Les syndromes cardiorénaux (SCR) regroupent un ensemble d’entités cliniques qui affectent à la fois le cœur et les reins et dans lesquelles un dysfonctionnement aigu ou chronique de l’un des deux organes entraîne un dysfonctionnement de l’autre. Un traitement diurétique efficace visant à une décongestion effective est au premier plan de la prise en charge, en plus du traitement de la maladie cardiaque sous-jacente, et est d’une importance capitale pour le pronostic.
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Les patients hospitalisés en raison d’une insuffisance cardiaque aiguë présentent souvent une détérioration parallèle de la fonction rénale. Les syndromes cardiorénaux (SCR) regroupent un ensemble d’entités cliniques qui affectent à la fois le cœur et les reins et dans lesquelles un dysfonctionnement aigu ou chronique de l’un des deux organes entraîne un dysfonctionnement de l’autre. La pathogenèse de l’IRC dans le cadre d’une insuffisance cardiaque aiguë (ICA) est caractérisée par des modifications hémodynamiques et neurohumorales. En particulier, la congestion veineuse joue un rôle prépondérant dans le développement d’une altération de la fonction rénale. Pour établir le diagnostic, il est indispensable de combiner soigneusement les paramètres cliniques, de laboratoire et échographiques. Sur le plan thérapeutique, la priorité est donnée au traitement de la maladie cardiaque sous-jacente et à une décongestion efficace et complète. Outre les diurétiques éprouvés, les inhibiteurs du SGLT2 jouent un rôle et constituent, grâce à leur potentiel diurétique, des partenaires de combinaison judicieux pour le traitement diurétique. La détérioration de la fonction rénale sous traitement diurétique est un phénomène fréquemment observé. Cette altération de la fonction rénale, appelée “worsening of renal function”, n’est pas associée à un plus mauvais pronostic si une décongestion efficace est obtenue.
L’axe cardiorénal joue un rôle crucial tant dans les conditions physiologiques que dans le cadre de maladies chroniques telles que la maladie cardiaque ou la maladie rénale chronique. Il n’est pas rare que les deux maladies soient présentes ensemble, qu’elles partagent en outre des facteurs de risque identiques pour leur apparition et qu’elles aggravent mutuellement leur pronostic [1]. Une maladie rénale chronique sous-jacente est l’un des prédicteurs les plus sévères d’un résultat négatif chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque chronique [2,3].
Lorsqu’un dysfonctionnement aigu ou chronique du cœur ou du rein entraîne un dysfonctionnement de l’autre système organique, on parle de syndrome cardiorénal (SCR). Conformément à un consensus de l’initiative “Acute Dialysis Quality Initiative” de 2008, deux groupes de syndromes – cardiaque et rénocardique – ont été définis en fonction du moment déclencheur de la maladie [4,5] (Fig. 1). Dans la pratique clinique, il n’est pas rare qu’il soit difficile de distinguer clairement les deux types de pathophysiologie cardiaque, et notamment d’identifier strictement l’événement déclencheur. L’aperçu suivant se concentre essentiellement sur l’aspect cardiorénal aigu (type 1 KRS), qui se situe en premier lieu dans le cadre d’une IAH et qui survient chez environ 30 à 50% des patients hospitalisés en raison d’une IAH [6–8]. Une maladie rénale chronique préexistante est souvent présente chez ce groupe de patients et augmente le risque de développer une atteinte rénale aiguë (IRA). Une lésion rénale aiguë dans le cadre d’une IAH constitue un facteur de risque indépendant de mortalité [6,8].
Physiopathologie
Dans le cadre d’une insuffisance cardiaque aiguë, deux mécanismes physiopathologiques fondamentaux peuvent contribuer à la réduction de la fonction rénale. L’hypoperfusion prérénale dans le cadre d’une insuffisance cardiaque systolique aiguë et la congestion veineuse centrale jouent toutes deux un rôle et entraînent l’activation de multiples mécanismes de contre-régulation inadaptés [1,9–11]. Traditionnellement, l’hypoperfusion dans le cadre d’une réduction du volume cardiaque en fonction du temps était considérée comme un facteur moteur de la détérioration de la fonction rénale. Cependant, dans le cadre d’une hospitalisation, la détérioration de la fonction rénale est plus fréquente chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (FEPS) que chez ceux dont la fraction d’éjection est fortement diminuée (FEPS) [12]. La congestion veineuse rénale, qui entraîne une hypertension veineuse rénale, une augmentation de la résistance et finalement une diminution du débit sanguin intrarénal, joue donc un rôle central dans la réduction de la fonction rénale dans le cadre du SRC en cas d’IAH [1,13,14]. La microcirculation rénale et le système lymphatique local sont également affectés de manière significative par la congestion veineuse [15]. Comme le rein ne peut contrecarrer ces effets hydrauliques que de manière limitée, en raison du manque de capacité d’expansion spatiale du tissu rénal, il se produit un phénomène que l’on peut qualifier de “tamponnade” rénale. La capsule rénale rigide, le tissu adipeux péri-rénal et l’augmentation de la pression intra-abdominale due à la congestion jouent ici un rôle [16]. Ces effets hémodynamiques se traduisent par une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), du système sympathoadrénergique et de la libération de vasopressine, ce qui entraîne une augmentation de l’absorption de sodium et d’eau dans le tubule proximal. [1,10,15] (Fig. 2).
Diagnostic
Dans le cadre du diagnostic, l’accent est mis sur la délimitation de la pathologie cardiaque ou du facteur déclenchant de la décompensation cardiaque, ainsi que sur l’évaluation de l’étendue de la lésion rénale aiguë. Il est également important de faire la distinction entre une limitation de la fonction rénale due à la congestion cardiaque (éventuellement sur la base d’une maladie rénale chronique préexistante) et une limitation de la fonction rénale aggravée au cours du traitement par des médicaments (diurétiques, bloqueurs du SRAA), une exposition à des produits de contraste ou d’autres déclencheurs [17].
Les autres causes d’IRA, en dehors du SRC (néphrotoxiques médicamenteux, hémorragies, hypovolémie, septicémie, choc) doivent être exclues dès l’admission. Outre les examens cliniques de routine, l’état volumétrique, les signes cliniques de congestion et la perfusion doivent être déterminés à l’aide d’un examen physique, d’une analyse de laboratoire (peptides natriurétiques), d’une échocardiographie/sonographie et, le cas échéant, d’un bilan hémodynamique invasif. L’objectif d’un diagnostic par échographie focalisée (échographie thoracique, échocardiographie) est de déterminer l’état volumique, d’enregistrer les paramètres échographiques d’une congestion veineuse pulmonaire et le contenu liquidien pulmonaire [1,18]. Un bilan échocardiographique spécifique constitue la base du diagnostic ultérieur. Cela permet notamment de limiter le phénotype de la forme sous-jacente d’insuffisance cardiaque. Outre la fraction d’éjection systolique, une attention particulière est accordée à des paramètres tels que la pression auriculaire gauche ou la pression de remplissage du ventricule gauche (E/E’) estimée de manière non invasive, la pression veineuse centrale, l’état de remplissage de la veine cave et la pression systolique de l’artère pulmonaire. Des analyses chimiques en laboratoire des paramètres de rétention et une analyse d’urine (Urine Albumine Creatinin Ratio, UACR, éventuellement au microscope) ainsi qu’une échographie des reins sont nécessaires. Une échographie duplex des reins fournit des informations sur la taille et la surface de l’organe, la perfusion artérielle (indices de résistance), les diamètres du cortex rénal et la relation entre la moelle et le cortex rénal [1]. La congestion veineuse rénale peut également être évaluée en déterminant le profil du flux veineux intrarénal par des techniques d’échographie duplex [19].
Il n’y a pas encore de consensus sur la classification à utiliser pour classer la détérioration de la fonction rénale dans le cadre d’un SRC. Outre la classification établie des critères “Kidney Disease : Improving Global Outcomes” (KDIGO), la notion de “Worsening Renal Function” (WRF) est décrite principalement dans la littérature cardiologique [17,20,21]. Cela s’explique principalement par des différences méthodologiques dans la caractérisation de la fonction rénale dans le cadre d’études cliniques sur l’insuffisance cardiaque. Le consensus commun dans les deux classifications est une augmentation de la créatinine de 0,3 mg/dl, qui définit une détérioration de la fonction rénale. En principe, l’estimation du débit de filtration glomérulaire (DFGe) doit se faire à l’aide de la formule CKD-Epi, qui est la méthode la plus précise dans le cadre d’une insuffisance cardiaque chronique [17].
Thérapie
Les principaux objectifs du traitement du SCR sont une décongestion efficace et complète, le traitement de la maladie cardiaque sous-jacente ou du facteur déclenchant cardiaque de la décompensation et l’établissement ou le complément d’un traitement médicamenteux conforme aux directives pour l’insuffisance cardiaque sous-jacente [22]. Une congestion résiduelle au moment de la sortie de l’hôpital entraîne un taux de réhospitalisation plus élevé et aggrave fondamentalement le pronostic des patients hospitalisés en raison d’un événement de décompensation [23].
Diurétiques
La rétention de liquide et la congestion cardiopulmonaire sont les principales caractéristiques cliniques des patients atteints d’IAH et de SRC. Un traitement diurétique avec une natriurèse efficace et une perte de liquide efficace constitue donc la base essentielle du traitement. L’objectif est d’obtenir une amélioration clinique symptomatique en supprimant la congestion pulmonaire et en éliminant la congestion réno-veineuse [18].
Les diurétiques de l’anse : Les diurétiques de l’anse (furosémide, torasémide) sont utilisés en premier lieu. Ceux-ci inhibent le co-transporteur Na+-K+-2Cl- dans la partie ascendante de l’anse de Henle, induisent une natriurèse et donc une augmentation de l’excrétion de NaCl pouvant atteindre 30% (24). Les diurétiques de l’anse présentent une liaison protéique élevée et doivent être sécrétés dans la lumière proximale du tubule, ce qui nécessite un dosage suffisant [25]. Le torasémide présente une demi-vie plus longue et une biodisponibilité orale plus élevée que le furosémide. Une comparaison directe des deux substances actives dans le cadre d’une utilisation après une hospitalisation pour décompensation cardiaque a été effectuée dans l’étude TRANSFORM-HF récemment publiée [26]. Le torasémide n’a pas montré de supériorité par rapport au furosémide en ce qui concerne le critère d’évaluation principal (mortalité totale) et les réhospitalisations au cours des 12 premiers mois. Concernant les Pour l’administration des diurétiques de l’anse, on utilise en routine clinique aussi bien une procédure basée sur un bolus qu’une administration continue, par exemple guidée par un perfuseur. Les données de l’étude DOSE-AHF n’ont pas montré d’avantage d’un concept de bolus par rapport à l’administration continue de diurétiques. Cependant, une dose élevée de diurétique de l’anse (2,5 fois plus élevée que le traitement maison existant ou au moins 80 mg de furosémide/jour) était supérieure à une dose plus faible en termes d’amélioration des paramètres cliniques tels que la dyspnée, la perte de poids et la perte de poids nette [27].
Blocage néphronique séquentiel : un concept établi en routine dans la pratique clinique quotidienne pour augmenter l’effet diurétique est l’association d’un diurétique de l’anse avec un diurétique thiazidique ou un analogue de thiazidique, qui entraîne une inhibition du co-transporteur sodium-chlorure dans le tubule distal. En particulier, une combinaison permet d’obtenir une augmentation significative de la natriurèse (et de la kaliurèse !), ce qui semble particulièrement utile en cas de résistance aux diurétiques de l’anse [25]. L’étude CHLOROTIC, récemment publiée, a examiné les effets d’un blocage néphronique séquentiel chez des patients atteints d’IAH (65% HFpEF, 48% femmes). L’association d’hydrochlorothiazide et de furosémide a entraîné une perte de poids plus importante au prix d’une détérioration de la fonction rénale (augmentation de la créatinine >0,3 mg/dl) [28].
Estimation de l’effet diurétique : l’évaluation de l’effet diurétique est essentielle et ne peut être réalisée qu’en observant différents paramètres tels que le volume d’urine (objectif >100-150 mL/h pendant les 6 premières heures), la réduction du poids corporel, les signes cliniques de congestion et le taux de NT-pro-BNP au cours de l’évolution. Des travaux récents suggèrent également une évaluation de la concentration de sodium dans l’urine de spot dans les premières heures suivant l’administration de diurétiques i.v. comme mesure directe de la natriurèse obtenue [29,30]. La ligne directrice actuelle de l’ESC sur l’insuffisance cardiaque recommande de mesurer le sodium urinaire deux heures après l’administration d’un diurétique de l’anse par voie i.v. [22]. Un effet diurétique suffisant est défini par une concentration urinaire de sodium de >50-70 mmol/L (dans l’urine spot) (encadré).
Concepts récents de décongestion
Acétazolamide : L’inhibiteur de l’anhydrase carbonique, l’acétazolamide, inhibe l’absorption du bicarbonate de sodium dans le tubule proximal, le site de réabsorption rénale maximale du sodium, tant dans des conditions physiologiques que dans le cadre d’une insuffisance cardiaque. Ce concept diurétique connu depuis longtemps a reçu une nouvelle base scientifique grâce à l’étude ADVOR [31]. L’ajout de 500 mg d’acétazolamide i.v. à un diurétique de l’anse i.v. a permis d’obtenir une décongestion plus efficace chez les patients présentant un IAH trois jours après la randomisation (critère d’évaluation principal) et au moment de la sortie de l’hôpital, par rapport au traitement par placebo. Les événements indésirables, notamment les effets négatifs sur la fonction rénale, les déséquilibres électrolytiques ou les épisodes d’hypotension, n’ont pas été significativement plus fréquents dans le groupe traité par le verum que dans le bras placebo. Au moment de la publication de cette revue, l’acétazolamide est autorisé pour le traitement de l’insuffisance cardiaque en Suisse et en Autriche, mais pas en Allemagne.
Inhibiteurs de SGLT2 : la dapagliflozine et l’empagliflozine, inhibiteurs de SGLT2, améliorent à la fois le pronostic des patients souffrant d’insuffisance cardiaque chronique sur l’ensemble du spectre de la fraction d’éjection ventriculaire gauche [32] et celui des patients souffrant de maladie rénale chronique [33]. Ils agissent également au niveau du tubule proximal et, en augmentant la concentration intratubulaire de glucose et de sodium, ils entraînent une glucosurie consécutive et une diurèse en partie osmotique [34]. Les effets positifs de ce groupe de substances sur le volume intravasculaire et interstitiel sont discutés en tant que mécanismes d’action potentiellement pertinents dans le cadre de l’insuffisance cardiaque et constituent la raison d’être des études cliniques récentes sur l’utilisation chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque aiguë.
Dans l’étude EMPULSE contrôlée par placebo, les patients hospitalisés en raison d’un IAH ont été traités avec 10 mg d’empagliflozine en plus du traitement standard dès la phase hospitalière précoce de recompensation, pour une durée totale de 90 jours. Le critère d’évaluation primaire (décès toutes causes confondues, nombre d’événements liés à l’insuffisance cardiaque/délai avant le premier événement, qualité de vie) a été significativement réduit par l’empagliflozine [35]. Il convient de noter une perte de poids nettement plus importante sous empagliflozine et une diminution plus nette du NT-pro-BNP. Ces effets ont été accompagnés d’une plus forte hémoconcentration et d’une amélioration d’un score clinique de congestion prédéfini (dyspnée, orthopnée, fatigue) [36]. En ce qui concerne les critères d’évaluation liés à la sécurité, tels que la fonction rénale, l’acidocétose ou les infections génitales, le groupe verum n’a pas été différent du groupe témoin.
Les données de l’étude ne permettent pas de déterminer les mécanismes sous-jacents à ces effets, c’est-à-dire de caractériser plus précisément l’effet diurétique. De petites études d’intervention contrôlées par placebo chez des patients souffrant d’insuffisance cardiaque aiguë et chronique montrent des effets contradictoires en ce qui concerne le mécanisme de l’effet diurétique des inhibiteurs du SGLT2. Alors que l’étude EMPA-RESPONSE AHF [37] et l’étude EMPAG-HF [38] n’ont montré aucun effet pertinent sur la natriurèse sous 10 mg d’empagliflozine chez les patients atteints d’IAH, l’étude EMPA-RESPONSE AHF a révélé une augmentation pertinente de la natriurèse sous 25 mg ( !) d’empagliflozine chez les patients atteints d’IAH chronique stable [39]. L’étude DICTATE-AHF, présentée lors du congrès 2023 de la Société européenne de cardiologie (ESC), qui a évalué l’effet d’un traitement précoce par la dapagliflozine, un inhibiteur du SGLT2, chez des patients souffrant d’insuffisance cardiaque aiguë, a également démontré une augmentation de la natriurèse. Il est intéressant de noter que l’étude a manqué de peu le critère d’évaluation principal (“efficacité diurétique” = perte de poids (kg)/dose cumulée de diurétique de l’anse) et que la dapagliflozine n’a pas entraîné d’augmentation de la perte de poids (données non publiées à ce jour). En fin de compte, les deux effets, l’effet osmotique dû à l’augmentation de la glucosurie et l’augmentation de la natriurèse, sont pertinents pour l’effet diurétique des inhibiteurs du SGLT2. Les résultats de l’étude DAPA ACT HF-TIMI 68 (ClinicalTrials.gov ID NCT04363697), actuellement en cours et qui évalue les effets de la dapagliflozine chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque aiguë, devraient être publiés en 2024.
“Worsening of renal function” sous traitement diurétique
Il est fréquent d’observer une augmentation des paramètres de rétention rénale lors d’un traitement diurétique i.v. intensif. L’initiation concomitante de bloqueurs du SRAA ou d’inhibiteurs du SGLT2 peut également contribuer à une diminution de l’eGFR [17]. Ceux-ci sont souvent fluctuants et ne peuvent pas être classés définitivement à l’aide des classifications courantes dans le cadre d’une décompensation cardiaque aiguë. Pour situer le phénomène de détérioration de la fonction rénale dans le cadre d’une recompensation, il est nécessaire de faire la distinction entre une “vraie” atteinte rénale intrinsèque (tubulaire, glomérulaire) telle qu’elle peut survenir par exemple dans le cadre d’un sepsis ou de mécanismes induits par des médicaments, et ce que l’on appelle un “pseudo-worsening of renal function” [17]. Il n’est pas facile d’établir une distinction claire entre les deux, car ils peuvent coexister [40]. Une mauvaise interprétation peut conduire à une réduction trop précoce ou à l’arrêt du traitement diurétique. La distinction entre lésion tubulaire et pseudo-WRF ne peut pas être faite sur la base des seules valeurs de rétention, mais uniquement sur la base du contexte clinique global. Dans ce cas, il convient notamment d’évaluer l’ampleur de la congestion, l’effet diurétique obtenu (volume d’urine, sodium dans la spoturine) par des examens cliniques et échographiques. Le dosage des peptides natriurétiques tels que le NT-pro-BNP au cours de l’évolution clinique d’un traitement donne également des informations sur l’ampleur de la décongestion obtenue. En principe, toute augmentation de la créatinine doit être évaluée dans le contexte clinique et une consultation néphrologique doit être effectuée en cas de signes de détérioration grave de la fonction rénale (doublement de la créatinine sérique ou augmentation >3,5 mg/dl, oligo-/anurie avec diurèse <0,5 ml/kgKG/h en 12 h, protéinurie significative ou détection d’un sédiment urinaire actif) [17].
Plusieurs travaux montrent qu’il n’y a pas d’atteinte tubulaire sous traitement diurétique forcé pour traiter l’IAH. Une analyse de l’étude ROSE-AHF ne montre aucune corrélation entre le WRF (chute de l’eGFR de >20% en 72h) et l’expression de biomarqueurs tubulaires tels que la N-acétyl-b-d-glucosaminidase, NGAL, ou KIM-1 sous traitement diurétique forcé. La détérioration de la fonction rénale n’a pas eu d’impact sur la survie à 6 mois [41]. D’autres analyses de grandes études cliniques telles qu’EVEREST et ESCAPE montrent que la détérioration de la fonction rénale a un impact particulièrement négatif sur le pronostic lorsqu’aucune recompensation efficace, c’est-à-dire une décongestion complète, ne peut être obtenue [23,42]. Pour simplifier, on peut dire qu’une augmentation de la créatinine sous traitement diurétique peut être classée comme “pseudo-WRF” et donc “bénigne” dans la mesure où elle s’accompagne d’une décongestion et d’une recompensation suffisantes [17].
Résistance aux diurétiques : si l’utilisation de diurétiques à haute dose n’entraîne pas une décongestion cliniquement efficace, on parle de résistance aux diurétiques (1,25). Ce phénomène, fréquent chez les patients présentant un IAH, entraîne souvent une prolongation de l’hospitalisation, augmente le risque de réhospitalisation, accroît le risque de mortalité et s’accompagne souvent d’une dégradation marquée de la fonction rénale [43]. Les facteurs de risque de résistance aux diurétiques sont une maladie rénale préexistante et un traitement diurétique de longue durée [1]. Les mécanismes sous-jacents sont nombreux et vont d’une absorption (orale) insuffisante, d’une excrétion tubulaire réduite, du phénomène dit de “braking” (diminution de la natriurèse sous doses répétées de diurétiques) et d’un remodelage tubulaire [24].
Pour interrompre la résistance aux diurétiques ou dès que la diurèse initiale est insuffisante (concentration urinaire de sodium <50-70 mmol/L, volume d’urine <100-150 mL/h), il convient d’abord de doubler progressivement la dose du diurétique de l’anse i.v. dans le cadre d’une procédure structurée. Si cela ne conduit pas à une diurèse suffisante, un diurétique thiazidique peut être associé pour obtenir un blocage néphronique séquentiel [18]. Cette approche progressive est basée sur les données de l’étude CARESS-HF, qui a montré que l’escalade des doses de diurétique de l’anse était efficace, sûre et non inférieure à une procédure de filtration [44].
Procédure de remplacement rénal : Si l’administration de diurétiques à haute dose ne permet pas d’obtenir une diurèse suffisante, il faut envisager une ultrafiltration ou une procédure de remplacement rénal en “dernier recours” [45]. Deux études prospectives ont été menées sur l’utilisation de l’ultrafiltration chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque aiguë, mais les résultats sont hétérogènes et ne permettent pas de recommander cette technique de manière générale [44,46]. En pratique clinique, les soins intensifs font principalement appel à des techniques de substitution rénale extracorporelle. Il n’existe pas encore d’études randomisées sur l’utilisation déterminée des procédures de remplacement rénal en cas d’insuffisance cardiaque aiguë.
Messages Take-Home
- Le rôle central pour la limitation de la fonction rénale dans le cadre
du SCR en cas d’insuffisance cardiaque aiguë est la congestion veineuse rénale. - Un traitement diurétique efficace visant à une décongestion effective est au premier plan de la prise en charge, en plus du traitement de la maladie cardiaque sous-jacente, et est d’une importance capitale pour le pronostic.
- Un effet diurétique suffisant est défini par une concentration urinaire de sodium >50-70 mmol/L ou par des portions horaires d’urine >100-150 ml pendant les 6 premières heures après l’administration du diurétique.
- Dans la mesure où une décongestion efficace peut être obtenue, une détérioration de la fonction rénale sous traitement diurétique peut généralement être considérée comme de bon pronostic.
- L’association de diurétiques de l’anse et d’inhibiteurs du SGLT2 peut potentialiser l’effet diurétique et constitue donc un concept de traitement judicieux.
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HAUSARZT PRAXIS 2024; 19(7): 10–15