L’un des objectifs de l’étude observationnelle multicentrique ProRaD est de mieux comprendre les mécanismes qui influencent l’évolution de la dermatite atopique (DA). Dans le cadre d’un sous-projet, les chercheurs ont utilisé des technologies de séquençage modernes pour étudier les effets des médicaments systémiques sur le microbiome cutané des patients atteints de la MA. On espère que des projets de recherche comme celui-ci permettront d’optimiser les stratégies de traitement de la MA.
La recherche sur le microbiome (du grec mikrós “petit” et bios “vie”) fait l’objet d’un intérêt croissant depuis quelques années et les méthodes d’analyse moléculaire des populations microbiennes sont en constante évolution [1]. Aujourd’hui, le séquençage de nouvelle génération (NGS) est souvent utilisé comme méthode de mesure dans les analyses microbiologiques [1]. Le NGS permet de déterminer, sous forme de segments de génome, les identités des bactéries, champignons et autres micro-organismes d’un échantillon et d’estimer les fréquences relatives avec lesquelles ils y sont représentés [2]. Une recherche intensive et systématique du microbiome cutané et intestinal humain par NGS a par exemple été menée dans le cadre du “Human Microbiome Project”, une initiative des National Institutes of Health américains [3]. Entre-temps, le NGS a été utilisé dans de nombreuses études sur le microbiome et a notamment permis d’obtenir des informations intéressantes sur le microbiome cutané dans la dermatite atopique (DA) [4]. En particulier, lors d’une poussée aiguë de la MA, on observe une forte diminution de la diversité bactérienne du microbiote ainsi qu’une abondance relative élevée de Staphylococcus aureus (S. aureus) [5].
Analyses microbiologiques dans le cadre du collectif ProRaD
Afin d’étudier l’effet des agents thérapeutiques locaux et systémiques sur le microbiome cutané humain chez les patients atteints de MA, des échantillons de peau ont été collectés et analysés dans le cadre de l’étude prospective longitudinale ProRaD menée à Augsbourg et à Bonn entre 2017 et 2019 [6].
Méthodologie : Au total, les chercheurs ont analysé et évalué 1077 prélèvements du microbiome cutané et des données sur le traitement médicamenteux de 462 sujets dans le cadre d’une étude transversale. Le microbiome cutané des patients a été enregistré par séquençage de l’amplicon de l’ARNr 16S de la région V1-V3**. L’analyse bio-informatique a été réalisée à l’aide de l’algorithme “AnnotIEM”, qui compare la séquence d’ARN des bactéries avec de nombreuses bases de données, ce qui permet de déterminer ensuite le microbiome individuel avec une grande précision, jusqu’au niveau bactérien spécifique [1,6].
** La composition du microbiote peut être déterminée par le séquençage des régions variables (V1-V9) de l’ADNr 16S bactérien. www.gtl.hhu.de/verfuegbare-workflows-proben demande/séquençage de nouvelle génération/microbiome-profiling-16s-amplicon-sequencing
Le régime thérapeutique actuel de la DA a été documenté et les patients ont été répartis en groupes de traitement conformément aux recommandations des lignes directrices EuroGuiDerm [6].
Résultats de l’analyse : Une forte corrélation entre l’état de la peau et la fréquence de S. aureus dans les lésions cutanées des patients atteints de la MA a pu être confirmée. Aucune relation entre l’abondance relative de S. aureus et l’âge ou le sexe n’a pu être établie. Afin d’exclure l’état de la peau comme facteur perturbateur, des études séparées du microbiome cutané ont été menées pour les évolutions légères, moyennes et sévères de la maladie. Chez les patients atteints de DA modérée, l’abondance relative de S. aureus était significativement plus faible chez ceux qui recevaient un traitement systémique par rapport à ceux qui ne recevaient qu’un traitement topique. En outre, chez les patients atteints de la MA traités par des médicaments systémiques, des différences tendent à être observées en fonction de l’agent systémique administré. L’abondance relative moyenne de S. aureus s’est avérée inférieure chez les participants recevant un traitement par dupilumab, un agent biologique (bDMARD), par rapport aux participants recevant un traitement systémique par immunosuppresseurs conventionnels (csDMARD).
Conclusion : Cette étude pilote a décrit les liens possibles entre le traitement de la MA et les modifications du microbiome au sein du groupe de patients de la cohorte ProRaD. Les résultats démontrent la pertinence de processus immunologiques spécifiques dans l’interaction microbienne de la MA et suggèrent des implications connexes pour le traitement thérapeutique systémique. En particulier, il a été démontré qu’un traitement par dupilumab avait un effet bénéfique sur la dysbiose associée à la MA.

Dans TREATgermany également, le microbiome s’est normalisé sous dupilumab
Hartmann et al. ont fait état, dans une publication parue en 2023 dans la revue Allergy, d’une étude portant sur la manière dont le microbiome cutané dans la DA est affecté par différentes thérapies systémiques [7].
Méthodologie : Pour leur analyse, les chercheurs ont utilisé un ensemble de données de l’étude de registre TREATgermany. Des prélèvements cutanés de 157 patients atteints de la MA ont été analysés par séquençage de l’amplicon de l’ARNr 16S avant et après un traitement de trois mois par dupilumab ou ciclosporine, et comparés à 258 témoins sains basés sur la population. La sévérité de la maladie a été évaluée à l’aide d’outils bien établis tels que l'”Eczema Area and Severity Index” (EASI) [15].
Résultats de l’analyse : Cette étude a également confirmé une abondance relative élevée de S. aureus , corrélée à la sévérité de la MA (EASI) . Le traitement par dupilumab a entraîné un déplacement de la colonisation microbienne vers un schéma similaire à celui observé chez les témoins sains. Au cours du traitement, l’incidence relative des staphylocoques et en particulier de S. aureus a nettement diminué, tant sur la peau AD lésionnelle que non lésionnelle, tandis que l’incidence de Staphylococcus hominis a augmenté. Ces changements étaient largement indépendants du degré d’amélioration clinique et n’ont pas été observés avec un traitement par ciclosporine.
Conclusion : dans les analyses disponibles, le traitement systémique par dupilumab, contrairement à la ciclosporine, a tendance à normaliser le microbiome cutané dans la DA. Selon les auteurs de l’étude, cela s’est avéré largement indépendant de la réponse clinique, ce qui suggère que le blocage des récepteurs alpha de l’IL-4 provoqué par le dupilumab pourrait avoir des effets sur le microbiome en soi. Toutefois, des études empiriques supplémentaires sont nécessaires pour en savoir plus [7].
Hypothèses sur les mécanismes sous-jacents
Selon Hartmann et al. le blocage des cytokines de type 2 peut avoir des effets directs et/ou indirects sur la composition du microbiome cutané [7]. Les effets directs concernent par exemple la fonction de barrière de la peau et comprennent la normalisation de la composition lipidique épidermique, l’augmentation de la teneur en peptides hydratants naturels et la production accrue de peptides antimicrobiens, accompagnée d’une diminution de l’absorption de S. aureus [8–10] ou d’une tendance à l’augmentation de la clairance de S. aureus [11,12]. Le dispositif expérimental décrit dans l’analyse du jeu de données TREATgermany décrite ci-dessus ne permet toutefois pas de tirer des conclusions claires sur les interactions directes, selon Hartmann et al. Il reste donc à déterminer si les modifications de la composition du microbiome observées sous dupilumab sont la conséquence d’effets directs spécifiques au médicament et/ou d’effets indirects d’une inflammation cutanée réduite. Les patients avec une réponse >EASI90 ont montré la restauration la plus prononcée de la diversité bactérienne, qui était comparable à celle des contrôles sains, à l’exception d’une signature microbienne résiduelle caractérisée par la présence de quelques variants de séquences d’amplicons associés à la MA (ASV) à des fréquences variables.
Congrès : ADF Annual Meeting
Littérature :
- CK-CARE, Center for Allergy Research and Education, rapport annuel 2019, https://ck-care.ch/wp-content/uploads/2021/09/CKC_Jahresbericht_2019_web.pdf,(dernière consultation 17.05.2024)
- “Mikrobiomanalyse unter Berücksichtigung biologischer Datenstruktur”, https://opendata.uni-halle.de/bitstream/1981185920/64498/1/antweiler_
Kai-Lars_Dissertation_2021 .pdf, (dernière consultation 17.05.2024) - Consortium du projet Microbiome humain : Structure, fonction et diversité du microbiome humain sain. Nature 2012 ; 486(7402) : 207-214.
- Wollina U : Microbiome dans la dermatite atopique. Clin Cosmet Investig Dermatol 2017 ; 10 : 51-56.
- Fölster-Holst R : Le rôle du microbiome cutané dans la dermatite atopique – liens et conséquences. Journal de la Société allemande de dermatologie 2022 ; 20(5) : 571-578.
- Rohayem R, et al. : Targeted systemic treatment modulates the relative abundance of staphylococcus aureus in patients with atopic dermatitis, P119. 50th Annual Meeting of the Arbeitsgemeinschaft Dermatologische Forschung (ADF). Exp Dermatol 2024 ; 33(3) : e14994.
- Hartmann J ; Groupe d’étude TREATgermany. Le traitement par dupilumab, et non par la cyclosporine, modifie le microbiome en faveur d’une flore cutanée saine chez les patients atteints de dermatite atopique modérée à sévère. Allergy 2023 ; 78(8) : 2290-2300.
- Rohner MH, et al : Dupilumab réduit l’inflammation et restaure la barrière cutanée chez les patients atteints de dermatite atopique. Allergy 2021 ; 76 : 1268-1270.
- Miyake R, et al : Uptake of Staphylococcus aureus by keratinocytes is reduced by interferon-fibronectin pathway and filaggrin expression. J Dermatol 2022 ; 49 : 1148-1157.
- Hönzke S, et al : Influence des cytokines Th2 sur l’enveloppe cornifiée, les protéines de jonction serrée, et les β-défensines dans les équivalents de la peau déficiente en filaggrine. J Invest Dermatol 2016 ; 136 : 631-639.
- Möbus L, et al : La dermatite atopique présente des signatures de transcriptomes cutanés stables et dynamiques. J Allergy Clin Immunol 2021 ; 147 : 213-223.
- Ferraro A, et al. : Rôle et plasticité des réponses Th1 et Th17 dans l’immunité au Staphylococcus aureus. Hum Vaccin Immunother. 2019 ; 15 : 2980-2992.
- Moskovicz V, Gross A, Mizrahi B : Extrinsic Factors Shaping the Skin Microbiome. Microorganisms 2020, 8, 1023. www.mdpi.com/2076-2607/8/7/1023#,(dernière consultation 17.05.2024)
- Kim JE, Kim HS : Microbiome de la peau et des biens dans la dermatite atopique (DA) : comprendre la pathophysiologie et trouver de nouvelles stratégies de gestion. Journal of Clinical Medicine 2019 ; 8(4) : 444.
www.mdpi.com/2077-0383/8/4/444#,(dernière consultation 17.05.2024). - Hanifin JM, et al : The eczema area and severity index (EASI) : assessment of reliability in atopic dermatitis. Groupe d’évaluateurs EASI. Exp Dermatol 2001 ; 10(1) : 11-18.
DERMATOLOGIE PRAXIS 2024 ; 34(3) : 36-37 (publié le 14.6.24, ahead of print)