Une étude britannique rétrospective a analysé les surcoûts de santé imputables à des pratiques de prescription inadéquates. Comme le montrent des données provenant de Suisse, la prévalence de la prescription de benzodiazépines chez les patients du groupe d’âge ≥65 ans, entre autres, doit être examinée de manière critique. L’utilisation à long terme de ces substances crée une dépendance et s’accompagne d’autres effets secondaires indésirables.
Alors que la prévention primaire vise à maintenir la santé ou à prévenir les maladies, la prévention secondaire s’occupe du dépistage précoce ou de la prévention de la progression d’une maladie et la prévention tertiaire se concentre sur la prévention de la progression ou de la survenue de complications dans une maladie déjà manifeste. La prévention des interventions diagnostiques et thérapeutiques inutiles, y compris la prévention de la surmédicalisation, se situe au niveau de la prévention quaternaire. Une estimation du Department of Health and Social Care au Royaume-Uni a montré qu’environ 10% des prescriptions liées à la polypharmacie sont inutiles [1]. Une étude d’économie de la santé a évalué les coûts pour le National Health Service (NHS) au Royaume-Uni de la prescription inutile ou non indiquée de médicaments à fort potentiel de dépendance [2]. Ces substances comprennent les antidépresseurs, les opioïdes, les gabapentinoïdes, les benzodiazépines et les “Z-drugs” – une classe de nouveaux hypnotiques dont les principes actifs commencent par la lettre Z (agonistes non benzodiazépiniques comme le zolpidem, le zopiclone et le zaleplon) [3].
Une étude montre que l’utilisation inutile d’opioïdes et autres entraîne des coûts élevés
L’évaluation a porté sur la prescription en soins primaires au Royaume-Uni entre avril 2015 et mars 2018 [2]. Les données suivantes ont été analysées : Nombre d’adultes auxquels des médicaments à fort potentiel de dépendance ont été prescrits de manière continue, durée des prescriptions*, “Net Ingredient Cost” (prix d’usine hors TVA et hors coûts de distribution) et coûts de distribution pour chaque médicament#. Les coûts de consultation ont été calculés sur la base des recommandations des lignes directrices et du nombre de consultations de surveillance de la médication à long terme démontré dans les études précédentes.
* Source des données : Public Health England
# Source des données : NHS Business Service Authority
Pour les opioïdes, les gabapentinoïdes, les benzodiazépines et les “Z-drugs”, les coûts totaux inutiles estimés sur trois ans (avril 2015 à mars 2018) se situaient entre 1 367 661 104 GBP et 1 555 234 627 GBP. Pour les antidépresseurs, les coûts totaux inutiles estimés pour une année se situaient entre GBP 37’321’783 et GBP 45’765’504. Ces données indiquent que le NHS en Angleterre pourrait subir une perte annuelle moyenne importante, estimée entre GBP 455’887’035 et GBP 518’411’542 pour les opioïdes, les gabapentinoïdes, les benzodiazépines et les “Z-drugs”, et une perte annuelle estimée entre GBP 37’321’783 et GBP 45’765’504 pour les antidépresseurs. Ensemble, ces chiffres représentent une perte annuelle estimée entre 493 208 818 GBP et 564 177 046 GBP en raison de la prescription non indiquée ou superflue de médicaments à fort potentiel de dépendance. Les auteurs précisent qu’il s’agit d’estimations prudentes et que les chiffres effectifs pourraient être encore plus élevés.
La surmédicalisation est également un problème en Suisse : exemple des benzodiazépines
Une équipe de recherche a étudié les pratiques de prescription de benzodiazépines en Suisse dans neuf cantons suisses auprès de personnes de la tranche d’âge ≥65 ans [10]. Au total, 69 005 personnes ont été incluses dans l’étude. Environ 20% des participants ont reçu au moins une prescription de benzodiazépine en 2017. La prévalence de la prescription augmentait avec l’âge (65-69 : 15,9%, 70-74 : 18,4%, 75-80 : 22,5%, >80 : 25,8%) et était plus élevée chez les femmes (25,1%) que chez les hommes (14,6%). Les participants ayant le ticket modérateur le plus élevé (2500 CHF) avaient 70% de chances en moins d’obtenir une ordonnance que ceux ayant le ticket modérateur le plus bas (300 CHF) (OR=0,29, IC à 95% : 0,24-0,35).
Les personnes ayant reçu au moins une ordonnance étaient plus susceptibles d’être hospitalisées pour un traumatisme (OR=1,31, IC à 95% : 1,20-1,44) et de dépenser 70% de plus en soins de santé. Les assurés du canton du Valais ont reçu une ordonnance trois fois plus souvent que les assurés du canton d’Argovie (OR=2,84, IC 95% : 2,51-3,21). Les auteurs de l’étude notent que la proportion de personnes âgées de ≥65 ans auxquelles au moins une benzodiazépine a été prescrite est élevée. Les personnes concernées sont plus susceptibles d’être hospitalisées en raison d’un traumatisme et ont des dépenses de santé plus élevées. De grandes différences de prévalence de la prescription ont été observées entre les différents cantons, ce qui indique une possible surutilisation. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer les causes sous-jacentes des résultats identifiés.
Polypharmacie chez les personnes âgées : évaluation des bénéfices et des risques Les patients âgés, en particulier, prennent souvent un véritable cocktail de médicaments. Mais tout n’est pas toujours nécessaire, certains peuvent même être nocifs. Il peut donc être utile de remettre régulièrement en question le traitement et de l’adapter si nécessaire (tableau 1). C’est le cas, entre autres, de l’utilisation à long terme des benzodiazépines, car elles peuvent créer une forte dépendance et avoir divers effets secondaires. Bien que son utilité soit indiscutable pour une utilisation à court terme – par exemple comme intervention psychiatrique de crise ou pour induire une anesthésie avant une intervention chirurgicale [6]. Pour l’évaluation individuelle des différents médicaments potentiellement critiques, on peut se référer à la liste STOP (fig. 1) ou à l’outil en ligne “Medstopper” [7–9]. Le potentiel d’interaction des médicaments prescrits peut varier sur www.mediq.ch ou |
Programmes structurés avec contre-mesures
Compte tenu de l’importance des coûts inutiles, qui témoigne d’une pratique de soins dont la qualité doit être améliorée, il est important de développer des programmes pour y remédier. Un projet actuel lancé au Royaume-Uni est le programme “nhsE & I national Structured Medication Review (SMR)”, qui vise à s’attaquer à la surmédicalisation inutile chez les patients polymédiqués.
En Suisse aussi, la surmédicalisation est un problème. Le guide élaboré par un groupe de travail suisse vise à fournir une aide pour améliorer le traitement des patients âgés et multimorbides. La démarche peut être résumée en une suite logique de quatre étapes [4,5].
Inventaire et réconciliation des médicaments (Medication Reconciliation) : La condition préalable nécessaire à l’analyse et à l’optimisation du traitement médicamenteux est l’enregistrement/la comparaison de tous les médicaments pris. Il est recommandé de l’enregistrer systématiquement une à deux fois par an ou lorsque des problèmes surviennent ou après une hospitalisation.
Évaluation des médicaments (Medication Review) : La nécessité des médicaments devrait en principe être examinée de manière critique. Certains groupes de médicaments méritent particulièrement d’être examinés de plus près et de faire l’objet d’une revue critique. L’indice d’adéquation des médicaments (modifié) peut être utilisé pour l’évaluation structurée.
Prise de décision/hiérarchisation : qu’est-ce qui est le plus important pour le patient actuellement ? Quels sont les troubles qui le/la limitent actuellement dans sa vie quotidienne ? Prise en compte de l’espérance de vie et de la fragilité
Plan de médication : La liste des médicaments doit contenir au moins les informations suivantes : Nom et âge, médicament (nom commercial) et dosage, prise (Lu-Mi-Ab-Na).
Littérature :
- “Good for you, good for us, good for everybody”, DHSC, sept 2021, https://assets. publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attach ment_data/file/1019475/good-for-you-good-for-us-good-for-everybody. pdf#page32.
- Davies J, et al : The costs incurred by the NHS in England due to the unnecessary prescribing of dependency-forming medications. Addict Behav. 2022 Feb ; 125:107143. doi : 10.1016/j.addbeh.2021.107143
- Deutsche Hauptstelle für Suchtfragen : La dépendance et ses substances www.dhs.de/fileadmin/user_upload/pdf/Broschueren/Sucht-und-ihre-Stoffe_BENZODIAZEPINE.pdf, (dernière consultation 02.03.2022)
- Neuner-Jehle S, Senn O : Polypharmacie, dernière mise à jour : 11/2021, www.medix.ch/wissen/guidelines/medikation/polypharmazie (dernière consultation 02.03.2022)
- Parekh N, et al : Incidence du préjudice lié aux médicaments chez les personnes âgées après une hospitalisation : une revue systématique. J Am Geriatr Soc 2018 ; 66(9) : 1812-1822.
- Gallagher P et O’Mahony D : STOPP (Screening Tool of Older Persons’ potentially inappropriate Prescriptions) : application aux patients âgés gravement malades et comparaison avec les critères de Beers. Age and Ageing 2008 ; 37 : 673-679.
- O’Mahony D, et al. : STOPP/START criteria for potentially inappropriate prescribing in older people : version 2. Age and Ageing 2015 ; 44 : 213-218.
- Hill-Taylor B, et al : Application of the STOPP/START criteria : a systematic review of the prevalence of potentially inappropriate prescribing in older adults, and evidence of clinical, humanistic and economic impact. Journal of Clinical Pharmacy and Therapeutics, 2013 ; 38 : 360-372.
- Blozik E, et al. : Polypharmacie et médication potentiellement inappropriée dans la population adulte vivant en collectivité en Suisse. Drugs Aging 2013 ; 1-8.
- Luta X, et al : Patterns of benzodiazepine prescription among older adults in Switzerland : a cross-sectional analysis of claims data. BMJ Open 2020 Jan 6 ; 10(1) : e031156.
- “Research suggests benzodiazepine use is high while use disorder rates are low”, National Institute of Drug Abuse (NIH), 18.10.2018, www.drugabuse.gov/news-events/latest-science/research-suggests-benzodiazepine-use-high-while-use-disorder-rates-are-low (dernière consultation 02.03.2022).
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2022 ; 17(3) : 42-43