artères rénales, est le plus fréquent (fig. 1). Si l’anévrisme débute au niveau des artères rénales ou avec des artères rénales sortant de l’anévrisme, on parle d’anévrisme aortique juxta- ou suprarénal. Ces différences anatomiques des anévrismes de l’aorte abdominale déterminent en grande partie la stratégie de traitement.
Le principal facteur de risque pour le développement d’un AAA est le tabagisme [1]. Les autres facteurs de risque importants sont l’âge, le sexe, l’athérosclérose, l’hypertension artérielle, l’ethnicité et les antécédents familiaux positifs. Les directives européennes actuelles pour le traitement du BAA rapportent une réduction significative de la prévalence et de l’incidence au cours des 20 dernières années [1]. Cette évolution s’explique le plus probablement par la réduction de la consommation de tabac entre-temps et par la prescription croissante de statines [2]. De nos jours, la prévalence est de 1,7 % chez les hommes de 65 ans et de 0,7 % chez les femmes de plus de 60 ans [1]. Les hommes sont beaucoup plus touchés que les femmes dans un rapport de 4:1.
Une grande méta-analyse portant sur plus de 15 000 patients (étude RESCAN) avec un AAA compris entre 3,0 et 5,5 cm n’a montré aucune différence entre les hommes et les femmes en ce qui concerne le taux de croissance de l’anévrisme par an [3]. Les deux groupes ont affiché un taux de croissance de 2,2 mm/an. En revanche, le diamètre mesuré initialement (DM) joue un rôle décisif dans l’augmentation ultérieure : un BAA avec un DM de 3,0 cm croît de 1,3 mm/an, un BAA avec un DM de 5,0 cm croît de 3,6 mm/an [3]. Chez les fumeurs, on peut s’attendre à une croissance supplémentaire de 0,35 mm/an [3].
Manifestations cliniques et diagnostic
Le BAA est généralement asymptomatique. Les douleurs abdominales ou lombaires non spécifiques conduisent souvent à un diagnostic fortuit. L’examen clinique peut détecter une masse pulsatile dans l’abdomen, mais cet examen présente une sensibilité de <50% et diminue chez les patients obèses [4]. C’est pourquoi la palpation abdominale n’est pas une méthode d’examen fiable. S’il est symptomatique, le BAA se présente comme une douleur à la palpation ou une douleur spontanée dans le dos ou l’abdomen. La rupture s’accompagne d’une douleur intense dans le dos/l’abdomen et souvent de signes de choc hypovolémique (Fig. 2). La rupture libre s’accompagne d’une fuite de sang dans la cavité abdominale libre et ne permet généralement pas de survivre. Les ruptures dites couvertes, avec une hémorragie qui se résorbe spontanément dans l’espace rétropéritonéal, ont de bien meilleures chances de survie. La rupture peut extrêmement rarement se produire dans un organe creux et s’accompagner alors de la formation d’une fistule aorto-entérale ou aorto-cave.
L’échographie de l’abdomen est la méthode d’examen de choix avec une sensibilité et une spécificité très élevées [4]. Les inconvénients évidents de la méthode sont la dépendance de l’examinateur, l’imprécision de l’examen chez les patients obèses et les gaz intestinaux, ainsi que la variabilité du diamètre aortique (jusqu’à 2 mm) en raison du cycle cardiaque [4].
La tomodensitométrie (TDM) avec produit de contraste aide à déterminer avec précision la morphologie de l’anévrisme et est nécessaire à la planification du traitement. Les examens CT en couche fine (≤1 mm d’épaisseur) permettent une reconstruction multiplanaire à haute résolution et des mesures précises. L’utilisation de produits de contraste néphrotoxiques et l’exposition aux radiations sont les principaux inconvénients du scanner. La pré- ou post-hydratation des patients avec du bicarbonate de sodium ou du sérum physiologique n’apporte aucun bénéfice sur la fonction rénale [5].
Traitement
Le traitement électif d’un BAA est recommandé à partir d’un diamètre de 55 mm chez les hommes et de 50 mm chez les femmes [1]. Un taux de croissance de 5 mm en 6 mois ou de 10 mm en un an est un signe de rupture imminente et nécessite un traitement rapide. La croissance continue du BAA sur plusieurs années peut finalement conduire à une rupture d’anévrisme. La rupture d’un AAA est associée à un taux de mortalité pouvant atteindre 90%, en fonction de nombreux facteurs spécifiques au patient, techniques, organisationnels et liés à l’hôpital [6].
L’AAA peut aujourd’hui être traité par des procédures ouvertes et endovasculaires. La stratégie de traitement dépend de plusieurs facteurs et doit être déterminée individuellement. L’opérabilité du patient, les conditions anatomiques de l’AAA, l’espérance de vie, la préférence du patient et la volonté d’effectuer un suivi à vie jouent des rôles importants. La procédure ouverte présente un risque de mortalité plus élevé de ≥5% dans les 30 jours [7]. En revanche, la procédure endovasculaire présente un risque de mortalité de 1% [7].
Tous les patients pratiquant une activité physique modérée pouvant présenter un équivalent métabolique (MET) ≥4 (par exemple, marcher deux étages sans s’arrêter) ne bénéficient pas d’explorations cardiaques supplémentaires [1]. Tous les autres avec MET <4 doivent faire l’objet d’un examen cardiologique avant le traitement par BAA. Si nécessaire, une maladie coronarienne ou valvulaire importante doit être soignée avant le traitement par AAA.
Une procédure chirurgicale ouverte implique le remplacement de l’aorte abdominale par une prothèse tubulaire ou en Y via une laparotomie médiane ou une lombotomie du côté gauche. L’anastomose proximale est réalisée le plus près possible des artères rénales (même si le collet de l’anévrisme est long) afin d’éviter une dilatation ultérieure du segment aortique infrarénal. (Fig.3). Le polyéthylène téréphtalate (PET) ou le polytétrafluoroéthylène (PTFE) peuvent être utilisés comme matériaux de substitution. (Fig.3). Il n’existe aucune contre-indication au traitement ouvert en ce qui concerne la morphologie de l’aorte, à l’exception d’un abdomen ayant subi plusieurs opérations antérieures.
La procédure endovasculaire permet d’éliminer l’anévrisme de l’intérieur à l’aide d’une endoprothèse. La paroi de l’anévrisme reste complètement intacte. C’est pourquoi il est essentiel de disposer d’une zone d’atterrissage ou d’étanchéité suffisante pour cette procédure (Fig. 4). Par exemple, pour un bon ancrage de l’endoprothèse, il faut un segment non dilaté en dessous des artères rénales (= cou) d’au moins 10 mm de long [1]. Une prothèse bifurquée et une ou deux prothèses iliaques sont déposées sur les vaisseaux fémoraux, en commençant en dessous des artères rénales et en se terminant juste avant la bifurcation iliaque de chaque côté (Fig. 5). L’intervention endovasculaire peut être réalisée sous anesthésie locale. Cela a des effets positifs sur l’évolution postopératoire : séjour hospitalier plus court et moins de complications générales [8].
Endoleak
L’endoleak est défini comme un flux sanguin persistant dans le sac anévrismal en dehors de l’endoprothèse. Les différents types d’endoleaks et leur apparition après l’intervention sont présentés dans le tableau 1. Les endoleaks de type I et de type III doivent être traités rapidement après leur identification, car ils sont associés à une pression de perfusion élevée et peuvent rapidement provoquer une rupture d’anévrisme secondaire. L’endoleak de type II est le plus fréquent. Cette endoleak peut également entraîner une augmentation secondaire de la taille et une rupture. Par conséquent, une progression nette de la taille du sac anévrismal par une endoleak de type II doit déclencher un traitement approprié.
Discussion
Le principal avantage du traitement endovasculaire par rapport au remplacement ouvert est le taux de mortalité et de morbidité postopératoire précoce plus faible [9]. Au cours des dernières décennies, le nombre de traitements endovasculaires a augmenté, avec une diminution simultanée du taux de mortalité et de morbidité postopératoires précoces, malgré une augmentation du traitement des patients plus âgés et plus malades [9]. Parallèlement, la durée de l’opération et le séjour à l’hôpital ont été considérablement réduits. Le traitement dans un centre de formation continue, en particulier dans un centre avec un grand nombre de cas, donne de meilleurs résultats avec des taux de mortalité et de complications plus faibles [10].
Toutefois, l’avantage postopératoire précoce est perdu au bout de deux ans au maximum et le taux de mortalité à moyen terme est alors identique pour les deux procédures. À partir de trois ans, le nombre de décès dus à une rupture d’anévrisme secondaire augmente même après un traitement endovasculaire [7]. Les ruptures sont dues à des complications liées à l’endogreffe : migrations, plicatures, endofuites et, en conséquence, reperfusion du sac anévrismal. Les endofuites sont le talon d’Achille du traitement endovasculaire et la raison pour laquelle le taux de réintervention après traitement endovasculaire est nettement plus élevé, ≥25% pendant 5 à 10 ans de suivi [7]. En moyenne, les patients dont les BAA ont été traités vivent environ 9 ans après l’intervention [1].
Un contrôle étroit par échographie (avec ou sans produit de contraste) ou angiographie par scanner est indiqué à vie chez tous les patients ayant subi un traitement endovasculaire. La recommandation actuelle est d’effectuer un contrôle dans les 30 jours suivant l’intervention, après 6 mois et ensuite tous les ans [1,10]. Chez les patients ayant subi une intervention à ciel ouvert sur l’aorte, la fréquence des contrôles de suivi est nettement moins recommandée, par exemple tous les 5 ans par échographie ou angiographie par scanner.
Actuellement, les deux méthodes de traitement sont à peu près au même prix dans le monde. Alors que les interventions ouvertes avec complications postopératoires sont plus coûteuses que les interventions endovasculaires (y compris les implants), le nombre de contrôles et de ré-interventions est nettement plus coûteux pour les interventions endovasculaires sur plusieurs années.
Résumé
Les preuves actuelles montrent que le traitement endovasculaire est supérieur au remplacement ouvert en postopératoire précoce. La survie à long terme est toutefois comparable. Le taux de réintervention au cours du suivi, en particulier 8 à 10 ans après le traitement endovasculaire, est nettement plus élevé qu’après un remplacement ouvert. C’est pourquoi les contrôles de suivi à vie sont importants. Bien que le traitement endovasculaire puisse être proposé à presque tous les patients, il est plus judicieux de recommander le remplacement ouvert aux patients plus jeunes et en meilleure forme, dont l’espérance de vie est de >10-15 ans.
Littérature :
- Wahnhainen A. et al : European Society for Vascular Surgery (ESVS) 2019 Clinical Practice Guidelines on the Management of Abdominal Aorto-iliac Artery Aneurysms. Eur J Vasc Endovasc Surg 2019 ; 57 : 8-93.
- Lederle FA : L’ascension et la chute de l’anévrisme aortique abdominal. Circulation 2011 ; 124 : 1097-1099.
- Sweeting MJ, et al. (RESCAN colalborators) : Méta-analyse des données individuelles des patients pour examiner les facteurs affectant la croissance et la rupture des anévrismes aortiques abdominaux. Br J Surg 2012 ; 99 : 655-65.
- Long A, et al : Mesure du diamètre maximal des anévrismes aortiques abdominaux natifs : revue et analyse critique. Eur J Vasc Endovasc Surg 2012 ; 43 : 515-524.
- Kooiman J, et al : A randomized comparison of 1-h sodium bicarbonate hydration versus standard peri-procedural saline hydration in patients with chronic kidney disease undergoing intravenous contrast-enhanced computerized tomography. Nephrol Dial Transpl 2014 ; 29 : 1029-1036.
- Karthikesalingan A, et al. Mortalité par rupture d’anévrisme aortique abdominal : leçons cliniques tirées d’une comparaison des résultats en Angleterre et aux États-Unis. Lancet 2014 ; 383 : 963-969.
- Powell JT, et al. Méta-analyse des données individuelles des patients issues des essais EVAR-1, DREAM, OVER et ACE comparant les résultats de la réparation endovasculaire ou ouverte de l’anévrisme de l’aorte abdominale sur 5 ans. Br J Surg 2017 ; 104 : 166-178.
- Ruppert V, et al. Influence du type d’anesthésie sur le résultat après une réparation endovasculaire d’anévrisme aortique : une analyse basée sur les données EUROSTAR. J Vasc Surg 2006 ; 44 : 16-21.
- Patel R, et al. Réparation endovasculaire versus ouverte de l’anévrisme aortique abdominal dans le cadre d’un suivi de 15 ans de l’essai britannique de réparation endovasculaire de l’anévrisme (EVAR trial 1) : un essai contrôlé randomisé. Lancet 2016 ; 388 : 2366-2374.
- Chaikof EL, et al. The Society for Vascular Surgery practice guidelines on the care of patients with an abdominal aortic aneurysm. J Vasc Surg 2018 ; 67 : 2-77.
CARDIOVASC 2019 ; 18(3) : 30-33